Chapitre 4: Le Nuage

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Sans prévenir, Jacob me prend la main et court tout droit vers le mur.

Je ferme les yeux, comme si ça allait me protéger de la collision imminente. Et voilà comment Laurie Ray est morte, un 7 novembre que tout le monde oubliera.

Étonnamment, je ne meurs pas. En fait, je ne me cogne même pas contre le mur. Je sens juste Jacob ralentir sa course et j’entrouvre les yeux.

Sans aucun doute, j’ai devant moi le truc le plus étonnant de toute ma vie. Au lieu du parking miteux, du parc Père-Marquette, des élèves qui sortent de l’école, une grande rue, claire et magnifique s’étend comme un tapis rouge pour nous.

Je suis sans voix. Forcée de croire à ce qui, toute mon enfance, n’étaient que des histoires.

Des gens souriants se promènent au plein milieu de la rue. Des petites boutiques coquettes s’alignent de façon complètement aléatoire. Je distingue même ce qui ressemble à un petit dragon cracher du feu dans une vitrine. Cependant, avant que j’aie pu complètement le voir, la vitrine s’assombrit. Mais le plus surprenant n’est pas tant ce qu’on peut voir que l’ambiance qui imprègne ce lieu. Une ambiance, qui, malgré toutes les questions que je me pose, me donne envie de sourire.

— Merde! C’est quoi ça? je ne peux m’empêcher de lancer avec une voix trop aigue.

— Bienvenue dans le Nuage, Laurie-Ann.

— Merde merde merde! Qu’est-ce qui s’est passé? On était dans un stationnement il y a deux secondes, dude !!

— Capote pas. Ça veut juste dire que tout ce que je te dis est vrai.

— Euh… J’ai un peu mes raisons de capoter. On a traversé un mur!

— Ouain. C’est vrai. On devrait aller à un autre endroit, genre les gens nous regardent.

C’est vrai. Je casse un peu l’ambiance à crier de même. Mais on a pareil TRAVERSÉ un MUR !!! C’est pas rien!

Jacob me guide à travers des petites rues pavées. C’est à la fois le truc le plus mêlant et le plus cool que j’ai vu depuis longtemps.

On finit par entrer dans un genre de café/boutique/restaurant un peu louche. Jacob se dirige vers le comptoir et met des genres de billes jaunes dessus en demandant quelque chose que je n’entends pas à une fille derrière qui écrit dans un calepin. Celle-ci prend les billes sans même un regard pour Jacob et claque des doigts.

Jacob vient me rejoindre avec deux tasses remplies de liquide non-identifié et m’amène à une table au fond, dans un racoin vraiment pas rapport. Je m’assois, encore un peu sous le choc.

— Ok, là, je veux des explications, je lance, avec conviction cette fois. On est où, là?

— Ok. On est dans Le Nuage. C’est un genre de quartier de Montréal, mais seuls les sorciers peuvent y accéder.

— D’accord… Mais pourquoi « Le Nuage »?

— Parce que ça n’a pas d’emplacement précis. Ça flotte, en quelque sorte, comme un nuage. Il y a une dizaine d’entrées dans tout Montréal.

— Ah. Ouais. Cool. Et pourquoi…? Comment…?

— Ok. Premièrement, c’est une grosse minorité de la population qui a des pouvoirs comme nous. À travers le monde, on leur donne divers noms, magiciens, mages, léopards, …sorciers. Mais c’est toute la même chose, il y a juste les noms et les manières de faire qui changent. Sinon, il y a des communautés de sorciers dans la plupart des grandes villes, mais Montréal en a une plus grande, d’où la création du Nuage. Habituellement, on essaie de se tenir loin du Montréal non-sorcier, pour éviter des accidents. On n’a pas le droit de parler ou de montrer la magie à ceux qui n’ont pas de pouvoirs, évidemment.

Je prends une grosse gorgée du contenu de ma tasse, même si je m’étais promise de ne pas y toucher. C’est étonnamment assez bon, même si je m’étouffe avec. Même pas capable de boire sans avoir l’air d’une folle… Je m’auto-désespère. Jacob attend patiemment que je ne sois plus en danger de mort, puis reprend.

— Que tu le croies ou non, tu es comme nous. Tu as trois preuves de cette dernière heure : ta chute ralentie sur la glace, le stationnement qui te cachait à leurs yeux, et que tu aies pu arriver ici. Les non-sorciers ne peuvent pas traverser la porte.

— Et qu’est-ce ça implique? J’veux dire… Est-ce que je peux encore vivre normalement?

— Ça dépend ce qu’on entend par « normal ». C’est sûr que tu pourrais tout nier : je suis certain que tu pourrais avoir un grand avenir dans… leur monde.

D’après sa voix, ce n’est pas l’option à choisir. Le dégoût avec lequel il parle de « leur monde » est palpable.

— Et sinon? je demande par curiosité.

— Sinon, tu peux me rejoindre, nous rejoindre. Devenir une sorcière à part entière, comprendre et utiliser tes pouvoirs. Mais ça implique, pour toi en tout cas, de vivre une double vie.

— Comment ça?

— Tu pourrais pas parler de tout ça à tes parents, à tes amis…

— J’ai pas d’amis.

— Je sais. Je disais ça comme ça.

Je médite sur ce qu’il a dit. Une double vie? C’est mieux qu’une vie poche. Attends, qui a dit que ma vie était poche? Elle est juste… banale. Un peu d’action, ce serait cool. Mais j’ai pas envie d’être nulle en… « magie ». Et je sais que je le serai. Le dilemme qui se joue dans ma tête me fait oublier où je suis et avec qui je suis.

— T’es encore là? me dit Jack pour me sortir de mes pensées.

— Ouais ouais. Ça te va si je te donne ma réponse un autre jour?

— Oui. C’est toi qui décides. Bien que si j’étais toi, je rejoindrais la communauté magique, ajoute-t-il finalement avec un sourire sincère.

Je lui rends un sourire un peu moins convaincant étant donné les pensées qui me viennent en tête et qui requièrent mon attention.

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