3 La froide
La pluie avait cogné toute la nuit contre les vitres, sans colère mais sans répit, comme une idée fixe qu’on ne peut pas chasser.
Quand Élise se réveilla, le matin était déjà gris, d’un gris épais qui tenait la chambre en suspens entre le sommeil et l'éveil. Elle resta étendue quelques minutes, immobile, tante du silence, jusqu’à ce que l’habitude l’arrache au lit.
Les premiers pas sur le parquet furent prudents — le bois, par temps d’humidité, craque sous la plante des pieds — puis plus assurés. Elle mit de l’eau à chauffer, regarda la bouilloire sans la voir, beurra une tranche de pain qu’elle abandonna, à peine entamée.
L'écharpe autour du cou, du manteau pris à l’entrée, la clef dans la serrure : autant de repères dont elle avait besoin pour être sûre d’exister.
Dehors, la ville était lavée. Les toits ruisselaient, les gouttières chantaient, et les pavés, sombres, miroitaient le jour comme une eau noire. Le souffle tiède de la boulangerie monta jusqu’à elle au moment où elle passait la porte — pâte, sucre, café —, et son ventre eut une douceur d’enfant.
Elle n’entra pas. Elle garda son pas régulier, presque cérémonieux, jusqu’à la petite rue où sa galerie s’ouvrait, étroite, sur son univers de murs blancs et de cadres dorés.
Elle aimait l’instant de l’ouverture, malgré tout. La clef, la résistance brève de la serrure, le grelot discret : chaque matin semblait l’admettre à nouveau dans ce territoire sous sa garde.
Elle poussa la porte ; l’odeur familière — vernis, poussière fine, trace de papier et de carton — l'accueillit avec cette neutralité consolante des lieux qui vous connaissent. Elle alluma les rampes. La lumière mit du temps à s’installer, comme si elle-même sortait d’un sommeil trop long. Les toiles apparurent l’une après l’autre, figures sages qui reprenaient leur place dans le silence.
Élise commença le rituel : étiquettes redressées, cadre essuyé du plat de la main, tissus remis droit sur la petite table des catalogues. Elle vérifia le niveau d’un tableau à l'oeil, puis avec le niveau à bulle, tapa d’un doigt, un millimètre à gauche, puis à droite, et le monde s’aligna. Il y avait, dans cette patience des choses, une musique qui l’apaisait.
Le livreur passa plus tôt que d’habitude, les chaussures mouillées, un sourire désarmant sous la capuche.
— Deux cartons pour vous, madame Marceau. C’est le peintre de Courseulles — les gouaches des ports.
— Posez-les là, merci. Vous voulez un café ?
— ouais, merci, si ça ne gène pas.
Elle mit une capsule, sortit deux gobelets en papier. Ils parlèrent de la pluie, d’un match de foot, de la côte qui avait pris des gifles dans la nuit. Il eut une phrase gentille — « Ça fait du bien de venir ici, c’est calme, on respire » — qui, sans qu’elle s’en explique, la toucha. Elle lui tendit le café, signa, il s’en alla en lui souhaitant « bonne journée quand même ».
Quand la porte se referma, elle resta un instant debout, le gobelet entre les mains, à écouter la galerie. Parfois, il lui semblait que les tableaux, au-delà de la peinture, avaient une respiration régulière. Elle s’y accordait. Le gris du dehors adoucissait les murs, donnait aux choses une pudeur de tissu. Elle se sentit, un bref instant, non pas heureuse mais à sa place.
À dix heures passées, la clochette tinta : un couple entra, l’imperméable luisant de pluie. Lui regardait vite, elle très lentement.
— On veut un truc pour un couloir, dit l’homme, un peu trop fort, comme si on devait parler à la peinture comme aux personnes âgées.
— Long ? étroit ? éclairé ?
Élise posa des questions simples, montra trois pièces, deux formats allongés et un paysage de brume. L’homme hésita, parla de budget, elle ramena la discussion sur la lumière. La femme, silencieuse, eut un geste sur l’une des gouaches — « Celle-ci me fait du bien » — et son mari rétorqua : « Trop triste pour un couloir ». Ils partirent avec une carte, des mots vagues.
Puis ce furent deux étudiants, que les heures de bibliothèque avaient échappés au dehors. Ils sentaient le tabac froid et la laine mouillée. Ils discutaient devant chaque œuvre, brandissaient des termes qu’ils ne comprenaient pas tout à fait — « composition », « matérialité », « geste » —, et Élise, derrière son bureau, sourit intérieurement. À la fin, le plus grand lui demanda, d’une voix timide, si elle acceptait des stages.
— En juin, peut-être. envoyez-moi un courriel.
Ils s’éclipsèrent, reconnaissants, comme si elle leur avait donné plus qu’une possibilité.
La cloche de onze heures sonna quand les deux femmes apparurent. Élise les connaissait de vue : manteaux bien coupés, sacs qui crissent, voix douce mais décidée. Elles venaient parfois « prendre la température », disaient-elles, expression qui, chaque fois, paraissait faire sourire leurs lèvres.
— Bonjour, madame, fit l’une, un parfum sec traînant après elle comme une signature.
— Bonjour, répondit Élise avec la politesse neutre qui tient lieu de distance.
Elles se dirigèrent dans la salle n°2, celle des formats moyens. Élise entendait leurs pas, le déplacement assez gracieux de leurs ombres, et leurs phrases, d’abord indistinctes, puis plus nettes, comme si la pièce avait voulu les lui livrer.
— Elle tient sa maison d’une main, dit la première, et ses murs sont impeccables.
— Oui. Tout est parfait ici. Peut-être… un peu trop.
Il y eut un silence, l’étoffe d’un châle qui glisse. Puis, innocemment :
— Elle est charmante, bien sûr, mais toujours un peu froide, tu ne trouves pas ?
— Froide, oui. On dirait qu’elle se protège derrière ses tableaux. Et puis elle ne rit jamais.
— Elle pourrait. Elle est belle.
— Belle, glaciale.
Le petit rire perla, à peine.
Élise baissa les yeux sur le registre, mais le « glaciale » l'avait atteinte. Elle se sentit traversée d’un courant, de la nuque jusqu’au sternum. Elle continua d’aligner des chiffres qui n’étaient qu’un paravent. Les femmes revinrent, le pas ferme — « Nous repasserons, comme d’habitude » — et la porte se referma sur leur parfum.
Le silence qui suivit n’était pas le même qu’auparavant. Il s’était épaissi, chargé d’une poussière nouvelle. Élise se leva, fit quelques pas, s’arrêta devant le petit miroir de la salle n°1. Le visage que la glace lui renvoyait n’était pas différent de celui du matin : traits nets, bouche peu colorée, regard d’un bleu sage.
Mais elle y chercha quelque chose qu’elle ne sut pas nommer — peut-être l’endroit précis où commence la pierre. Elle leva la main, posa l’index sur sa joue, comme on vérifie une cuisson. Froide ? Sa peau ne l’était pas. Mais la sensation qu’elle donnait, oui : celle d’un marbre entretenu, d’une façade sans fissures.
« Glaciale ». Le mot se détacha, prit sa place, s’installa sur une chaise imaginaire. Elle revit alors, sans l’avoir convoqué, un soir d’un autre hiver. L’appartement de Lyon, au troisième étage sans ascenseur, la fenêtre mal isolée qui rendait la rivière plus présente qu’elle n’aurait dû. Le dîner avait été rapide, presque silencieux. Martin — elle pensa son prénom sans l’éprouver — avait remué le sel sur son assiette sans en mettre, geste qui disait tout. Les murs avaient gardé l’odeur d’une sauce ratée.
— Tu ne dis rien, avait-il lancé, finalement.
— Que veux-tu que je dise ?
— Quelque chose. N’importe quoi. Que tu es là. Que tu as faim. Que tu t’ennuies. Que tu m’en veux. Je ne sais pas. Parle.
Elle l’avait regardé, muette, non par volonté de blesser mais parce que les mots n’avaient pas trouvé le chemin. Quand elle parlait, il entendait autre chose ; quand elle se taisait, il y voyait du mépris. Elle avait voulu dire « Je suis fatiguée », mais la phrase s’était arrêtée à la gorge.
— Tu es de glace, avait-il fini par lâcher. De la glace. On ne peut rien contre toi. Même quand tu souffres, tu fais semblant de ne pas avoir mal.
Ce soir-là, le couteau avait frotté le fond de l’assiette d’un bruit de mauvaise matière. Elle s’était levée, avait rangé les couverts, fermé le robinet trop fort. Dans le miroir du couloir, elle s’était vue : pâle, presque bleue, et elle avait compris que l’accusation l’avait, d’une certaine manière, accomplie. À force d’être traitée de glaciale, elle s’était prise au rôle. Comme si elle ne pouvait pas décevoir l’idée que l’autre se faisait d’elle.
Le souvenir retomba, laissant derrière lui une fatigue ancienne. Elle rouvrit la vitrine, comme on tire un rideau pour faire entrer l’air. La pluie avait cessé. La rue luisait d’un vernis neuf, et des passants pressés passaient, parapluies fermés, d’un geste circulaire qui donnait au trottoir un sens de manège.
À midi, elle ferma un battant, laissa le panneau « de retour à 14 h » et sortit sans but. Elle marcha au hasard des rues, se coulant dans le mouvement lent de la ville. Place du Château, un camion livrait des cageots de légumes à un restaurant : des endives, des carottes encore boueuses, des bottes de persil. L’odeur verte lui chatouilla le nez.
Elle ralentit devant la vitrine d’une mercerie où des pelotes de laine formaient un paysage de mousse. Deux adolescentes riaient, grelot de verres dans leur voix, elle les regarda passer comme on suit des hirondelles.
La cathédrale happa sa marche. Elle entra pour respirer son vide. L’air y avait la fraîcheur d’un linge propre. Trois bougies brûlaient, chacune d’un feu sûr. Elle s’assit, posa ses mains à plat sur le banc de bois, sentit sous la pulpe des doigts les coups de couteau d’un ancien prénom gravé là. Les vitraux posaient sur la pierre des couleurs d’eau froide. Elle eut envie, l’espace d’une seconde, de poser sa tête sur le bois et de dormir.
Une famille entra, le cliquetis d’un chapelet, des chaussures trop dures de petite fille. Élise se leva, ressortit.
Elle longea l’Aure. La rivière glissait entre ses rives de pierre avec une patience de bête ancienne. Le bruit de l’eau avait la couleur des pensées qu’elle essayait d’éviter. Elle s’arrêta au pont, se pencha, regarda les reflets. Son visage, dilué, la regarda d’en bas, flou, presque aimable. Elle se trouva plus vivante dans ce tremblement que dans la netteté du miroir.
La librairie l’attira comme un refuge. Elle entra, secoua son parapluie, sourit au libraire, qui lui rendit son sourire avec un « Bonjour, Élise » qui tenait de la caresse. Elle flâna, prit un Verlaine au hasard — un mince volume, jauni —, lut deux vers, referma. Elle n’acheta rien, s’excusa presque en sortant, comme si ne pas emporter un livre équivalait à trahir un ami.
Sur le trottoir, deux femmes parlaient bas. L’une dit : « Tu sais, la galeriste, elle n’est pas méchante, mais… » L’autre fit une moue qui disait tout. Le mot ne vint pas, mais Élise le compléta à l’intérieur : froide. Était-ce écrit sur son front ? Était-elle devenue l’affiche d’un sentiment qu’elle ne ressentait même plus ?
Elle rentra par des ruelles étroites où pendaient des fils à linge. L’odeur de lessive et de soupe aux poireaux se mélangeait dans un brouet d’hiver. À l’angle de la rue Bouchard, un chat tigré s’étira de tout son long sur la pierre tiède d’un seuil. Elle s’arrêta, lui parla sans voix, fit un geste du bout des doigts. Il leva un œil, indifférent, puis revint à sa sieste.
L’après-midi dans la galerie eut une douceur presque anesthésiante. Un peintre passa déposer des photos, nerveux.
— Je ne fais pas « comme tout le monde », vous voyez… J’essaie de… enfin…
Il cherchait des mots, les perdait, puis s’excusait d’exister autant. Élise regarda les images : des horizons bas, des aplats, un bleu très tenu, pas mal d’espace laissé en souffle. Elle dit ce qu’il fallait dire.
— Il y a une retenue intéressante. Vous tenez le silence. Continuez. Ne corrigez pas l’ombre : c’est elle qui tient la composition.
Le peintre eut un vrai sourire, presque un rire de soulagement.
— On dit de vous que vous êtes sévère…
— On dit beaucoup de choses, répondit-elle sans dureté.
— Moi je vous trouve… juste.
Il repartit, léger, et, derrière lui, l’air sembla plus clair.
Vers cinq heures, le ciel blanchit d’un coup, comme si la lumière, impatiente, décidait de passer trop tôt au soir. Elle éteignit deux rampes pour ménager les toiles.
Un courriel du musée s’afficha sur son téléphone : « Merci d’être venue. Lien vers l’enregistrement de la conférence. » Elle le laissa non lu. Sa main, pourtant, resta un moment sur l’écran, comme un papillon hésite avant de se poser sur une fleur trop exposée.
Au moment de fermer, un homme entra précipitamment — un touriste peut-être — qui demanda sans préambule :
— Excusez-moi, vous vendez des cadres ?
— Oui. Quel format ?
— Euh… je ne sais pas trop. C’est pour… une aquarelle de ma fille. Elle a onze ans. Elle est…
Il s’arrêta, cherchant.
— Elle est très vive.
Élise sourit, sincèrement. Elle proposa deux profils, prit une mesure fictive, dessina à main levée. L’homme la regarda faire comme on regarde un tour de magie. Il remercia trop, elle l’arrêta d’un geste.
— Revenez demain avec l’aquarelle. On fera au plus simple.
Quand la porte se referma, la lumière dans la rue avait tourné. Elle baissa les stores, passa un coup d’œil circulaire — rien qui cloche, rien qui menace, les œuvres prêtes pour la nuit comme des animaux sages —, puis prit son manteau.
Dehors, l’air avait changé de timbre. C’était un soir d’eau et de fer, et les bruits — talons sur pavés, vélos, voix — semblaient enveloppés d’un velours humide. Elle prit le chemin le plus long vers la maison.
Devant la cathédrale, un homme fumait, le dos contre une colonne, et le fil rouge de la cigarette dessinait une ponctuation dans le gris. Au pont, une femme photographia la rivière avec une patience de pêcheur.
Chez elle, l’appartement l’accueillit comme on ouvre les bras à quelqu’un qui revient d’un voyage sans histoire. Elle défit ses bottines, accrocha son manteau. Dans la cuisine, elle fit chauffer une soupe. Le bruit du frémissement eut sur elle un effet apaisant.
Elle s’assit à la table en bois, posa les mains à plat sur la nappe à carreaux. Les objets, autour — bol, couteau, torchon, petit vase où trois tiges d’eucalyptus s’obstinaient —, prenaient une présence de choses bonnes.
Elle mangea lentement, cuillère après cuillère, retrouvant au fond de sa bouche la saveur de légumes et de poivre. Elle se sentit traversée d’une gratitude obscure pour ce goût simple qui ne lui demandait rien.
Puis elle passa au salon. Elle alluma la lampe basse, celle qui, le soir, donne à la pièce une douceur d’ambre. Elle resta un moment debout, immobile, à écouter la maison. Dans la bibliothèque, un livre dépassait de quelques millimètres ; elle l’enfonça d’un geste léger.
Sur le buffet, une photographie à demi cachée sous une carte postale — deux silhouettes sur une digue, dos à l’objectif — attira son regard. Elle ne la redressa pas.
Elle ouvrit son carnet. Depuis des mois, elle y écrivait deux ou trois phrases le soir — rien de littéraire, des notations, des fragments, le compte-rendu d’un geste. Elle prit le stylo, réfléchit. Puis, lentement : « On me dit froide. Ma peau ne l’est pas. Alors quoi ? Je garde le feu sous couvercle. » Elle s’arrêta, posa le stylo, relut. Le mot « feu » l’étonna sous sa propre main. Elle le traça encore une fois, seule, au milieu de la page : feu.
Et la voix de la veille — non pas le contenu exact de la conférence, mais son timbre, sa façon de tenir le souffle — revint, comme si le salon en avait gardé la réverbération. Le paysage est une chambre d’échos. Quand nous le regardons, il nous regarde. Elle leva la tête, regarda la fenêtre noire. Son reflet, superposé au dehors, fit apparaître une femme aux contours doux, presque flous. Elle se trouva, dans cette superposition, moins sévère.
Sur la table basse, un morceau de dentelle ancienne, hérité d’une tante, dessinait un motif de feuilles. Elle le prit, le tourna entre ses doigts. La dentelle, c’était du temps rendu visible. Elle pensa : si l’on pouvait broder la peau pour y coudre la chaleur sous l’épiderme… Elle eut un rire sans son, remit la dentelle à sa place.
Elle se leva, alla jusqu’au miroir du couloir. Elle s’y regarda, longtemps. Elle tenta un sourire. Les muscles, au début, résistèrent, puis acceptèrent l’exercice, mais quelque chose demeura étranger dans le visage reflété. Elle pensa : on ne sourit pas à soi comme on sourit à un autre ; il manque la réponse.
Elle éteignit la lampe du couloir et revint s’asseoir, dans la pénombre douce. Elle se souvint de Martin, encore, mais autrement. Pas le soir des reproches ; un matin plus ancien, presque joyeux. Ils avaient vingt-huit ans. Ils revenaient d’un week-end à la mer. Elle portait un pull trop grand, lui des mains trop chaudes. Il lui avait dit : « Tu fais du bien au silence. »
C’était avant que le silence devienne arme. Elle réalisa, avec une douceur triste, que rien n’était entièrement faux ni entièrement vrai : elle n’était ni glace ni brasier, elle était un feu changé de place.
Sur la plaque refroidie, la casserole gardait un voile de soupe. Elle la remplit d’eau, laissa tremper. Elle rangea une assiette, lissa un torchon. Ces gestes avaient la vertu de l’enfance : ils remettaient le monde à sa mesure.
La nuit, dehors, avait pris son épaisseur. Elle entrouvrit la fenêtre pour qu’entre un peu d’air frais. Un souffle humide glissa dans la pièce, porta avec lui une odeur de pierre. Les bruits du dehors — talons, clé dans une serrure, rire bref — eurent des contours nets. Elle se dit : je vis ici, maintenant ; ce n’est pas un mauvais lieu.
Avant d’aller se coucher, elle retourna vers la fenêtre. Son reflet et la rue se mêlèrent encore. Elle posa le front contre le carreau. Le froid lui fit du bien. Elle pensa aux deux femmes, à leur « glaciale » persuadé de dire une vérité. Elle pensa au livreur, à sa phrase simple. Au peintre, à sa reconnaissance. Et à la voix de la veille, tenue, grave, qui parlait d’échos et de falaises.
Elle eut ce mouvement minuscule, imperceptible pour quiconque l’aurait observée de l’autre côté de la rue : d’abord, un relâchement des épaules ; ensuite, comme une respiration prise un peu plus loin, un peu plus profond. Non pas une décision. Rien d’héroïque. Juste le refus, cette nuit-là, de se réduire au rôle qu’on lui cousait sur la peau.
— Froide, murmura-t-elle, pour voir ce que le mot faisait dans sa bouche.
Il s’émoussa sur sa langue, perdit son couteau, devint lisse.
Elle tira doucement le rideau, laissa un interstice. La veilleuse du couloir resterait allumée — comme toujours —, petit astre de rien qui donnait au sommeil un point fixe.
Dans le lit, le drap avait cette fraîcheur qu’elle aimait. Elle étendit les jambes, sentit le coton tirer légèrement sur la peau. Elle ferma les yeux. Il n’y eut pas de prière à dire, pas de résolution.
La ville, dehors, continuait de faire sa rumeur. Elle pensa une dernière phrase, sans la formuler tout à fait : il y a des pierres qui sonnent creux parce qu’elles gardent une source. Puis le sommeil vint, d’un pas de chat, sans poser de question.
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