La Nouvelle Ère du Chaos
Les quatre amis se tenaient à l'orée de Misérabilis, observant la scène qui s’étendait devant eux. Le village était une peinture en perpétuelle évolution, une toile mouvante d’imprévisibilité. Des bâtiments se reconfiguraient en temps réel, des objets s’entrechoquaient pour donner naissance à des créatures aux formes improbables, et le ciel, teinté de couleurs étranges, semblait vivre sa propre existence.
Jean-Désastre, toujours plus à l’aise dans l’abstrait, se tourna vers Gisèle, Roger et Bernard.
— Alors, vous voyez, l’absurde a ses avantages. Ce monde est maintenant libre. Il s’étira avec un sourire exagéré. On n’a plus de règles à suivre, juste des choix à faire. Chaque minute est une aventure infinie.
Gisèle secoua la tête, non pas par désespoir, mais par réflexion.
— Oui, mais est-ce vraiment mieux ? Je veux dire… est-ce qu’on est vraiment heureux ici, ou est-ce qu’on est juste devenus fous ?
Bernard, toujours pragmatique malgré tout, fixa les créatures qui gambadaient autour d’eux.
— Je pense qu’on est tous les deux. Il haussait les épaules. Mais si l’absurde nous a appris quelque chose, c’est bien qu’il n’y a pas de vrai bonheur ou de vraie souffrance. Juste un flux constant de « ça »… Il leva une main en désignant le chaos tout autour d’eux. Et peut-être que ce flux, c’est ça le vrai sens.
Jean-Désastre éclata de rire, une grande rire débridé qui se répercuta dans les rues. Puis, d’un coup, il s’arrêta, comme s’il venait de faire une grande révélation.
— Mais alors, si tout est absurde, pourquoi chercher un sens ?
Roger, qui observait une pomme flotter dans l’air, se tourna lentement vers lui.
— Parce que, Jean-Désastre, même dans l’absurde, il faut bien trouver une raison pour continuer. On a fait des erreurs, mais on est ici, ensemble, et peut-être que c’est ça, le vrai but.
Les quatre amis se mirent à marcher lentement, sans direction précise, leurs pas résonnant comme des échos dans cette réalité déformée. Le village se transformait continuellement autour d’eux, certains bâtiments devenant des sphères flottantes, d’autres se transformant en vagues de papier qui se recroquevillaient sur elles-mêmes. Un sentiment de liberté totale s’empara d’eux, mais aussi d’un vertige, comme si la solidité de leur existence était en train de se dissoudre dans un tourbillon sans fin.
Mais déjà, le doute se répandait.
Roger s'était assis, observant ses mains : elles se dissolvaient en lettres.
— Je... je crois qu’on s’écrit nous-mêmes en ce moment, murmura-t-il.
Il traça un mot dans l’air : Fin.
Il disparut instantanément.
Gisèle hurla :
— Ne fais plus ça ! Tu vas tous nous effacer !
Un silence. Puis une voix venue d’en haut :
— Attention, toute fin est irréversible… sauf dans ce livre.
Ils levèrent les yeux. Le ciel était devenu une page blanche.
— Il faut qu’on fasse quelque chose, non ? dit Gisèle après un long silence.
Roger la regarda, perplexe.
— Mais qu’est-ce qu’on pourrait faire, Gisèle ? Tout est déjà en place…
Ils s’arrêtèrent tous, jetant un regard vers l’horizon, où des fragments d’histoires suspendues se comblaient et se dissolvaient, créant des spirales d’incertitude.
— Il n’y a plus de fin, ni de début, conclut Jean-Désastre, en levant la main vers le ciel comme pour toucher les étoiles flottantes. L’Univers a disparu dans le néant d’une réécriture éternelle.
Mais alors, tout se figea.
Le sol trembla à nouveau, un frisson parcourut l’air.
Et soudain, un texte gigantesque apparut dans le ciel, ses lettres tournoyant dans un tourbillon hypnotique. Ce n’était pas une phrase ordinaire. C’était une nouvelle règle du jeu, une loi de l’absurde dictée par l’imprévu.
"Même l’absurde a besoin d’une fin. Mais cette fin, comme toutes les fins, sera réécrite avant même de commencer."
Le Narrateur Suprême apparut alors à leurs côtés, flottant dans l’air, un sourire énigmatique aux lèvres.
— Vous avez compris ? L’histoire n’a jamais vraiment de fin. Il se pencha légèrement, comme s’il murmurait un secret à chaque un d’eux. Le chaos a réécrit l’Univers, mais cet Univers continuera à s’écrire… à l’infini. Chaque fin est une nouvelle création. Et vous, vous êtes les narrateurs désormais.
Un silence s’installa, lourd de sens et d’absence de sens. Ils étaient les maîtres d’un monde qui se dérobait sous leurs pieds, et pourtant, aucun d’eux ne semblait prêt à abandonner ce rôle étrange qu’ils s’étaient attribué. Peut-être étaient-ils encore en train de créer l’absurde. Peut-être n’étaient-ils jamais partis. Ou peut-être… peut-être que l’histoire venait à peine de commencer.
Les quatre amis se regardèrent une dernière fois, avec cette étrange sensation de déjà-vu, mais aussi de futur possible. Ils n’étaient plus des acteurs d’un récit, ils étaient devenus les créateurs de tout ce qui suivrait. Ils étaient condamnés à réécrire encore et encore, à plonger sans fin dans le chaos et à créer des histoires sans raison ni logique.
Dans ce monde sans règles, ils n’étaient plus que des enfants d’un narrateur sans nom, dans un Univers qui ne cessait de s’écrire et de se réécrire.
Et la grande question restait :
Est-ce qu'ils avaient encore le pouvoir de choisir ?
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