Chapitre 5 : Le choix
Sorenn était assis dans la tente qui abritait Bragg, perdu dans ses pensées. Il repensait à l'interrogatoire auquel il avait été soumis par Sig. Ce dernier avait brusquement mis fin à l'interrogatoire dès qu'il avait entendu le nom de son père. Les deux Anumas avaient quitté la contrée peu de temps après l'arrivée des Anu-médecins et des purificateurs. Sorenn ne pouvait s'empêcher de se demander s'ils connaissaient son père. En effet, ce dernier avait quitté sa femme et son enfant il y a seize ans pour s'engager dans l'Ordre. Trois ans plus tard, ils avaient reçu une lettre de l'Ordre confirmant sa mort. Sorenn ne pouvait oublier l'effet dévastateur que cette lettre avait eu sur sa mère.
Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas l'ouverture de la tente. Une ombre se jeta sur lui et l'étreignit si fort qu'il faillit tomber de sa chaise.
"Sorenn... J'ai eu si peur !" s'écria Léna, dont l'étreinte se faisait de plus en plus serrée. "J'ai appris pour Bragg", ajouta-t-elle.
"Léna... Tu m'étouffes", réussit à dire Sorenn.
La jeune fille relâcha son étreinte. Ses yeux bleus étaient remplis de larmes. Elle portait toujours un foulard dans les cheveux et avait abandonné ses couettes pour une queue de cheval, laissant une de ses mèches blondes retomber sur son front. Son regard se posa sur le pauvre Bragg, couché sur son lit de fortune et semblant dormir.
"J'étais partie faire mes livraisons ce matin quand j'ai appris que la contrée avait été attaquée", sanglota-t-elle.
"Livraisons", répéta Sorenn à voix haute. Alors tu n'étais pas chez toi ce matin. Cette pensée lui rappela pourquoi il avait quitté Bragg quelques minutes plus tôt. Le visage de Sorenn s'emplit de tristesse à cette idée.
Voyant le visage de Sorenn se transformer, Léna ne put s'empêcher de le prendre dans ses bras avec toute la tendresse du monde. Elle connaissait Sorenn depuis qu'ils étaient petits, leurs parents se côtoyant depuis leur enfance. Ils n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre.
L'étreinte de Léna réconforta Sorenn, et ils restèrent ainsi plusieurs minutes, plongés dans un silence profond.
Une grande femme entra dans la tente, interrompant l'étreinte des deux amis. Elle se racla la gorge pour signaler sa présence, attirant ainsi leur attention. Les deux se retournèrent pour observer celle qui venait d'entrer.
"Bonjour, je suis Théodora, Anu-médecin envoyée par l'Ordre. Je viens m'occuper du blessé", dit-elle d'un air plutôt enjoué.
Théodora était une femme imposante, mesurant au moins un mètre quatre-vingts. Elle portait un long manteau blanc à fermeture croisée, dont les boutons étaient dorés. Le col épais de son manteau lui cachait la partie inférieure de son visage, laissant seulement entrevoir des joues creusées et de grands yeux noirs surmontés de cheveux noirs coiffés en chignon. Sa silhouette élancée laissait deviner une certaine maigreur.
Comme tous les Anumas, Théodora portait un anneau à son doigt. Le sien était en acier et était gravé de divers symboles tout autour de l'anneau. Elle posa son regard sur le blessé sans prêter attention aux deux amis à son chevet. Puis, elle activa son anneau, et une lueur blanche illumina ses yeux.
"Je vois... fractures multiples, plaie à l'abdomen et plusieurs blessures secondaires. La qualité des premiers soins pratiqués est assez remarquable", déclara-t-elle. Elle se tourna ensuite vers Sorenn et Léna. "Je vais vous demander de sortir", dit-elle d'un ton sec.
Théodora fouilla dans l'une des poches de son long manteau et en sortit une paire de gants blancs. "Je vais devoir opérer immédiatement", continua-t-elle, toujours sur le même ton enjoué.
Sorenn essaya de protester, mais Théodora le coupa. "Il y a un risque d'hémorragie, si je ne fais rien, il risque de se vider de son sang pendant la nuit."
"Mais je..." commença Sorenn.
La grande femme les poussa vers la sortie et referma la tente. Avant de le faire, elle fit un clin d'œil à Sorenn et ajouta : "Ne t'en fais pas, j'ai lu le compte rendu d'Isaac sur les soins. Je ne laisserai pas ton ami mourir, après tout, il était l'un des nôtres."
Entendre le nom d'Isaac rassura Sorenn, et il laissa l'Anu-médecin refermer le rideau derrière elle. Léna s'assit sur une pierre, observant les purificateurs installés leur équipement et les habitants en contrebas qui réparaient les dégâts dans la rue. Elle fit signe à Sorenn de venir s'asseoir près d'elle. Hésitant un instant, il finit par s'exécuter.
Les deux amis étaient assis, Sorenn avait finalement décidé de partager avec Léna les événements qui s'étaient déroulés en son absence.
Léna fixa intensément Sorenn, essayant de digérer les informations qui venaient de lui être révélées. "Es-tu certain qu'il a parlé... le fléau ?" demanda-t-elle avec une lueur d'inquiétude dans les yeux.
Sorenn hocha la tête, incertain lui-même de la réalité de ces paroles. "Oui, je suis presque sûr. Cela semble si improbable, mais c’est ce nom qui a résonné à mes oreilles
"Le nom de ton père... C'est tellement difficile à croire", murmura Léna, les pensées tourbillonnant dans sa tête.
"Je sais", répondit Sorenn, laissant échapper un soupir. "Il y a autre chose... Quand j'ai évoqué cela devant les soldats de l'Ordre, ils ont immédiatement mis fin à la conversation. J'ai le sentiment qu'ils en savent bien plus qu'ils ne veulent l'admettre."
Sorenn s'apprêtait à solliciter les conseils de Léna lorsque celle-ci prit la parole, brisant le silence. "Tu devrais y aller", déclara-t-elle d'une voix déterminée.
Les mots de Léna frappèrent Sorenn de stupeur. Elle avait toujours été farouchement opposée à son départ et lui avait souvent exprimé ses inquiétudes.
Observant l'étonnement sur le visage de Sorenn, Léna poursuivit : "Je sais que j'ai longtemps résisté à cette idée, mais hier soir, alors que tu dormais, Bragg m'a confié qu'il préférait te voir rejoindre l'Ordre plutôt que d'attendre que le malheur s'abatte sur toi. Et je pense qu'il avait raison."
Le regard de Léna se perdait dans l'horizon, ses yeux bleus emplis d'une combinaison de tristesse et d'espoir. "Je suis convaincue que tu réussiras à devenir un véritable Anuma. Tu as en toi cette force et cette détermination nécessaires pour empêcher ce qui s'est produit ici ou à Vaporance."
Sorenn sentit une émotion indescriptible le submerger alors que Léna lui prit tendrement la main, ses larmes témoignant de ses sentiments profonds.
Sorenn prit Léna dans ces bras "Je te confie Bragg", murmura-t-il, les mots chargés d'une promesse et d'une responsabilité solennelles.
Une heure s'écoula avant que l'Anu-médecin ne sorte enfin de la tente. Ses grands yeux noirs se posèrent sur les deux amis assis plus loin.
"Votre ami est hors de danger", déclara-t-elle d'un ton enjoué, en retirant ses gants blancs qu'elle rangea dans sa poche.
Sorenn se dirigea vers l'Anu-médecin, son calme revenu depuis ce matin. "Je voudrais le voir une dernière fois, s'il vous plaît", demanda-t-il d'un ton solennel.
"Une dernière fois", répéta Théodora, prenant le temps d'observer le visage grave du jeune homme. Puis, soupirant, elle ajouta : "Juste cinq minutes, alors."
"Merci", répondit Sorenn, puis se dirigea vers l'entrée de la tente. De l'autre côté, Léna, toujours assise, ne put retenir une larme qui coulait le long de sa joue.
Sorenn se tenait debout devant Bragg, une lueur de détermination brillant dans ses yeux. Après de longues délibérations, il avait finalement pris la décision de s'engager dans l'Ordre, conformément à ce qui était prévu depuis si longtemps. Maintenant, il était venu dire au revoir à son ami.
Il posa doucement sa main sur le ventre de Bragg, qui reposait paisiblement sur son lit. "Je m'en vais, Bragg. Je vais rejoindre l'Ordre et je vais honorer tout ce que tu m'as enseigné. Je ferai tout mon possible pour devenir un Anuma remarquable", déclara-t-il d'une voix empreinte de détermination. Puis, après une pause, il continua : "Je serai celui qui mettra fin aux agissements du voleur de chance. Je mettrai un terme à cette vague de souffrance qu'il inflige à tous."
Une larme silencieuse glissa sur sa joue alors qu'il fixait Bragg avec affection, avec un dernier regard, Sorenn se détourna de Bragg et se dirigea vers la sortie de la tente. Son voyage vers l'Ordre commençait maintenant, et il était prêt à affronter tous les défis qui se dresseraient sur son chemin.
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