3.2

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Jørdiss, périphérie de la ville de Tour en Velin

Les flammes étaient vives. Elles dansaient sur les bûches noircies en créant d'innombrables flammèches qui s’envolaient en d'éphémères étincelles se perdant dans l’obscure nuit ambiante.

Il y avait une importante foule autour des pyramides de bois. Les drengrs d’Eirik avaient passé la journée à assembler ces dernières et à présent les avides flammes les faisaient lentement disparaître.

La lumière orangée était fluctuante sous l’effet du vent, elle nimbait les rangs formés par les guerriers qui entouraient les feux en éclairant leurs boucliers et les insignes des princes d’Ormstrang qui y étaient peints. Elle se reflétait sur leurs armes tandis que leurs regards, eux, étaient entièrement captés par les figures qui prenaient place au centre de tout ce rassemblement.

L’une d’elles. Celle qui marchait entre les différents feux était habillée d’une longue cape et de cette dernière venait une tête de cerf qui coiffait la personne. Un champ presque surnaturel provenait de cette figure. Il s'élevait dans l’air en variant dans son rythme.

Tantôt doux et hypnotisant tantôt guttural et excitant. Une mélopée presque surnaturelle renforcée par l’obscurité qui couvrait l’endroit.

La chamane éveillait les esprits, l’autre monde, et créait un lien avec la déesse Valía. Elle était l'émissaire des dieux et quelque chose de spécial se dégageait d’elle en un mélange subtil de respect et de crainte pour Jørdiss. Les quelques personnes autorisées à se tenir près de la prêtresse étaient ses gardiens. Nulle trace d’humanité en ces sinistres figures encapuchonnées et masquées. Leurs têtes dissimulées derrière leurs masques blancs tout larmoyants de sang.

Un bœuf gisait là. La chamane avait couvert ses deux mains de son sang, formant ainsi une tenace couche de rouge qui courait jusqu'à ses coudes.

Bientôt, son chant fut repris en chœur par les nombreux guerriers en formant une seule et même voix résonnant à l'unisson dans le camp des narlhinds.

S’agenouillant près de la carcasse de l'animal, la prêtresse récupéra un bol qui jouxtait la bête et le leva en l’air aux yeux de tous, sonnant ainsi le début de la vraie cérémonie.

Le mur de drengr se fendit et tandis qu’ils formaient une allée, ils frappèrent leurs boucliers de leurs armes. Des hommes, torse nu, avancèrent dans ce chemin. Le regard concentré, presque en transe dans cette ambiance sacrée.

Ces “élus” s’apprêtaient eux aussi à quitter leur statut de simple humain. À rejoindre la déesse aux nombreuses formes, à se transformer en membre de sa meute en buvant le breuvage des vargrs.

La cérémonie était presque entièrement codifiée, Jørdiss avait déjà vu la transformation des berserkers et la chose était toujours des plus impressionnantes.

La chaman fit boire le contenu de son grand bol à chacun des guerriers et les tambours se joignirent aux bruits des armes sur les boucliers alors que les berserkers commençaient une sorte de danse.

Une représentation plus guerrière qu’artistique alors que certains d’entre eux revêtaient des peaux de loups que les drengrs leur amenaient. La nuit déjà bien entamée avait accentué la fatigue de Jørdiss et ses yeux hypnotisés n’arrivèrent pas à se défaire de ces guerriers qui emprisonnaient aussi bien son attention que son regard.

Les légendes à leur sujet étaient nombreuses, Jørdiss avait eu la chance d’en voir uniquement lors de sa jeune enfance. À présent face à elle, les légendes qu’elle avait apprises semblaient revêtir une importance toute nouvelle. Elle allait pouvoir combattre avec eux et se couvrir de gloire. Affronter la mort auprès des émissaires de sa déesse.

— Impressionnant, fit une voix proche de Jørdiss.

Eirik était là, entouré par sa garde personnelle, et observait la cérémonie avec attention.

— Cette bataille sera digne des sagas de nos ancêtres, mon frère.

— Digne de la férocité d’Eskíl et de la roublardise de Sibbi. Allez, viens, il est l’heure, nos guerriers ne devraient pas tarder à nous ouvrir les portes de la ville.

Eirik quitta la cérémonie bientôt suivie par l’armée au grand complet, l’heure était maintenant au combat.

La grande armée du prince bâtard d’Ormstrang se posta en entièreté et à bonne distance face à la grande porte de Tour en Velin. Accroupi et dissimulé par les ombres protectrices de la nuit.

Les heures passèrent sans aucune action.

Jørdiss était au côté d’Eirik et en elle montra le même stress que lors de la prise du port. À vrai dire, l'armée entière était tenaillée par l'incertitude. La réussite de l’opération dépendait d’une poignée de drengr qui devait sillonner les entrailles de la ville. Jørdiss se devait de faire confiance à Vibord, jamais il n'avait failli jusque-là.

La muraille dominait la guerrière de toute sa puissance. Quelques rares torches balayaient de temps à autre les créneaux. Mais les battants de la grande porte restaient hermétiquement clos.

Allez Vibord, ce n’est pas le moment de flancher…

Priant les différents enfants de Valía, Jørdiss continuait de fixer la voie close et, bientôt, ses prières furent exaucées. Une torche sur l’une des deux tours de la porte semblait être agitée comme un signal. Un fin espace commença à naître entre les battants et Eirik qui était accroupi comme le reste de son armée se leva pour se mettre face à elle.

Il portait une armure complète, dans le plus pur style des nobles narlhinds. Un haut en écaille rehaussé de liseré d’or et une jupe lamellaire qui couvrait le haut de ses jambes jusqu’aux genoux. Son casque, lui, avait été gravé pour représenter la forme d’une tête-de-loup.

Levant sa longue hache en l’air, il cria.

— DauðrFjall Gimlé !

— DauðrFjall Gimlé , reprirent en cœur les drengrs de l’armée.

Et comme d’un seul homme, les guerriers d’Eirik se levèrent pour se lancer à l'assaut de la ville. Les berserkers aux avants postes ivres de bataille et de sang leur rage toute proche d'être libérée. La mort fondait sur la ville assoupie en un torrent de violence.

Le sol tremblait sous les pieds d’autant de guerriers. Les loups venaient se repaître du troupeau sans défense. Les affrontements commençaient à la porte que Vibord tenait avec ses hommes. Les gardes de la ville qui s’étaient portées à sa rencontre devaient avoir encore quelque espoir de sauver la cité et leurs familles, mais ce qu’ils virent derrière les drengrs de Vibord anéantit tout cela.

Les lames chantaient dans la nuit, Vibord avait tenu l’entrée, juste assez longtemps pour permettre aux guerriers de l’armée de lui porter assistance.

Les berserkers furent les premiers à prendre leur dîme de sang. Les continentaux ressemblaient à des enfants apeurés face à eux. Ils agitaient sans réelle confiance leurs armes balayées par la force de leurs opposants. Les guerriers en transe étaient comme des animaux et leur force surpassait celle de n’importe lequel de leurs adversaires.

Bientôt, Erik et sa garde posèrent leur pied dans la ville fortifiée.

Les cloches s’étaient mises à sonner comme pour annoncer la fin des temps pour les pauvres habitants.

Les gardes d’Eirik encadraient leur chef et nulle lame ne parvint à s'approcher du futur prince de ces terres. Jørdiss était parmi les guerriers, elle combattait le moindre combattant qui croisait son chemin. Son épaule lui lançait des pics de douleurs à chaque mouvement, mais l'énergie euphorisante de l’instant lui faisait oublier jusqu'à sa douleur corporelle.

Ces hommes n’avaient aucune qualité martiale. C’était comme abattre des animaux tout juste réveillés de leur sommeil. Il n’y avait nulle défense face à eux et les escarmouches sporadiques éclataient dans les nombreuses rues de la bourgade.

Les hommes mouraient.

Les femmes, enfants fuyaient.

Les Ailds se réjouissaient.

Et les loups d’Ormstrang rappelaient aux continentaux la véracité des mythes les entourant.

Jørdiss ne comptait plus le nombre de vies que sa lame emportait. Pour les défenseurs, c’était là un geste salvateur comparé aux sauvages coups des bersekers. L’un de ces géants, la peau nue éclairée par la pâle lueur de la lune, faisait siffler sa longue épée dans l’air. Un homme uniquement équipé d’un casque et d’une épée eut le courage ou la folie de se mettre sur son chemin. L’épée traversa ses habits et sa chaire coupant presque le pauvre homme en deux.

Un autre berserker encore était en prise avec un combattant au sol. Le bloquant de toute sa force bestiale, les dents plongées dans la gorge du malheureux, rapprochant le drengr toujours plus du loup plutôt que de l’homme tandis qu’il goûtait le sang humain.

Chaque maison était fouillée, chaque porte enfoncée et chaque habitant sortis de sa demeure. Certains guerriers étaient occupés à rassembler les futurs esclaves qui voyaient leurs familles, leurs proches être massacrés sous leurs yeux alors qu'eux-mêmes étaient liés les uns aux autres tel du bétail.

Les narlhinds se taillaient un chemin sanglant dans les rues. Plus ils avançaient, plus le son des cloches résonnait dans l’air. Bientôt, leur chemin les mena dans ce qui s’apparentait au centre de la ville. Une petite place se tenait face à d'impressionnants bâtiments dont un imposant temple.

Les derniers défenseurs de la ville avaient formé un cercle autour de la statue centrale du lieu et chacune des rues y menant était à présent occupée par une foule de drengr. Uniquement stoppé par les étendards de leur chef qui flottait dans une de ces allées.

Eirik s'avança devant le mur de boucliers que ses hommes avaient formé. Jørdiss imaginait avec facilité le sourire que devait arborer son frère, car il abaissa sa hache et, à ce signe, ses guerriers chargèrent les défenseurs en des cris de gloire dédiés au clan ou aux dieux.

Échangeant un regard avec son frère, la guerrière comprit que sa place était auprès de lui. Sa blessure ne la mettait pas en position de force et le combat n’allait de toute façon pas durer.

Le choc entre les continentaux et les narlhinds fut abrupt et l’affrontement qui en découla âpre et disputé avec toute l’énergie du désespoir. Les locaux ne rompirent pas. Ils se battaient pour leur vie sous le regard d’une statue représentant l’un de leurs illustres ancêtres. Leur rang ordonné et solide commença toutefois à voler petit à petit en éclats. Les bersekers se taillaient un chemin sanglant dans les rangs des continentaux et la formation fut bientôt balayée par la vague d'envahisseurs qui couvrait toute la place.

Même la statue ne fut pas épargnée et sa tête roula bientôt sur les pavés entre les corps des morts. Les bâtiments étaient investis, mais une porte tenait bon face aux drengrs d’Eirik.

Ses hommes s’activaient sur les battants du grand temple, arrachant des bouts de bois de plus en plus grands. Les bersekers n'étaient plus en état, leurs forces emportées, mais les drengrs avaient, eux, encore soif de sang comme en témoignait leur acharnement.

En un grand crac, la porte céda et une foule de guerriers pénétra dans le saint bâtiment. Les drengrs investissaient le saint lieu qui était loin d'être désert. Des hommes, femmes et enfants étaient agenouillés sur le sol de marbre des larges allées. Un chuchotement semblait parcourir leur rang. Une prière adressée a leurs dieux.

Une sensation étrange prit Jørdiss, tout cela avait presque un caractère sacré. Ces gens étaient dominés par toute la splendeur du bâtiment. Dominés par les hautes voûtes prenant appui sur les grands piliers qui parcouraient les rangs des fidèles.

La guerrière marchait sur la voie centrale où un long tapis la menait, elle, ainsi que son frère vers le fond du temple. Là, un homme habillé de riches habits blancs rehaussés d’or priait face à une vitre colorée en totale indifférence des nouveaux arrivants.

Vibord fut le premier à tester la protection des “dieux” des continentaux.

Il attaqua le prêtre imbibant le tapis avec le sang du malheureux. La scène coupa net les prières des croyants agenouillés et le massacre prit place tandis que les cris résonnaient à présent dans le temple remplaçant les chuchotements des prières.

Jørdiss ne bougea pas. Son regard capté par la vitre et l’histoire qu’elle semblait conter avec ses différentes illustrations de couleur. Jamais elle n’avait vu telle beauté dans un lieu qui se voyait à présent dévasté par les hommes d’Eirik. Un endroit dont le marbre blanc et les fresques murales se voyaient recouverts du sang des croyants.

Les guerriers rigolaient, se réjouissaient. Ils ne semblaient pas prêter quelques attentions au lieu alors que Jørdiss ne pouvait continuer de combattre face à tant de beauté.

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