Scène 12
LAURINE
Est-ce que c’est de notre faute ?
ADRIEN
Qu’est-ce qui n’est pas de notre faute ?
LAURINE
Qu’est-ce qui n’est pas de ta faute, Adrien ! Moi, je suis prête à lui donner l’amour dont il a besoin.
ADRIEN
L’amour ne peut plus rien pour lui. On aura beau tout lui donner, rien ne l’empêchera de chuter. Certains sont faits pour sombrer, ainsi va le monde.
LAURINE
Ainsi va le monde ? Mais comment peux-tu dire une chose pareille ? Le monde devient ce qu’on le laisse devenir ! Et si le monde ne connaissait que l’amour…
ADRIEN
Si l’amour suffisait à régler quoi que ce soit, on en aurait fait un commerce depuis longtemps. Crois-moi, ce n’est pas un baiser qui changera ta vie. Un baiser reste un baiser, deux bouches collées, aucun mot, aucune importance, seulement du réconfort.
LAURINE
Mais l’amour…
ADRIEN
L’amour est un mensonge. Une légende, un coup marketing. Ça rassure les imbéciles, ça calme les incapables, mais ce n’est rien. Rien de plus qu’un placebo universel.
LAURINE
Je t’en supplie, ne dis pas ça.
ADRIEN
Si l’amour existait, nous n’aurions pas besoin de sexe.
LAURINE
Mais le sexe, c’est de l’amour ! On ne fait pas du sexe, on fait l’amour !
ADRIEN
Tu ne sais pas de quoi tu parles.
LAURINE
Je le sais plus que toi ! Je connais l’amour ! Je le connais tous les jours. Je le vois partout, dans les regards, dans les silences, dans les mots gravés, dans les mots chuchotés et dans ceux qu’on ne dit même pas. Je le vois même lorsqu’il ne veut pas se montrer, derrière les paupières closes, derrière les manteaux fermés, derrière les insultes et les reproches. Je le vois mieux que toi, je le vois dans ce que nous vivons depuis des années, Adrien. Toi, moi et eux. Nous, ensembles. Je le vois et je l’ai en moi.
ADRIEN
Tu es aveugle.
Laurine le regarde un instant. Après un moment de silence, elle prend une de ses mains et la pose sur son ventre.
LAURINE
Je le vois et je l’ai en moi.
Confus, Adrien se fige et fixe Laurine. Silence.
ADRIEN
Putain Laurine. Est-ce que…
LAURINE
Oui. C’est le premier mois.
Silence.
ADRIEN
Qui est le père ?
Laurine le regarde silencieusement. Adrien est effaré.
ADRIEN
C’est moi ?
LAURINE
Non.
ADRIEN
Tu ne sais pas qui c’est ?
LAURINE
Si.
Elle pose les mains sur son ventre, le regarde un instant, puis regarde de nouveau Adrien.
LAURINE
C’est vous.
Long silence. Adrien semble maintenant obnubilé par le ventre. Thomas et Alexis entrent. Thomas se rapproche de la fenêtre. La tempête gronde toujours.
ALEXIS
Elle se repose, il n’y a pas à s’inquiéter.
THOMAS
Elle ne m’aime plus. Elle dort alors qu’elle ne m’aime plus, mais il n’y a pas à s’inquiéter.
Silence. Adrien, troublé par sa découverte qui ébranle ses convictions, se rapproche d’Alexis.
ADRIEN
Est-ce que tu crois à l’amour ?
ALEXIS
A l’amour ?
ADRIEN
Oui, est-ce que tu y crois ?
ALEXIS
Oui. Mais je ne pense pas qu’il puisse rendre heureux. L’amour, ce n’est qu’une impasse.
ADRIEN
Et toi ? Tu es dans une impasse ?
ALEXIS
Aimer quelqu’un d’amoureux, amoureux de quelqu’un d’autre je veux dire, ce n’est plus une impasse, c’est une pièce close. Pas de porte, pas d’issue, pas de solution. On essaye de tout rattraper mais on se rend compte que nos bras sont trop petits, on se rend compte que l’amour déborde de partout, nous submerge.
Adrien se rapproche d’Alexis pour le prendre dans ses bras.
ADRIEN
Alors ?
ALEXIS
Alors… Alors j’imagine qu’il est temps de prendre une décision… On laisse tomber, on abandonne. Quand on a plus d’espoir pour soi-même, on ne peut pas en avoir pour les autres. Et tu vois, je sais que je n’y arriverais pas, je sais que ça ne sert à rien tout ça. J’aimerais avoir des épaules assez larges mais je n’ai que des brindilles, alors je ne peux pas le laisser me les briser, tu comprends ? Je ne peux pas me le permettre.
Silence.
ALEXIS
J’ai tout essayé, j’ai vraiment fait de mon mieux. J’ai tenté de l’aider, j’ai essayé de l’aimer, mais je ne peux pas me sacrifier, je ne peux pas me donner complétement. Ça serait du suicide. Et ça, je n’en veux pas. C’est égoïste, c’est putain d’égoïste, mais comment faire autrement ? Tout le monde réagirait comme ça, non ? C’est de l’instinct de survie, après tout, alors est-ce qu’on peut m’en vouloir ? Est-ce qu’on peut m’en vouloir de céder ?
ADRIEN
Non, absolument pas.
Adrien embrasse Alexis.
ALEXIS
Moi je m’en veux.
Adrien l’embrasse langoureusement dans le cou. On voit qu’Alexis reste tourmenté par cette affaire.
THOMAS
Est-ce qu’elle m’en veut ? Elle ne m’aime plus, elle ne me veut plus, mais est-ce qu’elle m’en veut ?
Anna entre.
ANNA
Valentin s’est enfermé dans la salle de bain. Il n’avait pas l’air bien.
LAURINE
C’est de notre faute, tout ça est de notre faute.
Anna va s’assoir à côté de Laurine.
ANNA
C’est bien plus complexe que ça, tu sais.
LAURINE
L’amour n’est pas complexe, c’est seulement vous qui êtes beaucoup trop compliqués. Vous ne savez pas vous aimer, vous faite tout de travers.
ANNA
Je n’aime personne, moi.
LAURINE
Mais sais-tu combien de personnes t’aiment ? Sais-tu combien de personnes tu pourrais aimer, sans prétention, sans engagement, en toute simplicité ?
ANNA
Je ne sais pas et je ne préfère pas y penser. Combien de personnes as-tu aimé, toi ?
LAURINE
C’est simple, j’ai aimé tous celles qui m’ont aimée.
ANNA
Tu as du courage.
LAURINE
Non, seulement de l’espoir.
THOMAS
L’espoir… Quel espoir ?
Silence.
ANNA
Est-ce que tu m’aimes ?
LAURINE
Bien sûr.
ANNA
Est-ce que tu peux me le dire ?
LAURINE
Je t’aime.
ANNA
Plusieurs fois ?
LAURINE
Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime, Anna.
ANNA
Moi aussi je t’aime.
Anna embrasse Laurine. Alexis et Adrien continuent de s’embrasser. Les vêtements tombent peu à peu.
THOMAS
Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime, Alice.
Alice rentre, encore chamboulée par son malaise.
ALICE
Thomas…
Thomas se retourne. Chacun à une extrémité de la pièce, ils sont face à face. Ils se rapprochent silencieusement l’un de l’autre, jusqu’à finir en tête à tête, au centre de la pièce. Silence.
ALICE
Puisque tu m’aimes…
Elle le gifle violemment. Il se redresse sans réagir, comme coupable. Silence.
Et puisque c’est la fin…
Elle l’embrasse langoureusement. Il ne résiste pas. Tous les couples s’embrassent de plus en plus passionnément, des vêtements jonchent le sol.
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