Que peut bien faire Malalalivia ?

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Durant le temps que le Héros se battait dans l’arène, qu’il se baladait avec la fée, se nourrissait de savoir dans les différentes bibliothèques de la ville, était chouchouté par la reine qui devenait de plus en plus une maman poule avec lui… Pendant ce temps que la Fée se préparait à la possibilité qu’elle aille en final du tournoi de succession, apprenne ses textes par cœur, s’exerce avec sa mère à faire des pâtisseries humaines et essaie de mettre les pâtisseries féériques de son royaume au goût du Héros – le gars a mangé du griffon, c’est absolument pas un manque de sucre et de végétaux qui vont l’arrêter –, jouait aux jeux vidéo, prenait des nouvelles de son frère et que, sans qu’elle s’en aperçoive, un jeu de séduction s’était mis en place entre elle et Lucello… La belle et forte Malalalivia, de son troisième prénom, avait vécu de nombreuses choses en dehors des visites quotidiennes du Héros.

Devenue assez puissante pour se faire respecter dans son quartier, elle n’y faisait pas régner la terreur, bien que beaucoup la craignaient et ne pouvaient s’empêcher de s’enfuir lorsqu’elle leur lançait des regards menaçants, mais elle était plutôt du genre, comme avant qu’elle se fasse arracher ses ailes, à aider les autres, défendre la veuve et l’orphelin et à amuser et éduquer les enfants qui n’avaient pas beaucoup d’activités dans ce recoin du royaume. Bien que la reine ait mis en place des écoles qui étaient gratuites pour tous, aucun professeur n’avait daigné venir dans les Basfonds, ils étaient plus frileux que les médecins, véreux ou non, donc elle s’était mise à étudier fortement toutes matières essentielles pour toutes les personnes voulant recevoir une éducation – elle avait même cousu elle-même, mais aussi avec un peu l’aide des enfants de l’orphelinat, un habit de maîtresse. Elle était admirée des filles et faisait chavirer le cœur des garçons qui ne distinguaient pas en elle l’atroce handicapée sans ailes que le regard des adultes n’avait de cesse de lui rappeler. Elle les aimait du fond de son cœur et ils leur rendaient bien. Si certains avaient besoin d’aide durant leurs devoirs, elle restait avec eux dans la salle de classe à les aider sur les choses qui ne qui ne comprenaient pas encore – car à la fin de ses explications, « ils avaient tout pigé » ! Les classes pouvaient abriter jusqu’à cent enfants comme si elles étaient dans un amphithéâtre de faculté magique de Gaveria, et elles étaient obligées de faire des roulements pour que tous les enfants aient la même éducation. À la fin de la journée, elle leur offrait des poupées et des statues de glaise et de pierre qui se coloraient toutes seules grâce à sa magie. Sinon, elle participait à la cantine populaire des Basfonds pour les personnes n’ayant pas assez de couronnes de fées pour se payer de la nourriture, nourriture qu’elle obtenait grâce à son statut de princesse – mais n’ayant pas d’ailes, elle devait envoyer Lelelitio faire la demande à sa place. C’était tout le temps un moment de convivialité ! Néanmoins, il n’était pas rare que des ingrats l’insultent et la méprisent justement sur son appartenance princière ou sur son handicap. Elle les subissait sans un mot et avec le sourire, déterminée à accomplir le devoir qu’elle s’est donnée. C’était pour cela que c’était Cassandre qui la défendait, une mulière, une race de rongeur sur deux pattes capable de dialoguer avec les autres et de parler l’Oli’Ane, elle avait le pelage grisonnant, des moustaches tordues et une dent cassée mais elle était une personne très aimable et très gentille sauf contre les intolérants à la différence et là, elle agissait avec violence et voulait les réprimander pour leurs méchantes paroles à coup de bâtons. Pour éviter toutes esclandres, Malalalivia préférait faire comme à son habitude : les provoquer avec un bras de fer, jeu auquel elle était imbattable. Pas simplement parce qu’elle était plus forte que les gens de ce quartier et grâce à ses entraînements intensifs qui étaient d’une difficulté sans nom, mais aussi parce qu’elle utilisait un « tour de passe-passe » dont seuls la reine Audisélia, le saint chevalier Sawyer et son protecteur et servant Lelelitio étaient au courant. Humiliés, les arrogants et moqueurs ne purent que subir les railleries de la jeune femme. Elle n’était pas de nature vantarde mais elle pensait que les provoquer de cette manière permettait de les remettre à leur place, et elle pouvait opérer son office bénévole.

Et puisque nous avons effleuré le thème de ces fameux entraînements, parlons-en pleinement. À la fin de la soirée, lorsque le temps se rafraîchissait complètement et que personne n’avait besoin d’elle, qu’elle avait fini d’étudier et de nourrir les enfants qu’elle avait recueillis, ou au moins avoir pris le souper avec eux, elle s’en allait dehors, elle se mettait en tenue, une sorte de débardeur noir qu’elle enfilait avec un survêtement de la même couleur et des chaussures humaines adaptées pour le sport que lui avait offertes la reine lorsqu’elle les avait entrainés, Lelelitio et elle. Elle partait dans un terrain vague où se trouvait le nid des pires créatures des Basfonds et partait se confronter à eux, cela pouvait aller du nid d’insectes, à de sacrés gros rongeurs voire des criminels qui avaient réussi à s’échapper des Limbes. Elle les combattait avec non seulement sa magie, mais comptait aussi sur son « tour de passe-passe » et son aptitude nouvellement acquise grâce à l’arme qu’elle s’était achetée bien avant la mise en place du tournoi. Les conseils de Sawyer lui étaient encore aujourd’hui utiles deux ans après la dispute entre la reine et Lelelitio et elle. À la fin de ses combats et après avoir repoussé les assauts de ces parasites et fuyards qui essayaient de dormir mais se devaient de combattre s’ils ne voulaient pas que Malalalivia les dénonce aux autorités, elle s’étirait pour détendre ses muscles, s’appliqua une crème sur le dos pour atténuer la douleur de son amputation et procéda à la mise en place d’un programme sportif pour renforcer ses muscles, améliorer sa rapidité et son agilité, progresser dans le maniement de son arme et apprendre à mieux utiliser son bouclier avec. Elle améliorait aussi ses capacités magiques en testant de nouvelles choses, des nouvelles méthodes et pratiques qu’elle avait vues durant ses lectures.

Et comme à chaque fois, elle se retrouvait exténuée, pleine de sueur, les muscles tendus et le crâne qui résonnait. Elle n’avait pas la chance d’avoir l’endurance infinie de la reine, ni ses facilités avec la magie et cette frénésie qu’elle possédait lorsqu’elle combattait si vaillamment et si férocement peu importe l’adversaire. Malalalivia était jalouse de cette femme aux grands pouvoirs et à la puissance démesurée, au charisme indéniable sur les champs de bataille et face aux généraux bien qu’on dît qu’elle était folle. Mais si elle était une imposteur, pourquoi la proclamait-on « Héraut de la Déesse de Foudre » ? Certains disaient même qu’elle en était sa représentation physique. Néanmoins, malgré tous ces éloges, la reine n’avait eu de cesse de minimiser ses capacités au profit des autres, de dire qu’elle ne serait rien sans Sawyer alors que, bien qu’il soit sans conteste l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, soldats de Sylvania, la reine n’avait aucune, mais aucune concurrence dans tout le royaume, voire dans l’ancien monde des Hommes. Pire encore, et cela était l’une des raisons du froid qui s’était installée entre la reine et elle, la reine Audisélia avait dit de Malalalivia qu’elle était un génie !

Un génie… Quelle fumisterie…

Comment pouvait-on être qualifier de génie juste à cause d’une capacité à peine notable et qu’on est au-dessus des autres princesse-fées qui n’en foutent pas une de leur temps libre ? Elles ne comptaient que sur les futurs ministres qu’elles comptaient recruter ou leurs champions pour pouvoir diriger le pays « à leur place ». Elle, elle n’avait pas ce luxe, elle n’avait que cravacher pendant des heures, des jours, des mois, des années, pour arriver à ce niveau. Et cela grâce à la reine qui les avait aidés tout au long de leur parcours.

Un véritable génie n’aurait pas besoin d’aide comme elle avait pu en recevoir, il aurait déjà acquis ce qu’elle avait obtenir à force de travail et d’études.

Et quand Malalalivia l’avait reproché à la reine et avait dit, qu’elle mériterait beaucoup plus ce titre, celle-ci lui avait tout simplement rétorqué qu’elle ne méritait pas d’être qualifié de génie, elle aussi car elle était tout simplement différente.

Qu’est-ce que cela voulait dire ? Être « différente » ? Les génies ne sont-ils pas différents du commun des mortels ?

S’énervant toute seule en repensant à ce moment, elle n’aperçut pas Lelelitio qui lui lança une gourde d’eau sur la tête.

- Aïe ! cria la fée aptère des Basfonds.

- Cela aurait dû se briser pour te rafraîchir vu comment tu t’échauffais toute seule.

- Les enfants dorment ? lui demanda Malalalivia.

- Quand je les laissais oui. Tu sais que Yolis veut plus manger de viande ?

- Pourquoi ?

- Parce que sa jumelle pense qu’il y a un élevage de Biyelt qui va lui pousser dans l’estomac ! rouspéta Lelelitio.

Des animaux poilus à l’apparence de gros gorilles bleus qui sont herbivores, mais parfois ils pêchent grâce à des instruments qu’ils créaient. Ils n’ont pas une assez grande intelligence pour créer une civilisation, mais ils s’en approchent. Petite anecdote sympathique : les bêtas mâles se nourrissent des excréments des alphas dans l’espoir de pouvoir obtenir une femme avec laquelle procréer.

- Mais pourquoi elle est aussi bête, Muela ? s’amusa Malalalivia.

- Sinon le bébé homme-lézard m’a uriné sur la tête et notre voisine nous a offerts des patates Duno toutes chaudes pour en faire un gratin.

- Sympathique.

- Mais sinon qu’est-ce que tu ruminais avant que j’arrive ?

- Rien, réfuta-t-elle, je pensais juste à… à…

- Au fait que tu sois une petite génie ?

Elle lui donna un coup qu’il esquiva juste en se plaçant en arrière avant de revenir à sa position initiale.

- Je n’ai rien d’une génie ou quelque chose qui s’en approche…

- Tu te dénigres un peu trop. Regarde tout ce que tu fais pour nous, je ne sais même pas comment te rendre la pareille.

- Il faut bien que quelqu’un le fasse sinon on mangera encore notre propre fiente.

- Tu exagères toujours, Livia. Y avait assez de fiente pour que nous nous la partagions.

Tous les deux hurlèrent de rire mais Malalalivia dût s’arrêter rapidement à cause de ses courbatures.

- Être en charge des Basfonds n’est pas une mince affaire, tu sais.

- Je le sais, soupira-t-elle en se penchant en arrière les mains à côté de ses hanches, mais je fais tout pour les habitants, bien qu’ils soient extrêmement méchants avec moi.

- Pas tous, Livia, y en a certains qui ne te détestent pas tant que ça sinon tu n’aurais pas autant de succès.

- Ce n’est pas pareil ! Tu es un elfe, c’est pour ça que tu dis ça, je dégoûte les fées, mais je n’ai pas vraiment le temps de m’en soucier.

- C’est l’esprit. Garde-le en tête pour le futur.

- En parlant de futur, tu sais que tu dois t’entraîner pour…

- Je suis bien trop flemmard pour faire tes entrainements, je préfère ceux que je fais avec les espions du royaume, en plus, Dame Helmir m’a pris comme son protégé.

- C’est vrai que tu es plus dans l’infiltration et la finesse.

- Tu prétends que tu es une brute ? se moqua-t-il.

Elle lui mit une tape sur l’épaule.

- Ne te dénigre pas comme ça, un jour toi aussi tu seras aussi fort que moi, lui rétorqua-t-elle.

- De toute façon, je serai toujours un soutien pour toi, peu importe ma force, tu le sais ?

- Bien sûr, mon frère d’une autre mère. J’en aurai besoin quand je serai reine de ce royaume.

À cette idée, son visage s’assombrit et elle réalisa l’ampleur de la tâche qu’elle devrait réaliser, et l’intensité du combat qu’elle devrait mener qui serait plus intense que ceux qui se déroulent dans l’arène.

- Hé ! P’tite fée, ressaisis-toi, lui dit Lelelitio, ne prends pas déjà peur, rit-il.

- Cela t’amuse ? Si même la reine n’a pas pu faire changer les choses…

- La reine Audisélia, c’est la reine Audisélia, et toi, c’est toi. Elle a eu ses problématiques, tu as les tiennes.

- C’est vrai, lui concéda la princesse sans ailes des Basfonds, tu sais, parfois j’ai des regrets de la façon dont je lui ai parlé y a deux ans… Elle aurait pu me tuer à ce moment-là, nota-t-elle.

- C’est vrai, plussoya Lelelitio, mais elle ne l’a pas fait car elle reste une personne juste, malgré sa « folie ». Elle connaît ta peine, tes peurs et ta douleur, donc je ne pense pas qu’elle t’en veuille encore jusqu’à aujourd’hui. En plus, elle nous aide du mieux qu’elle peut avec la lame de Desfouth qui lui entoure le cou.

Un équivalent de l’épée de Damoclès chez les humains.

- Tu as raison, néanmoins, je devrais peut-être m’excuser, tu ne crois pas ?

- Ça ne dépend que de toi. Il vaut mieux que tu te vides l’esprit et restes concentrée pour la suite des événements.

- Qu’est-ce que je ferais sans toi, jeune elfe ?

Il haussa les épaules et la regarda droit dans les yeux.

- Tu t’appellerais encore Avelilinélia, j’imagine.

- Je te l’ai dit que je retrouverai ce nom quand je serai enfin… enfin…

- Aveline…

- Lelelitio, arrête de m’appeler comme ça.

- Tu es déjà une personne très courageuse, je ne sais même pas pourquoi tu te donnes cette peine de porter le fardeau du nom de ma mère et de ta mère, penses-tu encore qu’aucune des deux ne serait fière de toi ?

- Je ne sais pas… Avec l’arrivée du héros de la légende, beaucoup de choses m’ont chamboulé l’esprit. Comment pouvons-nous gagner face à un tel être ? Si au moins j’étais la fée de la légende… Enfin, il faut avoir des ailes pour être une fée.

- Tu dis ça alors que ton homologue de Java-Aleim ne pense sûrement pas ne pas être une fée. Reprends-toi, Livia, les enfants comme les adultes de ce quartier comptent sur toi. Tu es leur rayon de lumière, pas le héros de la légende ! Même si celui-ci nous aide à vaincre les Adeptes de Marrynélia.

Elle se tourna vers Lelelitio et entrelaça ses doigts, avant de hocher la tête et de coller sa tête contre son épaule.

- Tu viens bien me soutenir encore là ?

- Assurément, p’tite fée. Je serai toujours là pour toi.

- Tu veux que je te dise un secret ?

- Dis-moi tout.

- Je crois que Nalo me plaît bien.

Lelelitio eut un haut-le-cœur en entendant cela. Il tolérait déjà l’existence du héros et de la fée de la légende dans leur vie, il n’allait pas tolérer cet inconnu dans le cœur de sa belle.

- Comment ça ? s’étonna Lelelitio un peu inquiet, c’est son visage caché par ce maléfice que t’aime ?

- Mais non ! Arrête de te moquer de lui, bouda la princesse, non, c’est juste que… malgré la rudesse de son être, de son parlé, de ses actes… Je n’aime pas sa façon d’être le héros de la légende mais en plus, son palmarès à l’extérieur a l’air vrai, et pourtant, on voit sa gentillesse, une certaine joie de vivre, sa compassion pour autrui.

- Oui, moi aussi je l’ai remarqué.

- Un jour, sa carapace se brisera et on aura devant nous le véritable lui. Je voudrais tellement y assister, ça sera éclatant.

- Donc tu veux être celle qui veut sauver le héros de la légende.

- Sûrement. En plus, à ce qu’on dit, il est plus amusant qu’on le croit.

« Où voulait-elle en venir ? » était la question de Lelelitio. Cet elfe qui avait passé sa vie à prendre soin de la fée ne comprenait pas ce qu’elle racontait, cela lui chauffait l’esprit. Était-elle amoureuse du Héros ou non ? C’était sûrement son statut qui lui procurait un passe-droit dans le cœur de Malalalivia.

- De toute façon, tu n’as pas à t’en inquiéter : après le tournoi, il partira.

- Ah bon ?

Heureusement pour lui que sa princesse ne le voyait pas car il n’arrivait pas à réprimer le grand sourire de joie qu’affichait son visage.

- Le destin du héros de la légende est impénétrable, dit l’elfe.

- Si je deviens la fée de la légende, tu sais que je devrais le suivre.

C’est vrai ça ! s’exclama Lelelitio, elle va devoir vagabonder sur les routes du monde à la recherche de cet ennemi invulnérable et invincible qu’est le Némésis.

- Je rigole, Lelelitio. Pourquoi tu trembles ? rit-elle, il a décidé de ne mêler personne au combat face au Némésis.

Merci, gamin !

- Donc notre seule pensée ne doit être que les changements que nous devrons organiser dans Sylvania.

- Exact, ma chère amie.

- Juste d’y penser cela me fout la frousse.

- Alors n’en parlons plus et restons là quelques instants. Tu as besoin de te reposer.

- Je te fais confiance pour ne pas me faire de trucs bizarres.

- Roh ! Arrête ça.

- Je t’embête.

Et à peine le silence installé que les paupières de la princesse se firent de plus en plus lourdes et la somnolence lui enfuma l’esprit, se laissant aller au sommeil, rêvant de cette fameuse dispute avec la reine.

~~~~~

Malalalivia fut projetée au sol par un coup du bâton de la reine, celle-ci se rattrapa grâce à une pirouette et refonça sur la reine tentant de trouver une faille dans sa défense. C’était un combat où la magie et les attributs génétiques n’avaient pas lieu d’être. La reine s’handicapa dans cet affrontement en ne voulant pas voler pour qu’elle ait un combat équitable dans cet entraînement.

Morvian observait les talents de la protégée de la reine durant ce combat, il l’avait aidée à manier le bâton comme lui le maîtrisait pour qu’elle puisse manier plus adroitement l’arme qu’elle s’était confectionnée.

Il chuchota à Sawyer :

- Je n’aurais pas pensé qu’elle pourrait être aussi déterminée à combattre la reine.

- Je peux te dire qu’elle vient de loin. Elle avait une certaine maîtrise du combat, mais c’était digne des combats de rue, rien de probant. Là, elle pourrait faire partie des meilleurs soldats de notre armée.

- Pour toi, elle serait digne d’être un général ?

- Laisse-là déjà toucher le rang de lieutenant après on verra pour les autres.

- C’est vrai que tout le monde ne peut pas être Audisélia.

Les paroles des deux hommes furent entendues par la princesse, ce qui l’enragea encore plus, elle partit au front pour repousser la reine et pouvoir la toucher avec son bâton. Audisélia la bouscula sans y mettre plus de force que cela. Le but n’était pas qu’elle soit plus forte, mais qu’elle saisisse une occasion de faiblesse dans sa garde pour pouvoir la toucher. La fée aptère des Basfonds faisait tournoyer son arme autant dans son dos qu’au-dessus de sa tête qu’à côté de ses côtes comme un véritable moine Shaolin millénaire. Cette méthode la rendait vulnérable aux coups de la reine, mais l’empêchait de savoir de quelle façon ou par quel endroit elle l’attaquerait.

Et là, sur son flanc, une faille qu’elle a tant attendue apparu.

Il fallait qu’elle la saisisse.

Elle attrapa son bâton avec sa main droite et lui mit un coup sur les côtes. Le match était terminé.

Enfin… c’est ce qu’elle pensait : la reine l’avait appâté et avait arrêté son attaque en protégeant son flanc avec son bâton. Elle tapa sur le bâton de Malalalivia et le brisa avant de lui mettre un violent coup sur le front qui la fit s’écrouler par terre.

- Tu es peut-être une génie, Malalalivia, mais tu es un peu trop naïve, la réprimanda la reine, comment moi, un maître du combat peut laisser une ouverture aussi voyante ? À ce moment-là, tu aurais dû être plus maligne que moi et me feinter pour que je me fasse avoir à mon propre piège.

À ce moment-là, Malalalivia n’avait aucune envie de l’écouter. Elle passait sa main sur ses yeux mais ses dents révélèrent l’étendue de sa frustration.

Elle l’avait encore appelée de génie.

En quoi était-elle un génie si elle se faisait battre tout le temps par cette femme qui prétendait ne pas être un génie mais juste… différente ?

- Ma reine…

- Oui.

- Arrêtez de dire que je suis une génie. Ça en était ridicule, et même vexant.

- On ne va pas revenir dessus, Livia. Tu penses réellement qu’à vingt-quatre ans, ces deux guignols faisaient les prouesses que tu es en train d’accomplir ? En plus, avec ce pouvoir que tu as…

La fée s’assit, croisant les jambes et jeta un regard noir à la reine-fée.

- Ça ne change rien qu’eux n’arrivaient pas à vous combattre de cette façon à mon âge, ou que ces greluches de Java-Aleim soient de puériles incompétentes. Des choses terribles se passent dans les Basfonds, et je n’arrive pas à toutes les combattre. Je reste toujours aussi faible. Lelelitio l’a bien compris puisqu’il a abandonné.

- Il n’a pas abandonné, intervint Sawyer, il a préféré une autre approche…

- Je n’en ai cure ! brailla Malalalivia en frappant le sol de ses deux poings.

Elle se leva les poings serrés et se dirigea vers la reine. Sawyer allait partir la stopper, mais Morvian le stoppa. Si elle avait quelque chose à dire, elle se devait de le dire, et la reine se devait d’entendre ses reproches, c’était son rôle en tant que régente et mentor.

- J’en ai ma claque de recevoir des sermons de l’être le plus fort du royaume et qui pourtant craint pour sa sécurité face aux ministres du royaume.

- C’est faux, nia la reine avec aplomb, ce n’est absolument pas ça ! C’est juste que…

- Juste que quoi ? Pourquoi je me casse la tête pour être plus forte alors que vous êtes là ? Avec toute la détermination du monde, tous les efforts que je mets à l’ouvrage je resterai toujours derrière vous ! Et pendant que je vous cours après comme un petit clébard, des gens crèvent de faim, des injustices se perpétuent ! Combien de fois des ogresses dévoreront les habitants avant que quelqu’un réagisse sur la situation avant que quelqu’un intervienne ? Je pourrai recueillir je ne sais combien d’enfants dans le vieil orphelinat et les faire placer dans des familles que cela ne changera rien. Leurs parents mourront de faim et ils devront revenir ici. Pourquoi nous contentons-nous de rationnement alors qu’ici à Haute-ville les gens mangent à s’en faire péter la panse, et ne parlons même pas de ceux du Sanctuaire qui ne daignent même pas toucher à leur plat s’il n’est pas à leur goût et osent le jeter par le fenêtre ? Vous pourriez tout arranger…

- Mais…

- Le dogme vous l’interdit ! Je le sais déjà, vous l’avez répété tant de fois que cela en devient clownesque.

- Malalalivia arrête-toi là, lui dit Sawyer.

- Sawyer, je t’ai dit…

- Laisse-moi. La reine et moi avons vécu nos tribulations, nous savons à quel point vous souffrez, mais nous ne pouvons rien faire…

- À part nous observer crever dans notre crasse et notre sang ? Je suis déjà au courant. Cette hypocrise m’écœure au plus haut point. « Le dogme nous interdit ceci ! », « La loi nous interdit cela ! ».

- Assez ! s’écria la reine.

La reine se prit la tête et se la compressa. Combien de fois avaient-elles eu cette conversation ? Combien de fois avait-elle réussi, ou échouer, à lui faire comprendre son point de vue sur la question ? Pourquoi à chaque fois revenait-elle sur cette question ?

- Je fais de mon mieux, Livia. J’essaie de t’inculquer tout ce que tu dois savoir pour être reine car la concurrence est rude. Qui te dit que si je fais une loi pour vous aider, ma successeuse abroge cette loi et vous fait vivre un enfer encore plus terrible ? Je ne sais même pas si la gratuité des écoles et de l’hôpital tiendra jusqu’à ce que je perde ma couronne. Sais-tu le nombre d’ennemis que j’ai dans cette cour ? Du nombre d’alliances qui se créent pour me défaire ?

- Vous avez la force. Vous avez la puissance pour tous les soumettre.

- Je n’ai aucune envie d’être tyrannique, Malalalivia. Et toi non plus. Déjà aller combattre contre des nations étrangères me fait entendre durant mon sommeil les cris des pauvres âmes que j’ai prises, qu’elles soient innocentes ou non. Il n’a jamais été aussi simple d’être reine. Et je ne veux en aucun cas que tu vives cela. Ne doute pas de ma foi en toi.

- C’est pour ça que vous aidez aussi la fée aptère de Java-Aleim, celle qui n’a pas de nom au point qu’on lui ait donné comme prénom « Princesse-Sans-Ailes-Et-Sans-Nom » ?

La reine sursauta à l’énonciation de l’un de ses secrets. Par je ne sais quel racontar, Malalalivia avait fini par apprendre que cette fée sans ailes était aussi l’une des favorites de la reine. Audisélia n’avait rien à y gagner puisqu’elle était la reine sortante, surtout en lui mettant pour champion Beneltig. Mais cela, Malalalivia n’avait pas eu le temps d’y réfléchir tellement cela l’énervait.

- C’est-à-dire que… balbutia la reine.

- Vous mentez.

- C’est-à-dire que…

- Vous mentez !

- C’est-à-dire que…

- PAR TOUS LES DIEUX, VOUS MENTEZ, REINE AUDISÉLIA ! pleura Malalalivia.

À ce moment de la discussion, Lelelitio arriva avec un paquet de friandises que lui avaient offert les espions pour un service qu’il leur avait rendu.

Toi, tu choisis bien ton moment pour débarquer…, pensèrent Sawyer et Morvian.

- Vous n’avez pas cessé de me mentir ! Vous l’aidez tout ça pourquoi ? Parce qu’il y a une infime chance qu’elle puisse avoir ses ailes en montant sur le trône ? Pour un caprice d’enfant gâté ? Elle devrait être ravie de vivre sans ailes de naissance au lieu qu’on lui ait arraché violemment parce qu’on n’a pas eu la chance de naître dans la bonne lignée de la famille royale.

- Malalalivia, dit Lelelitio à mi-voix de façon inaudible.

- Naître Grave, en plus de vivre dans les Basfonds, retrouver sa mère morte, tuée par un malade mental, se faire arracher ses ailes pour qu’un ignoble individu ne les revende pour en faire un aphrodisiaque pour vieux pervers libidineux, découvrir au milieu de son repas que son autre mère est devenue son propre casse-dalle, poussé par la rage le dernier membre de votre famille était prêt à me tuer, puis se ravisa pour se tuer… Combien de malheurs devrais-je subir jusqu’à pouvoir changer les choses parce que la reine de ce pays ne peut se soustraire aux détestables lois de ce royaume ?

- Livia…

La reine tenta de la prendre dans ses bras, mais la princesse refusa et la repoussa violemment jusqu’à la faire tomber au sol. Sawyer était prêt à dégainer son épée mais il fut stoppé, non pas par Morvian qui n’allait pas broncher étant donné que la princesse était allée trop loin, mais par Audisélia elle-même qui lança un éclair qui frôla sa joue avant de le faire disparaitre pour éviter que cela touche quelque chose ou quelqu’un.

- Je pense que c’est ici que nous nous quittons, reine Audisélia. Je ne veux plus vous revoir. Je me débrouillerai avec Lelelitio pour ce tournoi qu’on ne sait quand il arrivera.

Elle prit ses affaires et s’en alla. Lelelitio, face à elle, bouche bée, n’avait aucun mot réconfortant. En conséquence – sûrement que non, elle n’est pas une personne abominable –, elle jeta la boîte de confiserie au sol et l’emporta avec elle.

Là, je vais poursuivre au-delà du souvenir de Malalalivia.

Un grand silence régna entre les trois personnes restantes. La colère de Malalalivia, bien qu’excessive… Non absolument pas, elle ne l’était pas. La colère de Malalalivia était légitime. Elle avait vécu trop d’affreuses choses durant sa courte vie pour qu’ils se permettent de la faire patienter ainsi. Audisélia avait déjà franchi de nombreux tabous depuis qu’elle était reine, mais sa ressemblance avec la Félonne l’empêchait de faire plus puisqu’elle pensait qu’à force de briser des règles, elle finirait comme elle.

Voilà où ses peurs et ses mensonges étaient en train de l’emmener.

Sawyer voulut intervenir mais Sélia le fit taire et donna un avertissement aux deux Saints :

- Si j’entends que cette histoire s’est ébruitée et que Triface se rend dans les Basfonds, vos têtes ne toucheront plus vos épaules.

Les deux chevaliers n’osèrent pas lui répondre un quelconque mot.

La reine se releva, essuya sa robe et repartit les mains dans ses poches inexistantes. Une fois qu’elle n’était plus à portée d’oreille, cela fut au tour de Morvian de s’en aller. Mais il se stoppa et se retourna en direction de son frère d’armes :

- Morvi, je…

- Non, Sawyereli. Il n’y a rien à dire. Tu as eu tort. Cette gamine avait vécu beaucoup plus de choses dans sa malheureuse jeunesse que dans notre malheureuse jeunesse.

Puis il repartit.

C’est ainsi que la reine et Malalalivia et son servant ne se parlèrent plus que par messagers sans se dire un seul mot de concret.

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