L'interrogatoire

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Quelques minutes plus tôt…

La reine et ses gardes arrivèrent dans la pire zone de la prison souterraine des Limbes : le Tartare. Plus calme que les étages supérieurs, mais plus terrible que tous réunis, il faisait une chaleur infernale, l’air y était irrespirable, il y avait peu de lumière et des cris pré-enregistrés pour accentuer le calvaire des prisonniers de ce niveau. Seuls les humains et les Féériques qui s’étaient déclarés ennemis de la royauté y étaient envoyés expressément, selon la dangerosité qu’ils représentaient ou la gravité de leur faute envers le royaume féérique.

Il y résidait peu de prisonniers, tous étant condamnés à la peine de mort sans aucune chance de pouvoir retrouver leur liberté, le peu de détenus était aussi justifié par le fait qu’ils vivaient dans une ère de paix formidable et que finalement les exécutions n’étaient pas nombreuses depuis quelques centaines d’années – à part lors de deux trois guerres qui se s’étaient déroulées hors du royaume de la Forêt des Fées. Il était inutile de savoir combien de personnes se trouvaient en ce lieu misérable, mais ce qui était sûr c’est qu’il y avait bien celle qui a marqué l’Histoire de ce royaume d’une bien néfaste façon.

L’Homme-lézard se trouvait dans la deuxième cellule en partant du fond.

Plus le trio avançait, plus ils entendaient les cris de douleurs de l’assassin mêlés à ceux de cet affreux personnage qu’était le Juge Triface, une « chose » immortelle qui avait été « élue » à son poste au début de la création de ce lieu de prospérité pour les Féériques. Il aurait été créé par la deuxième reine du royaume de la Forêt des Fées Achillea la Brutale pour la guerre face aux machines d’autres royaumes, cités humaines, voire Féériques ou autres groupes belligérants qui jalousaient leurs trésors, comme l’Église de l’Homme-Machine.

Personne ne savait quand avait eu lieu cet élection, mais tout le monde savait que personne n’était au courant.

Ils entrèrent dans la pièce et virent le Juge, un gourdin ensanglanté et truffé de dents à la main, frappant à mort le tueur à gages captif.

- C’est quand que ce golem va être destitué de ses fonctions ? chuchota le garde-nain enrobé.

- Quand on aura retrouvé le document parlant de son « élection », Globox.

- Moi je vous ai toujours dit d’ouvrir le cercueil de la reine Aliénor, ça ne m’étonnerait pas que cette folle se soit enterrée avec.

- Nous n’ouvrirons le mausolée royal que lorsqu’un danger d’une ampleur cataclysmique menacera l’ensemble du royaume, dit la reine.

- Oui, je sais pour récupérer l’arme antique…

- Pluton, souligna Sawyer.

Triface finit sa bastonnade à laquelle il s’adonnait avec joie et se tourna vers la reine.

- Bonjour ma chère souveraine, je ne pensais pas que vous descendriez ici-bas pour voir un tel cloporte, dit la face du milieu nommée Bartholomé.

- S’en prendre à une princesse-fée… quelle ignominie ! Quelle infamie ! s’exclama la face Thor Björn.

Le troisième visage Djabel resta silencieux, comme la plupart du temps.

Cette chose immortelle était un golem doué de conscience mais pas de libre-arbitre, tout son être n’était dirigé que sur le fait de protéger le royaume de toutes les menaces potentielles autant extérieures qu’intérieures. Il avait été fait à partir de boue et de pierre, modelées pour avoir une apparence humanoïde, il portait sur lui des haillons bleus et jaunes et divers médaillons autour du cou, témoignant de son rôle au sein de l’état féérique, sur son front se trouvait une inscription dans une langue inconnue à ce jour.

Ses trois visages devaient représenter, au départ, chacune des personnalités et des émotions qu’il devait avoir pour être un juge impartial et un fervent gardien de la justice et de la loi, mais au fil des siècles, son « système d’exploitation » finit par se corrompre, et toutes ses faces finirent par avoir la même personnalité avec quelques nuances, celle d’un être brutal, avide de violence et qui infligeait de terribles sévices – comme dans le cas ici présent – à tous ceux se trouvant en dehors des clous.

Il était devenu injuste et imbu de lui-même, la majorité des litiges était réglé par des juges élus par le peuple, et la reine se débrouillait pour que Triface ne soit pas dans les parages, cependant s’il arrivait à porter son dévolu sur une affaire, personne ne pourrait remettre en question sa « justice ». Même la reine, toute puissante qu’elle est, était incapable de se débarrasser d’un tel monstre, la « force » de Triface et la loi jouait contre elle.

Audisélia avait, pour l’instant, réussi à le commissionner pour surveiller le Tartare Féérique puisque s’y trouvait la plus grande criminelle et menace du royaume. Néanmoins, cela ne semblait pas suffisant pour qu’il se tienne à l’écart des affaires de l’état féérique.

- Pourrais-tu éviter de le handicaper plus qu’il ne l’est déjà, s’il te plaît ? exigea la reine.

Triface s’arrêta dans son macabre manège, essuya son arme et la mit en dessous de son aisselle.

- Je pensais que c’était la police militaire qui se chargerait de l’interrogatoire, dit la face Bartholomé.

- Moi aussi, répliqua la reine.

Audisélia s’approcha de l’homme-lézard, elle eut presque pitié du traitement que lui avait infligé l’homme boue, il ne ressemblait plus à rien : gueule cassée, œil arraché, crocs brisés… Elle se demandait même comment il pouvait être encore en vie avec son crâne défoncé.

Son armure de peau n’était pas censée le protéger ?

Triface n’y est pas allé de main morte, concéda la reine.

Elle frotta de ses mains ses ailes majestueuses et en extrait de la fabuleuse poussière de fées que le monde convoite, elle la souffla sur le corps de l’assassin. Celui-ci reprit sa forme initiale, se réparant comme par miracle, toutes ses blessures disparaissant, remettant en place ses bras déboités et ses côtes fendues. Il était presque comme neuf. Cependant, la monarque ne soigna pas sa colonne vertébrale qui a été scindée en deux par le Héros.

- Je te soignerai complètement quand tu m’auras dit qui t’a engagé pour tuer l’une de mes sujettes.

- À quoi bon puisque je finirai exécuté sur la place publique ? se lamenta le saurien.

La reine se tourna vers Triface et grinça des dents d’agacement.

- Croyez-vous réellement que quelqu’un qui a tenté de s’en prendre à l’un de vos sujets pourrait s’en sortir vivant ? Votre laxisme m’agace !

Oui mais tu pourrais au moins mentir, s’énerva la reine en pensée.

Elle roula des yeux et se frotta le front, agacée.

- Seule une information valable d’être prise en compte lui sauvera peut-être la vie, ajouta un autre visage du juge.

Une étincelle illumina le regard du reptile humanoïde, il venait d’obtenir sa porte de sortie.

- Je ne suis pas au courant de qui est le commanditaire de cette fée sans ailes mais mon acolyte le sait sûrement puisque c’est lui qui a reçu la commande, dit Jordan.

La reine-fée, suspicieuse sur les propos du lézard, plissa les yeux, incrédule, mais Triface devint attentif aux « révélations » que lui apportait la victime de ses mauvais agissements.

- Quel acolyte ?

- L’humain avec lequel je me suis battu.

- Balivernes ! intervint la reine, espèce de sombre idiot, penses-tu me faire croire que l’Homme qui a sauvé la princesse sans nom puisse être associé à toi ? Sale fabulateur !

- Pourtant c’est évident à comprendre, se défendit l’assassin, nous avons eu des désaccords sur certains sujets alors nous nous sommes battus.

Pas très professionnel, ça.

- N’avez-vous rien remarqué de bizarre parmi les prisonniers ?

- Non…

- Si, interrompit Globox, l’un des soldats qui est allé chercher le chargement d’humains nous a informé qu’il y a eu un changement parmi les prisonniers, l’un d’entre eux a été échangé avec un autre…

Mais tais-toi idiot ! s’écria la reine en pensée.

À ce qu’on dit l’audace paye toujours.

Son bluff s’avérait fonctionner et la chance semblait être de son côté.

Il avait entendu parler du juge Triface et connaissait la règle tacite disant que dans toute affaire judiciaire où il était concerné, la reine devait se soumettre à son verdict. Donc, la seule personne qu’il devait convaincre était le juge. Et ça avait l’air de porter ses fruits.

- Voilà ! Vous voyez ! Un plan minutieusement bien ficelé ! Mais il a fallu que ce petit bâtard veuille me flouer en me laissant tuer notre cible pour ensuite me tuer et obtenir pour lui seul la récompense et en se faisant passer pour un héros n’ayant pas pu sauver la fée sans ailes, expliqua adroitement l’assassin saurien.

- Que…

- Cela m’est suffisant, dit la troisième face du juge du royaume des féériques, j’ai trouvé un verdict pour les deux.

- Lequel ? demanda la reine intriguée.

- Amenez les deux dans l’arène, ils combattront dans un combat à mort pour décider qui aura droit à un sursis pour assurer leur survie.

L’homme-lézard fut soulagé que son mensonge de haute-volée soit passé sous le radar du juge. En même temps, quelle idée de laisser à quelque chose de moins évolué qu’un automate de Lombax City prendre part à la justice de son état.

Quelle bande d’abrutis.

On était sur du 500 I.Q. là…

- Tu te fiches de moi Triface ? s’écria la reine furieuse.

- Mon jugement est irrévocable, répondit Djabel, enfin, il n’y aura que le reptile qui pourra bénéficier d’un sursis, l’humain mourra quoi qu’il arrive.

- Justice, hein ?

- Les humains n’ont le droit qu’à la mort, vous le savez très bien.

La reine soigna l’homme-lézard et ordonna aux gardes de l’aider à se relever.

- Nous allons avertir les gardes d’emmener l’assassin dans l’arène, dit la reine, puis nous, nous irons chercher son « acolyte » pour leur combat. Triface, avertissez César qu’il y a un changement dans le déroulement.

- Cela sera fait, ma Dame.

La reine s’en alla avec ses deux gardes du corps, avant de s’arrêter et d’avertir l’assassin :

- Si tu t’en sors, ne t’inquiète pas que cela va bien se passer pour toi.

Fermant la porte de la cellule après le départ de la reine et de ses gardes du corps, Triface sortit un étrange attirail de la pénombre et s'approcha de l'homme-lézard avec une seringue contenant un étrange liquide.

- Elle a effectivement raison, cela va bien se passer pour toi...

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À la sortie de l’ascenseur, la reine de la Forêt des Fées dit à la Fée et Beneltig de s’installer aux sièges princiers de l’arène.

- Ce n’est pas aujourd’hui le début des combats ? dit Beneltig.

- Ne t’inquiète pas, la rassura Audisélia, ce n’est pas encore ton heure. C’est celle de l’humain.

- Comment ça ? demanda la Fée.

- Il va affronter la créature qui a voulu te tuer pour obtenir un sursis, mentit-elle à demi-mot.

- C’est mieux que rien, j’imagine, dit la Fée à voix basse.

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