Chapitre 19

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Par roger_findi : https://www.atelierdesauteurs.com/author/10490391/roger-findi

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Accoudée à son bureau, ses mains encadrant son visage angoissé, Liliane venait de terminer les examens préliminaires. Ce sentiment ne lui correspondait pas, elle qui quelques heures plus tôt envisageait de s'envoyer en l'air avec le premier venu avait soudainement changé d'humeur.

Ce qu'elle venait d'apprendre sur la mort de Joseph Marhic était invraisemblable. La rigidité cadavérique était totale, signe qui indiquait en temps normal que la mort s'était produite six à huit heures auparavant. L’horloge de la morgue indiquait onze heures vingt. La conclusion semblait sans appel, Marhic avait été assassiné entre trois et cinq heures du matin.

Néanmoins, d'autres éléments venaient entacher le tableau. Ses différentes observations ne semblaient pas s'accorder. Elle sortit son nomogramme de Henssge, qui lui permettait en fonction de la température du corps, de la température ambiante et du poids du cadavre, de déterminer l’heure du décès. Quelques tracés sur le graphique à trois entrées lui révélèrent une chose inattendue, elle releva les yeux de sa feuille, le regard alerte. La température du corps était trop élevée par rapport aux prévisions de la rigidité cadavérique.

Six heures du matin, c'est l'heure que prédisait avec une précision de trente minutes le diagramme. Hors à cette heure-là, la femme de ménage était déjà affairée dans le couloir à l'entrée du bureau. Ce qui laissait assez peu de possibilités au tueur de passer inaperçu.

Liliane espérait ne pas se tromper, elle manquait d'éléments pour aller plus loin dans ses suppositions. Elle percevait pourtant plusieurs explications.

Si on ne considérait que la température du cadavre, cela laissait penser que le tueur se trouvait peut-être toujours sur place. Bien qu'il s'agisse là d'une conjecture plutôt hors du commun qui n'avait pas encore de justification, c'était pourtant une hypothèse qui demandait à être vérifiée de toute urgence.

Cette hypothèse conduisait à deux conclusions. Premièrement, le tueur n'avait pas connaissance de l'arrivée imminente de la technicienne de surface, ce qui pouvait éventuellement exclure la préméditation et, deuxièmement, la rigidité du cadavre n'était pas due au temps depuis la mort mais à ce que la médecine légiste nommait le spasme cadavérique. Ce phénomène se produisait lorsque la mort survenait de façon instantanée dans un moment d'action, bloquant l'ensemble des muscles concernés dans la position du trépas. Ce fait semblait ne pas correspondre à la cause de la mort qui, jusqu'à preuve du contraire, était une hémorragie massive.

Une autre hypothèse était que le corps avait été déplacé post-mortem sur le canapé où la femme de ménage l'avait trouvé. Vider un cadavre de son sang permettait de limiter les hématomes de positions permettant de déterminer l'heure du décès et rendait impossible la détermination d'un déplacement du corps. Mais le fait que le corps était plus chaud que prévu pourrait signifier que l'homme s'était trouvé dans une chambre bien plus chaude que le bureau durant les premières heures de sa mort qui daterait dès lors de bien plus tôt dans la nuit. Mais là encore, le mobile restait flou.

Les prochaines analyses qu'elle allait réaliser devraient pouvoir ouvrir d'autres perspectives.

Liliane était souvent aux premières loges des révélations sur une enquête, bien que les déductions et la mise en relation des indices ne soient pas de son ressort, elle prédisait souvent avant les enquêteurs le fin mot de l’histoire, mais cette fois, elle manquait d'assurance.

Elle avait décidé d'arrêter de boire, et l'envie la tiraillerait bientôt, elle le savait. Le cocktail d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et d’amphétamines qu'elle allait devoir ingurgiter pour rester opérationnelle allait certainement changer son comportement et sa façon d'analyser les observations. Serait-elle encore capable de mener à bien son travail ? Elle n'avait pas envie d'y penser dans l'immédiat.

Elle n'était pas encore certaine des conclusions à tirer de ses examens, mais elle devait absolument mettre Charlotte au courant. Elle attrapa son portable et sélectionna le numéro du lieutenant Evra. Celle-ci décrocha après la seconde sonnerie.

  • Allo, Liliane ? Je suis en main-libre. Je me rends chez une suspecte, Sonia Vitali, qui se fait appeler Gladys, et qui avait apparemment rendez-vous avec Marhic hier. Tu as déjà terminé l'autopsie ? demanda la jeune femme perplexe.
  • Charlotte, je dois te parler des examens préliminaires, il y a des incohérences dans les analyses. Je ne suis sûre de rien, mais si j'ai raison il faut absolument prévenir les gars du laboratoire qui sont sur place, s'empressa-t-elle de déclarer.

Charlotte tressauta, elle connaissait assez son amie pour savoir que lorsqu'elle parlait aussi gravement il s’agissait de quelque chose de très sérieux.

  • Tu as toute mon attention ! dit-elle en avalant sa salive.
  • La température indique une mort à quasiment six heures du matin. Il se pourrait que le meurtrier ait été présent sur les lieux du crime au moment de sa découverte voire qu'il y soit toujours en ce moment.

Il y eu un silence avant que Charlotte ne réponde, recouvant ses esprits :

  • Avertis Garcia et présente lui tes observations ! Moi, je me charge de prévenir l'équipe restée sur place, lança-t-elle. Si tu as raison, il ne faut pas perdre une minute.

L'enquêtrice raccrocha immédiatement après la fin de sa phrase.

Le Dr Bosc commença par téléphoner au chef de corps qui, malgré son agenda de ministre, se rendait disponible pour cette affaire inhabituelle. Elle le mit au courant des derniers développements.

  • Très bien Liliane, continuez l'autopsie et faites en le plus possible dès aujourd'hui. Quant au lieutenant Evra, je lui assigne un coéquipier qui se rendra sur les lieux du crime pour vérifier votre théorie et diriger l'équipe des analystes pendant qu'elle se charge de cette Sonia Vitali et des interrogatoires. Il faut que cette affaire soit rapidement bouclée.
  • Oui chef. Je vous tiendrai au courant de toute autre avancée notable.

Elle raccrocha, se leva de son fauteuil et se rendit dans la morgue. L'endroit embaumait l'éther, l'alcool camphré et l'eau de javel. Le lieu de travail fonctionnel mais aseptisé avait de quoi donner le cafard. Les lumières blafardes ajoutaient une morosité lugubre à l'endroit qui scintillait pourtant d'ustensiles en inox chirurgical.

Liliane allait commencer l’autopsie du défunt Joseph Marhic. A chaque fois c'était la même routine ; elle commençait par prendre des clichés du mort et de ses effets personnels avant de laver le corps et de prendre de nouvelles photographies des zones que le sang masquaient auparavant. Elle réalisait ensuite les divers prélèvements avant de pratiquer l'ouverture indispensable à la compréhension des causes de la mort.

Le travail qu'elle devrait fournir aujourd'hui ne serait pas différent. Elle enfila son masque, ses gants, sa charlotte et sa chemise de travail avant d'empoigner son appareil photo digital. Elle adorait ce gros engin, dans une autre vie aurait-elle pu être photographe et parcourir le monde à la recherche d'images insolites et féeriques. Quoiqu'il en soit, elle était légiste et le genre de clichés qu'elle prenait n'avait rien d'enchanteur.

Avant d'entamer la découpe du cadavre, Liliane préleva le sang présent sur la queue du poisson-chirurgien et plaça l'échantillon dans le séquenceur. C'était ce qui l'intriguait le plus dans toute cette affaire. Ce poisson faisait-il partie d'un rituel ? Signifiait-il quelque chose ? Un message à l'attention de quelqu'un d'autre? Une vengeance ? Un symbole ?

Elle finissait toujours par les mains car elle était quasiment assurée d'y trouver des indices et cela l'obligeait à rester attentive tout au long de son examen visuel. Elle ne fut pas déçue. En retirant le bracelet en or et l'alliance du chef d'entreprise, elle s’aperçut qu'il avait de légères traces de sang et de peau sous les ongles. Elle gratta sous le plateau unguéal afin de recueillir un éventuel ADN étranger. Elle lança l'analyse du second échantillon avant de se plonger corps et âme dans la dissection morbide.

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