Le Destin des Poissards
Il était une fois, dans un monde injuste et cruel (autrement dit, le nôtre), un village appelé Misérabilis. Ses habitants avaient tous un point commun : ils vivaient dans une souffrance continue et inexpliquée. Pas de guerres, pas de catastrophes naturelles… Juste une malchance cosmique qui frappait chaque jour avec une régularité terrifiante.
Certains disaient que le village était construit sur le cadavre d’un trèfle à trois feuilles géant. D’autres évoquaient une divinité paresseuse qui aurait laissé tomber le dossier "Misérabilis" derrière un radiateur céleste. Le plus crédible restait le fait que rien ici ne fonctionnait comme il faut. Même les horloges reculaient en avançant.
Le destin tragique de Jean-Désastre
Prenons Jean-Désastre, par exemple. Cet homme était né avec un don unique : chaque matin, quoi qu’il arrive, il glissait sur une peau de banane. Personne ne savait d’où elles venaient. Il pouvait dormir dans une pièce vide, sans aucun fruit à la ronde, et au réveil… BAM ! Une peau de banane sous son pied.
— Ça commence à faire beaucoup, marmonna-t-il en se relevant pour la 8234ᵉ fois de sa vie.
Mais le plus frustrant, c’est que Jean-Désastre était allergique aux bananes. Pas la peau, non, ça aurait été trop simple. Mais à l’odeur. Ce qui signifiait qu’après chaque chute, il passait le reste de la journée à éternuer avec la grâce d’un chaton possédé.
Jean-Désastre avait fini par développer un étrange syndrome : le traumatisme post-bananier. Il ne pouvait plus voir une banane à la télévision sans trembler. Il rêvait même parfois qu’il épousait une femme-bananier qui l’étranglait avec une écharpe en peau de fruit.
Gisèle la Magnifiquement Malchanceuse
Puis, il y avait Gisèle, une femme d’une beauté éclatante… mais uniquement dans le noir. Dès qu’il faisait jour, son visage semblait être la cible d’un chaos universel. Un pigeon ? Sur la tête. Une flaque d’eau ? Sur ses vêtements. Un coup de vent ? Hop, jupe relevée façon Marilyn Monroe… mais version film d’horreur.
Elle avait même été filmée un jour par une équipe de journalistes en reportage sur « la femme la plus statistiquement malchanceuse du pays ». Le reportage ne fut jamais diffusé : le serveur de la chaîne explosa au moment du montage. Gisèle en conclut qu’elle était non seulement malchanceuse, mais censurée par l’Univers lui-même.
Parfois, le soir, dans sa salle de bains inondée par erreur (le robinet ne respectait aucune loi de la physique), elle se regardait dans le miroir et murmurait :
— Et si je suis née pour distraire un dieu ennuyeux ?
Un jour, Gisèle décida de braver le sort et d’aller à un rendez-vous galant. Elle s’était dit que, peut-être, le destin allait lui accorder une trêve. Mais c’était mal connaître Misérabilis.
Dès son arrivée au restaurant, elle s’assit sur une chaise qui s’écroula sous son poids plume. Puis, en essayant de récupérer sa dignité, elle renversa son verre d’eau… sur une prise électrique. Résultat ? Un court-circuit général plongea toute la ville dans le noir.
— Super, enfin un moment où je suis belle, soupira-t-elle.
Le boulanger qui ne savait pas faire de pain
Le village comptait aussi Roger, le seul boulanger au monde qui réussissait à faire du pain… mais uniquement immangeable. Il avait tout essayé : levure spéciale, farine bio, incantations sataniques… Rien n’y faisait. Son pain était soit aussi dur qu’un roc, soit tellement mou qu’on aurait dit une méduse.
Une fois, un client trop courageux tenta de croquer dans une baguette… et se brisa une dent. Il porta plainte, mais le juge lui-même se cassa une dent en examinant la pièce à conviction. Depuis, le pain de Roger était classé comme une arme par la police locale.
Désespéré, il avait tenté un jour une pâte à base de larmes et d’espoir. Le résultat ? Une miche qui pleurait à chaque bouchée. Les clients, troublés, lancèrent une pétition pour interdire la vente de pain émotif.
Quand l’Univers s’acharne
Le plus drôle (ou tragique, selon votre niveau de cynisme), c’est que personne ne pouvait quitter Misérabilis. À chaque tentative de départ, un évènement absurde se produisait :
Le bus explosait sans raison.
Le train partait toujours une seconde avant qu’on monte dedans.
La voiture… n’avait jamais d’essence, même si elle venait d’être remplie.
Alors, ils restaient là, condamnés à rire de leur propre misère.
On aurait pu croire à une punition divine. Mais Misérabilis n’était pas puni : il était simplement... ignoré. Abandonné dans un coin de la création, comme un projet inachevé qu’on avait oublié de supprimer.
Et c’est ainsi que commença l’histoire des plus grands poissards du monde.
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