L’Ultime Réécriture
La voix du Narrateur Suprême flottait dans l’air comme une brise mystérieuse, se mélangeant aux éclats de mots et de phrases qui lévitaient autour d’eux. L’Univers tout entier semblait être suspendu à une corde fragile, prête à se défaire à tout moment.
— Réécrire l’histoire ? répéta Jean-Désastre, sa voix trahissant une étrange forme d’angoisse. Mais… mais on est supposé sauver l’Univers, pas l’effacer !
Le Narrateur Suprême sourit, une expression qui oscillait entre le moqueur et le philosophe déjanté.
— Oh, vous avez mal compris. Sauver l’Univers, c’est lui redonner un sens. Et pour cela, il faut briser les chaînes de la logique, s’affranchir des règles et laisser place à l’imprévisible. Il fit une pause, puis ajouta en haussant les épaules : Si vous voulez vraiment le sauver…, il va falloir embrasser le chaos total.
Les quatre amis se regardèrent, leur confusion se transformant en un mélange de terreur et d’excitation. Gisèle, plus audacieuse que les autres, prit la parole.
— Embrasser le chaos ? Mais on l’a déjà fait, non ? On a lâché prise !
Le Narrateur se tourna vers elle, l’air plus sérieux cette fois.
— Lâcher prise, c’est facile. Mais accepter l’imprévu et l’absolu de l’absurde, c’est une autre affaire. Il se leva lentement, ses membres se transformant en milliers de caractères qui se tordaient et se recomposaient comme des nébuleuses de mots. Vous devez accepter que tout ce que vous connaissez, tout ce en quoi vous croyez, soit renversé. Chaque décision que vous prenez doit être dénuée de logique. Il les observa un à un. Chaque mouvement doit être un saut dans le vide.
Bernard, qui avait du mal à comprendre l’ampleur de ce qu’on lui demandait, s’avança, la voix tremblante.
— Et si on échoue ?
Le Narrateur éclata de rire, une explosion sonore qui déchira l’espace autour d’eux.
— Échouer ? Vous pensez qu’il y a un échec dans l’absurde ? Il n’y a que des possibilités infinies, des chemins sans fin. Vous allez échouer à nouveau, sans fin, mais à chaque échec, l’histoire se réécrira, se redéfinira. Le seul véritable échec, c’est d’abandonner. Il marqua une pause, son regard s’adoucissant. Maintenant, vous allez devoir commencer à réécrire, à tordre les règles. Parce que, mes chers amis, l’Univers… est votre récit à inventer. Vous êtes les narrateurs de ce monde maintenant.
La Réécriture Infinie
Les quatre amis prirent une grande inspiration. Jean-Désastre, qui n’avait jamais vraiment cru aux règles du jeu, fit un pas en avant.
— Très bien, réécrivons tout !
Il leva la main et, comme s’il se trouvait dans un rêve, écrivit un mot dans l’air. Le mot s’épanouit en une gigantesque lettre, flottant autour d’eux avant de se déformer.
— CHAOS.
Les lettres se balançaient comme des serpents, prêtes à se briser. Puis tout se figea. Un silence absolu. Puis, soudain, une pluie de bananes tomba du ciel, frappant chacun d’eux en plein visage. Des éclats de rires s’élevèrent dans l’air. Même le Narrateur Suprême sembla amusé.
— Ah, voilà qui est mieux. Vous voyez, parfois, l’absurde, c’est une question de timing.
Gisèle s’approcha de la pluie de bananes, qui se transforma instantanément en une flaque de chocolat fondu.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
Le Narrateur, tout en regardant les gouttes de chocolat se dissiper dans l’air, répliqua :
— C’est à vous de jouer maintenant. Il fit un signe vers l’horizon, où des montagnes de texte et des rivières de phrases se formaient. Recréez l’histoire comme vous le voulez. Brisez tout. Transformez tout. Rien n’est immuable ici.
Ils se mirent alors tous au travail, chacun s’élançant dans un délire créatif sans fin. Jean-Désastre commença à dessiner des rues qui montaient et descendaient comme des vagues. Gisèle créa des animaux qui volaient à l’envers, tandis que Roger, en un coup de baguette, transforma le ciel en un océan d’étoiles tombées. Bernard, tout à coup inspiré, fit jaillir une tempête de livres, qui se déployèrent comme des feuilles d’automne, flottant au gré des vents.
L’Univers autour d’eux changeait à chaque instant, s’adaptant à leurs volontés, mais aussi à leur manque total de logique. Ils créaient, détruisaient, recomposaient, sans savoir où cela allait les mener.
Le Retour à Misérabilis
Après ce qui semblait être une éternité de réécritures absurdes, ils se retrouvèrent finalement de retour à Misérabilis. Le village était transformé, mais d’une manière totalement imprévisible. Les maisons avaient des fenêtres en forme de croissants de lune, des arbres avaient des racines qui flottaient dans les airs, et les habitants marchaient sur des tapis volants en chantant des chansons sans paroles.
Jean-Désastre se tourna vers ses amis, un sourire satisfait sur le visage.
— Ça y est. L’Univers est sauvé.
Le village semblait en pleine explosion de créativité, mais, paradoxalement, il n’avait jamais semblé aussi vivant. Les habitants, toujours absorbés par l’absurde, riaient, dansaient, et embrassaient le chaos avec un enthousiasme renouvelé.
Gisèle hocha la tête.
— Oui, mais, Jean-Désastre, je crois qu’on a juste libéré un autre genre de souffrance.
Bernard, un peu inquiet, s’approcha du Narrateur Suprême qui observait la scène d’un œil amusé.
— Alors, c’est ça, l’Univers parfait ?
Le Narrateur se contenta de sourire.
— L’Univers parfait, c’est celui que vous créez à chaque instant. Et, croyez-moi, il n’y a pas de fin à l’absurde. Pas de véritable retour en arrière.
Il fit un dernier geste pour effacer l’horizon, laissant derrière lui un monde encore plus étrange. Mais dans ce monde sans règles, il y avait une seule vérité :
L’absurde était devenu leur réalité.
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