Des heures s'étaient écoulées depuis que Isaac, Anuma et soldat de l'Ordre, s'efforçait de stabiliser l'état de Bragg. Son partenaire, Sig, avait improvisé une tente de fortune en utilisant d'immenses nappes récupérées parmi les décombres des maisons effondrées. La pluie avait finalement cessé, laissant derrière elle un calme fragile. Sorenn, quant à lui, était assis à même le sol devant la tente, hésitant à entrer et perturbé par sa présence Isaac. La petite fille qu'il avait sauvée auparavant avait été confiée aux bons soins des habitants, désormais occupés à déblayer les débris innombrables semés par le fléau dévastateur.

Sorenn ne pouvait s'empêcher de rejouer sans cesse les événements dans sa tête, se culpabilisant de ne pas avoir agi comme il aurait dû, comme Bragg lui avait enseigné. Ses pensées furent brusquement interrompues par les pas de Sig qui revenait de la rue en contrebas. Ce dernier avait mené une série d'interrogatoires minutieux, cherchant à recueillir le maximum de témoignages pour comprendre les circonstances de l'attaque.

Sorenn fixa le jeune blond, réalisant enfin qu'ils étaient des Anumas et qu'ils travaillaient pour l'Ordre. Il remarqua leurs anneaux aux doigts, un signe distinctif qu'il aurait dû identifier plus tôt. Bragg aurait sûrement relevé son manque de perspicacité et lui aurait rappelé l'importance de l'observation.

Sig se tint devant lui, prêt à recueillir son témoignage. Sorenn était agacé par cette demande, incapable de comprendre comment l'Anuma pouvait penser à cela alors que son ami luttait pour sa vie.

"Ton ami est entre de bonnes mains", déclara Sig d'un ton impassible. "Même si Isaac n'est pas un Anu-médecin, il possède de bonnes connaissances en soins. Rester assis ici, comme tu le fais, n'accélérera pas la guérison de cet animal."

"Son nom est Bragg", répliqua Sorenn avec fureur. "Et je me fiche de ton interrogatoire. Ce n'est pas le moment", ajouta-t-il d'un ton plein d'assurance.

"Article 5 de la convention d'intervention de l'Ordre : tout témoin d'une attaque de fléau doit témoigner afin de permettre à l'Ordre d'exploiter toute information jugée utile", rétorqua Sig d'un ton machinal.

La réaction du soldat mit Sorenn hors de lui. Il se redressa, les poings serrés, prêt à se battre avec ce soldat, même s'il savait que ses chances de vaincre un Anuma entraîné étaient minimes.

L'Anuma perçut immédiatement les intentions de Sorenn et l'interrompit avant qu'il ne puisse agir. "Ne joue pas l'idiot", lui dit-il d'un ton ferme. "Si tu m'attaques, la survie de cet animal sera le moindre de tes soucis."

Ces mots n'arrêtèrent pas Sorenn, qui se précipita sur le soldat, prêt à le frapper de son poing. Mais avec une agilité surprenante, Sig para le coup et d'un geste rapide, il retourna Sorenn au sol, face contre terre. Le jeune homme ne comprenait pas ce qui venait de lui arriver.

Le soldat posa son pied sur le dos du jeune homme, l'immobilisant sans difficulté. "L'écoute ne semble pas être ton point fort", déclara-t-il d'un ton toujours aussi imperturbable.

Sorenn essaya de se débattre, mais il se sentait écrasé par une force mystérieuse émanant du pied de l'Anuma.

Le soldat retira finalement son pied du dos de Sorenn et s'assit sur une pierre non loin de là. "Si on commençait l'interrogatoire, on verra plus tard pour l'outrage que tu as commis", déclara-t-il d'un ton calme. Sorenn se releva immédiatement, prêt à se battre à nouveau.

"Je crois que tu n'as pas bien compris", répondit Sorenn avec détermination. "Ton interrogatoire ne m'intéresse pas." Il s'apprêtait à se jeter sur son adversaire une fois de plus lorsque la tente s'ouvrit brusquement et Isaac en sortit. Le visage ruisselant de sueur et couvert de sang, il affichait pourtant un large sourire.

Sorenn se retourna immédiatement vers la tente, cherchant le moindre signe de mauvaise nouvelle sur le visage d'Isaac. "Pfiou ! Ce n'a pas été facile sans le matériel adéquat, mais son état est stabilisé", annonça Isaac avec soulagement.

Le visage de Sorenn s'illumina instantanément, passant d'une expression fermée à un air plus réjoui.

"Est-ce que je peux aller le voir ?" demanda-t-il en se dirigeant rapidement vers la tente.

"Eh bien, en fait..." commença Isaac, mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Sorenn était déjà entré dans la tente. "Ça valait bien la peine de demander", sourit Isaac.

Bragg était allongé, endormi sur un lit de fortune composé de vieux draps. Son corps était recouvert de bandages, mais il semblait paisible.

Sorenn s'assit sur une chaise à côté de son ami, ressentant une peine qu'il ne pouvait exprimer. "Je... je n'aurais jamais dû te laisser seul", murmura-t-il avec hésitation.

En guise de réponse, il n'entendit que les ronflements du chien, mais cela lui arracha un sourire forcé.

"Cela fait près de dix ans que tu m'entraînes, dix ans où je ne pensais qu'à une chose : tuer le 'Voleur de chance'. Mais aujourd'hui, face à un seul de ses fléaux, j'ai perdu tous mes moyens", confia le jeune homme en fermant les yeux, se remémorant tous les événements, et surtout les mots prononcés par le fléau.

"So... Sorenn... l'Ordre... rejoindre !!!" murmura Bragg, semblant sortir de son coma.

"Qu'est-ce que tu dis ?" s'exclama Sorenn, affolé.

"L'Ordre... tu... dois... rejoindre", articula Bragg avant de replonger aussitôt dans le coma, comme si ces quelques mots l'avaient totalement épuisé.

La tente s'ouvrit à nouveau, laissant entrer Isaac. "Tu ne m'as pas laissé finir ma phrase tout à l'heure", commença-t-il, mais il s'arrêta net en voyant l'expression de Sorenn

"Qu'est-ce qui se passe ?" demanda Isaac, surpris.

"Il a essayé de me dire quelque chose, mais il s'est rendormi", répondit Sorenn, préoccupé.

Constatant l'état de fatigue de Bragg, Isaac fit sortir Sorenn de la tente pour lui permettre de se reposer.

"Maintenant que ton ami est hors de danger, es-tu prêt à commencer l'interrogatoire ?" demanda Sig d'un ton toujours impassible.

La remarque du soldat irrita encore plus Sorenn. Il s'apprêtait à répliquer avec véhémence, mais s'arrêta net lorsqu'il imagina ce qui serait arrivé à son ami si ces soldats n'étaient pas intervenus.

Cette pensée le calma et il se contenta de répondre : "Pour ce que vous avez fait pour mon ami, je vais témoigner."

"Enfin un peu de bon sens", lança Sig.

Le soldat ramassa un morceau de bois au sol. Son anneau s'illumina d'un voile argenté et d'un geste brusque, le bout de bois se transforma en plume pour écrire. Le voile argenté recouvrit tout son corps, et dans la paume de son autre main, une sphère transparente se forma à partir des innombrables flaques d'eau au sol. La sphère prit la forme d'un récipient, puis instantanément, elle gela, créant ce qui ressemblait à un bol rempli à moitié d'eau. Sig trempa ensuite son index dans l'eau du bol, qui se transforma en encre. Un parchemin sortit de l'étui attaché à sa ceinture et se déroula devant lui de lui-même.

"Tout d’abord quelle est ton nom ? " questionna Sig

La question le prit au dépourvu, car en effet, aucun d'entre eux ne s'était présenté jusqu'à présent.

« Sorenn... Sorenn Hart », répondit le jeune homme, légèrement surpris. Puis il ajouta : « Et vous ? »

La question de Sorenn déstabilisa quelque peu Sig, ce qui fit naître un sourire amusé sur les lèvres d'Isaac, qui se tenait maintenant à ses côtés, les bras croisés.

« C'est moi qui pose les questions », affirma Sig d'une voix plus forte. Après un bref moment de silence, il ajouta : « Je m'appelle Sigmund Northern, et mon partenaire ici présent se nomme Isaac Jallow », dit-il en désignant Isaac d'un geste de la main.

« Très bien. Raconte-moi en détail ce qui s'est passé pendant l'attaque du Fléau », demanda Sig d'un ton autoritaire.

Sorenn prit quelques instants pour rassembler ses souvenirs, puis il se lança dans un récit fluide et ininterrompu de tout ce qui s'était déroulé, du moins jusqu'à un certain point. La plume, animée par une force invisible, traçait les mots de Sorenn sur le parchemin avec une rapidité étonnante, laissant une encre sombre et régulière sur son passage.

« Waouh, tu as réussi à briser l'étreinte d'un Fléau ! C'est un exploit impressionnant », s'exclama Isaac, visiblement surpris.

Toutefois, Sig demeurait impassible. « Y a-t-il autre chose que tu souhaites préciser ? » demanda-t-il d'un ton calme.

Sorenn hésita un instant avant de répondre d'une voix hésitante : « Non, c'est tout... » Puis, il se remémora les derniers instants passés en présence du Fléau.

« Il y a eu un moment étrange... son visage se ferma d'un seul coup « Le Fléau... il m'a parlé. »

Ces mots eurent l'effet d'un électrochoc. La surprise se lisait sur les visages d'Isaac et de Sig.

« Qu'est-ce que tu racontes, gamin ? » rétorqua Sig d'un ton cinglant. « Les Fléaux ne parlent pas. Es-tu sûr de ce que tu as entendu ? » demande Isaac

« Je sais ce que j'ai entendu », affirma Sorenn d'un ton déterminé, son visage toujours aussi fermé.

Isaac observa le jeune homme avec attention, discernant une certaine sincérité dans ses paroles.

« Que t'a-t-il dit ? » demanda Isaac, curieux de connaître les détails.

Sig, quant à lui, semblait agacé par la situation. « Ne te laisse pas manipuler », s'irrita-t-il. « En deux cents ans d'archives, aucun témoignage de Fléau parlant n'a été rapporté. »

Mais Sorenn ne fit pas attention à la remarque de Sig. Il se contenta de répondre à Isaac.

« Yoren. C'est le nom qu'il m'a murmuré à l'oreille », dit-il.

Isaac répéta doucement le nom, essayant de le saisir. Sig, cependant, restait dubitatif, sa méfiance clairement visible sur son visage.

Sorenn prit une légère inspiration avant de poursuivre. « C'était le nom de mon père », ajouta-t-il, laissant planer un silence chargé d'émotions.