Le Grand Recommencement
Le vide sembla engloutir l’univers. Un silence lourd, presque palpable, pesait sur les quatre amis. Leur dernier geste, leur dernière pensée, tout se figeait dans cet instant suspendu, cette éternité immobile. Ils étaient dans le néant, mais un néant vivant, qui bourdonnait d’un potentiel illimité.
Jean-Désastre, presque amusé, se pencha en avant, l'air curieux.
— Alors, est-ce qu’on crée une nouvelle réalité ou est-ce qu’on efface tout ?
Sa question semblait flotter dans l'air, comme un nuage sans forme ni direction.
Gisèle tourna lentement la tête, la lumière se reflétant dans ses yeux comme un éclat d’incertitude.
— Je pense que la question n’est plus de savoir si on doit créer ou effacer, mais de savoir ce qu’on veut vraiment. Elle haussait les épaules. Peut-être qu’on n’a même plus d’envie.
Bernard, sans perdre de temps, fit une remarque cinglante.
— Je crois qu’on a dépassé le stade des envies. On est arrivés à un point où tout est possible, mais rien ne fait vraiment sens. Il regarda autour de lui, le vide d’un blanc presque éblouissant, tout en ajoutant : Peut-être qu’on devrait juste accepter que tout ce qu’on crée sera une illusion.
Roger, qui observait une étoile filante passer en arrière-plan, sourit tristement.
— Une illusion… ou peut-être une vraie liberté. Peut-être qu’on doit accepter l’idée que cette liberté n’a pas de cadre. On a trop voulu contrôler.
Soudain, une nouvelle vibration se fit entendre. Les amis se figèrent, les yeux fixés sur le centre de ce qui semblait être un vide illimité. Il ne s’agissait pas d’une simple ondulation dans l’air. C’était une onde cosmique, une onde vibrante qui déformait le temps et l’espace autour d’eux.
Le Narrateur Suprême réapparut, son corps scintillant comme une aurore boréale. Ses yeux brillaient d’une intensité infinie, et il semblait plus grand, plus menaçant cette fois.
— Vous avez cru que la liberté se trouvait dans l’effacement, mais vous avez oublié une chose. Il sourit d’un sourire énigmatique. La véritable liberté réside dans la capacité de tout accepter, même l’impossible. Vous avez créé un monde sans règles, mais il est maintenant temps de comprendre que ce n’est pas une fin…
Il se tourna brusquement vers eux, son sourire mystérieux ne faiblissant pas.
— C’est un recommencement.
Un frisson parcourut les quatre amis, qui se sentaient à la fois déstabilisés et curieux. Le vide se remit alors à vibrer, une nouvelle forme se dessinant dans l’espace. C’était comme si chaque pensée, chaque désir, se transformait en construction tangible. Leurs mains se levèrent, mais elles n’étaient plus des mains physiques. Elles étaient des extensions de leur volonté, créant des mondes, des formes, des idées qui se matérialisaient dans l’air comme de l’électricité en mouvement.
Jean-Désastre éclata de rire. Mais au fond de son rire, un doute germait.
Et si tout ceci n’était qu’un rêve écrit par un autre ? Et si eux-mêmes... n’étaient que des idées griffonnées par une force plus grande encore ?
Il leva les yeux et vit, dans un coin du vide, un minuscule point noir : une tache d’encre.
Elle s’agrandissait.
— Regardez... cria-t-il. Quelqu’un est en train d’écrire sur nous !
Un stylo géant descendit du ciel.
Sur la plume, une étiquette : Auteur inconnu.
— C’est ça, n’est-ce pas ? On est les créateurs et les destructions de ce monde ! Il leva la main et fit apparaître un dragon en flammes, qui se dissipa dans l’air avant même qu’il ait eu le temps de s’étirer pleinement.
Gisèle, semblant se réconcilier avec cette nouvelle réalité, sourit légèrement.
— Alors, tout ce que l’on crée est en fait une partie de nous-mêmes ?
Roger hocha la tête, comme s’il venait de résoudre une équation cosmique.
— Oui. Tout ce que l’on imagine devient une partie de la réalité. Et ce monde, cet Univers… il ne vit que dans notre esprit. Nous sommes à la fois les architectes et les spectateurs.
Bernard, les yeux perçants, observa le mouvement des galaxies en train de se former dans le vide. Il se tourna vers les autres.
— Mais… est-ce que c’est une véritable liberté ? Créer un monde sans limites… c’est aussi une forme de prison, non ?
Le Narrateur Suprême se mit à rire, un rire profond, presque céleste.
— Ah, mais c’est là toute la beauté du paradoxe. Vous êtes libres, mais vous êtes aussi emprisonnés par ce que vous êtes capables de concevoir. Vous avez tout effacé, tout redéfini. Mais cette liberté… cette liberté n’a pas de réponse.
La vibration cosmique atteignit son paroxysme, déformant à nouveau l’espace autour d’eux. Ils n’étaient plus simplement des créateurs de mondes, mais des particules vivantes dans un flot continu d’énergies et de possibilités.
Alors que l’univers qu’ils avaient modifié prenait une forme qui leur échappait, ils sentirent, au fond de leur être, que la seule constante ici était le mouvement perpétuel, cette recréation infinie.
Jean-Désastre s’éteignit d’un coup, sa lumière s’alignant avec le cosmos.
— Nous avons effacé le temps. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à créer, encore et encore. Mais au fond, ce ne sera jamais plus qu’une illusion, n’est-ce pas ?
Le Narrateur Suprême se tourna une dernière fois vers eux.
— Peut-être. Mais cette illusion, mes chers amis, est maintenant vôtre. Le cycle continue.
Et avec un dernier éclat de lumière, le vide se changea une fois de plus. Un autre univers était né, sans fin, sans commencement, éternellement en mouvement, une nouvelle page prête à être écrite.
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