Partie 1

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Il n’était pas loin de onze heures du soir lorsque j’ai aperçu les deux ombres. J’avais un peu lu après le repas, sur la table de la cuisine et en revenant dans le salon pour ajouter deux bûches dans le feu, j’ai jeté distraitement un coup d’œil à travers les vitres. Si la pièce avait été éclairée, je n’aurais absolument rien vu à l’extérieur. Seules les flammes jetaient quelques clartés mouvantes sur les murs et au plafond. Mes mains en visières, j’ai collé mon front contre la vitre. Deux ombres venaient de traverser la cour et disparaissaient derrière la masse noire d’un hangar. Mon ventre s’est soulevé…

Je n’aurais sûrement pas eu peur si je n’avais pas été seul chez moi et que le livre que je lisais il y a à peine cinq minutes n’était pas un roman de Stephen King. Mes parents avaient profité du fait qu’il soit dimanche et qu’ils ne travaillent pas le lendemain pour se faire une petite sortie en amoureux au théâtre… Je m’imaginai aussitôt le pire, des cambrioleurs, ou même pires, des tueurs ! J’étais bien loin de la réalité…

Malgré le feu qui crépitait joyeusement dans l’âtre, comme pour me dire que je n’avais pas à m’en faire, j’avais étonnement froid, un froid vicieux et engourdissant. C’était étrangement les symptômes de la terreur que ressentaient les personnages de King face à un clown ou autre créature.

Pour couronner le tout, une pluie battante tombait, multitudes de gouttes qui semblaient être mues par la volonté de noyer ma maison, et, lumières dans la nuit, des éclairs déchiraient avec rage les nuages ponctuellement… Je frissonnais. Un auteur de roman d’épouvante n’aurait pas mieux dépeint un tableau comme celui-ci. Il semblait en effet sortir tout droit d’un film d’horreur !

Si j’aimais lire des récits horrifiques, je détestais en revanche en faire partie. Je songeai tout à coup à un détail qui introduisait souvent des romans de ce genre. Les personnages oubliaient de fermer leur porte d’entrée à clé, et les créatures en profitaient pour pénétrer dans la maison. Pris d’un doute subit, je courus vers la porte en question et vérifiai si elle était bien fermée.

Je soupirai de soulagement. Elle l’était. Le cœur battant la chamade, je me rendis compte que j’étais trempé de sueur, comme si j’étais sorti dehors sous ces trombes d’eau. Je revins dans le salon et me sentis soudainement stupide. La peur qui me nouait le ventre n’avait pas lieu d’être, je lisais trop d’histoires, voilà tout. Je ne courais aucun risque.

J’essayais de me convaincre de cette idée quand deux coups sourds résonnèrent dans le salon. Je réprimai difficilement un cri de stupeur. Quelqu’un avait toqué à ma porte d’entrée ! La main sur le cœur, je ne bougeai pas. Le feu qui avait perdu d’intensité projetait une faible lueur dansante et inquiétante. Il ne fallait surtout pas que j’aille ouvrir. Mais ma curiosité était trop forte.

Qui était-ce ? Les deux ombres que j’avais aperçues ? Non, elles ne frapperaient à ma porte si elles étaient animées de mauvaises intentions. Alors qui ? Mes parents ? Les voisins ? Peu probable dans les deux cas. Mes parents ne rentreraient pas si tôt et les voisins habitaient trop loin de la ferme pour sortir avec ce temps.

Malgré la peur qui rendait mes jambes lourdes telles du plomb, mon désir de savoir l’emporta. L’adrénaline me donna la force de marcher jusqu’à la fenêtre se trouvant à coté du porche d’entrée. D’ici, je pourrais observer qui toquait sans être vu. Le sang battant à mes tempes, j’approchai mon visage de la vitre.

J’essuyai la buée et scrutai la pénombre. Malgré l’obscurité environnante, je distinguai deux silhouettes minces. Je crus reconnaître en elles les deux ombres. Elles se tenaient immobiles, sur le perron. La plus petite semblait se serrer à l’autre.

Alors que j’essayais d’en voir plus, un éclair déchira le ciel, me révélant dans sa lumière providentielle le visage des silhouettes. Ce que je vis me pétrifia.

Les deux ombres n’étaient nullement des cambrioleurs ni des tueurs comme je me l’imaginais mais deux adolescents de mon âge ! Une fille et un garçon. Ils semblaient très las, comme épuisées par la faim et l’effort. Leurs traits creusés laissaient entrevoir des yeux renfoncés dans leurs orbites emplis de tristesse. Mon cœur se serra et toute peur disparut, laissant place à de la peine et à de la tristesse.

Résolu, je tournai la clé dans la serrure et leur ouvris. Ils levèrent la tête vers moi, de toute évidence à la fois surpris et reconnaissants. Voyant qu’ils ne bougeaient pas, je leur fis signe d’entrer. Après un temps d’hésitation, ils s’exécutèrent. Je les emmenai près de la cheminée, devant laquelle ils s’assirent. Ils se mirent à parler entre eux dans une langue que je ne compris pas ; ils avaient l’air de débattre. J’en profitai pour les détailler. Ils avaient tous deux la peau mate, et des yeux bleus comme le ciel mais atrocement cernés. Le garçon avait des cheveux coupés très courts d’un noir d’ébène tandis que la fille les avait longs et emmêlés. Ils semblaient tout deux ne pas s’être lavés depuis un long moment, et de la crasse commençait à s’accumuler sur leur peau. Malgré tout, je les trouvai assez beaux.

Soudain, le garçon se tourna vers moi. Il se désigna du doigt et dit :

«Ilies. »

Puis il se tourna vers la fille.

«Adjan. »

Je mis du temps à comprendre qu'il me disait leurs prénoms. Il continua ensuite à parler. Parfois, Adjan apportait des précisions. Je reconnus certains mots d'anglais. Il me révéla dans une langue approximative que la fille était sa sœur. Je ne savais que répondre. Je ne pus que bafouiller à mon tour que je m'appelais Jonah. Mal à l’aise, j’écoutais Ilies parler. Chaque nouveau mot qu’il prononçait ne faisait que croitre ma stupeur et mon malaise.

Je compris à peu près des bribes de phrases, qui, mises bout à bout, construisaient l’enfer. Mais l’enfer ne serait rien sans ses flammes. Et ces flammes, c’était leurs yeux qui me les apportaient. Au-delà des mots, nos regards communiquaient et nous nous comprenions bien plus grâce à cela.

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