Convocation dans les Basfonds

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Cela faisait une semaine que Thoosa était morte et deux jours que son enterrement eut lieu.

Le Héros n'y avait pas assisté.

En premier lieu, parce que cela l'avait grandement agacé, qu'après qu'il ait trouvé le corps, on l'ait accusé d'être à l'origine de sa mort. Avec des explications plus qu'alambiquées, sans queue ni tête, et qu'il dût passer au détecteur de mensonges – pas qu'un seul, sinon ça ne serait pas marrant.

Mais surtout, il détestait les cérémonies funéraires.

Particulièrement celles de personnes qu'il avait, plus ou moins, côtoyées.

C'est pour cette raison qu'il ne s'était pas rendue aux funérailles de Sœur Leïla, il ne savait pas comment réagir face aux proches, ceux qui restent...

Pourtant il l'avait aimée, il croit même en être tombé amoureux fut un temps. Il avait pleuré toutes les larmes de son corps ce jour-là. Toutefois, il s'était retrouvé incapable d'aller sur sa tombe, malgré tout l'amour qu'il lui portait. Même sa mère n'avait jamais compris pourquoi il n'avait jamais voulu s'y rendre... ni aux autres enterrements qui vinrent après – hé oui, même dans un lieu aussi paisible que Novillios, notre monde n'a pas changé, toujours aussi dangereux à souhait.

Désormais, c'était le tour de Thoosa de subir l'absence du Héros.

Qu'aurait-il pu dire, mis-à-part, qu'il la trouvait mignonne et qu'il lui avait conseillé de s'éloigner de Beneltig ?

Il n'avait pas vraiment appris à la connaître plus que ça.

Il trouverait hypocrite de dire ses condoléances à ses parents endeuillés alors qu'elle était une illustre inconnue pour lui.

Voilà pourquoi il était, actuellement, allongé sur son lit à fixer son plafond où on lui avait installé un ventilateur – petit à petit, cet « appartement » ressemblait, de plus en plus, à une vraie habitation vivable.

Durant ce court laps de temps de quelques jours, de nombreuses choses s'étaient passées : déjà son entrainement avec Sawyer reprit et le garde du corps n'y était pas allé de main morte. Mais en peu de temps, il put voir qu'il pouvait vraiment devenir plus fort et Sawyer reconnut le potentiel illimité du jeune garçon. Sawyer ne le ménagea pas, malgré les accusations qui planaient sur lui à propos de la mort de Thoosa et que celle-ci l'affecta. Et le Héros n'en demandait pas. Tous les deux savaient que tout seul, le Héros ne s'entraînait pas sauf s'il y était contraint. Néanmoins, sa principale raison pour s'entraîner aussi durement est que, non seulement, il devait se défouler au maximum, mais aussi que, bien qu'il ne l'eût pas tant connue que cela, il comptait faire payer aux hommes qui avaient pris la vie de la princesse-fée aux cheveux améthyste. Et il savait très bien qui ils étaient : la secte de la Légion de la Sorcière Marrynelia.

Entre temps, il reçut la visite des amis de la Fée qui l'invitèrent à venir jouer et passer du temps avec eux. Le Héros comprit rapidement qu'ils ne lui tenaient pas rigueur pour la querelle qui s'était déroulée lors de la fête et qu'ils croyaient en son innocence. Mina non plus, mais elle l'avertit que malgré tout, elle émettait des doutes à son égard, il lui répondit simplement :

- Sincèrement, j'en ai rien à foutre, lui déclara-t-il sans langue de bois, et tu fais bien de ne pas me faire confiance : je ne le fais pas moi-même, dit-il avec nonchalance.

Il était évident qu'elle prenait la réponse du Héros pour un « aveu » sur la thèse que quelque chose clochait avec lui. Mais bon, si les autres lui faisaient confiance pourquoi pas elle.

Cependant, il ne reçut ni la visite de la reine, ni de la Fée, plus surprenant encore, ce fut le père de la Fée qui vint le voir. Il se présenta comme son nouveau précepteur. Étant donné que le Héros refusait de se rendre à l'école, alors c'était à l'école de venir à lui. Contre toute attente, le Héros avait un niveau d'éducation égal voire supérieur à la Fée – le fait qu'il soit un véritable rat de bibliothèque n'y était pas étranger. Le Héros était réticent à suivre des cours, mais il ne pouvait pas se reposer que sur les souvenirs de ses prédécesseurs pour s'en sortir – surtout que comparé à eux, y accéder était d'une difficulté sans pareil.

Cependant, ce n'était pas la seule visite impromptue qu'il eut : c'est celle de Lelelitio qui l'attendait en bas de chez lui. Le Héros entendit des cailloux cogner à sa fenêtre, il piqua une tête à l'extérieur et reçut une pierre, par inadvertance, en plein front, qui l'envoya au sol.

- Ah ! s'écria Lelelitio, désolé ! Désolé ! Désolé ! répéta-t-il frénétiquement.

Le Héros revint à la fenêtre et lui renvoya son caillou.

- Les portes ne sont pas faites pour les chiens sauvages.

Précision, car tous les chiens ne sont pas dénués de parole !

- Je n'avais guère envie de monter cette échelle, en fait.

- Sans déconner... Bah maintenant que tu es là, viens jouer aux jeux vidéo, non ? J'ai besoin d'un adversaire.

Il refusa poliment et lui expliqua la raison de sa venue.

- Je ne puis monter car c'est à toi de descendre vu qu'il faut que tu me suives.

- Tu as vu l'heure ? Je vais bientôt dormir, moi.

- C'est une requête exigée par ma maîtresse. Et vu son tempérament, je te conseille, pour nous deux, de ne pas refuser.

Le Héros fit le balancier avec sa tête pour peser le pour et le contre, avant d'accepter en échange d'une grillade chez le marchand du coin. Lelelitio se gratta la tête, peiné. Il fouilla dans ses poches pour voir s'il avait quelques pièces pour lui payer sa grillade.

- Laisse tomber. Si tu n'as pas d'argent sur toi. Je vais nous payer ces grillades, vu comment ton ventre gargouille.

Lelelitio sauta de joie à la proposition du Héros.

Le garçon sans visage ne comprit pas pourquoi tant d'enthousiasme pour de simples grillades, alors dans le doute, il en prit une vingtaine pour eux deux. Lelelitio ne se permit d'en manger que deux et garda le reste sur lui. Le Héros ne lui fit aucune réflexion sur son comportement. Cela lui rappelait le sien à l'extérieur de ce royaume. Néanmoins, aucun danger ne pouvait survenir ici, il n'avait pas besoin de survivre en partitionnant sa nourriture.

- Je pense qu'on a assez perdu de temps, déclara le serviteur, il est temps de rejoindre la princesse.

Le Héros partit en direction du quartier des nobles, appelé Sanctuaire, mais Lelelitio l'arrêta.

- On ne va pas par-là, monsieur le héros de la légende. Nous, on descend de l'autre côté.

- On va où ? dit le Héros, d'un air circonspect.

- Après ton habitation, dans les Basfonds.

C'est le lieu d'où provenaient les Fenrirs qui les avaient attaqués, Mina, la Fée et lui.

C'est vrai qu'il n'avait eu aucune nouvelle du monstre qui lui avait échappé.

S'en était-il pris à d'autres citoyens de Sylvania ?

Ils dévalèrent la pente menant au Sanctuaire, plus ils y descendaient, plus l'environnement s'obscurcissait et plus l'ambiance était malsaine.

Il ne semblait pas bon vivre dans cette partie du royaume.

À chaque coin de rue, il voyait des sans-abris et des prostituées les haranguer pour leur quémander quelques pièces en échange d'un quelconque service. Des crimes et des délits étaient commis sous ses yeux, et cela avait l'air d'être monnaie courante ici-bas. Le sol était sale, poisseux, couvert de crasse et de sang d'inconnus qui avaient dû périr en croisant la route de la mauvaise personne...

Il ne savait s'il pouvait dire que cela le rendait nostalgique de Vicenti, toutefois l'ambiance lui était familière, ce qui lui hérissait les poils.

- C'est quoi cet endroit aussi malfamé ? Ça n'a rien à voir avec Haute-Ville et le Sanctuaire.

- Bonne observation, tu dois être devin, se moqua Lelelitio.

Le Héros fut circonspect, ne comprenant pas pourquoi l'elfe semblait fâché par sa remarque – sûrement parce qu'il était évident que ce milieu était bien différent du Sanctuaire et de Haute-Ville, nunuche.

Mais Lelelitio se reprit et revint sur la remarque du Héros.

- Car c'est totalement différent. Ici ne vivent que les rebuts de la société : ceux qui ne peuvent pas payer l'impôt royal ou participer au bon fonctionnement du royaume. En plus des parias et des « traîtres »...

- Traîtres ?

- Tu lui demanderas toi-même étant donné qu'elle est la première concernée.

Continuant jusqu'au lieu où voulait que Lelelitio se rendre, le Héros sentit qu'on le surveillait, même qu'on le suivait. C'est vrai qu'avec les habits qu'on lui avait achetés, il paraissait être un noble pour les habitants d'ici, qu'importe qu'il ait ce maléfice sur le corps ou non.

- N'aie crainte. Tu es avec moi. En ma compagnie, personne ne te dépouillera.

- Tu es si fort et respecté ? ricana le Héros.

- Non, moi je suis trop faible. C'est Malalalivia qu'ils respectent, et dont ils craignent le courroux. Alors s'en prendre à moi, c'est s'en prendre à elle, dit-il fièrement, donc tu n'as rien craindre.

- Ah..., dit le Héros, déçu.

Y avait vraiment pas de quoi être fier, pensa le Héros.

Il n'y avait vraiment pas de quoi être fier, m'exprimais-je.

Ils arrivèrent devant une sorte d'orphelinat délabré, troué de partout, qui avait plus l'air d'une maison hantée que d'un ancien refuge pour enfants abandonnés.

Lelelitio le fit entrer dans au sein de sa demeure sans que le Héros ait le temps de faire une remarque, et à peine rentré, que celui-ci fut assaillit, lui et son guide, par une dizaine de gamins braillards qui couraient partout. Les pièces étaient éclairées à la lumière des torches de luxinite et par des ampoules à faible éclat.

Comment ça se fait que je les ai pas entendus depuis l'extérieur ? se demanda le Héros.

L'une des filles, qui était une fée aux ailes ternes, s'approcha des deux garçons, innocemment, et leur pointa un canif pour leur prendre leurs affaires.

- C'est elle Malalalivia ? demanda le Héros.

- Tu veux qu'elle te réduise en cendres à la mésestimer ? lui dit Lelelitio, tiens en parlant du Glitar...

Une chose non identifiée tomba du ciel, éclatant le sol de tout son poids. Elle sortit du cratère et saisit le couteau de la petite fille, avant de l'agripper et de la mettre sur son aisselle sans que le Héros ait le temps de réagir. La petite se débattait violemment mais rien n'y faisait, cette personne était bien trop forte pour se laisser malmener par cette gamine.

- Alors tu es venu ? lui demanda cette inconnue.

- Si on m'invite, je débarque, surtout s'il y a de la graillance.

- Désolée pour toi, mais on n'a pas de bouffe, annonça-t-elle, j'ai dit à Lelelitio de pas te mentir, mais bon...

La fumée de l'impact provoquée par la chute de cette fille s'écarta, et le Héros se rendit compte que la personne qui lui parlait était la même qui avait arrêté son coup lors de la fête des princesses et des champions. Les mêmes yeux étoilés et la même robe de servante fendue sur les côtés de ses jambes, mais elle était moins propre et plus remplie de tâches de graisses et de sauces, avec un peu plus de plis que lors de cette soirée.

- Ah mais t'es pas la servante super forte qui m'a stoppé quand j'ai voulu frapper l'autre abruti, là ? s'écria le Héros.

- Oui ! s'extasia-t-elle, tu te rappelles de moi ?

- Comment pas se rappeler d'une fille aussi forte !

- Cela me flatte beaucoup de la part du héros de la légende, sourit-elle fièrement.

- Mais tout le monde est au courant que je le suis au fait ? s'exclama le Héros.

T'en a mis du temps à le remarquer, quand même.

- Je dois dire que tu ne passes pas inaperçu, surtout que tu l'as crié durant la fête pendant que tu étais énervé, rit-elle.

- Ah oui... c'est vrai..., dit-il, gêné.

La petite fée qui était sur l'épaule de la servante pencha la tête en direction du Héros, surprise de son titre.

- C'est lui ? demanda-t-elle à la Féérique plus grande.

- Exact, lui répondit-elle.

- Tu te rends compte que j'ai failli racketter le héros de la légende, Malalalivia ? s'excita la petite fée aux ailes ternes.

- Attends ! Tu es..., dit le Héros.

- Effectivement, intervint Lelelitio.

Le servant passa devant le Héros et présenta en bonne et due forme la personne qui lui faisait face.

- Voici, la princesse Malalalivia Talemilia Grave, prétendante au trône de Sylvania et fille, plutôt descendante mais c'est plus classe de le dire comme ça, du quatrième roi-combattant ! On l'appelle généralement Malalalivia, lui chuchota-t-il.

- Hein ? Mais qu'est-ce que tu me chantes ? Ça peut pas être elle, elle avait la même tenue que toi. Ça peut pas être une princesse.

- C'est parce qu'on est trop pauvre pour qu'on puisse lui acheter des beaux habits de cérémonie comme pour les autres fées, lui expliqua le servant de la princesse-fée, on doit utiliser l'argent qu'on obtient pour nourrir les enfants et certains citoyens des Basfonds. J'ai modifié sa robe avec mes manches pour qu'elle se différencie des autres robes des autres servantes.

La princesse baissa la tête, se grattant la joue, honteuse.

- T'as pas à avoir honte, lui dit le Héros, c'est normal de penser à sa famille avant ses propres besoins. Mais je pense que tu pourras t'offrir quelque chose puisque tu n'auras plus à te soucier pour la nourriture.

Le servant sortit de derrière son dos le sac de brochettes, à la bonne odeur de viandes grillées. La petite fille portée comme un sac à patates sur l'épaule de Malalalivia s'échappa de l'emprise de la princesse-fée et se jeta sur Lelelitio, ensuite, il s'en suivit d'un grondement de pas d'enfants qui se précipitèrent sur le servant-fée, déchiquetant le sac, accaparant et dévorant avidement son contenu.

Malalalivia se claqua le visage devant le manque de tenue de ses garnements. Le Héros, lui, éclata de rire, il n'avait pas vu une scène aussi ridiculeusement drôle et enfantine depuis qu'il avait quitté son village.

- Désolée de te laisser voir un spectacle aussi affligeant...

- Arrête de dire des choses pareilles, la stoppa-t-il, tu me prends pour un noble ?

- Tu n'en es pas un ? s'écria la princesse, pourtant la reine te rend visite, te choie et te couvre d'éloges...

- Vérifie tes sources, lui conseilla-t-il, car la raison est tout autre. Bien que dans une certaine mesure, j'en suis un, à l'origine, je viens pas de ce milieu. Je suis censé être aussi pauvre que vous. Enfin, j'ai été aussi pauvre que vous fut un temps, mais les choses se sont un peu arrangées en dehors de ce royaume. Alors, je peux comprendre tes choix et leur comportement.

Le Héros tapa dans ses mains pour attirer l'attention des enfants qui se tournèrent dans sa direction, les lèvres badigeonnées de graisse et de poussière. Lelelitio put se redresser, mais était complètement sonné par le choc avec les bambins – certains étaient des mastodontes bien qu'ils parussent tous beaucoup plus jeunes que les trois « adolescents ».

- Oh les morveux ! Pas besoin de vous conduire en morfales, y en aura pour tout le monde.

Le Héros sortit six petits sacs de ses poches qui reprirent leur taille originelle.

- Quand... lui demanda Lelelitio.

- Quand tu m'as rattrapé pour m'indiquer la bonne direction de là où se trouvait ta maîtresse, et que tu m'es passé devant. J'en ai profité pour embarquer toute la marchandise du vendeur de brochettes. J'ai dû lui faire sa journée, s'esclaffa le Héros.

Il se tourna en direction de Malalivia et expliqua :

- La reine m'a prêté un bijou pour que je remplisse mes poches d'objets sans utiliser de sac parce que « un champion, c'est un noble, et étant donné qu'un noble ne peut pas avoir de sac comme un citoyen lambda, alors garde cela sur toi pour tes courses ».

- Pourquoi ? lui demanda Malalalivia.

- Parce qu'à la vue des joues creusées de ton serviteur, et à sa difficulté à me payer une seule brochette, j'ai compris qu'il était dans une passe difficile. Je te l'ai dit : moi aussi, j'ai été pauvre au point de fouiller dans les poubelles ! Donc, je sais reconnaître mes semblables. Juste, je n'aurai pas pensé nourrir tout un régiment. Et, en vrai, j'ai aussi demandé à la reine d'enchanter mes poches, pour pouvoir piquer la nourriture de la grande fête des champions et des princesses. Mais bon, avec la mort de Thoosa, mon plan est tombé à l'eau. Où je pose ça ?

Elle lui indiqua une salle à droite qui leur servait de salle à manger. A l'instar des autres salles, elle était sale et dégradée : la table était fendue en deux et l'un des pieds manquait à l'appel. Il préféra alors déposer les sacs sur une plus petite table qui devait être celle pour les enfants en bas âge.

- Gardez-en pour plus tard, leur recommanda-t-il, vous ne savez pas ce qui pourrait arriver demain.

- D'accord ! lui répondirent-ils en chœur.

Les enfants accoururent à la table pour se nourrir de ces victuailles toutes chaudes, sous la surveillance de Lelelitio. Celui-ci dit au Héros et la princesse d'aller en haut pour discuter de ce que tenait tant à lui dire Malalalivia.

Ils s'exécutèrent et gravirent les marches menant à l'étage supérieur.

Finalement, son instinct qui ressentait quelque chose de nauséabond vis-à-vis du royaume de Sylvania ne s'était pas trompé ; n'y avait rien d'étonnant à ce qu'un tel endroit existe.

Il aurait espéré que cela ne soit pas le cas, et la reine ne lui en avait aucunement parlé, mais il avait appris à bonne école que rien de parfaitement beau n'existait sans qu'il y ait quelques tâches de saletés autour – il aurait, néanmoins, espéré que cela se limite au racisme antihumain.

Toutefois, concernant l'affaire actuelle, le Héros n'était toujours pas confiant, vis-à-vis de la personne qui l'avait convoqué. Ce n'était pas la vue d'enfants affamés qui allaient l'attendrir et le rendre moins méfiant. Il n'avait aucune idée de ses intentions, et il n'allait pas la prendre en pitié, simplement, parce qu'il venait de découvrir que le royaume de Sylvania n'était pas aussi idyllique qu'il le pensait.

- Surpris, n'est-ce pas ?

- De quoi tu parles ?

- Du fait qu'il y ait un bidonville au paradis des Féériques.

- Étonnant, mais pas étonné. Peu importe la personne ou l'endroit, il est normal de cacher l'inavouable. Ce qui me surprend davantage, c'est que tu sois la fille du quatrième roi-combattant sachant qu'il y en a trois et que tu n'aies pas d'ailes. A moins que tu ne sois pas une fée. Ou que tu sois une menteuse...

- Pourtant mes yeux montrent bien que je suis une fée.

- Peut-être, mais ça répond pas précisément à l'une de mes questions.

- C'est vrai, mais parlons-en dans ma chambre.

Mais c'est une habitude d'emmener un garçon inconnu dans sa chambre à leur première rencontre ?

Et lui qui ne dit rien !

Ce n'est pas comme ça qu'on t'a élevé, non mais !

Le Héros put constater, avec surprise, que la chambre de Malalalivia était en bon état comparé au reste de l'édifice. Il imaginait, sans difficulté, que cela était Lelelitio qui avait travaillé dur pour rendre cette chambre digne du rang de sa maîtresse.

Il s'installa sur une chaise, jambes croisés, coude posé sur la table, tête sur le creux de sa main et regarda la princesse face à elle.

- Tu peux retirer ta capuche, nous sommes en intérieur.

- C'est nécessaire pour moi que je la garde.

Elle haussa les épaules et le laissa parler.

- Alors mam'zelle, pourquoi avoir convoqué un roturier comme moi dans votre splendide demeure ? Surtout que vous n'êtes pas une simple noble, mais la « fille du quatrième roi-combattant » de Sylvania, donc de sang royal.

- Donc j'aurais dû faire appel à la reine selon toi, si j'avais besoin d'aide ?

- C'est exact.

- Hé bien, je dois dire que tu fais de bonnes déductions bien que tu aies tout faux.

- Sérieux ? dit le héros, surpris.

Elle prit place sur son lit, jambes écartées, doigts entrelacés, coudes sur ses cuisses et affichant un grand rictus sur son visage.

Le Héros prit le temps de l'observer un peu mieux que lors de leurs deux rencontres : elle avait une large cicatrice sur sa joue droite qui se finissait sur l'arête de son nez, des yeux étoilées et rosés, mais sombres, presque proche de la couleur des siens, des cheveux roses bleutés. Sur sa robe, il y avait une ouverture au milieu de son abdomen montrant non seulement qu'elle était plus musclée que lui, mais aussi qu'elle avait une énorme cicatrice qui recouvrait l'ensemble de ses muscles abdominaux – ils n'étaient pas saillants, mais juste assez visible pour montrer qu'elle s'entraînait –, et ses bras aussi étaient musclés.

Selon le Héros, elle avait l'allure d'une soldate, elle semblait, aussi, plus vieille que l'ensemble des princesses et champions qu'il avait rencontrés. Son regard était dur, féroce, et ses doigts et ses mains, bien qu'ils soient fins et bien entretenus, étaient parsemés de plaies et de pansements. Néanmoins, avec ses réactions en bas, il se doutait qu'elle faisait cela pour l'intimider, cependant, il n'était pas du genre à être méfiant lorsqu'on l'intimide, mais cette fille avait l'air d'avoir plus d'un tour dans son sac.

Elle n'était pas le genre de femme qui se laissait protéger par un champion – mais il en fallait bien pour chaque princesse.

- Hé oui. Contrairement aux autres fées, je suis la descendante, sur plusieurs générations, de mon ancêtre, alors qu'elles sont, elles, leurs descendantes directes.

- Elles sont alors, pour ainsi dire, tes arrières, fois douze, grandes tantes, résuma-t-il.

- C'est exact. Bien que je sois plus âgée qu'elles.

- Comment cela se fait ?

- Mon ancêtre s'était entichée d'une humaine, ses frères ne l'avaient pas bien pris, après toutes les mésaventures qu'ils avaient vécues hors de ces remparts, alors ils le condamnèrent à s'exiler ici, sa femme et lui. À force, c'est devenu le coin des parias et des non imposables, dont il était le gardien, mais le temps avait fini par le faire oublier de l'Histoire, étant donné qu'il n'a participé à aucune bataille, qu'on l'exila de la scène politique, et qu'on le honnit au même rang que la Grande Félonne.

- Ce qui explique cela. Mais je vais quand même demander confirmation.

Il se leva et pencha la tête à travers la fenêtre.

- À qui ? demanda la fée sans ailes.

- Tu vas bien voir.

Le Héros prit une grande inspiration et hurla le nom de son chaperon. Une ombre fondit sur lui et atterrit au milieu de la chambre, elle se releva et tourna ses yeux bleus perçants en direction du Héros.

- Tu n'as pas besoin de crier aussi fort si tu sais que je suis dans le coin. Mes grandes oreilles entendent très très très bien, lui rappela Helmir, tu as changé depuis que tu as retrouvé la parole.

- Désolé, désolé ! s'excusa-t-il avec un sourire embarrassé avant de redevenir sérieux.

Il pointa avec son pouce Malalalivia et lui demanda si l'histoire de la princesse est vraie.

- Absolument. Tout le monde est au courant, mais sa version de l'histoire du quatrième est plus « classe » que ce qu'on raconte sur lui. Cela ne change pas qu'elle est autant, voire plus, traitée comme un déchet que la princesse-sans-nom.

- Ok. Ok. Ok, répéta-t-il en hochant la tête.

Le Héros constata que son hôte était agacé par la venue de cette invitée surprise. Il est vrai que personne ne peut s'attendre à ce qu'il soit toujours accompagné de quelqu'un, pourtant il était logique de ne pas laisser gambader un humain seul dans le royaume Féerique, autant pour la sécurité des Féériques que pour sa propre sécurité. Héros ou non.

- Je ne crois pas que cela soit une bonne idée qu'elle soit là, déclara la princesse.

- Pourquoi ?

- Je n'ai aucune envie qu'une agente du palais royal soit au courant des informations que j'ai glanées pour protéger les miens.

Helmir voulut l'obliger à parler si cela concernait la sécurité intérieure du royaume, mais le Héros la retint : elle n'avait aucun pouvoir vis-à-vis d'elle à cause de son rang de princesse. Qu'elle soit déchue ou non, elle reste une princesse de Sylvania – c'était son intime conviction, rien ne prouvait ses pensées. Toutefois, au vu de la réaction d'Helmir, il avait marqué un point. Alors il s'adressa à Malalalivia.

- Considérant ton impressionnante force, je sais qu'Helmir y laissera des plumes, surtout si elle n'a aucun droit de te tuer. Enfin, je suppose. Mais sache que, bien que je sois de nature supra méfiante, elle est l'une des rares personnes à qui je serai prêt à confier ma vie.

- Bien plus que ta princesse ?

- Au-delà même.

Ça c'est inattendu, s'étonna Helmir.

Il n'y avait rien d'inattendu, petite Helmir.

Il avait toujours été comme ça.

Peu de gens savaient ce qu'il pensait d'eux et il était rare qu'il le déclare à haute voix, pour une simple raison : il pensait son avis insignifiant. Sinon, concernant la Fée... après tout, elle ne serait pas la première personne qu'il défendait qui pourrait se retourner contre lui – Belachat à jamais au fond de notre cul. Juste le fait d'y repenser lui hérissait les poils.

- Si tu le dis, je suis bien obligée de te croire au vu de l'urgence, soupira-t-elle.

Elle devait avoir une véritable rancœur contre les filles des trois rois, se dit le Héros, enfin, ça n'a pas de sens, plutôt contre le gouvernement de Sylvania.

- Alors quelle est cette raison si importante ? demanda Helmir.

- Vous vous doutez que la mort de Thoosa n'est pas un suicide.

- Bien sûr. Je ne suis pas le gamin à côté de moi, se moqua l'elfe de nuit.

- Hé ! se défendit le Héros en lui donnant un coup dans les côtes.

- Calmez-vous ! C'est sérieux. Avez-vous déjà entendu parler des enlèvements perpétrés ici-bas ? Sûrement pas, vu que personne n'est venu tuer le Fenrir qui se baladait ici et qui a fait vingt-cinq morts.

- Désolé, c'est ma faute... Je ne l'ai pas poursuivi après avoir vaincu les autres.

- Je sais. Je suis au courant, j'étais là.

- Quand ? Où ? s'écria le Héros.

- Au-dessus des toits de la Haute-Ville, près de chez toi.

- Tu sais que tu n'as pas le droit de sortir d'ici, jeune fille, la réprimanda Helmir.

Elle haussa les épaules, et avec un sourire dédaigneux lui rétorqua :

- Il faudrait déjà que vos gardes aient la force de me vaincre.

Quel toupet ! Elle ne se prend pas pour n'importe qui ! se dit le Héros.

Déjà que le fait qu'elle puisse arrêter son coup était surprenant, alors avec sa déclaration, elle l'intriguait encore plus.

Ça ne pouvait être dû simplement au fait qu'elle soit une descendante de roi-combattant. Il n'y avait que la reine qui était assez forte pour se mesurer à lui. Les autres fées, il leur faisait une clé de bras, le tour était joué.

- Mais ce n'est pas très grave, on s'en est occupé par la suite.

- Hein ? sursautèrent-ils.

Malalalivia pointa la fenêtre et dit au Héros de repencher la tête, mais cette fois-ci, vers le bas. Il s'exécuta et vit, stupéfié, le corps du Fenrir séparé de sa tête. Il le distinguait mal mais semblait avoir été dépecé et vidé de ses entrailles – logique vu l'extrême pauvreté de l'endroit. Il n'aurait pas pensé que des Féériques aussi frêles, comme il a vu dans les rues obscures de ce quartier malfamé, auraient été capable s'occuper d'une bête pareille.

Il revint vers son hôte et s'assit sur une chaise disponible. Il fit comprendre en un regard à Helmir qu'elle n'avait pas menti.

En même temps, s'ils ont été plusieurs à s'en occuper, pensa Helmir, à moins qu'elle veuille sous-entendre qu'elle l'a vaincu à elle seule...

- Je suis ravi que vous aillez pu vous en débarrasser, lui dit le Héros, mais pour répondre à ta question : non, je sors pas de chez moi sauf pour les événements où je suis obligé d'être.

- Je suis au courant de cette affaire, répondit à son tour Helmir, certains gardes mènent l'enquête, mais leurs recherches sont infructueuses.

- Cela à un minimum fuiter...

- Comment ça ? demanda Helmir.

- Désolé de vous l'annoncer, madame l'espionne, mais leurs recherches sont infructueuses car des grosses têtes du gouvernement sont mêlées à ces enlèvements, leur révéla-t-elle.

- Je vais faire semblant d'être étonnée, déclara l'elfe de nuit.

- Qui ? demanda le Héros.

- Aucune idée. Mais ils n'ont besoin de passe pour aller et venir entre les Basfonds et la Haute-Ville, ce qui prouve que soit ils ont les gardes à la bonne, soit ils sont intouchables.

- Tu sais à quoi ils ressemblent ? S'ils appartiennent à une race commune ? Quelque chose de représentatif ?

- Je sais juste qu'ils sont encapuchonnés avec des tuniques rouges. On dit que lorsqu'ils se déplacent, on peut entendre un bruit de froissement métallique, et l'un des enfants en bas qui a pu s'échapper de l'un de leurs rituels m'a dit que l'un des chefs avait une énorme cicatrice sur le torse ou le ventre.

Soudain, Helmir écarquilla les yeux et se pencha en avant, la main devant sa bouche, elle était en intense réflexion, se rappelant de quelque chose. C'est le garçon qui poursuivait les questions à la place de l'elfe de nuit.

- Je peux demander au garçon ou la fille qui s'est échappé qu'est-ce qu'il ou elle aurait pu voir ? À moins que tu en saches assez...

- Je ne crois pas que ça soit une bonne idée. Bien qu'il s'en soit remis, il fait toujours des cauchemars à propos de cette nuit où il a échappé de peu à la mort..., lui confessa Malalalivia, je vais te raconter le peu que je sais mais même moi, je n'ai pas trop compris. Néanmoins, le peu que je sais, c'est que les hérétiques et leurs enfants sont mêlés à ces enlèvements.

- Les « hérétiques » ? dit le Héros, suspicieux.

- Tu n'as jamais entendu parler des « hérétiques » du royaume de Sylvania ?

L'humain secoua la tête, mais on pouvait sentir dans son regard qu'il déprécierait ce qu'il allait entendre. Ce n'était pas la première fois qu'il était confronté à une situation pareille.

- On appelle « hérétique » ceux qui refusent la reine comme régente du royaume et son statut de demi-déesse, ou reine-déesse, et ils renient, bien évidemment ; le panthéon divin dont la reine serait le héraut.

- Mais il y a des nobles qui ne croient pas aux dieux...

- Ils ont le droit. Ils habitent à Sanctuaire. Mais il est très mal vu de remettre en question la place de la reine, encore plus si on habite à Haute-Ville, et ça peut devenir fatal dans les Basfonds. Surtout, si on prétend que les descendants du quatrième roi sont plus légitimes à prendre le trône... Nonobstant, revenons au sujet principal. Les hérétiques sacrifieraient, en hommage d'une quelconque déité, des innocents ayant un plein d'énergie magique avec un couteau qui absorbe le sang de sa victime.

- Une « lame vampire », dit Helmir, normalement, tu en as déjà peut-être vu à Vesontio, gamin.

- Euh... j'en ai aucun souvenir, désolé, s'excusa le Héros.

- Pour faire simple, c'est une arme magique qui utilise la vie de ses victimes pour la reconvertir en énergie : soit pour être utilisé lors de sorts d'attaques, soit, mais c'est de la pure spéculation, pour ramener quelqu'un à la vie. Plus le sang de la personne est pur, plus l'énergie obtenue sera grande.

Le Héros laissa échapper un petit rire.

- Sans déconner..., s'exclama le Héros en soupirant la nuque collée contre le dos de sa chaise, si je mets ça en lien avec ce que m'a dit la reine, et ce que je sais moi-même, il est pas très difficile de comprendre qu'ils tentent de ressusciter Marrynelia avec les pauvres vies des habitants de ce quartier auquel personne prête attention.

Alors pourquoi s'en prendre à la fée aptère si tout le royaume pense qu'elle est la réincarnation de la Grande Félonne ? Et pourquoi l'empêcher d'accéder au trône par l'intermédiaire de Beneltig ?

- Alors vous me croyez ? demanda Malalalivia.

- Oui, répondit Helmir, tu m'as dit certaines choses qui complètent certaines de mes suppositions.

- Bon. J'ai accepté de vous le dire, mais je ne veux en aucun cas qu'une personne de la haute société soit au courant. La reine à la limite, mais personne d'autre.

- Forcément, si je le dis à la reine, elle va en informer ses plus proches conseillers, lui rappela le Héros, il faut déjà trouver la taupe avant de lui en parler. Mais, finalement, qu'est-ce que tu attends de moi ? A la base, c'est moi que tu as convoqué ?

La princesse se tortilla les doigts, avant de sauter de son lit, de bomber le torse se pointant la poitrine du doigt et de déclamer :

- En tant que fée de la légende, je veux que toi le héros de la légende m'aide à arrêter ces gens qui s'en prennent à mes concitoyens !

Le Héros et son amie étaient bouche bée devant cette déclaration. L'humain se mordit l'intérieur de la lèvre inférieure, gêné face à ce qu'elle venait de leur dire. Plus le silence était long, plus le malaise devenait de plus en plus grand, faisant perdre en assurance la princesse-fée.

- Mais ne pourriez-vous pas vous exprimer pour supprimer ce blanc ? cracha-t-elle.

- C'est vrai que dans un certain sens, si elle gagne, elle deviendra la fée de la légende, se souvint Helmir.

- Être la compagnonne du héros serait un immense honneur pour moi, même si, en vrai j'aurais préféré être le héros..., soupira-t-elle en se grattant l'arrière de la tête.

- Pourquoi ? dit férocement le Héros.

Son expression venait de changer du tout au tout. L'aura menaçante qui se dégageait de lui remplissait toute la pièce, il jeta un regard noir à son interlocutrice qui ne comprit pas pourquoi une telle animosité envers elle.

Toutefois, elle ne se découragea pas et lui expliqua pourquoi.

- Je veux être le héros de la légende car il est le pourfendeur du Malin, le chasseur des injustices, le protecteur des faibles et que grâce à sa force, qu'il utilise à bon escient, il est à même de réparer les torts de ce monde...

Le Héros serrait le poing de colère, à s'en ouvrir la main avec ses ongles. Puis perdit son sang-froid et éclata de colère, sans pour autant crier.

- Quel ramassis de conneries fantaisistes...

- Hein ?

- Gamin, arrête-toi là, l'en conjura Helmir.

Le Héros ne l'écouta pas et continua son réquisitoire rempli de rancune et de mal-être.

- Faut avoir six ans et demi pour croire encore en cette foutue légende... T'as pas écouté ce que j'ai dit lors de la fête des champions et des princesses ou quoi ? Les héros sont des fraudes, rien de plus.

- Hé bien ,tu as tort ! lui rétorqua-t-elle violemment.

- Mais j'en suis un ! Rien n'oblige les héros à sauver les gens. Leur seul obligation est de terrasser le Némésis ou mourir sous ses coups pour laisser place à un nouveau héros ! Tu vas pas m'expliquer ce que je suis mieux que moi-même.

- Si ! Car ce que tu racontes c'est de la bouse de dracodinde.

- Hein ?

- Quoi ? Tu ne comprends pas quoi ? Que tu te fourvoies à en dire des immondices ?

- J'ai hâte de savoir pourquoi parce qu'actuellement j'en suis le seul représentant.

- Peut-être aujourd'hui, mais lorsque j'étais plus jeune, je possédais un livre qui allait bien plus dans mon sens que dans le tien !

Un livre ? Quel livre ?

- Dans ce livre, il était expliqué que la fée de la légende parcourant les terres de Faiyera Terra, en compagnie du héros de la légende, défendait les opprimés, les malheureux, les parias... Sauvant toutes les personnes qu'ils pouvaient des griffes du malheur et de la mort causés par le Némésis. Alors que j'étais plongée dans le plus grand des désespoirs, ayant perdu mon identité et le dernier membre de ma famille, étant sur le point de succomber aux désirs primitifs de certains hommes. Je relisais ce livre qui racontait les exploits et les déboires de ces deux individus extraordinaires. Ce livre m'apparaissait comme un rayon de soleil dans les noirs ténèbres de ma vie, et me sauva des mains du désespoir. Et j'y trouvais les mots qui m'aidèrent à reprendre le cours de ma vie et à sauver mon cousin de l'infamie de ces criminels : « Crois en toi car tu es la seule héroïne de ta vie, et n'oublie pas que s'il te reste des gens que tu aimes, ils te chérissent autant que tu les chéris. ». L'aura qui l'entourait démontrait qu'il était différent de tous les livres que j'ai pu lire. C'est de cette lecture que me vient la certitude que tu calomnies ton propre rôle. Certitude complétée avec les déclarations de la reine Audisélia. Ils ou elles sont les espoirs oubliés de ce monde qui mériterait plus de bien pour chacun de ses habitants. Toi et la fée de la légende avez la capacité de rendre le monde meilleur.

- Tu parles comme les fanatiques religieux... Encore la reine je veux bien, elle confond la légende avec son amie..., soupira le Héros.

- Tu te trompes. Je n'attends pas le secours d'un être surpuissant : je veux être cet être surpuissant ! Pour répandre le bien autour de moi. Que cela soit dans les Basfonds ou dans ce pitoyable monde. Mais pour l'instant, j'ai besoin de ton aide pour sauver mes concitoyens.

Elle lui tendit la main, quémandant humblement son soutien pour stopper ces rituels sacrificiels. On pouvait dire ce qu'on voulait de la princesse Malalalivia Talemilia Grave, mais sa force de conviction n'était pas factice. Elle possédait une véritable prestance de monarque, alors qu'ils étaient dans un bâtiment insalubre où on pouvait entendre quelques rats courir dans le plafond et sentir une odeur infâme provenant d'un quelconque cadavre d'animal coincé dans une ventilation, quelque part dans le bâtiment, vous emplir les narines. Malgré cela, elle arrivait à avoir la même aura glorieuse que lorsqu'il fit face à la reine avant leur combat.

- Je suis désolé mais je vais devoir refuser.

- Pourquoi ?

- Réfléchis un peu : je suis un humain et je m'immisce déjà dans le déroulement dans le tournoi de succession. On veut ma tête ! En plus, j'ai les faveurs de la reine à cause de mon affiliation avec son amie d'enfance et du fait qu'elle ait une adoration sans pareille pour cette exécrable légende. Si en plus, je me mets à m'en prendre à des grosses têtes du royaume, t'imagines bien les retombées que cela pourrait avoir sur ma protégée.

Après avoir exprimé son refus, il s'en alla de la pièce mais il fut rattrapé par Malalalivia qui le retint en lui attrapant le bras. Elle était désemparée.

- Mais tu es le héros de la légende, tu ne peux pas laisser faire de telles ignominies.

Il arracha son bras de l'étreinte de la princesse et déclara :

- Je te l'ai déjà dit : je suis le héros de ce monde, pas des habitants de ce monde.

- Alors... alors... pourquoi avoir décidé d'être le bras armé de la princesse-sans-nom ?

Il se mit à grogner, mais lui répondit calmement.

- Parce que j'ai pris pitié d'elle. Mais en l'occurrence parce que, comme moi, elle ne porte pas de nom. Un être voué à la disparition, désavoué par le monde... J'ai de la peine pour quelqu'un qui a eu le malheur de naître en étant pareil que moi.

- Que tu croies, pesta-t-elle, on est bien plus proches que tu l'es avec elle. Elle est l'une des principales souffre-douleurs de ce royaume à cause de son affiliation à l'Ensorcelante Félonne Marrynelia, et pourtant, elle se laisse marcher dessus en marchant main dans la main avec les dogmes de cette société de bouc-émissaire, qui est toujours à la recherche d'un coupable pour justifier tous les maux qui subsistent. À aucun moment, elle a exprimé vouloir apporter un quelconque changement à Sylvania pour améliorer sa condition de vie. Se réfugiant simplement dans le doux rêve que lui a implanté la reine dans le crâne !

- Peut-être ! Mais il reste que je suis son protecteur, clarifia le Héros, en conséquence, elle passe avant, et je ferai tout pour que ce rêve « fantaisiste » se réalise.

La princesse Malalalivia enragea à en serrer les poings, mais se calma en expirant, baissant les bras, abandonnant l'espoir d'essayer de le convaincre. Elle se tint le bras et détourna le regard de ses invités.

- Vous pouvez y aller, je ne vous retiens pas. Et merci pour la viande, je vous le dis en mon nom et au nom des enfants qui sont sûrement en train de s'en empiffrer.

- De rien.

Helmir et le Héros descendirent les marches, entendant encore les enfants festoyer de leurs nouvelles ripailles acquises. Atteignant la grande porte d'entrée, Malalalivia les arrêta en hurlant après eux, elle se jeta sur la rambarde, et déclara en criant à plein poumons :

- Je te le prouverai ! Je te prouverai que le héros de la légende peut sauver des vies qui sont à la portée de ses mains.

Le regard las, il porta ses yeux écarlates en direction de cette fille remplie d'espoir de changement ; elle était plus vivante que n'importe qui qu'il avait pu croiser sur les routes de la désolation qu'était le monde extérieur. Il voulut lui répondre comme il le faisait tout le temps par un « Si tu le dis... », mais cette fois-ci c'était trop dur. Ça allait à l'encontre de ses convictions, de son choix de vie. De son choix de mourir. La laisser dire ça, c'était accepter une réalité qu'il avait ardemment rejetée tout le long de sa vie de héros, amplifié par son passé.

- Non. Ça n'arrivera pas.

Avant de sortir de l'édifice, furibond.

Helmir salua la princesse-fée comme il est coutume de le faire lorsqu'on quitte la résidence d'un ou une noble, puis rejoignit son « petit-frère ».

Lelelitio sortit d'une pièce et indiqua à Malalalivia que son bain était prêt. Elle hocha la tête et se dirigea vers la salle de bain en ne s'arrêtant pas de fixer la grande porte, sans aucune raison, avant de réussir à s'en détacher et d'aller plonger dans l'eau chaude de cette baignoire rafistolée avec du ruban adhésif et de la colle provenant de sève de bois Daqi.

À l'extérieur, Helmir raccompagnait le Héros hors des Basfonds, non pas qu'il eut besoin d'une soi-disant sécurité, mais il s'agissait surtout de l'empêcher de décharger toute sa frustration sur des bâtiments ou des innocents.

- Gamin ?

- Oui ?

- Pourquoi tu ne veux pas les aider ?

- Je l'ai déjà dit : sauver les gens c'est pas mon rôle.

- Pourtant tu l'as déjà fait. De nombreuses fois.

- Et à chaque fois, j'ai échoué. Y a à peine quelques mois, des enfants morts se tenaient dans mes bras. Ça prouve bien ce que j'arrête pas de vous dire !

L'elfe de nuit le stoppa et le tourna vers elle, elle se baissa et le regarda droit dans les yeux.

- Voilà. Même si on ne se parle que depuis peu et à de rares occasions, je pense te connaître assez, avec ton air mélancolique qui transparaissait sur ton visage inexistant. Je n'ai pas oublié le jour où tu t'es engouffré dans ces sables toxiques pour sauver le père de cette fille et que tu t'es fait conspuer alors qu'après cet évènement, tu es tombé malade pendant des semaines, te tordant douleurs sans qu'on puisse t'aider et qu'il a fallu que ton corps évacue, de lui-même, les toxines qui s'y étaient infiltrés. Et pourtant, tu ne leur en as jamais voulu et tu as continué à aider les autres, même quand on a mis la mort de cet homme sur ton dos. Tu ne leur en veux pas pour leur manque de reconnaissance, mais pour ton incapacité à sauver les autres.

Il haussa les épaules en détournant le regard.

- C'est la vie, garçon. Tu ne peux pas te retenir d'aider les autres parce que tu es incapable de sauver tout le monde. Ça ne peut pas être ça la conclusion de ton rôle en ce monde.

- Et pourtant, je le crois bien, soupira-t-il, il n'y a rien qui a pu, qui peut ou qui pourra contrecarrer le Destin du héros. Autant ne pas se faire d'illusions, confia-t-il, je ferai ce que j'ai à faire, puis basta. Toi tu peux le faire, t'es soumise à aucun destin, lui dit-il en retirant ses mains de ses épaules.

- Peut-être je ne suis pas soumise au destin, mais je reste l'une des Dagues de l'Ombre de Sylvania, clarifia-t-elle, je ne peux pas agir à l'aveuglette en n'en informant pas ma hiérarchie.

- Tu vas le faire ? lui demanda le Héros, en la guettant du coin de l'œil.

- Pas pour l'instant. Je dois vérifier quelque chose avant.

Pendant ce temps, la princesse Malalalivia se frottait précautionneusement chaque partie de son corps, retirant la saleté qui s'était accumulée sur son corps, les impuretés qui avaient pu s'incruster dans les cheveux que Lelelitio s'évertuait à rendre présentables avec le peu d'affaire qu'elle avait pour elle.

Elle en profita d'être seule pour s'amuser un peu avec l'eau de son bain et ses mains, en mimant des bateaux flottant aux côtés d'un semblant de canard fait avec sa main, feignant des enfants s'amusant sur un toboggan avec ses doigts glissant le long de ses jambes élancées et musclées. Mais la vacuité de cette distraction éphémère se fit sentir, et la morosité envahit l'esprit de la princesse, elle se mit à contempler son reflet montrant sa mine abattue et son regard vide, son visage emprisonnée de ses cheveux qui l'entourait

Puis elle craqua, frappant l'eau de son bain, ne sachant pas où évacuer le stress accumulé par toutes ses responsabilités qu'elle n'arrivait pas à remplir, s'épuisant à petit feu jusqu'à la disparition de cette soudaine explosion de colère. Elle s'enfonça de plus en plus dans l'eau de sa baignoire, fixant le plafond craquelé de cette lugubre salle de bain, et en vint à la conclusion que, malgré toute sa force, il lui faudrait forcément de l'aide. Pas de l'aide de n'importe qui, mais de cet « Homme » précisément.

Mais comment faire pour qu'il accepte ?

Finalement, si elle ne réussissait pas à rallier le héros de la légende à sa cause, elle ne pourrait pas arrêter cette abominable machination... Allait-elle perdre une nouvelle fois les gens qu'elle aime à cause de son impuissance face aux élites de ce pays et le délaissement du plus grand des héros ?

Cette simple pensée augmenta sa frustration au point qu'elle s'en griffait les épaules de colère. Et elle se mit à regarder le mur en face d'elle, qu'elle avait martelé de coups le rendant semblable à du gruyère. Répétant inlassablement « Bats-toi ! Bats-toi ! Bats-toi pour eux ! ». Ressentant la douleur des stigmates qui longeaient ses poignets et celles qui se situaient le long de sa colonne vertébrale, ressentant la douleur fantôme de ses magnifiques ailes arrachées, il y a fort longtemps de cela...

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