Partie 2

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Il me révéla qu’ils étaient tous deux syriens, d’une ville dont je ne compris pas le nom, située à côté d’Alep. Leurs parents tenaient un bar faisant aussi office d’hôtel. Lorsque l’État Islamique arriva, ils continuèrent leur profession mais se mirent aussi à accueillir dans leur hôtel les persécutés et les réfugiés. Adjan et Ilies avait alors respectivement deux et quatre ans. Leurs parents continuèrent leur activité une huitaine d’années. En 2015, ils furent dénoncés par un voisin et furent contraints de fuir. Ils habitèrent ensuite chez leur grand-père jusqu’en 2016 où ce dernier et leurs parents furent arrêtés et exécutés. Adjan et Ilies s’étaient cachés dans le grenier et y étaient restés jusqu’à qu’un oncle vienne les chercher et les emmène en Algérie chez lui officieusement. Alors qu’ils pensaient les ennuis définitivement éloignés, même si la tristesse planait encore, leur oncle décéda en janvier 2019.

Sans famille et sans endroit où loger, la maison ayant été revendue, ils errèrent jusqu’à trouver un passeur pour les emmener en Espagne. Il ne me dit pas d’où venait l’argent nécessaire, et une voix me disait de ne pas chercher à en savoir plus. Ils volaient pour vivre, allant jusqu’à détrousser les sans-abris. D’Espagne, ils allèrent de transport en transport, pris en stop, passagers clandestins de train ou longues heures de marches, passant par Séville, Madrid, et Saragosse. Ils traversèrent de nombreuses villes et villages en longeant la côte et les murs. Les gens ne paraissaient pas les voir, indifférence cruelle et rassurante. Une seule fois, un contrôleur de train les avait expulsés d’un wagon brutalement, et les passagers les avaient regardés tantôt d’un œil compatissant, tantôt d’un regard mauvais et haineux.

Ils rejoignirent près de Jaca un camp de réfugiés comme eux et purent, en leur compagnie, prendre un repos difficile et mérité, dans la misère et la saleté.

Adjan et Ilies trouvèrent refuge chez une famille afghane, pauvre mais qui les accueillit généreusement. Ils dormaient sous des simulacres de tentes en toiles et déchirées. La nourriture était rare mais les vols, eux, étaient fréquents. On retrouvait quasiment toutes les semaines des personnes lynchées pour trois euros et une boîte de biscuits. Plus que tout, la peur et la faim rendaient fous. La Croix Rouge venait parfois distribuer des soins, habits et draps, provoquant presque des émeutes.

De temps à autre, des hommes organisaient des expéditions à la frontière pour faire passer des groupes de cinq ou six personnes en France. Malheureusement, les succès étaient rares et les soldats refoulaient violement les migrants. Mais parfois, des groupes passaient et Adjan et Ilies furent dans un de ces groupes-là. La famille afghane avait choisi de rester.

Ils avaient été passés près du col du Somport, qu’ils rejoignirent à pied. Ils marchaient en compagnie des trois autres personnes, une femme, son mari et leur fils. Ces derniers leur apprirent qu’ils étaient libyens, qu’ils avaient fuis suite à des menaces de mort de l’armée.

Ils cheminaient sur la route éclairée par les étoiles, quittant le goudron pour les hautes herbes des fossés lorsqu’une voiture passait. La traversée puis la descente du col leur prit quatre jours, quatre jours à rationner la nourriture, sans se laver, à marcher longuement et difficilement dans des chaussures usées.

Le groupe atteint un lundi un village nommé Borce, où ils se séparèrent. La famille avait des connaissances à Pau, leur destination. Adjan et Ilies continuèrent vers le nord, traversant champs, route et villages. Finalement, épuisés et n’étant plus que l’ombre d’eux-mêmes, ils arrivèrent à Oloron Sainte-Marie où ils trouvèrent ma ferme. A bout de forces, ils décidèrent de demander de l’aide à ma porte.

Si j’avais déjà vu ou entendu des reportages sur les migrants, jamais je ne l’avais autant vécu. Plus que jamais, je me rendis compte des dimensions de l’horreur que pouvait traverser ces gens-là. Un pic de glace me traversait le cœur à l’idée que des adolescents de mon âge vécussent cela, fussent arrachés de leur foyers. Mais surtout, je songeai à ce qui aurait pu m’arriver si j’étais quelques centaines de kilomètres plus dans le sud…

Une question s’imposait maintenant dans mon esprit. Que faire à présent ? Je ne pouvais évidement pas les renvoyer dehors, mais je ne pouvais pas non-plus les garder chez moi. Je craignais la réaction de mes parents, qu’ils doivent retourner en Enfer. Que faire ? Cette question tournait en boucle dans mon esprit.

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