01/04/369
J’observe en ce moment un jeune garçon nommé Kenji Ashura. Il est né le 1er luminea 369 dans le modeste village rural de Patia, niché aux confins des marécages du continent d’Élidia.
Kenji est un enfant sérieux et appliqué. Il suit son père, Matthieu, dans les champs boueux où leurs mains s’échinent à cultiver une terre ingrate. Pendant ce temps, sa mère, Louna, veille sur les vaches dans une vieille étable de bois vermoulu, dont le toit laisse parfois passer la pluie.
Patia est un lieu reculé, enveloppé toute l’année d’une brume dense qui étouffe les sons et brouille les contours. Les maisons, modestes, sont construites en pisé et coiffées de chaume. Ce hameau compte à peine treize habitants – un point minuscule sur la carte du monde, presque invisible. Pourtant, c’est ici que Kenji a grandi, dans un calme trompeur, berçant l’illusion d’un bonheur simple.
Il a appris à reconnaître les herbes médicinales grâce aux enseignements paternels, tandis que les chants légers de sa mère résonnaient près de l’âtre. Entre les rires de Louna et les silences pesants de Matthieu, Kenji a tissé ses premiers souvenirs.
Aujourd’hui, il fête ses sept ans. Et moi, j’observe toujours.
À son réveil, un fracas brutal déchire la tranquillité matinale. Des voix hurlent, se mêlent, se heurtent. Puis, comme aspiré par un souffle maléfique, le silence tombe. Un silence lourd, épais, glacial. Kenji se redresse lentement, tremblant, serrant contre lui sa chemise de nuit usée. En posant le pied au sol, il sent quelque chose de froid, de poisseux. Du sang. Ses yeux s’écarquillent. Il recule, apeuré, le cœur battant à rompre.
La porte explose soudain sous un violent coup de botte. Une silhouette trapue entre, un rictus cruel étirant ses lèvres.
— Regardez ce qu’on a là, les gars ! Un p’tit mouflet ! lance-t-il avec un rire gras.
Kenji lève vers lui un regard perdu. Sa voix chevrote :
— Vous êtes qui ?
L’homme ne répond pas. D’un geste brutal, il projette l’enfant au sol. Le plancher rugueux laboure ses paumes. Kenji hurle de terreur, puis supplie, pleure, appelle ses parents. Mais les hommes avancent, impitoyables.
Je n’ai pas besoin de décrire ce qui suit. Quinze minutes plus tard, Kenji gît, inconscient à demi, allongé sur le lit souillé. C’est alors que j’entends des coups sourds, des chocs violents. Un bandit tombe. Puis un autre. Et encore un.
Une main puissante le soulève brusquement. Devant lui se tient un homme massif, la barbe graisseuse, le regard vide. Il fixe Kenji sans douceur.
— Je ne te sauve pas gratos, gamin. Tu vas me servir d’écuyer.
D’un geste sec, il l’emporte sous son bras. Dans un dernier souffle de conscience, Kenji aperçoit les corps inanimés de ses parents, baignant dans leur propre sang. Puis tout devient noir.
Je ne peux observer davantage tant qu’il ne reprend pas connaissance. Alors je note simplement la date : 1er luminea 376.
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