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Pierre d’Ambroise, temple du domaine Boiscendre

Le bâtiment qui prenait place face à Pierre le toisait de toute sa hauteur, de toute sa pesante ombre. Il était des plus grandioses et insufflait un sentiment de puissance au moindre nouveau venu qui s’en approchait. Un sentiment de grandeur et de sainteté pour ainsi dire, car après tout, c’était un temple dédié aux Sauveurs qui se tenait face au seigneur d’Ambroise et son aspect reflétait en tout point ce caractère sacré.

Un bâtiment des plus impressionnant pour une contrée comme Praveen, se disait Pierre alors qu’il foulait le porche de l’édifice.

Les battants de bois gravés d’une main de maître étaient dominés par un fronton qui troquait ainsi les sculptures des ébénistes pour ceux des tailleurs de pierres sans toutefois perdre en finesse dans les scènes qui y étaient représentées, dans les légendes qui étaient dépeintes. On avait là les différents âges des hommes sur Esa. Les époques qui s’étaient succédé et la lutte des Sauveurs pour la liberté du genre humain.

Pierre avait bien sûr appris tous ces écrits religieux comme il en était coutume pour un noble de son rang. Mais il ne cessait d'être impressionné par les multitudes de représentations qui en étaient à chaque fois faites. Des variations dans leurs interprétations, et ce, même dans le seul royaume du Corvin.

Les mariages étaient sacrés, codifiés par la foi des Trois. Le seigneur d’Ambroise attendait ainsi face aux portes du saint lieu comme il en était coutume. Sa future femme devait quant à elle déjà marcher dans la grande allée centrale du temple telle Dalia qui montrait le chemin à suivre aux hommes.

Pierre ne pouvait qu’imaginer le nombre d’occupants du temple puisqu'il y avait foule rien que sur les abords de ce dernier. Et le bruit qui sortait du bâtiment était presque étouffé par ceux qui résonnaient tout autour de celui-ci.

L'édifice était le plus grand, le plus imposant de tout le village. Uniquement battu dans la région par le château même des Boiscendres et il semblait bien que les habitants de la bourgade, des fermes des environs, s’étaient tous donné rendez-vous pour assister à cet événement peu commun. Ils voulaient sans doute récupérer, toucher quelque peu cette aura particulière qui englobait cette union. Il fallait dire que peu de mariage avaient eu leur officialisation diffusée dans toutes les Marches de l’Est.

Pour ce qui était des seigneurs de Praveen, tous avaient bien sûr fait le déplacement sans exception. Petits et grands nobles devaient ainsi recouvrir les bancs du temple dans l’attente de la venue de Pierre. Leurs nombreuses héraldiques et couleurs déjà présentes hors des murs du saint bâtiment par le biais de leurs nombreux hommes d’armes qui luttaient tout autour de Pierre. Ils maintenaient avec difficulté un cordon autour du temple, car si une chose rivalisait avec la force de ce dernier s’était la puissance de la foule.

Le service d’ordre bien hétéroclite maintenait ainsi tant bien que mal ce flot de praviens qui se serait bien déversé sur les marches du bâtiment pour rejoindre l’intérieur du temple. Cette entité toute criarde, qui noircissait les abords du bâtiment, comprenait des visages aussi différents les uns que les autres. Uniquement liées par la joie indescriptible qu’on semblait lire sur eux.

Une joie pour un événement auquel ils n’avaient pourtant le droit de tenir aucun autre rôle que celui de simples spectateurs.

Et si une chose ressortait malgré toute cette joie. Malgré toute cette ivresse festive, c’était l’ombre qui planait sur tout l'événement ; le rôle de chacun. La société était régie par une hiérarchie bien précise, bien stricte et le mariage de Pierre n’en faisait pas exception. Le simple commun des mortels attendait là, sur le parvis du temple et la rue, tandis que les nobles bourgeois et autres riches habitants de l’Est occupaient l’intérieur du temple.

Les plus grandes familles avaient d’ailleurs leurs plus éminents combattants tranquillement répartis de part et d’autre des portes en formant ainsi une sorte de garde d’honneur pour Pierre. C’était un rassemblement de chevaliers aux armures et tabards des plus soignés qui avaient ici la fonction d’escorte. Ils allaient suivre le futur nouveau dirigeant de Praveen et lui montrer la confiance que plaçaient ces grands de la région en lui.

C’était à la fois une bénédiction et un poids en plus à porter pour Pierre qui se tenait là avec ses quelques hommes de confiance. Une garde rapprochée bien restreinte en vue de l’événement et du nouveau rôle qui lui était donné.

Mais c’étaient des proches bien irremplaçables…

Les cloches sonnèrent et en entendant ce son, Pierre se mit à gravir les quelques marches qui le séparaient encore des portes. Une montée qui se passa lentement comme s’il ressentait à cet instant précis tous les doutes qui l’avaient assailli au fil des derniers mois. Comme si chaque marche était un combat qu’il devait intérieurement gagner. Son pouls s’emballait et sa respiration, elle, devenait haletante.

Était-il sur la bonne voie ?

Le manipulait-on ?

Qu’auraient pensé son père et sa mère de lui ?

Il hésitait ainsi pendant un court instant, durant un battement de cils, comme s’il prenait conscience de tout à ce moment précis. Mais ses questionnements s’envolèrent lorsque les hourras de la foule furent rejoints par les cliquetis des armures qui bougeaient tout autour de lui.

Les chevaliers, les familles de Praveen, emboîtèrent ses pas et lorsqu’il passa les portes du temple, Pierre ne quitta pas non seulement les rues du village, mais bien un pan de sa vie. Une page de son histoire qui se tournait pour faire place à la suivante.

Il y eut comme un changement de lumière qui s’opéra alors qu’il entrait à l’intérieur du temple. Les nombreux vitraux qui tapissaient les hauts murs laissaient les rayons du soleil éclairer l’intérieur du temple en de nombreux faisceaux de couleur presque irréel. Presque surnaturel et sacré au vu de leurs couleurs.

L’allée qui succédait aux portes était assez large. De nombreux bancs bordaient cette dernière et la multitude d’occupants assis sur ces derniers se tourna en direction de Pierre comme d’un seul homme lorsque les choristes qui occupaient le centre du temple entonnèrent leurs chants. Ces hymnes solennels étaient uniquement supplantés par l’orgue présent qui accentuait chacun de leurs mots en les portant avec force.

Les chants entonnés dans la sainte langue de la foi des Trois résonnaient dans le lieu et tandis que Pierre avançait dans l’allée centrale, il voyait le chemin face à lui être recouvert de pétales. De nombreux enfants ponctuaient la voie et ils jetaient leurs précieuses corolles devant lui en formant comme une pluie de couleur alors qu’ils garnissaient les grands blocs de granite du sol.

Chaque banc que le seigneur d’Ambroise passait était un tableau différent. Tantôt une vieille famille des marches de l’Est au grand complet, tantôt de riches bourgeois qui ne pouvaient manquer cette rare occasion d’être vue en compagnie de tant de nobles lignées.

Les représentants de la fois des Trois n’étaient pas en reste. En plus de l’impressionnante délégation réquisitionnée pour chapeauter la cérémonie, de nombreux éminents représentants de cette antique institution avaient fait le déplacement pour des raisons tout aussi triviales que leurs nobles voisins.

Quittant chaque nouveau visage, chaque regard qu’il croisait dans cette auguste assemblée, Pierre continuait son avancée en prenant toujours plus conscience de toute la mesure des choses. Il avait quitté ses doutes, ses questionnements, en les laissant à l’entrée du Temple. Mais à présent, il avançait comme porté par une force invisible. Comme s’il n’était plus lui-même, plus en contrôle de ses gestes, mais bien porté par la puissance de l’instant.

C’était là un sentiment qu’il n’aimait guère, mais l’événement ne lui permettait pas de s’arrêter. De reprendre possession de ses idées, de ses pensées. Et il avança donc, il marchait toujours plus sur le tapis de corolle qui se créait face à lui.

Bientôt, il rallia le centre du Temple.

Un grand dôme prenait place au-dessus du cœur de ce saint lieu. Les grandes colonnes qui prenaient place en dessous s’élevaient tels de puissants arbres qui se dressaient pour tenir toute cette imposante structure de pierre et de briques. Parmi la foule de bannières qui avaient été hissées sur cette hauteur, l’Ours d’Ambroise, les ancêtres de Pierre y occupaient une bonne place comme s'ils veillaient en quelque sorte sur lui.

Une grande table en cèdre rouge finement taillée était présente au milieu de l’espace. Les reliques du temple local y étaient déposées en entourant bien évidemment une copie des chroniques des Sauveurs et juste devant tout cet étalage de biens se tenait le prieur de la famille Boiscendre qui attendait dans ses riches habits la venue de Pierre.

Nulle autre personne que les saints avoués des Trois n’était acceptée sous ce dôme à part les promis et leurs familles. Ainsi, à la droite du prieur, se tenaient les parents de Sybille tandis qu'à sa gauche se trouvait de manière symbolique Pylgrim, le prêtre de Villeurves, présent pour épauler Pierre durant ce décisif moment.

Saluant les religieux d’un léger signe de tête, le seigneur d’Ambroise s’avança aux côtés du prieur, là où attendait également sa promise. L’observant de dos, il n’eut d’abord que la chance d’observer l’arrière de sa riche robe avant qu’il ne soit lui aussi obligé de s’arrêter en baissant la tête face aux représentants des enfants du Créateur.

Les deux promis s’étaient avancés tour à tour, les chants qui avaient cessé et l’intonation changeante de l’orgue marqua le début de la cérémonie et des vœux qui allaient être échangés. Les occupants se rassirent tous en un grand bruit collectif et les regards se reportèrent sur les deux jeunes personnes qui canalisaient toute l’attention générale.

Le prieur les invita à se mettre face à face et Pierre découvrit toute l’élégance de Sibylle et le raffinement de ses habits. Sa robe d’un bleu profond symbolisait les couleurs du royaume dont faisait partie Praveen. Des touches dorées étaient visibles sur le long de cette dernière et formaient par endroit comme de représentations de fleurs, de bouquets qui garnissaient avec élégance le tissu.

Un voile dans les mêmes teintes que le reste des habits couvrait la tête de Sybille des fleurs assemblées en couronne maintenant le tout harmonieusement attaché à ses cheveux bruns. Son visage, souriant, offrait quant à lui une vision parfaite de cette jeune femme, mais une chose interpellait Pierre.

Il parvenait à desceller la vérité sous les faux-semblants. Le masque affiché par Sybille. Son sourire, son assurance, n’étaient qu’une façade qu’elle devait revêtir pour cette union avec un parfait inconnu rencontré il y a peu. Face à une personne à qui elle allait se lier pour l’éternité.

Tous ces détails étaient ceux que Pierre revêtait également. Ils étaient ainsi comme deux menteurs unis dans l’épreuve qu’ils passaient, scrutés par le regard de toute l’assemblée qui les observait sous toutes les coutures, sous la moindre expression.

Le prieur qui avait commencé le cérémoniel dans la langue des Trois comme il en était coutume passa alors au vieux continental. Durant ses paroles, il prit les mains des deux promis et les lia avec un ruban béni par ses soins.

Le lien fut bien serré et Pierre pouvait sentir le rêche cuir maintenir sa main contre celle de Sybille. Il sentait presque son pouls tandis que les paroles du prieur se perdaient autour de lui.

Son regard était capté par celui de sa future compagne et il était comme concentré. Pris dans ce moment de la même manière que lorsqu’il se concentrait lors d’une joute ou d’un combat. Lui, qui s’était calmé depuis sa marche dans l’allée du temple, sentit son esprit, son corps, être à nouveau l’objet de ses sensations, de son stress.

Tandis que le prieur finissait les derniers mots de convenance, Pierre se concentrait sur sa respiration et les mots du religieux lui revinrent alors très clairement.

— Que soit présenté à l'assemblée et aux dieux ceux qui veulent s'unir !

— Sybille Boiscendre, fit son père qui s'était avancé d’un pas face à l’assemblée. Une femme de noble sang, de noble lignée. Fille de Praveen et du royaume du Corvin.

Alors que Philipe Boiscendre reculait pour se remettre aux côtés de sa femme, se fut cette fois Pilgrym qui s’avança.

— Voici Pierre d’Ambroise, dit le religieux d’une voix forte et assurée. Digne représentant d’une noble lignée du royaume. Seigneur de Villeurves et héritier légitime du domaine Ambroise. Chevalier et seigneur du Corvin !

Un léger moment de flottement prit à la fin de ces deux annonces et le prieur continua à son discours.

— À présent que vos noms sont connus des Trois, l’heure est venue de vous unir pour ne faire qu’un.

Le religieux posa alors ses mains sur celles qui reliaient Pierre et Sybille pour leur faire comprendre que le moment était venu. Les deux échangèrent ainsi les vœux sacrés sous un silence presque pesant.

Leurs mots, leurs phrases étaient formulés comme d’un seul.

— Par cette cérémonie, j’engage mon amour, mon honneur et ma vie, déclarèrent l'épouse et son fiancé. En ces lieux, au regard des dieux et des hommes, je déclare solennellement mon union et ne faire qu’un. Une seule chair, un seul cœur, une seule âme, car nos flammes sont destinées à brûler ensemble. Que notre force soit aussi éclatante que Magrim, notre détermination aussi puissante que celle de Beorth et que notre amour soit aussi réel que celui de Dalia. À présent et pour jamais. Dans cette vie comme dans la suivante, je scelle cette union par ma volonté et ne fais qu’un avec toi.

— Par les saints pouvoirs qui me sont conférés par nos guides, les Sauveurs, reprit le prieur. Je consacre cette union et laisse les mariés s’unir aux yeux des mortels.

Pierre embrassa Sybille en sentant jusqu’à l’odeur d'ambre parfumée qu’elle revêtait.

Omnes tres laudabuntur, fit comme dernière note le religieux à côté d’eux.

L'assistance répéta cette phrase et le marié enveloppa son épouse d'un manteau à ses couleurs. Les chevaliers qui avaient suivi le seigneur d'Ambroise dégainèrent leurs épées pour les pointer vers le ciel avant que l'assemblée n'entonne un chant de louanges qui s’empara de l’entièreté du bâtiment.

Note :

Et voilà, je reprends tranquillement l'écriture de ce tome 2 avec ce chapitre des plus important pour notre cher Pierre. J'espère que la suite prévue va vous plaire et je me remets au travail de ce pas. Je remercie encore mes lecteurs pour leurs aides et corrections que j'ai d'ailleurs déjà appliquées sur les premiers chapitres de ce livre. Merci encore et à bientot sur nos textes.

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