Les Tristes Vies de Talemilia et Lelelitio Grave: visite royale

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Quatre mois plus tard, cela faisait deux semaines que la famine avait été stoppée et que les choses étaient redevenues « normales ». Par ailleurs, il y eut ce que les livres et parchemins d'histoire de Sylvania appelleraient « la Foudroyante Épuration Gouvernementale ». Les principaux dissidents du gouvernement de Sylvania qui entravaient la bonne gestion du royaume avait été évincés par la reine elle-même. Celle-ci avait réussi à redevenir elle-même et prendre conscience de l'importance de sa fonction de reine, autant pour le royaume que pour elle.

Cela avait pris du temps, mais... ils ont compris que c'était elle qui commandait.

Qu'elle soit folle ou non – dans les faits, c'était plus compliqué que cela.

Pendant ce temps dans les Basfonds, à peine revigoré, Lelelitio rendit une petite visite au docteur Niloran qui n'avait jamais vu son visage depuis qu'il était petit.

Armé d'une machette, il se posa dans son fauteuil, attendant son retour, ce qui ne se fit pas attendre. Voyant ce jeune homme qui lui était inconnu, le médecin sursauta et voulut déguerpir mais Lelelitio avait ensorcelé la porte puisqu'on puisse y entrer mais pas en sortir. Et étant donné la règle imposée par Niloran disant que s'il n'allait pas à la salle d'attente chercher ses patients aucun d'eux n'entrait, il était certain de ne pas être dérangé.

- Comment ça va, doc ? Ça fait une paye, n'est-ce pas ?

- Mais qui êtes-vous ?

- Je crois que vous aviez connu ma mère, non ?

- Je connais et croise beaucoup de gens dû à mon travail..., dit l'Elephantis d'un ton hésitant.

- C'est vrai. Mais peut-être que vous reconnaissez la bague qui est au bout de mon doigt ?

Niloran eut un haut le cœur en voyant ce bijou qu'il avait aperçu de nombreuses fois entre les doigts de Malalalivia. Il faisait face au fils de celle-ci et au vu de son regard, il n'était pas là pour taper la bavette.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

- Qu'est-ce que je vous veux ? Rien. À part vous faire payer.

- Mais je n'ai rien fait ! se défendit pitoyablement l'Elephantis avec une voix qui atteignait les aigus.

- En voyant cet objet, vous avez reconnu qui j'étais. Ne faites pas semblant alors que vous savez très bien le mal que vous avez fait à ma mère durant de longues années, très longues années. Au point qu'elle attente à sa vie pour nous sauver.

- Je lui ai juste dit...

- Tutut, l'arrêta Lelelitio, je suis déjà au courant de tout. Vous croyez vraiment que vos frasques étaient méconnues ? Donc je peux vous avertir que je ne viens pas simplement pour ma mère mais pour toutes celles que vous avez fait souffrir par vos lubies sinistres au lieu d'exercer votre honorable métier convenablement.

Lelelitio sortit de sa chaise et s'approcha du médecin, celui-ci tenta de le charger mais il fut arrêté par un inconnu sorti de l'ombre.

- Ah oui. J'ai dit que j'allais vous faire payer, mais pas personnellement. Je n'ai pas vraiment envie de me salir les mains, cependant, les gens qui nous entourent ont aussi une dent contre vous, qu'ils soient fils, pères, maris, sœurs et autres. Donc je vous laisse entre leurs mains, je suis sûr que vous apprécierez leur compagnie.

Il désactiva le sort qui avait rendu invisibles tous ses compagnons et se dirigea vers la fenêtre pour sortir du cabinet, faisant ses adieux à Niloran d'un simple clin d'œil mesquin.

Il atterrit en face de la porte d'entrée de son cabinet et vérifia qu'il avait bien indiqué que celui-ci était fermé aujourd'hui.

Si Lelelitio ne l'avait pas tué, c'est bien parce que Talemilia y avait mis son veto : « On doit le remettre à la justice », lui avait-elle dit. Bon, il ne l'avait pas remis aux autorités de Sylvania, mais il a fait que la « justice » s'occupe de lui, donc... ça allait !

Ayant accompli sa vengeance, il rentra chez lui où l'attendait Talemilia qui avait repris des couleurs. Elle avait peut-être plus son regard vidé de toute vie mais elle avait gardé son air morose – au moins, elle essayait de le cacher.

Bien que son dos eût enfin fini cicatriser, la perte de ses ailes ne lui était pas sortie de l'esprit. Surtout que par moment, elle ressentait une douleur fantôme comme si elles étaient encore là.

Elle arrêta ce qu'elle faisait pour discuter avec Lelelitio de sa petite sortie.

- Alors tu as pu faire ce que tu voulais faire ? demanda lentement Talemilia.

Ses facultés de parole en avaient pris un coup puisqu'elle était restée longtemps dans son mutisme, elle s'était d'abord mise à parler comme une malentendante avant de parler de façon plus « normale », mais les mots mettaient un peu de temps à sortir comme si elle était une vielle dame – ce à quoi elle ressemblait avec sa couette sur ses genoux, installée dans cette vieille chaise à bascule.

Elle adorait cette chaise depuis qu'elle était petite.

- On va dire ça comme ça.

Elle soupira longuement.

Elle savait très bien qu'il ne l'avait pas fait mais elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle n'allait pour l'instant pas le conformer à la droiture dont elle voulait faire preuve – surtout que c'était son seul compagnon donc, elle ne voudrait pas se brouiller avec la seule personne avec laquelle elle parlait.

Et alors qu'ils allaient commencer à diner, quelqu'un vint sonner à leur porte.

Lelelitio, soupçonneux depuis l'affaire de l'imprésario, partit à la porte. Il voulut voir à travers le judas pour voir de qui il s'agissait mais celui-ci était assombri. Il n'avait pas le choix, il allait devoir ouvrir pour qu'on les laisse tranquille. Il s'arma d'un tisonnier et ouvrit la porte, et en voyant de qui il s'agissait, il lâcha son arme et recula de plusieurs pas.

L'expression qu'affichait Lelelitio était peu commune pour Talemilia. Bien que plus faible qu'elle dans ses meilleurs jours, il n'était pas du genre à être impressionné par quiconque. Toutefois, au vu de son regard, c'était quelque chose que même lui n'aurait pas pu prévoir et qui avait l'air de lui être bien supérieur.

Deux gardes royaux entrèrent dans la maison puis une voix se fit entendre :

- Pouvons-nous entrer ?

- Euh... euh..., bien sûr, balbutia Lelelitio.

- Merci.

Une lueur iridescente illumina l'entée, puis une inconnue se présenta à Lelelitio et Talemilia. La princesse-fée semblait la reconnaître, mais son esprit avait du mal à la resituer. On aurait dit qu'elle l'avait déjà vu quelque part, mais pas personnellement.

- Vous êtes en plein repas ? Désolée de vous déranger alors, dit la personne.

- Ce n'est rien. Si vous voulez, vous pouvez vous joindre à nous, leur proposa Talemilia.

- Vous m'en voyez ravi mais je ne compte pas rester longtemps.

- Mais dites-moi, demanda Talemilia, qui êtes-vous ? J'imagine quelqu'un d'important, mais qui ?

- Tu ne la reconnais pas ? s'étonna Lelelitio.

- Bah non.

- C'est vrai que pour vous les gens du Basfonds, vous avez peu de chance de la voir que ça soit en affiche qu'en vrai, dit une voix derrière cette inconnue, mais si tu me vois, est-ce que tu me reconnaîtras ?

Un homme en armure s'avança en direction de la demoiselle et enleva son heaume.

- Mais c'est vous ! le reconnut Talemilia, Sawyer, ça fait longtemps !

- N'est-ce pas ? Je suis ravi de vous voir en meilleur forme que lors de mon départ il y a deux ans et demi de cela.

- Installez-vous donc, lui proposa Talemilia.

- Ça aurait été avec grand plaisir, mais comme a dit la reine, nous n'avons pas beaucoup de temps.

- « La reine » ? répéta la fée.

- En vérité et si nous mangions en même temps que nous avons cette discussion ? proposa la reine.

La fée sans ailes se retourna en direction de cette grande dame qui lui faisait face depuis l'autre côté de la table et son visage lui revint en un flash : c'était la reine Audisélia Vanguard deuxième du nom.

- Majesté ! s'écria-t-elle.

Talemilia fut surprise de voir la magnifique grande femme qui se présentait à elle.

Celle qui était surnommée la « Reine Démente » ou encore « l'Arme de Destruction Massive de Sylvania » avait fait imaginer à Talemilia un monstre de compétition dont la puissance transpirerait par tous les pores de sa peau mais finalement, elle ne lui paraissait pas aussi hostile que ce que disait la rumeur.

Sa beauté la subjuguait totalement : ses cheveux pastel cristallins et ses magnifiques yeux bleus étaient tout simplement enchanteur et qui s'accordaient si bien avec sa robe bleu ciel et ses ailes d'une somptuosité si rare, et malgré la fatigue évident qu'on percevait sur son visage, sa joliesse n'en restait pas moins unique.

Alors c'est ça les fées royales ? se dit Talemilia, hypnotisée par la beauté de la régente du royaume de Sylvania.

Pendant ce temps, Lelelitio servit une assiette du repas qu'il avait préparé à tout le monde. Les gardes langèrent debout alors que la reine mangeait face à la princesse.

- Vous devriez vous prosterner maintenant que vous savez qui elle est, indiqua l'un des gardes royaux plus grassouillet que l'autre et à la peau verdâtre en ayant la bouche pleine.

- Et toi tu devrais savoir te tenir, l'engueula Sawyer.

- Ce n'est rien Globox. D'après ce qu'on m'a dit, elle était incapable, il n'y a pas si de cela de marcher sans aide, donc je ne vais pas la forcer à faire la révérence. Néanmoins, avant toute chose : bonjour, mademoiselle Talemilia, ou plutôt devrais-je dire, princesse Avelilinélia. Je suis ravie d'enfin vous rencontrer en chair et en os, mais surtout saine et sauve.

- Moi de même. Le voyage a été rude ? demanda la fée toute innocente.

- Voyage ? s'étonna la reine, aller du château à ici, ce n'est rien. Encore moins pour moi. Il ne faut pas me prendre pour l'un de ces demeurés de nobles.

- Qu'est-ce qui vous amène ici ? demanda Lelelitio le regard méfiant, on dit que vous êtes complètement folle donc ça ne m'étonne pas de vous voir ici mais je...

Globox et l'autre garde pointèrent leurs armes sur le jeune elfe, le faisant s'agenouiller.

- Parle mieux à ta reine.

- Laisse, dit Sawyer, nous avons une dette envers eux, et je sais qu'il ne m'a pas pardonné la barbarie qu'a subi sa sœur adoptive.

À son ordre, ils relâchèrent leur pression et se tinrent au garde-à-vous. Lelelitio put se relever et continuer ce qu'il disait.

- Qu'est-ce que vous nous voulez ?

- Faire de Avelilinélia une princesse légitime de Sylvania, répondit la reine.

- Quoi ? s'écrièrent-ils tous hormis Sawyer.

- Mais pourquoi ? demandèrent Lelelitio et Avelilinélia.

- Vous êtes de la lignée royale donc vous avez le droit de prétendre au trône comme toutes les autres princesses. Surtout que celui-ci sera mis en jeu dans quelques années.

- Vous allez abdiquer ? demanda Avelilinélia.

- Contre mon gré, oui. C'est pour ça que je pense que vous devez faire partie des prétendantes au trône. D'ailleurs, où est votre servante ? C'est elle qui s'occupe de vous, n'est-ce pas ?

Avelilinélia détourna le regard. C'est Lelelitio qui prit la parole sans aucune once de gêne.

- Elle est morte.

- Hein ? cria la reine, quand ça ?

- Il y a quatre mois.

- Qui a bien pu l'a tué, enfin ?

- Personne. Enfin peut-être je devrais dire vous puisque sans cette famine à cause de vos guéguerres au sommet, elle ne serait pas sacrifiée pour que nous puissions nous nourrir pendant la disette qui faisait rage ici-bas.

La reine secoua la tête en se mordant la lèvre, elle posa sa main sur son visage et serra les dents.

- Quel malheur.

- Vous pouvez le dire. À cause de votre dispute avec les officiels du royaume, tous les Basfonds se sont retrouvés à commettre les pires horreurs dans ce qui devrait être la terre promise des Féériques, au lieu de ça...

- Calme-toi, intervint Avelilinélia, ce n'est pas sa faute.

- Alors de qui ? Tu ne pourras te cacher derrière de beaux principes tout le temps, Avelilinélia. Ce livre te pourrit l'esprit.

- Leli !

Audisélia arrêta de manger et posa son assiette sur la table.

- Il a raison, dit la reine, cela est entièrement ma faute et de ma puérilité. Si j'avais été plus forte et moins égoïste, rien de tout cela ne serait arrivé. C'est pourquoi je viens réparer mes erreurs. Sawyer, Globox, Erazim, arrêtez de manger et déplacez-moi cette table, ordonna-t-elle.

Les trois gardes s'exécutèrent, la soulevèrent et la déplacèrent sur le côté, ils demandaient tous où elle voulait en venir.

La reine Audisélia s'avança en direction de la princesse Avelilinélia, son regard était devenu plus dur, plus ferme, la prestance qu'elle dégageait à la disparition de son sourire était vraiment menaçante.

Et en un geste, elle fit trembler toute l'assemblée sauf Sawyer qui était au courant de ce qu'elle comptait faire. Instinctivement, Lelelitio accourut brièvement en direction de la reine puis s'arrêta complètement net face à cette scène improbable qui le laissa sans voix.

Pourquoi ? Pourquoi faisait-elle cela ? Pourquoi la reine de Sylvania s'agenouillait devant Avelilinélia ? se dit l'elfe.

Tête basse, les mains jointes, ses index touchant le sol, ses ailes basses et un genou à terre : voilà les excuses les plus dignes que pouvait offrir la reine de Sylvania à cette jeune fille ! Elle qui avait délaissé les habitants de Sylvania par pur égoïsme et immaturité.

Bien sûr elle ne pouvait pas faire cela face à tout le royaume devenant la risée de ses habitants – selon les conseillers de la reine – mais malgré leurs réprobations celle-ci ne pouvait pas ne pas le faire devant l'une de ses congénères alors qu'elles sont de la même famille et du même sang.

- Mille excuses, princesse Avelilinélia Grave. J'aurais dû commencer par-là !

- Qu'est-ce que vous faites ? s'agita Avelilinélia, vous n'avez pas à faire cela.

- Que vous croyiez ! refusa la reine Audisélia, je ne peux rester insensible à la perte de vos ailes causée par des guerres intestines au sein de notre royaume. Alors, au nom de tout le royaume de Sylvania... non de toute la royauté de Sylvania dont je me porte garante, et au nom de ma propre personne, je vous demande pardon et j'espère que vous pourrez vous rétablir le plus vite possible pour pouvoir avoir la chance de pouvoir me remplacer à la tête du royaume. Si votre courroux est tel que vous voulez prendre ma vie en guise de cage de pardon, je vous l'offre. J'ai commis de bien nombreuses fautes et sur de nombreux points je suis totalement impardonnable, en conséquence je suis prête à vous laisser ma vie en guise de présent. Mais je vous prie de considérer la possibilité d'être une prétendante au trône.

Avelilinélia était confrontée à toute la modestie dont pouvait faire preuve la reine Audisélia. Elle ne savait pas comment réagir face à cela. Que répondre face à la personne la plus puissante du royaume de la Forêt des Fées alors qu'elle courbe l'échine face à vous ?

La réponse qu'elle voulait lui donner ne lui serait sûrement pas satisfaisante mais elle était bien la seule qu'elle avait en tête.

- Ma reine, relevez-vous donc. Vous n'avez pas à vous abaisser ainsi face à une descendante de traître comme moi. Je ne suis pas digne de telles considérations. Lelelitio apporte lui une chaise.

La façon de parler d'Avelilinélia surprit l'elfe, elle agissait avec une telle dignité, bien qu'elle affichât un sourire de façade, on ressentait toute sa sincérité dans ses mots. Et comme elle avait exigé de lui, il amena une chaise pour la reine. La princesse invita la régente à s'assoir face à elle et celle-ci obéit.

- Vous voir perdre la vie ne m'intéresse pas. Je ne vous en veux aucunement, reprit Avelilinélia, je suis conscient que de vives tensions ont été créés au sein du royaume, surtout avec ce projet d'hôpital technologique, de ce fait ne vous inquiétez pas pour cela.

- Je vous remercie, humblement, d'avoir accepté mes excuses.

- Mais même si vous voulez que je sois une princesse-fée...

- Vous l'êtes déjà. Lorsqu'on nait princesse-fée, on le reste à vie, peu importe notre handicap.

- Je vous remercie pour votre sollicitude mais, cela ne change rien au fait que je ne me voie pas capable d'agir pour le royaume dans mon état. Les gens s'amusent à dire que je suis plus forte que Lelelitio, pour une vieille histoire de bras-de-fer qui date d'il y a plus de trois ans, alors que c'est lui qui prend soin de moi tous les jours. Je ne me vois mal vouloir prétendre être capable de diriger un tel royaume dans mon état actuel.

- Si c'est le fait que vos ailes aient été arrachées, ce n'est pas un problème, la rassura Audisélia, il y a bien une fée au sein du Sanctuaire qui est dépourvue d'ailes depuis sa naissance et qui est pourtant une princesse.

- Ah bon ? Cela me ravit beaucoup, se réjouit sincèrement la fée, néanmoins, ça ne change pas que je ne me vois vraiment pas être à la tête de ce royaume. Regardez ! Vous, vous êtes si forte, si imposante, à chaque campagne à l'extérieur à laquelle vous participez, vous faites des ravages dans les unités adverses, vous avez mis en place cet hôpital... moi, je n'ai plus la force de rien faire. Je reste assis sur cette chaise toute la journée à lire le même livre chaque jour rêvant d'avoir les mêmes capacités que le héros et la fée de la légende et être aussi admirable qu'eux.

La reine haussa un sourcil et fixa le livre à côté de Avelilinélia avant de revenir sur elle.

- Mais non, je suis juste moi qui a perdu la moitié de ma puissance magique depuis le jour où on m'a arraché les ailes, se lamanta-t-elle, donc, ça me fait très plaisir que vous me sollicitiez, néanmoins, je ne crois pas que vous devriez vous attarder sur une minable personne comme moi. J'ai perdu ma mère et j'ai fait perdre sa mère à Lelelitio... Je suis désolée.

- Non, c'est faux ! s'interposa Lelelitio.

Avelilinélia sursauta. Elle était tellement concentrée sur ce qu'elle disait que la réaction de Lelelitio la surprit.

- C'est faux ! Je sais que j'ai été cruel avec toi à de nombreuses reprises, je sais à quel point tu as dû souffrir par mes actions, mais par le fait que tu aies sacrifiée ta main pour m'empêcher de me tuer alors que tu étais dans un état de léthargie sans précédent prouve que tu es capable de beaucoup de chose. Je ne tiens pas être un poids sur ta conscience, si tu veux être la future reine de Sylvania, alors je serai ton serviteur comme le veut la tradition.

- Mais tu avais dit que...

- Ce n'est rien, je m'en fiche !

Avelilinélia réfléchit en faisant tapoter le bout de ses doigts entre eux.

Redevenir officiellement une fée ? Pourquoi faire ? Elle n'y voyait vraiment aucun intérêt, sa vie lui paraissait beaucoup plus simple maintenant, si elle redevenait vraiment une princesse-fée à quoi serait-elle confrontée ? Quel malheur répandrait-elle autour d'elle une fois sur la route de la royauté ?

- Qui accepterait une reine provenant des Basfonds ? douta encore Avelilinélia, on ne nous regarde déjà pas alors qui m'écouterait ?

- Vous n'êtes pas la première et sûrement pas la dernière princesse à provenir de cet endroit, dit la reine, je sais que ce n'est pas un bon exemple mais l'ancienne reine Marrynelia et, accessoirement, moi provenons des Basfonds.

- Ah bon ?

- Hé oui. Mais nos cas sont un peu spéciaux. Ça vous rassure ?

- Un peu. Mais... je ne sais pas... voudriez-vous pas me laisser y réfléchir quelques temps ?

- Bien sûr, accepta la reine Audisélia, même si vous engager ne signifie pas que vous gagnerez le tournoi des princesses prétendantes au trône de Sylviana, je peux vous garantir qu'avec votre position de princesse vous pourrez changer les choses.

- Changer les choses ?

- Vous admirez le héros et la fée de la légende ?

- On peut dire ça, répondit timidement Avelilinélia en se grattant l'arrière de la tête, je trouve leur combat remarquable face aux forces du mal qui ont envahies notre monde. En plus, si j'en crois le récit, les héros peuvent être issus de n'importe quelle race, n'importe quelle strate de la société, ils peuvent être Féérique comme humain, le plus important c'est qu'ils aient une âme voulant protéger autrui... si j'ai bien compris. Et je trouve cela vraiment formidable ! Mais dites-moi, comment êtes-vous au courant qu'il y a une fée de la légende ?

À cette époque, personne n'était au courant de cette information, que ça soit à l'intérieur ou à l'extérieur de ces murs.

Avelilinélia n'avait aucunement l'intention de piéger la reine-fée Audisélia, elle était tout simplement curieuse de savoir où elle avait pu acquérir une telle information.

- Ça n'est un secret pour personne dans Haute-Ville et le Sanctuaire et étant donné comment aime en parler le Juge Triface, vous le saurez bien assez tôt, mais j'ai une amie qui semble être le héros de la légende de cette période.

- Hein ? s'écrièrent Lelelitio et Avelilinélia, ce n'est pas possible !

- Hé si, mais bon, c'est une longue histoire et comme je vous l'ai dit, ce détour n'est pas prévu dans mon agenda, or je n'ai pas beaucoup de temps devant moi, donc je vais aller à l'essentiel : elle m'a raconté un peu le fonctionnement et l'histoire des deux.

- C'est formidable que vous ayez une liaison avec le héros de la légende.

Sawyer et Globox pouffèrent de rire et la reine lui lança un petit éclair qui brisa leurs assiettes pour les calmer.

- Roh ! On n'a rien fait, protesta Globox.

- Ton langage, le reprit Sawyer, de toute façon, elle est toujours tatillonne à ce sujet, chuchota-t-il en riant.

- Taisez-vous ! rouspéta la reine, vous savez très bien ce qu'elle voulait dire par « liaison ». Et nettoyez-moi cela, ce n'est pas chez Globox ici.

- OH !

Ensuite, elle se retourna en direction d'Avelilinélia.

- En définitive, poursuivit la reine, moi aussi je me pose la question sur comment vous êtes au courant, même lors de mes recherches, je n'ai trouvé que des bribes parlant de cela. C'est ce livre de conte qui vous l'a appris ?

- Oui, c'est ma mère qui l'a rédigé de sa main, qui me le lisait chaque soir et qui le complétait de jour en jour.

C'est Dame Talemilia qui a rédigé ce livre ? s'étonna Lelelitio, pourtant je l'ai lu des milliers de fois et je ne l'ai jamais remarqué.

- Alors c'est ta mère qui devait être au courant. Je pense que ça ne m'avancera à rien, mais puis-je vous l'emprunter ?

- Oui. Bien su...

- Attendez ! intervint l'elfe, est-ce que vous pouvez attendre avant de l'emporter avec vous ?

- Pourquoi ?

- Je voudrais vérifier quelque chose, expliqua Lelelitio, de toute façon vous allez repasser pour avoir la réponse d'Avelilinélia, n'est-ce pas ?

- Oui...

- Alors à ce moment-là, je vous remettrai le livre en main propre et en bonne et due forme, vous avez ma parole, jura Lelelitio.

Avelilinélia fut la première surprise par l'intérêt que portait son cousin sur ce livre qui le débectait tant. La reine accepta, après tout, qu'auraient-ils à cacher ? À moins qu'il soit allié au Némésis ou l'un de ses sbires, ce qui serait plutôt étrange : il serait parti à la poursuite d'Elena depuis longtemps.

La reine Audisélia dit à Avelilinélia qu'elle repasserait dans un mois pour avoir son avis sur son retour parmi les « siens », en attendant elle pourrait se faire soigner bien mieux à l'hôpital si elle le désirait.

- Pouvez-vous même l'emmener aujourd'hui ? demanda Lelelitio.

- Bien évidemment, dit la reine, si ça ne gêne pas mes gardes.

Aucun ne réprouva la parole de la reine.

- Tu es sûr que je peux te laisser tout seul ? demanda Avelilinélia.

- C'est à moi de m'inquiéter pour toi, lui répondit l'elfe.

- C'est vrai. En tout cas, ne fais pas trop de bêtises en mon absence..., mon cher servant.

Lelelitio rougit en entendant ces mots. Pourquoi avait-il fait une telle déclaration enflammée ? Maintenant, il en avait honte.

En voyant la réaction de son cousin, Avelilinélia eut un petit sourire suivi d'un petit toussotement.

Même si elle n'était pas complétement remise, cela mettait du baume au cœur de l'elfe de la voir retrouver ses émotions.

La reine lui promit de prendre soin d'elle, qu'il n'avait pas à s'inquiéter et que bientôt il recevrait la visite de quelques charpentiers pour arranger leur maison – puisqu'elle imagine bien qu'aucun des deux ne voulait partir de cette baraque en bois branlante et remplie de moisissure, à cause de toute l'histoire qu'ils avaient vécu en son sein.

Il observa alors la calèche royale emmener sa protégée loin de la maison où elle avait toujours vécu, elle allait pouvoir découvrir les autres coins du royaume qui étaient bien mieux que ce trou à rat. Il lui fit un dernier coucou avant de s'engouffrer dans la maison et se mettre à lire ce fameux livre sur le la légende du héros et de la fée.

Ce livre qu'il avait maintes et maintes fois relu pour le bonheur de la princesse qui vivait sous son toit, il ne s'était jamais penché vraiment dessus, le lisant sans le comprendre et sans même en assimiler le contenu. Il feuilleta la première page et y découvrit que la narration se faisait à la première personne et au fil de sa lecture, il comprit une chose : le livre était complètement incohérent avec son propre propos. Il y avait effectivement des informations sur la fée de la légende mais comment les prendre au sérieux avec autant de confusions dans le récit, surtout qu'il tenait plus lieu d'un journal intime que d'un véritable conte.

Connaissant la réputation de l'incroyable intelligence de la princesse Talemilia mère, Lelelitio était assurément certain qu'elle ne pouvait pas faire de telles fautes dans son écriture si c'est bien elle qui avait rédigé ce livre – il ne jugerait pas Avelilinélia car il savait à quel point, depuis toute jeune, elle était attachée à ce livre, il est normal qu'elle n'ait jamais rien remarqué.

Si la princesse Talemilia mère n'avait pas usurpé sa réputation alors il y avait bien quelque chose de pas nette avec ce bouquin. Pour en avoir le cœur net, il partit dans la salle de bain récupérer une fiole de poussière de fées et puis il se rendit dans la chambre de sa mère.

Au bas de la porte, il s'arrêta instinctivement.

Il avait agi par pur automatisme, c'est en face du lieu où il devait se rendre qu'il prit conscience qu'il allait entrer dans la chambre de sa mère où il n'avait pas mis les pieds depuis sa mort. Elle était restée comme Malalalivia l'avait laissé avant son départ. Il n'avait rien touché lui semblait-il.

Juste le fait de tendre la main en direction de la poignée de la porte le rendit nerveux, tout son bras tremblait... il eut même un pas de recul. Mais sachant le devoir qu'il allait devoir fournir envers Avelilinélia si elle décidait de reprendre officiellement son titre de princesse pour concourir au rang de reine de Sylvania, il ne pouvait pas s'arrêter à une simple misérable porte chancelante au bois pourri.

Se ressaisissant, il attrapa la poignée et entra de force dans la chambre de sa défunte mère. Et à sa grande surprise – pas vraiment –, il découvrit qu'elle avait été rangée avec le plus grand des soins avant son départ.

Même à la toute fin tu ne pouvais pas t'en empêcher, hein ?

Il avait dans sa main gauche, sur son annulaire, la bague qu'avait offert son père à sa mère, il la portait tous les jours depuis qu'il l'avait retrouvée dans son repas. Il n'avait jamais pu s'en séparer alors qu'elle semblait peser sur sa main, rendant plus lourde cette main que l'autre – cela était sûrement un effet psychologique. Mais il était peut-être temps qu'il la rende à qui de droit.

Il retira la bague de sa main et la déposa en face du cadre photo où il y avait une photo de sa mère, de son père et de lui-même plus jeune. Juste en voyant ce fragment de son passé, il eut une remontée de souvenir nostalgique d'un bonheur si lointain. Néanmoins, pas le temps de s'attarder sur le passé, il devait avancer.

Il fouilla la chambre à la recherche d'un livre que possédait sa mère parlant des méthodes de désenchantements et dépossessions, et il finit par la trouver sous le lit. Il allait s'en aller mais vit deux autres cadres photos enroulés dans des feuilles de rose des montagnes cendrées, il ouvrit l'emballage et y vit une photo de lui, avec Avelilinélia et sa mère.

- Donc elle n'avait pas menti... T'avais pas besoin d'aller jusque-là. Je le sais déjà qu'elle fait partie de notre famille cette petite fée.

On pouvait observer sur la photo le visage grognon de Lelelitio qui étreignait à contrecœur celle qui avait fini par être sa petite sœur adoptive, et tous les deux étaient étreints par Malalalivia qui affichait un grand sourire. Et il y avait une autre photo de lui avec Malalalivia et Talemilia, debout, derrière leurs enfants souriants.

Il emporta avec lui les photos et le livre, ferma délicatement la porte et repartit s'asseoir dans le salon. Il fouilla le livre contant les désenchantements et il en trouva un qui fonctionnait de pair avec sa magie des illusions. Si la mère d'Aveliline avait usé d'un même sort pour ce livre pour cacher la vérité à quiconque ce livre n'était pas destiné, alors il pourrait aisément le défaire, et pas besoin d'incantation, il avait juste à user de son sang pour faire un glyphe sur le dos du livre. Ce qu'il fit, et comme attendu le livre brilla d'une aura rosée avant que celle-ci ne disparaisse.

Il ne lui semblait pas avoir changé, en tout cas, sa couverture non.

Alors il l'ouvrit et se remit à relire ce livre de conte, et comme par miracle, tout lui semblait plus clair. Il avait donc raison : ce livre était le journal intime de la princesse Talemilia mère, ou plutôt, le testament de sa vie. Et le plus fantastique dans cela, c'est qu'à force de feuilleter, non seulement il y découvrit le second prénom de celle-ci qui était « Josekeli », que ses amis proches surnommés, affectueusement, « Jo », qu'elle eût fait partie d'une coterie, qu'elle avait voyagé hors de ses murs alors qu'elle était une descendante directe de la famille du quatrième Roi-Combattant donc interdite de circuler en dehors des murs sans être surveillée, mais surtout, le plus surprenant et qui a fait bondir de sa chaise Lelelitio c'est que Dame Talemilia Josekeli avait connu deux héros de la légende : un thérianthrope mâle type loup arrogant, addict à l'argent, trouillard envers tout ce qui concerne les femmes et fainéant à faire son devoir de héros de la légende, et une femme humaine résidant de l'autre côté de l'Océan Atlantique qui avait pour rêve de fonder une grande famille et de découvrir le fameux Mont Gourmandise.

Pourtant, le plus surprenant dans sa découverte, ce n'était pas que Talemilia Josekeli Grave ait connu deux héros de la légende mais c'est le fait que ce livre venait de lui apprendre qu'elle a été une fée de la légende.

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