L’Enfer du Bonheur
Le soleil brillait sur Misérabilis. Trop. Même les nuages refusaient de former des figures intéressantes. Pas de dragon, pas de lama cosmique. Juste des moutons... bien rangés.
Le vent soufflait. Doucement. Trop doucement.
Tout était beau, calme et parfaitement ennuyeux. Les fleurs poussaient en ligne droite. Les horloges étaient synchronisées. Même les cafards, autrefois rebelles, avaient appris à marcher au pas.
Et c’était insupportable.
Jean-Désastre s’assit sur un banc et poussa un profond soupir.
— J’ai marché 10 kilomètres ce matin… sans me cogner. Il tenta de se rappeler la dernière fois qu’un volet lui était tombé dessus. Il en pleura presque. Même ses souvenirs semblaient édulcorés, lavés dans une lessive universelle nommée “Harmonie”.
— J’ai bu un café… et il n’était ni trop chaud, ni trop froid, répondit Gisèle.
— Même la mousse du cappuccino formait un cœur, murmura-t-elle. J’ai failli hurler
— Mes pains se vendent bien… trop bien, gémit Roger.
Elle regardait une mouche voler en ligne droite. Une mouche disciplinée. L’ultime trahison de la vie.
Bernard, lui, les observait avec un sourire satisfait.
— C’est ce qu’on appelle… la plénitude, déclara-t-il d’un ton professoral. La paix. L’équilibre. Le néant glorieux.
— Réussie ?! explosa Gisèle. Bernard, tu réalises qu’on est en train de mourir de perfection ?
Elle leur montra la place du village.
Même le fou du village, ancien adepte des cris spontanés et des jets de pommes de terre, lisait calmement un dictionnaire.
— Il apprend des mots qu’il n’utilisera jamais… murmura Roger. C’est officiel : on a perdu.
Les habitants marchaient en silence, la tête basse, comme des robots. Plus de disputes, plus de cris, plus de lancers de chaises accidentels. Juste une harmonie… oppressante.
— Je n’ai même plus envie de râler, chuchota un vieillard.
— Je me suis réveillé… et j’ai eu une bonne nouvelle… et je n’ai même pas eu peur, confessa une femme.
La souffrance avait disparu… et avec elle, tout le sel de leur existence.
La Déchéance de Jean-Désastre
Jean-Désastre, autrefois roi des catastrophes, sentit une profonde tristesse l’envahir.
Il s’approcha d’un mur et tenta de se cogner.
Rien.
Il posa un pied dans une flaque d’eau…
Elle s’évapora instantanément.
— Mais c’est quoi ce délire ?! hurla-t-il.
Il prit un caillou et tenta de le lancer en l’air pour qu’il lui retombe sur la tête.
Le caillou… lévita doucement avant de se poser délicatement sur son épaule, comme une colombe bienveillante.
Jean-Désastre tomba à genoux.
— Je veux souffrir… Je VEUX ressentir quelque chose !
Mais l’Univers lui refusa ce plaisir.
Et c’est à ce moment-là qu’il comprit.
— On doit réparer ça. On doit RAMENER la malchance !
Roger et Gisèle hochèrent immédiatement la tête.
Bernard, lui, fronça les sourcils.
— Vous êtes fous ? On a enfin la vie parfaite !
— Bernard… écoute-nous bien, dit Roger.
Il prit une bouchée de son pain parfaitement croustillant… puis la recracha immédiatement.
— Ce goût… ce goût de perfection… IL ME DÉGOÛTE !
Gisèle agrippa Bernard par le col.
— Tu veux rester coincé ici ? Tu veux finir ta vie sans une seule catastrophe, sans un seul accident absurde, sans un seul moment d’imprévu ?
Bernard cligna des yeux.
Puis il regarda autour de lui.
Un enfant venait de tomber… et s’était immédiatement relevé sans pleurer.
Un facteur livrait le courrier… et ne s’était pas fait poursuivre par un chien.
Un chat grimpa lentement sur une étagère. Il fixa une tasse. Tenta un coup de patte… la tasse resta droite.
Le chat cligna des yeux. Puis se coucha, résigné, victime de l’absurde équilibre.
Bernard blêmit.
— Mon Dieu… Vous avez raison.
Jean-Désastre se releva, le poing serré.
— Alors remettons le chaos en marche. Il y eut un frisson. Pas de vent, pas de bruit. Juste une vibration souterraine, comme si le cœur de Misérabilis, ce vieux clown tragique, s’était remis à battre.
Mais comment ?
La réponse était évidente.
Il fallait retourner voir le Narrateur Suprême.
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