Chapitre 3: vieux parking

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— Est-ce que tu vas m’expliquer quelque chose ou il faut que je te suive aveuglement et essayer de deviner?

Si ça se trouve, il essaie de me kidnapper.

— Il y aurait beaucoup de choses à expliquer, me lance-t-il avec un regard éloquent qui signifie clairement que je suis idiote. Non, ajoute-t-il finalement. Désolé, j’ai passé une mauvaise journée. Mais je peux rien expliquer tant qu’on sera pas en lieu sûr.

Il semble radouci. Je suppose que c’est bon signe. On va plus trop s’engueuler.

Il regarde sa montre, puis scrute l’horizon, probablement dans l’espoir d’y voir l’autobus. C’est drôle, on dirait qu’on s’en va chez moi. C’est le même trajet.

On commence à marcher vers notre mystérieuse destination.

— Si l’autobus passe, on le prendra, mais on est mieux de marcher le plus possible, dit-il.

J’acquiesce d’un signe de tête. Finalement, on est pas si différents : c’est une de mes philosophies dans la vie. Si l’autobus passe pas, il vaut toujours mieux marcher qu’attendre planté à l’arrêt. Comme ça, on fait du sport et si l’autobus venait à ne pas passer tout court, on arrive plus vite.

En marchant de même, côte à côte, j’ai l’impression que tout le monde qui nous croise se dit : « Ils forment un beau p’tit couple, ces deux p’tits jeunes là! ». C’est très perturbant (et gossant).

Finalement, l’autobus passe. On court pour l’attraper. C’en est moins une, mais on réussit. C’est très satisfaisant d’entrer essoufflée dans le bus. Ça me donne toujours l’impression d’être une genre de hors-la-loi, fouillez moi pourquoi.

Dans l’autobus (au fond, évidemment), le silence entre nous m’angoisse. Je suis vraiment en train de suivre aveuglément quelqu’un qui ne voit pas l’intérêt de me parler en route? C’est pas mon genre, me semble.

— Ok, mettons, tu veux pas m’expliquer ce que tu veux m’expliquer. Mais on a le droit de parler d’autre chose? je lui lance sans aucune forme de préavis.

— Ben là… Ouais. De quoi tu veux qu’on parle? répond-il en levant la tête de ses souliers.

— Je sais pas… Tu penses quoi de notre classe?

— Les gens? Tous des connards. Mais il y a des exceptions, mettons, ajoute-t-il en me regardant avec un petit sourire. Toi?

Quand je disais qu’il pourrait faire une connerie pour se venger…

— Ouais, c’est vrai qu’ils sont un peu cons, des fois. Mais tsé, de là à les appeler des « connards », je sais pas…

— Ouain. Oh, on doit descendre.

On est rendu au parc Père-Marquette. Quand on descend, je manque de me péter la gueule encore une fois, sur la glace, mais Jacob me rattrape avant que je m’écrase dans la garnotte.

— Ouf. Merci.

On traverse le parc vers la rue Père-Marquette. Se faisant, on parle un peu de nos vies. Je lui explique que mes parents sont séparés et que j’ai deux petits frères. Il m’apprend en retour qu’il a quant à lui une grande sœur. On se rend aussi compte qu’on habite à quelques rues l’un de l’autre, même si ce n’est qu’une semaine sur deux pour moi.

On traverse la rue Père-Marquette vers un stationnement visiblement peu fréquenté. Une fois au milieu, Jacob me sourit, un vrai sourire cette fois-ci.

— Ok. On va enfin pouvoir parler des vrais choses, lance-t-il.

— Attends. On a fait tout ce trajet pour parler dans un vieux parking?

— Pas n’importe quel vieux parking! Ici, personne ne peut nous entendre.

Je jette un regard vers les élèves de l’école Père-Marquette qui sortent. Aucun ne regarde même le stationnement. Ça doit faire partie du décor pour eux.

Jacob s’assoit sur un bloc de béton et me regarde intensément.

— Ok. Tu peux m’expliquer ce que tu veux, mais je veux savoir, je lance sans être certaine de savoir si je veux vraiment entendre ce qu’il a à me dire.

— Par où commencer? Tu dois me prendre pour un fou. Mais je te jure que je dis la vérité. Tiens, essaye d’attirer leur attention, dit-il en pointant les élèves qui sortent de l’école. Mais ne sort pas du stationnement.

Même si je ne comprends pas vraiment le but, je fais de grands signes de mains aux gangs qui marchent sur le trottoir d’en face. Je vais même jusqu’à leur crier après. Ils n’ont aucune réaction. C’est comme si je n’existais pas pour eux.

Je me tourne vers Jacob.

— Tu vois? Personne nous entend, répond-il à ma question silencieuse. Cet endroit est un genre de pont. Entre deux mondes, celui des sorciers (il pointe vers un des murs, plein de graffitis, sur le bâtiment à côté) et celui des non-sorciers (il pointe la rue et les élèves de Père-Marquette). Il nous dissimule à leurs yeux.

Je ne comprends rien à ce qu’il dit. Les sorciers? Je ne peux pas y croire. C’est juste trop. Jacob semble le voir dans mon regard, puisqu’il soupire et se lève.

— Je crois que t’as besoin d’une vraie preuve. Tu vois la porte?

Il pointe le mur plein de graffitis. En effet, il y a une porte, dessinée adroitement parmi tous les autres bonhommes, signatures et trucs non identifiés. Elle semble ressortir davantage que tout le reste.

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