Berle

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Peu importe le temps que dura la sieste du Héros, le ciel resterait toujours noir, recouvert de ces nuages de ténèbres. Et contrairement à Sylvania où la magie protectrice du royaume apaisait ses habitants, ici, à Vicenti, les cauchemars recommencèrent à envahir l’esprit du Héros. Il revoyait en rêves les atrocités qu’il avait commises, qu’il avait subies et dont il a été témoin. Néanmoins, malgré ses mauvais rêves, il se réveillait toujours avec le même regard, les mêmes yeux. Il n’avait plus aucune raison de se réveiller en sursaut, en tendant la main au loin pour rattraper ces gens qui l’appelaient pour les secourir ou s’enfuyaient devant lui.

Chaque matin, lorsqu’il était présent dans cette immense métropole humaine, il faisait face à cette immense tache de sang qui était collé sur le mur. De souvenir, ce sang séché venait de lui, d’une fois où il a voulu tenter d’achever sa vie après un quelconque drame qu’aucun enfant de douze ne devrait vivre.

Il ne se souvenait pas des événements qui ont précédé ce moment mais il se souvient que la première personne qui s’était précipité à sa rencontre était Berle. Astéron lui n’était pas là et de toute façon, il avait déjà été témoin de sa régénération, il ne s’inquiétait jamais de ce genre de choses.

Berle, elle, c’était la première fois qu’elle assistait à ce genre de choses : voir la chair se reconstituer avec des filaments de viandes, de cervelles, ses deux globes oculaires qui se recréaient… L’horreur qui s’affichait dans le regard de son témoin n’avait rien d’étonnant. Le Héros, lui, ce n’était pas la première fois qu’il apercevait ce genre de frayeur dans les yeux des gens, c’est pour cela qu’il ne lui en voulait pas.

Néanmoins, Berle se sortit de sa frayeur et sauta au cou du Héros pour savoir ce qu’il s’était passé, mais bon, il n’avait pas son casque pour lui répondre donc il lui mit une simple tape sur l’épaule et partit se laver.

En repensant à ce moment, il eut un maigre sourire. Ce souvenir lui rappelait que Berle était bien la deuxième personne, après Helmir, qui le dissocia de son apparence « monstrueuse ». Elle avait bien toutes les raisons pour le fuir, le conspuer, crier au monde sa laideur étant donné ce qu’elle avait vu cette nuit-là… et pourtant, elle fut la personne la plus compatissante envers lui depuis le massacre de Novillios – il pourrait ajouter la Sorcière Rouge de la Montagne Décharnée mais… Il ne voulait pas mettre la gentillesse que Berle lui offrait pour de la pitié survenue du fait qu’elle était dans une situation aussi déplorable que lui, mais il savait que c’était une possibilité non négligeable.

Mais finalement, était-ce un si grand mal que cela ?

Si cette compassion provenait du fait qu’elle était autant une paria que lui, alors il s’en accommoderait. Il n’était pas aussi pointilleux qu’il le voudrait – on a bien vu ça avec la nourriture qu’il se permettait d’ingurgiter.

Quelqu’un toqua à la porte l’interrompant dans ses pensées.

D’un bruit sourd provenant de sa gorge, le Héros signifia à cette personne de rentrer.

Et justement, en parlant du loup ! Il s’agissait de Berle qui était venu l’avertir que son petit-déjeuner était prêt. Le Héros acquiesça et alla prendre une douche avant de passer à table.

Une fois finie, il se rendit en bas. Le bar était encore bondé malgré la « dispute » qu’il y eut la veille.

Le Héros s’installa au comptoir et put voir son bol de flocons d’avoine artificiels parfaitement fait. Il remercia Berle qui se tenait derrière le comptoir, en tenue de barmaid et préparant diverses boissons alcoolisées.

Le Héros délecta de plat insipide et sans saveur mais qu’il avait tant de fois vu dans les holofilms tirés d’anciens films empruntés à la Bibilothèque Universelle. Il ne savait pas comment était produit ces immondices, mais de ce qu’il avait lu dans différents livres parlant de l’agriculture de l’ancien monde, avant l’ère des ténèbres, il fallait beaucoup de soleil pour que les plantes poussent. Ce n’était pas une denrée aussi rare que maintenant. Des particuliers pouvaient en faire pousser dans leur jardin sans problème, il fallait juste qu’ils en prennent soins. Il avait pu observer cette agriculture à Sylvania durant lors de promenade que lui faisait faire la Fée, on lui apprit le nom de plusieurs légumes comme le groumli, les tiges de Bimbaso ou encore des azsermis. Tous étaient très bons, un délice si peu raffiné sut apprécier avec délectation. Ces légumes n’avaient rien à voir avec ce qu’il avait dans son bol.

Il n’était pas difficile et savait que, bien que la ville de Vicenti eût privatisé certains Oasis de lumière du pays voire d’autres pays se trouvant dans d’autres continents, cela était ardemment cher de se procurer ce genre de produit frais ou avec OGM, seuls des grands pontes y avaient droits. Eux les pauvres ne pouvaient que se procurer ces légumes résultants de déchets des produits défectueux et qui étaient répliqués à l’infini. Sinon, on usait d’autres « substances » pour obtenir des placebos d’aliments. Assez nutritifs pour tenir une nuitée mais n’avait définitivement rien à voir avec de véritables légumes.

Toutefois, cela ne gênait pas le Héros. Son métabolisme le ferait vivre quoiqu’il arrive et s’adapter à tout, et bien qu’il eût passé des mois à Sylvania, il n’avait pas eu le temps d’avoir un palais digne de ce nom pour pouvoir se plaindre du manque de saveur de son petit-déjeuner.

Après servi la dernière boisson commandée, Berle se tournait vers le Héros et s’installa face à lui.

- On n’a pas eu le temps de parler hier et vu le boxon que tu as fait en arrivant, j’étais bien trop occupée pour venir t’embêter pendant que tu dormais…

N’ayant plus son casque ou le sceau apposé sur son corps, il ne pouvait plus lui parler sans cracher des flots de sang et se tordre. C’est pour cela que, une première depuis le début de cette histoire, vous allez assister à la manière dont le Héros communique avec les gens hormis par l’écriture : la langue des signes – enfin assister c’est une façon de parler…

Il l’avait apprise d’un autre livre qu’il avait consulté à la Bibliothèque Universelle et que l’un des Archivistes lui avaient conseillé étant donné ses recherches. Grâce aux cabines d’apprentissage accéléré, il put apprendre les fondamentaux de cette langue, malheureusement, Astéron n’avait jamais voulu apprendre cela. Il avait dit, je cite : « Tu crois que je vais faire tes bouffonneries à agiter mes mains ou mes bras pour te parler alors que j’ai des cordes vocales fonctionnelles ? Rah laisse-moi tranquille. ».

C’est après sa rencontre avec Berle, au moment où il perdit l’usage de la parole, qu’il put mettre en pratique cette ancienne langue des signes que plus personne ne pratiquait en ce monde. À cause de ses membres bioniques, elle ne pouvait pas rentrer dans les cabines d’apprentissage accéléré alors c’est le Héros qui le lui apprit. Après des mois d’apprentissages, entrecoupés de missions et de sa poursuite des Némésis, elle réussit à comprendre son étrange gestuelle. Tous les deux s’étaient mis à communiquer grâce à cela puis finalement, Berle remarqua qu’elle n’avait pas besoin de parler la langue des signes avec lui puisqu’il n’était pas sourd, alors la majorité du temps, elle lui parlait de vive voix – se réservant cette pratique lorsqu’elle voulait dépouiller les consommateurs de leur argent quand elle utilisait le Héros lors de paris foireux mêlant cartes et argent.

- … Alors raconte-moi d’où est-ce que tu nous reviens après des mois d’absence. Je me suis faite un sang d’encre. J’ai voulu t’appeler mais apparemment tu ne te trouvais pas près d’un poteau de liaison de communication.

Étant donné que le ciel était devenu un paysage de ténèbres et l’émetteur de désastres innommables, vous imaginez bien que s’il y avait communications, elles ne se feraient plus par satellite. En conséquence, il y a un millénaire, quand l’humanité réussit à se relever convenablement des affres de l’inhospitalité de cette nouvelle planète féérique, un groupe de nations de par le monde que ça soit sous terre, dans les océans, sur la mer de tous les périls ou sur terre, un réseau de communication fait de poteaux qui sert de relais de communication grâce à des ondes qui s’envoient de poteau en poteau jusqu’à atteindre le destinataire. Ces ondes peuvent aussi servir à obtenir la carte du territoire où il se situe comme une sorte de point de sauvegarde.

À ce qu’on raconte, ce système a été dirigé par l’ancêtre du professeur Gear-O lorsqu’il fonda sa société.

- Et en plus, j’ai trouvé la batterie de ton holophone dans une des manettes d’Astéron ! Sache que je l’ai bien engueulé ! Mais vas-y raconte-moi !

Berle était vraiment l’une fervente auditrice du Héros, elle adorait l’écouter que ça soit à travers son collier de parole ou la langue des signes, car elle, elle n’avait pas la capacité de voyager d’elle-même, bien trop trouillarde pour avoir à se confronter face aux abominables créatures qui tapissent notre monde. Et bien que le Héros lui cachât ses horribles méfaits sous ordre – ou non – d’Astéron, elle se doutait que la plupart de l’argent qu’ils obtenaient ne provenait des poivrots qui s’enivraient d’alcool au vu de la rivalité entre Gear-O et Astéron et des nombreuses blessures qu’avaient le Héros à ses retours de missions.

Toutefois, cette fois-ci, l’histoire que le Héros lui raconta était différente que d’habitude. Bien sûr il lui apprit qu’il avait réussi à apprivoiser un chien-nesca – une énorme chien avec des dents d’omnivore, comme celles des humains, et une bouche s’étendait jusqu’à leur cou était rare d’en trouver dans la nature en « journée » car ces monstres cauchemardesques avaient pour habitude de chasser leur proie dans leurs sommeils, proies qui étaient généralement de jeunes et tendres enfants à qui ils donnaient une crise cardiaque avec leurs immondes regards. Mais apparemment celui qu’avait trouvé le Héros avait reconnu assez facilement sa faiblesse face à celui que le monde surnommait de démon – pour chasser mais qu’il s’était fait becqueter dans son sommeil, sa chasse au Linkasis, son massacre des trafiquants d’enfants de Liège, son affrontement contre une Némésis du nom d’Albedo-Wata, de son échec à sauver les parents d’une fille dénommée Astarté, son séjour dans une prison gérée par l’énième nouveau gouvernement de Francilia qu’il a malmenée… puis vint sa période favorite de cette année : son séjour dans le royaume de Sylvania. D’un enthousiasme encore jamais vu j’ai le garçon, celui-ci raconta à Berle sa fantastique aventure dans ce royaume de fées et de Féériques, sa dangereuse rencontre avec une ancienne amie de sa mère qui n’était autre que la reine de ce lieu, de ces amis Féériques avec qui ils étaient bien amusés à faire des pique-nique, aller se baigner dans une plage artificielle, faire diverses fêtes… La plupart des Féériques le détestaient parce qu’il était humain mais durant un tournoi, il a prouvé sa force, mais surtout sa valeur. Il a aidé des habitants aussi désœuvrés que les gens d’ici, s’est amusé avec ses enfants pouilleux qui lui rappelait le lui d’une lointaine époque ! Il avait aussi fait la rencontre d’Helmir là-bas, apprenant qu’elle travaillait pour le compte de la reine des lieux. Mais surtout, il avait fait la rencontre de deux magnifiques belles filles qu’il admirait tous les deux, les deux étaient tout aussi chiantes pour différentes raisons, mais en définitive, il devait avouer qu’être en leur compagnie lui avait apporté beaucoup.

- C’était fabuleux…, laissa-t-il glisser les yeux dans le vague.

Soudain, il se mit à crachoter du sang, il ne s’était jamais laissé aller auparavant pourquoi se mettait-il à parler aussi souvent ?

Berle ouvrit de grands yeux, c’était bien la première fois depuis des années qu’elle entendait la voix de cet enfant. Avant sa crise au casino…

Le taiseux avide de vengeance qu’il était s’était finalement adouci.

Elle s’en alla et lui prépara sa boisson préférée : la limonade, pour qu’il puisse continuer à lui parler de ces deux jeunes filles dont il avait fait la connaissance. Il engloutit la liquide sucrée et acide, s’essuya brutalement la bouche avec la manche de son habit et poursuivit son récit en lui racontant son combat contre cette secte qui voulait ranimer une sorcière maléfique, les repas qu’il avait partagés avec les pauvres du bidonville qu’ils appelaient Basfonds et ceux parmi la Noblesse du pays, de ces combats dans le tournoi en tant que remplaçant de ce trouillard de Beneltig…

Son périple à Sylvania était si vivant et si réjouissant que Berle ne fut plus la seule auditrice du récit relater par le Héros mais une floppée de personnes vint autour du Héros sans que lui-même ne s’en aperçoive. Ce fut Berle qui leur retranscrivit ce qu’il disait en langue des signes à l’oral avec le plus de justesse possible, essayant d’imiter la façon qu’il parlerait s’il le racontait de vives. Les gens riaient de bon cœur lorsqu’il racontait les blagues qu’il faisait à sa protégée ou aux autres habitants, sa difficulté à appeler « Maman » cette femme qui l’avait pris sous son aile, sa rencontre avec cet étrange vampire qui lui avait fait prendre peur, son incroyable combat contre Avelinélia qu’il se refusait d’appeler Avelilinélia car rajouter le « li » supplémentaire était une tradition archaïque pour se moquer des Grave, son immense regret d’avoir gagné, la fête qui suivit la victoire… L’histoire qu’il leur racontait partait dans tous les sens mais voir le bonheur qu’il ressentait en la narrant avait bien plus d’importance que la forme que prenait son récit.

Et alors que Berle avait complètement oublié son service, Astéron vint lui rappeler qu’elle était payée pour travailler, pas pour écouter les débriefings du Héros. C’est ainsi que l’aventure du Héros au pays des Fées et d’autres créatures non-humaines prit fin. Les gens repartirent discuter de leurs problèmes de leur coin, mais avec un semblant de sourire aux lèvres qu’ils gardèrent encore quelques instants avant que celui-ci ne s’évapore. Le Héros ne le remarqua mais Berle si, bien qu’elle se concentrât sur la vaisselle et les commandes des clients, elle remarqua le sourire des gens qui avaient écouté les chroniques de voyage du Héros n’étaient pas restés indifférents, oubliant qu’il était le Démon-Sans-Visage, le temps d’un instant, devenant un simple gamin émerveillé par un pays qui avait l’air autant fantastique qu’austère. Et cela lui mit un peu de baume concernant cet enfant qui savait se rendre si gentil avec les autres. Ce qui lui rappela leur première rencontre dans cet autre bar au cinquième sous-sol et la promesse qui lui avait faite…

Il y a de cela trois ans, le Héros et Astéron avaient été commandité pour jouer les gardes du corps dans un bar à striptease.

Certaines rumeurs circulaient sur le fait qu’une bande de monstres s’étaient introduits à Vicenti et qu’ils comptaient s’en prendre aux femmes de la ville pour les kidnapper, malheureusement, la « police » de la ville ne se préoccupait que ceux des habitations le plus élevés délaissant ceux des souterrains et n’imaginez pas une seule seconde qu’elle s’occuperait de ceux de la tour inversée. Étant donné que personne ne s’en préoccuperait alors les plus riches de ces lieux pittoresquement pitoyables mirent des annonces pour protéger leurs établissements ou maisons dans les rues de Vicenti ou dans les agoras informatiques. Bien sûr, avide d’argent, Astéron choisit l’offre la plus alléchante sans prendre en compte le nombre de personnes à protéger.

Ce bar, se situant au cinquième sous-sol de la tour inversée, fut le premier de débauche du Héros et son premier contact avec ce milieu, qui lui était totalement inconnu, fut des plus… attendus. Astéron – qui se doutait de la réaction du Héros – le laissa entrer en premier, feignant une certaine politesse à son égard, ce qui surprit bien évidemment le garçon. Bien que son attitude face à cette découverte soit attendue, le voir pousser un cri de stupeur devant le corps à moitié dénudé de femmes dansant autour d’une barre, dans des cages en hauteur ou en accostant et aguichant les clients fut un véritable régal pour son grand-frère qui avait espéré ce moment depuis l’obtention de ce travail. L’entendre pousser des petits cris et des « Pourquoi ? » en se cachant les yeux, en ne sachant pas s’il devait fuir ou rester puisqu’ils avaient une mission à accomplir sonnait comme une sonate délicieuse à ouïr.

Et pendant que le garçon était perturbé par la vue de la chair, une petite femme rousse avec deux chignons à l’arrière de la tête, un œil cybernétique incrusté dans le visage à la place de son œil droit, des rides marquées par l’âge mais aussi par des veines métalliques qui ressortaient sur sa face ou son cou – à ce qu’on pouvait voir. On devinait aussi facilement qu’elle avait un pied-bot à son façon de marcher. Cependant, elle n’était pas une personne à négliger et sous-estimer, cette femme, bien que peu connu par le grand public, était une véritable célébrité dans le monde souterrain. Un véritable pilier de la pègre de Vicenti qui était craint par bien des hommes et des femmes, autant chez les citoyens aguerris que chez les grands criminels.

Son nom était Cralim Melar – il s’agissait là sûrement d’un nom d’emprunt.

- Qu’est-ce qui m’amène le cavalier de la guerre et son dégénéré de fils et sous-fifre ? demanda la vieille femme en plissant le seul œil possédant une paupière.

- Déjà ce n’est pas mon fils mais mon frère, mais sur le reste tu as tout juste !

Tous les deux furent hilares et se firent la bise.

- En vrai, Cralim, tu sais très bien ce qui m’amène.

Cralim les emmena dans les « coulisses » du strip-club. Là-bas, le Héros fut non seulement pas témoin de femmes à moitié dénudé, mais cette fois-ci la plupart l’était totalement. Si la malédiction n’était pas sur son corps, il était sur et certain que peu importe sa carnation, la teinte de peau du Héros aurait pris la couleur d’une véritable tomate bien rouge et bien juteuse. Pressentant que son petit-frère allait fuir, Astéron lui attrapa par les épaules et tous les trois marchèrent jusqu’au bureau de la patronne des lieux.

Une fois devant, Cralim et Astéron rentrèrent, cependant ce dernier poussa le Héros de l’entrée.

- Toi, tu m’attends ici. Je dois discuter de notre mission avec la dame et à part ne rien comprendre tu vas me servir à rien.

- Mais…

- Pas de « Mais ! » ! l’arrêta Astéron.

Le marchand d’armes releva la tête et s’adressa aux filles.

- Puis-je vous confier mon petit-frère ? Ne vous fiez pas à son manque de visage et son immense épée, c’est une très gentille personne qui manque d’amour. Vous voulez bien lui en donner pendant que je parle à votre boss ?

- OUI ! dirent-elles avec joyeusement.

Astéron le poussa contre la multitude de femmes qui vinrent à la rencontre du Héros avant de fermer la porte en gloussant comme une oie.

- Les enfants ont vraiment de la chance.

- Je n’aurai jamais pensé que tu m’amènerais cet étrange enfant pour qu’il se fasse dépuceler.

- Regarde-le, sourit Astéron, même si je demandais à toutes ces donzelles de lui faire vivre le paradis sur terre comme nul autre homme n’a vécu, il oserait refuser et prendre ses jambes à son cou. Une véritable sainte-nitouche.

- Tu ne serais pas jaloux ?

Astéron se tourna vers la vitre sans teint qui sert de fenêtre dans le bureau de la vieille femme et vit le Héros, tête basse, grands yeux ouverts, entouré plus ou moins superbes selon les goûts et les apparences de chacun… Qu’ils s’agissent d’humaines, d’elfes, de thérianthropes, de femmes-animaux, de cyborgs, de gynoïdes, de vampires, de goules… elles étaient toutes le summum de la beauté qu’on pouvait acheter dans ce lieu de débauche et d’innocences perdues.

- Quel homme ne serait pas jaloux ? rétorqua-t-il à la vieille femme, il n’est pas particulièrement laid puisqu’on ne peut pas voir son visage, donc son privilège d’enfant surpasse l’étrangeté qu’il est, surtout qu’il peut cacher sa face de tueur sanguinaire…

- C’est vrai que ce gamin commence à se faire un nom, commenta la vieille proxénète, vous en avez accompli des choses.

- Oh ce n’est rien, il faut bien qu’il se fasse un nom…

Il détourna son regard du garçon pour retourner vers Cralim.

- …pour te faire raquer vielle mégère ! dit-il avec un grand sourire carnassier.

- Le salaire que j’ai mis ne te suffit, Astéron ? lui demanda-t-elle en approchant son visage de son interlocuteur.

- Un salaire assez alléchant pour des novices, mais qui se risquerait à donner sa vie pour un aussi maigre salaire étant donné la taille de l’objectif.

- Oh tu sais déjà quels monstres vont tenter de s’en prendre à mes filles ? s’étonna Cralim.

- Le gamin a bien des défauts et peut paraître puéril a bien des égards mais il ne reste pas moins un fin limier. Cela étant, il n’était pas difficile à deviner que l’attaque de monstres qui fondait sur Vicenti était composé principalement de gobelins.

- Pour un habitué des terres désolées, mais pour nous, citoyens lambdas, c’est tout autre…

Astéron posa avec force ses deux mains sur la table, tout sourire, le dos voûté en direction de son interlocutrice.

- Arrête ton char, la coupa Astéron, t’aurais pris des chasseurs de monstres à bas prix pour cette affaire si c’était juste de simples gobelins et je ne pense pas qu’on est le premier à se presser au portillon, attiré par une annonce de cinq mille crédits pour assurer la sécurité d’un bar à putes. Mais me connaissant, tu savais que si je connaissais la nature des monstres, je t’aurai facturé bien plus étant donné que j’ai, en plus, le chasseur de monstres ultime à mes côtés, donc tu as laissé l’annonce faisant croire que tu cherchais n’importe qui dans l’urgence, tout en ne permettant pas à la concurrence ou juste d’autres personnes d’avoir nos services. C’est bien cela que tu avais prévu ?

- Je ne sais pas si j’étais allé aussi loin dans ma réflexion, mais on va dire que tu as totalement raison. Je n’ai jamais douté que le gamin qu’on surnommait le « Façonneur de Conflits » était doué, mais pas à ce point. Ta mère devait en avoir dans le cibolot.

- Pas le moins du monde, réfuta-t-il, une vraie conne. Je tiens mon cerveau machiavélique de mon père. Et pour le Façonneur de Conflits, c’est un bien joli nom, mais à ce qu’il paraît une bien plus puissante que tout ce que j’ai créé se balade dans le monde. Elle appartiendrait à un certain royaume Féérique et aucune de mes armes n’a eu d’effets sur elle.

- Donc le grand marchand d’armes Astéron aurait trouvé concurrence ? se moqua Cralim.

- Si je pouvais l’avoir entre les mains pour l’étudier… Néanmoins, peu d’armes magiques ont su rivaliser avec les miennes. Mais bon, revenons à notre sujet qui est que tu vas me devoir quinze mille crédits pour cette mission.

- QUINZE MILLE ? Mais t’es taré, ma parole ?

- C’est bien le prix pour tes mensonges… mais je comprendrais si tu refusais, dit-il en haussant les épaules, après tout, ce ne sont que de simples gobelins, à moins que tu me caches quelque chose, pas besoin de mon petit-frère, non ?

Très frustrée, elle serrait des dents devant l’effronterie et ne savait pas si elle devait l’étrangler ou lui tirer dessus.

À l’extérieur, le Héros était entouré de femmes de petites vertus qui ne semblaient pas terroriser par la malédiction qui lui couvrait le corps – et il n’était pas encore connu dans le monde comme étant le monstre humain sans visage sanguinaire. Les seules femmes qu’il avait connues étaient ses mères et Zelda et il ne les avait jamais vus en tenue d’Eve. C’était une première pour le garçon qui ne savait pas comment se comporter : s’il devait leur signifier qu’elles étaient nues – peut-être qu’elles ne l’avaient pas remarqué, on ne sait jamais – ou s’enfuir à toute jambe. De plus, pour une raison qui lui était inconnue, il se sentait toute chose devant ces femmes.

- Mais qu’est-ce qu’il est mignon, ce petit jeune ? dit une stripteaseuse humaine, tu penses que c’est un quoi, Mallory ? demanda-t-elle à l’une de ses collègues.

Ladite Mallory, une grande et longue demi-elfe, longiligne avec une grande chevelure dorée, seins nus, s’approcha du jeune garçon et le fixa de près. Le garçon plissait des yeux un maximum pour que sa vision devienne assez floue pour ne pas regarder une quelconque partie de son corps. Cette même Mallory plissa les yeux en réfléchissant à quelle race il pouvait bien appartenir.

- Malgré cette peau noirâtre, je dirais que c’est bien un humain.

- T’es sûre ? demanda Asela une vampire qui se repoudrait le nez devant son miroir, aucun humain n’a un teint aussi noir que l’abîme.

- Ça doit être lié à la magie que je ressens chez lui. Une malédiction sans doute, mais si Astéron se tient à ses côtés, sans protection, c’est qu’elle ne doit pas être contagieuse.

- T’en sais des choses, Mallory, dit une fille avec des bouclettes rousses.

Le Héros fut surpris de voir quelqu’un de son âge ici présent. Que faisait-elle là ?

Mais avant qu’il puisse poser sa question, une autre femme d’un âge un peu plus mûr vient à la rescousse du Héros. Elle se plaça devant lui, mains sur les hanches, regard froncé dans une nuisette violette avec un bracelet de perles au poignet.

- Vous voyez pas qu’il est gêné ? dit la femme adulte.

- Bien sûr que si, Belle, mais il va s’habituer, intervint Asela avec nonchalance, c’est pour ça qu’il nous l’a amené.

- Bien sûr que non, rétorqua la femme adulte, si tu te renseignais sur ce qui se passe là-haut, tu sauras qu’il est venu aujourd’hui pour s’occuper d’une armada de monstres venue nous kidnapper.

- C’est vrai ? dit la petite fille rousse.

- Mêle-toi de tes affaires, Mel, dit Mallory.

- C’est pas gentil !

Puis elle partit bouder dans son coin.

Sacrée ambiance.

Astéron avait annoncé au Héros que c’était un lieu pas vraiment fréquentable, mais ces femmes avaient l’air de bien s’amuser.

Mallory vient derrière le garçon et l’enlaça, collant sa poitrine contre son dos.

- Est-ce si dérangeant de l’initier à ce jeune âge ?

La dame en chemise de nuit attrapa le bras du garçon et l’emporta avec elle à l’extérieur, au lieu de passer par la porte d’entrée, ils passèrent par une porte de secours et le lâcha une voix dans le couloir de la tour inversé. La dame se mit contre le garde-corps, pencha la tête et décolla de son string un paquet de clopes qu’elle s’était gardée, puis l’alluma avant de tirer dessus et de rejeter la fumée qu’elle avait inhalé.

- J’imagine que je ne t’en propose pas.

Le Héros secoua la tête en signe de refus.

- Tu es un bon garçon.

Pour une fois depuis qu’il était arrivé dans ce strip-club, cette phrase sonna aux oreilles du garçon comme un véritable compliment au lieu d’une gentille moquerie sur son innocence.

- Je n’ai pas vraiment de choses à te dire, lui dit la dame, je juste voulais d’écarter de ce lieu de débauche. Tu es déjà un monstre, évitons que tu sois un pervers.

- Un monstre ? Vous savez qui je suis ?

- Les rumeurs sont mon petit péché mignon, et j’ai entendu parler d’un être diabolique qui accompagnait le Marchand de Morts. Et il n’y a pas trente-six mille gosses qu’il se traîne derrière lui.

- Je vois.

Elle reprit une bouffée de sa cigarette.

- Au fait, j’ai oublié de me présenter : Clarysse. Et toi ?

- Je n’ai pas de nom.

- Oh ça c’est pas très commun ça ? Tes parents te haïssaient au point de ne pas vouloir que tu existes ?

- Sûrement, mais ça fait des années maintenant. Je m’en souviens plus très bien…

Il s’en souvient parfaitement. Comme la majorité des évènements de sa vie, et c’était l’un des nombreux moteurs de sa haine envers le monde.

- Sinon c’est quoi ce lieu ? changea-t-il de conversation, pourquoi les femmes dansent à poil et se trémoussent sur des hommes et des femmes ?

- Quoi ? Tu sais pas c’est quoi un stripclub ?

- Bah non…

Clarysse eut un petit rire moqueur.

- Bien que tu as tué d’innombrables monstres et personnes, tu arrives à rester aussi innocent… Un stripclub c’est un lieu où des femmes – ou hommes quand on en a – qui se dandinent pour le plaisir de clients libidineux en échange d’argent. Et nos « employés » peuvent aller au-delà de leur travail régulier pour avoir des extras. En gros, ce sont des putes.

- WOUAAAA ! hurla le Héros, et la petite gamine en fait partie ?

- Avant ma venue, cela aurait été le cas mais non, j’ai réussi à la faire épargner par la boss. Elle ne fait que danser.

- C’est pas très bien de faire cela.

- C’est l’argent qui guide ces filles jusqu’à nous. Elles ont besoin d’argent, on a des clients ayant des goûts extravagants, pif paf pouf, on a un marché. Mais t’es trop jeune pour comprendre la malice qui habite en chaque être de ce monde.

Elle prit une nouvelle bouffée de sa cigarette.

- Si je n’étais pas chargée de m’occuper de ces jeunes filles, il y a bien longtemps que j’aurai sauté au fond de ce trou en ayant une mort directe et inexorable.

- Vous aussi vous avez perdu espoir à ce que je vois.

- Avant j’aurai pu te dire un oui clair et net, mais aujourd’hui… on va dire que c’est compliqué. J’aime énormément ces filles et elles ont du mal à s’en sortir sans moi alors je me dois de rester en vie. C’est pour cela que vous avez intérêt à assurer leur sécurité convenablement.

- Sur ça ne vous inquiétez pas, je suis expert en chasse de monstres donc ça devrait aller.

- Je ne pense pas que votre principal, ça soit les gobelins…

Dans le bureau de la cheffe, Astéron apprend qui est le principal ennemi qui veut s’en prendre au stripclub.

- Effectivement, j’ai besoin de vos services car ce n’est pas simplement de gobelins dont vous devrez vous charger mais de défendre l’une de mes gagneuses qui est la proie de l’un des membres de l’une des familles de Vicenti.

- Donc en plus d’une mission de garde-du-corps contre des monstres, on doit jouer les gardes du corps pour l’une de tes filles contre l’une des familles de Vicenti ? en conclut Astéron, je comprends mieux pourquoi t’as mis des taros aussi hauts sur ta fiche, y a des gens aussi bêtes que nous. C’est qui encore les guignols qu’on doit fracasser parce que, même si le gosse j’ai rien à lui apprendre sur comment charcuter un type, reste que j’ai pas envie de me mettre une quelconque mafia sur le dos…

Cralim eut un petit rire en coin et fait pivoter sa chaise pour se mettre face à sa fenêtre factice affichant une métropole animée de l’ancien monde en guise de fond d’écran.

- Je me suis toujours demandée comment un homme aussi dangereux que toi pouvait se balader aussi sereinement dans les terres désolées de Francilia.

- Oh, ma chère Cralim…

Astéron lui saisit la main, lui caressa tendrement et afficha un sourire charmeur. Il n’en fallut pas plus pour faire rougir le tenancière de ce bordel « cosy ».

- …bien que je sois considéré comme un monstre inhumain, comme mon frère, il y a bien des personnes qui me protègent, des grands-frères et des grandes-sœurs qui veillent à ce que je vive. Ironique quand je pousse des frères et sœurs à s’entre-tuer, se gausse-t-il, j’aurai grand espoir que tu en fasses partie…

Puis il lui lâcha la main et, par réflexe, Cralim tenta de la rattraper puis se résigner. Astéron a un petit rictus satisfait en voyant son geste.

- Mais revenons à notre sujet : parle-moi un peu plus du deuxième « service » que je dois te rendre ?

Cralim fait disparaître la déception qui s’est affiché et reprend son sérieux.

- Il y a l’une de mes gagneuses qui a fait de l’œil à une certaine petite frappe des souterrain et bien que je ne veuille pas lui donner, il persiste à vouloir l’avoir.

- Une « petite frappe » ? demanda Astéron, si ce n’est que cela, tu peux très t’en occuper. N’as-tu, comme moi, certains employés « spéciaux » ?

Astéron savait à quoi il faisait référence concernant Cralim, mais pour elle, elle hésitait entre le garçon qu’il se trimballait ou ces fameuses personnes qui le protégeaient avant l’arrivée de cet humain au visage de ténèbres.

- Bien sûr que si. Même un stupide tueur à cage que je paye en nature en utilisant l’une de mes filles aurait été suffisant, mais ce bon à rien de petite frappe est affilié à une des Familles de la ville.

- Laquelle ? Les Montiga ? Les Galiori ? Duchnille ? Colonna ? Valinco ? Orsoni ? Fargette-Régnier ?

- Les Loliesse.

Astéron haussa un sourcil avant d’éclater de rire.

- Je comprends maintenant le prix ! Y a que les dégénérés et nous, ce qui revient au même qui voudrait se confronter à eux. Ces enfoirés affiliés à l’église de l’Ultime Souvenir sont intouchables.

- Je le sais.

- Sauf qu’étant donné que je suis détesté l’église, ça reviendra au même… un peu…

- Je savais que tu ne te débinerais pas.

- En gros, si je comprends bien, je dois empêcher que les gobelins s’en prennent à tes filles tout en empêchant une éventuelle attaque de l’une des Familles mafieuses les plus puissantes de cette ville ? Je préfère encore braquer le doc Gear-O, au moins ses représailles sont amusantes.

- T’acceptes ou pas ? s’agaça Cralim.

- Bien sûr ! L’argent, c’est de l’argent, mais sache une chose. En plus de mon prix, un jour viendra où tu devras me rendre la pareille, et ça ne sera pas grâce à tes putes, dit-il avec le plus grand des sérieux.

Astéron s’en alla et ouvrit la porte du bureau.

- Je vais dire ce dont le gamin doit s’occuper, il connait son travail mieux que personne et a une efficacité hors-pair bien qu’il soit ultra maladroit dans ses déplacements.

Et lorsqu’il tourna son regard à l’extérieur du bureau, il y trouva le Héros entouré de femmes à moitié voire complètement dénudées, qui taillaient bavette avec lui, sans se soucier de sa gêne apparente. À ce moment précis, deux pensées vinrent à l’esprit du contrebandier : « Pourquoi plus jeune, il n’avait pas eu cette chance ? », et « Qu’est-ce qui lui avait pris de reporter la greffe de ces Iœils – des yeux bioniques connectés ? » Il aurait pu le prendre en photo sans même qu’il s’en rende compte. Là, il allait devoir prendre son holophone dont le flash était visible et, comme à son habitude, le garçon allait lui faire une crise. Pourtant, la seule réaction qu’eut le Héros fut d’envoyer des regards d’appel à l’aide à son grand frère et ce fut les filles qui s’énervèrent à son encontre. Néanmoins, imperturbable, Astéron continua à observer le garçon, esquissa un rictus mêlant amusement et jalouserie, et finit par répondre au glougloutement de toute la basse-cour qui l’entourait.

- Oh c’est bon ! Je suis déjà l’un de vos plus fidèles clients considéraient cela comme une photo-souvenir !

- C’est pas une raison, lui répondit l’une des filles, y a des règles, il faut savoir les appliquer.

- Les règles sont faites pour les non-privilégiés, moi je suis un privilégié, lui estoqua Astéron, que ça soit par ma carte de fidélité que voici, que par ma nom de famille, alors j’ai le droit de les exercer. Mais puisque vous insistez, j’arrête et je m’en vais avec le garçon.

Astéron libéra le Héros de l’encerclement qu’il subissait et l’emporta avec lui sous les hués des femmes de joie et des effeuilleuses, celui-ci rit à gorge déployée en les voyant le vilipendaient à ce point.

Une fois éloignés, Astéron reprit ses taquineries envers le Héros.

- Alors ça fait quoi d’être entourés d’aussi ravissantes femmes dénudées ? lui demanda Astéron.

- Je… J’en ai aucune idée de ce que je devrais penser…

- Regarde la réaction de ce que tu as sous le pantalon, il t’indiquera ce que tu penses, rit le marchand d’armes.

Le garçon regarda sous son pantalon avant de se rétracter et de plaquer ses mains dessus, ce qui fit encore plus rire son grand-frère.

- C’est pas ma faute si toutes ses filles sont venues m’entourer en étant toute nue ! Pourquoi elles sont aussi collantes avec moi ?

- Peut-être parce que tu ne les vois pas comme de simples objets sexuels mais comme de belles femmes.

- Hein ? Je comprends pas, dit le Héros circonspect.

- Les femmes qui travaillent aussi n’ont trouvé comme seuls moyens de survivre dans ce monde obscur que de vendre leur corps. Elles viennent de toutes horizons et ont différents vécus : certaines étaient trop pauvres pour subvenir au besoin de leurs familles, leurs maris les a répudiés et se sont retrouvés sans le sous, d’autres ont été vendues et encore d’autres ont été recueillies… Mais en finissant dans ce lieu, elles ne devinrent rien d’autres que les objets des yeux lubriques d’hommes voulant les soumettre à leurs désirs. On dit souvent que les violeurs violent parce que c’est leurs bas instincts qui ressortent, mais en ayant traîné suffisamment longtemps ici, je peux te dire que c’est bien pour faire valoir leur domination envers ces misérables créatures…

- Je saisis pas clairement le rapport avec moi…

Astéron soupira.

Il pouvait paraître plus vieux qu’il en avait l’air, mais lorsqu’il s’agissait de sentiments autre que sa haine féroce pour le Némésis, il était incapable de les exprimer ou de les observer avec pertinence. On devait toujours lui expliquer, et cela agaçait Astéron. Mais bon, finalement, lui aussi semblait oublier qu’au-delà d’avoir une véritable arme humaine comme garde du corps et compagnon, il avait face à lui un adolescent, peut-être la plupart du temps psychopathe, psychotique, meurtrier, légèrement cannibale – longue histoire… –, mais surtout en plein développement et qui n’avait pas vraiment de connaissance sur le monde.

- En résumé, avec ton insouciance et naïveté qui te sied bien, ton regard arrive à les faire ressentir qu’elles sont des femmes encore assez attirantes et qu’elles sont belles, sans cette volonté de vouloir les rabaisser, les briser ou faire montre de sa p. C’est bien pour cela que d’une certaine façon, elles ne sont pas rebutées lorsque des darons viennent leur amener leurs fils pour les dépuceler. Ces adolescents, pour pas dire plus jeunes, doivent avoir la même gêne que tu as dans le regard, ou bien cela doit être un trait distinctivement des puceaux, je sais pas… En tout cas, t’auras pas à te cacher à cause de ta malédiction puisqu’elles ont dû voir passer, autant à l’entrée que dans leurs lits, des tas de spécimens bien plus affreux qu’un homme au corps sans éclat. D’ailleurs, ça me rappelle un film que j’ai loué à l’holovidéo-club, comment il s’appelait déjà ? Ah Oui ! Pretty Wo…

- Vous parlez si bien, m’sieur ! dit une voix juvénile derrière les deux hommes.

Ils se retournèrent et virent la gamine dont la présence surprenait le Héros.

- Oh ! En parlant de personnes vendues, s’exclama Astéron.

Il vint s’accroupir près d’elle et lui tapoter le haut du crâne.

- Alors, comment ça va, jeune fille ? Tu as bien travaillé aujourd’hui ?

La question d’Astéron n’était pas anodine : il avait un humour caustique plutôt cynique, ils savaient très certainement qu’elle était potentiellement le dur labeur de cette pauvre gamine. Il était vraiment une personne exécrable.

- Oh ça va, aujourd’hui j’ai dansé pour un vieux monsieur, expliqua la jeune fille, il adore me voir me dandiner et m’offre même des crédits supplémentaires lorsque je me déshabille.

Astéron l’écoutait gentiment, sans rien dire, lui caressant les cheveux avec un sourire enjôleur, les yeux fermés, pendant que le Héros ruminait dans son dos, le regard furieux, ses lèvres serrées et et ses yeux qui s’enflammaient d’une obscure colère ne présageaient rien de bon.

- Mon adorable gentil petit-frère, te rappelles-tu la première règle lorsque nous sommes en mission ?

- Oui…, dit-il en cachant difficilement ses envies de meurtres.

- Peux-tu me la réciter ? J’ai du mal à m’en rappeler.

- « Peu importe où on se trouve, que les gens soient des barbares, des crapules, des voleurs, qu’ils commentent des meurtres, s’en prennent à la veuve et l’orphelin, qu’ils commettent des larcins sous nos yeux, on n’a aucunement le droit d’intervenir », récita le Héros.

Astéron gigota la tête de gauche s’interrogeant sur la bonne tenue de la phrase que vient de lui réciter son frère.

- « Droit » ne serait pas le bon terme, mais on va dire que ça passe.

- Pourquoi il est fâché ? demanda la jeune fille.

- Il est très émotif, lui expliqua Astéron, on peut croire au premier abord qu’il ne se préoccupe pas des gens qu’ils croisent et qu’il n’a d’yeux que pour son stupide devoir héroïque, mais sa mère l’a bien éduqué dans sa religion. C’est comment qu’on dit déjà, « Latom » ?

- Va te faire foutre, le rabroua le Héros.

Astéron fut hilare de le voir en colère à ce point.

La fille s’approcha du Héros et l’enserra le bras, puis le fixa avec des yeux tout doux.

- M’sieur, faut pas vous mettre dans un état pareil…

La voir aussi peu vêtue et savoir que des hommes adultes dégueulasses la fixer avec un regard lubrique en s’imaginant des choses qu’une fille de son âge ne doit jamais avoir pratiqué, le répugnait au point de le rendre nauséeux. Il la repoussa farouchement d’un simple jet de bras, Astéron la réceptionna de justesse avec son bras de chair.

- Hé, lui cria Astéron.

- C’est bon, laisse-moi tranquille ! Toi, dis-moi où se trouve celle qu’on appelle Berle.

Le voilà en mode « travail ». Toute son innocence s’était en allée pour ne laisser place qu’à la bête avide de sang et du travail bien accompli. Cette schizophrénie entre le garçon qui découvrait les horreurs du monde pas-à-pas et la créature violente qui déchainait toute sa violence envers ses adversaires et ses ennemis – naturels ou non – paraissait plus que dangereuse pour Astéron. Il se moquait « gentiment » de cette morale à laquelle il était attachée, mais il était plus que vrai, bien que le garçon ne veuille l’avouer que c’est ce qui lui fait avoir cet esprit, cette envie de justice, bien qu’il voudrait s’en libérer pour devenir totalement la bête démoniaque qui s’en prendrait au Némésis et ses compères.

Cette dichotomie entre ses deux « personnalités » ne présageait rien de bon…

- Déjà, c’est pas « toi », c’est Silipia, s’énerva la fille aux bouclettes rousses.

- Très joli, commenta Astéron, c’est le nom d’une fleur ?

- Je sais pas. J’ai pas eu le temps de demander à ma mère avant qu’elle se fasse trucider, dit-elle avec voix beaucoup plus posée.

Le Héros serra les dents, mais finit par se calmer et s’excuser platement pour son comportement.

- Oh c’est pas grave ! J’ai déjà eu pire, lui répondit-elle avec un grand sourire, mais tâche de pas recommencer, c’est compris ? en lui appuyant sur le nez avec son index, allez, suivez-moi.

Le Héros hocha la tête timidement. Puis la petite fille prit la suite du duo.

- Elle a un sacrément tempérament pour son âge, notifia le marchand d’armes, je suis certain qu’elle fera une très bonne femme à marier, tu ne penses pas ?

- J’en pense rien, moi…

- Pense-s’y, après tout vous n’avez qu’un an ou deux de différence ? Il faut aussi penser à l’avenir parfois…

- Pour avoir le même destin que la policière ? Non merci ! cracha le Héros.

- Quelle policière ?

- Laisse tomber, et toi tu penses à l’avenir ? Avec Helmir ?

- Il y a bien longtemps que je me contente de mon simple présent… Hein ? Avec Helmir ? Qu’est-ce que tu me racontes ?

- Je sais pas vous avez plutôt l’air proche, non ?

- Oui, c’est une très bonne amie, mais…

- Nous y voilà, cria Silipia.

Celle-ci, tout excitée, ouvrit la porte en trompe et se jeta sur le lit de la future protégée du Héros et de son grand-frère. Tous les deux découvrent une fille aux yeux creusés dans leurs orbites, habillés d’immenses voiles de cernes, des cheveux blonds ébouriffés et totalement décoiffés, des haillons en guise de vêtements et elle était pleine de transpiration et recouverte de papiers déchirés.

Astéron et le Héros se regardèrent tous les deux, choqués par cet étrange spectacle. Le contrebandier connaissait très bien la gérante et savait qu’elle ne laisserait pas l’une de ses marchandises vivre de façon aussi… délaissée ?

- Berle ! T’as encore fait un cauchemar ? demanda la petite fille.

La jeune femme ne lui répondit pas, détournant les yeux des siens.

- Regarde dans quel état tu t’es mise ! dit Silipia en ramassant tous les morceaux de papier qui l’entouraient, tu peux pas t’énerver comme ça et te permettre de saccager la plus belle chambre que la patronne puisse t’offrir gratuitement…

Le Héros observa ladite chambre et effectivement, elle n’avait rien à voir avec le bordel ambiant de cette maison close : des LEDs incrustées dans les coins du sol, un bureau, un fauteuil à socle de lévitation en forme de boule, une belle moquette rouge, une fausse fenêtre montrant ce qui lui semblait être le jour comme ce qu’il voyait dans les oasis de lumière ou dans les livres d’histoire – fictive ou réelle. Cette jeune femme déboussolée profitait d’une bien meilleure chambre fut la pensée du Héros, mais Astéron, lui connaissait bien la gérante de cette maison close, se demandait bien pourquoi elle offrait tant à cette jeune femme.

Pour le savoir, il allait devoir dégager les deux enfants de la pièce et jouer de ses charmes.

- Bon les gosses, vous pouvez partir, je voudrais parler à la jeune femme en privé.

- Pourquoi ? s’indigna Silipia, je l’ai pas vu de la nuitée !

- Et moi aussi j’ai des questions à lui poser, se rajouta le Héros, étant donné que c’est moi qui vais devoir la protéger.

- Vous la verrez plus tard, gronda Astéron.

Astéron poussa les deux enfants à l’extérieur de la pièce avant de claquer la porte, puis soupira.

La phase de séduction allait pouvoir commencer.

Avec sa main droite, la tendant en direction des LEDs, il baissa la luminosité de la pièce à l’aide de son index et de son majeur, se saisit de la chaise en suspension et se rapprocha de cette jeune femme en plein désarroi.

- Une aussi belle jeune fille ne devrait pas se retrouver dans un état pareil, débuta Astéron d’une voix tendre et mielleuse.

La jeune fille, tête collée au mur, le regard fuyant, n’est pas réceptive, mais Astéron poursuit son interrogatoire.

- On m’a vaguement expliqué ce qu’il t’était arrivé, les menaces que tu as reçues, mais je n’ai pas assez d’informations pour pouvoir te défendre face à l’homme qui attente à ta vie.

- C’est… c’est… peine perdue…, siffla tout doucement leur future protégée, il va revenir et… il va me refaire mal.

À cette déclaration, Astéron observa un peu mieux cette jeune fille nommée Berle et découvrit sur les parties visibles de son corps des traces de lésions et d’ecchymoses. Celle-ci, voyant l’intense regard observateur, se cacha les jambes avec sa longue robe et se recroquevilla encore plus dans le coin de son lit.

- Ne te cache autant, j’observais juste ces blessures dont tu me parles…

Soudain, la fille tourna son regard vers Astéron, les lèvres tremblantes, elle dit :

- Je vous… vous ai entendu dans le couloir. Vous… vous disiez dans le couloir que les hommes font mal aux femmes par plaisir de les dominer, de montrer qui était le plus fort…

- Je dois avoir dit ça oui, mais tu sais, je parle, je parle, sans jamais m’arrêter donc je me souviens pas toujours de ce que je dis, dit Astéron d’un ton rieur.

- Vous critiquiez ces hommes pourtant vous avez dit aux filles que vous aviez une carte d’adhérent à cette maison close, le rabroua-t-elle, pourquoi je vous ferai confiance alors que vous êtes comme les autres hommes ?

Astéron était amusé d’apprendre que cette fille avait l’ouïe aussi fine, parce que la pièce dans laquelle il avait revendiqué son droit de photographier les autres filles de joie se trouvait à quinze mètres de cette chambre. En plus, elle, elle l’écoutait vraiment par rapport à son frère qui semblait toujours avoir l’esprit ailleurs.

- Déjà pour être clair, je n’ai jamais critiqué ces hommes, clarifia-t-il, je ne me le permettrai pas étant donné quel genre d’homme je suis. Je n’ai fait qu’un constat concernant ce que j’observais dans ce lieu où les fluides les plus immondes et les nuisances les plus graveleuses se déversaient sans discontinuité, et ce constat valait au-delà de ces murs, et pour hommes et femmes d’ailleurs. Je ne suis pas différent des autres hommes : j’aime la chair, j’aime ce mode de vie en dehors du mensonge sociétal qu’essaie d’entretenir les derniers membres de notre espèce. Mais malgré cela, je ne me sens pas au-dessus de ce filles qui vendent leurs corps pour survivre, bien qu’elle puisse débéqueter et être traitées par les hommes d’en haut et d’en bas, je me sens proche de ses femmes. Je prends plaisir à avoir des rapports, qu’elle danse sur moi, que je leur claque les fesses…, toutefois après les ébats, je leur tends la main pour qu’elle me raconte leurs déboires, leurs afflictions, leurs rêves perdues. Je ne fais aucune différence de couleurs ou de races. Nous sommes tous soumis sous le joug de ce monde impitoyable qui reflète bien notre image. Je ne dis pas que je ne peux pas me sentir supérieur vis-à-vis de certaines personnes, mais je n’écraserai jamais, sous le poids de ma domination des personnes plus bas que terre.

Il se rapprocha d’elle, lui agrippa doucement les mains pour l’amener vers lui avant de lui attraper le menton et de plonger son regard dans le sien.

- Et comme je l’ai fait avec toutes ces filles, à toi aussi je tendrai la main.

- Bon t’as fini ton cirque, le dragueur de mes deux ? dit le Héros en sortant du coin de la pièce le plus sombre, ses lumineuses pupilles écarlates irradiant ses yeux, la fille, dis-nous à quoi ressemble l’homme qui te bat, vers quelle heure il débarque d’habitude,…

- Mais tu veux lui faire avoir une crise cardiaque en te cachant comme ça ? s’écria Astéron, arrête tes conneries avec tes yeux rougeâtres.

Par réflexe, le garçon se cacha les mirettes avec ses mains et déclara :

- Ils sont très bien mes yeux !

En plus, parle mieux à Berle ! dit la petite fille qui se cachait derrière lui.

Elle lui donna un coup de pied bien placé dans le genoux qui le fit sautiller sur place pendant quelques secondes à cause de la douleur.

- Et déjà comment vous êtes rentrés sans que je vous remarque vu le gros balourd que t’es et la pipelette sans frein qu’est Silipia ?

- Je lui ai donné dix crédits pour qu’elle ferme sa gueule et vu que tu m’as cassé les couilles avec le fait d’être discret pendant certaines opérations, fallait bien que ça serve un jour.

- Surveille ton langage, et j’imagine que ça ne servira pas pendant le jour des opérations.

- Exactement.

Astéron se claqua le visage devant l’absurdité que représentait son frère, mais cette mini dispute fit glousser Berle le temps d’un instant lui faisant esquisser un sourire.

- Je dois avouer que tu fais moins peur quand tu parles avec ton collègue, déclara Berle en s’adressant au Héros.

Ensuite, le sourire de la jeune femme battue disparut.

- Vous êtes sûrs d’être capable de pouvoir me protéger ?

- Je peux t’en assu…

- On verra, dit le Héros.

Astéron lui lança un de ces regards noirs.

- Hé ! C’est pas comme ça qu’on rassure les gens, l’engueula Astéron.

- Je tiens à te rappeler qu’à la base, avant de protéger cette femme, on est venus à cause d’une invasion de gobelins, lui rétorqua le Héros, on doit se protéger tout cet endroit et pas seulement cette fille. Ce ne sont pas de simples créatures Féériques ou des animaux que je peux décimer avec de simples coups d’épées, ces gars sont ingénieux et ont un véritable esprit de cohésion. On fera ce qu’on pourra, et en dernier recours, j’aurai qu’à me transformer.

- Je voudrais éviter cette éventualité, lui dit Astéron.

- Maintenant dis-moi, « Berle », tout ce que tu sais sur cet homme.

Berle baissa les yeux un instant, avant de les relever, le regard encore fuyant, hésitante :

- Est-ce que je peux vous faire confiance ? leur demanda-t-elle.

- Tu n’as pas le choix, lui dit le Héros.

Après une grande inspiration, elle se mit à table : description physique, horaires de passage, habitudes, consommation… Tout fut su pour servir à sa protection.

Une fois qu’ils ont eu tous les renseignements sur cet homme, Astéron ordonne au Héros de rester avec Berle pour la protéger, lui s’occuperait de placer des pièges tout autour de la maison close.

- Je peux le faire moi-même…

- Pour que des Vicentiois soient pris dans les pièges parce que tu ne fais jamais attention ? Et puis quoi encore ? Fais ce que je te dis.

Le Héros rouspète mais obéit à l’ordre de son frère. Il s’équipa de son arme, s’assit en face de la porte et dos à la fenêtre, attendant la quelconque venue d’un inconnu belliqueux. Pendant ce temps, son frère appela, grâce au commutateur portable fixé sur son poignet, sa boîte à pièges qu’il avait laissé dans son véhicule, et il dissémina tout autour de la maison close des tas de dispositifs assez invisibles à l’œil nue dans des recoins que pourraient emprunter les gobelins et de tourelles au plafond de leur étage de la tour inversée. Étant issues de ce qu’il appelle, son « laboratoire de la mort », ces tourelles devraient avoir la capacité de discerner un gobelin vicentiois d’un gobelin belliqueux, ou d’un humain d’un gobelin tout court. Il se souvint que son père, lui, ne serait pas pris la peine d’insérer une quelconque intelligence artificielle capable de faire de la distinction raciale au vu de sa haine pour les Féériques.

Une fois tout cela mit en place, il percha une caméra au-dessus de la maison close, dans un espace assez étroit entre le toit du stripclub et du plafond de l’étage, pendant que lui, allongé au côté d’une des filles du club, surveillait à distance la venue de la Famille et des gobelins.

- Espérons que le gamin est bien compris qu’il ne doit pas tuer ce gus…, s’inquiéta Astéron.

Finalement, avec le Héros, ils avaient conclu que vouloir s’en prendre à toute la famille serait bien trop dangereux : déclencher une fusillade avec autant de civils ferait forcément des dommages collatéraux, alors autant jouer au bon vieux jeu de l’intimidation. Le Héros avait assez « bonne » réputation auprès des malfrats, son facteur d’immortalité était une assez bonne aide pour le rendre effrayant. Lui devrait se charger de cette petite frappe qui molestait Berle, alors qu’Astéron se chargerait du boss de la Famille qui allait venir voir Cralim – à sa demande. Il négocierait une transaction d’armes et en même temps, dirait à ce Galador Glagski Verlione Loliesse de remettre son protégée sur droit chemin.

- Tu es sûr que tu veux pas qu’on reprenne là on s’est arrêté ? lui demanda Raphaëlla.

Raphaëlla qui devait sûrement être son nom d’artiste, comme la majorité des filles d’ici, qui cachaient leurs véritables identités sous des pseudonymes – la détection faciale n’avait pas été encore remise au goût du jour avec les données obtenues dans les Bibliothèques Universelles.

- Oh que non. Je tiens à être payé par ta patronne. Ce travail est sérieux et je tiens pas à le louper.

- Toujours aussi consciencieux.

- Si je ne l’étais pas, tu n’en redemanderais pas à chaque fois.

Raphaëlla lui pinça le nez, vexé par son propos.

Entretemps, dans la chambre de Berle – elle qui n’avait pas eu le temps d’avoir un pseudonyme pour cacher son identité –, la tension était pesante. Le Héros n’avait pas bougé d’un poil, le seul mouvement qu’effectuait son corps était celui de son index gauche qui procédait au tournoiement de son arme laser. Il était comme un automate ayant qu’une seule commande, comme dans les fêtes foraines ou les cirques de fer.

Berle n’osait pas lui adresser la parole, il avait l’air méchant, cruel, violent et dénué d’empathie, à l’inverse de son grand-frère. Sûrement l’un de ces hommes qui adorait la violence et se délectait des cadavres qu’il laissait sur leurs sillages…

- Tu comptes rester ici ? l’interrogea le Héros.

- Où… où tu veux que j’aille dans la pièce d’à-côté ? lui demanda Berle, je te gêne ?

- Je te parle pas de ta position actuelle, je te demande si tu comptes rester dans ce « stripclub » alors que tu subis tout ça.

- Et où tu voudrais que j’aille ? Le monde est trop dangereux pour une fille comme moi. Il est trop dangereux pour des enfants comme nous.

- Et tu préfères être traitée comme ça plutôt que vivre par toi-même ? dit le Héros.

- Vu qui tu es, t’es pas le genre à qui on doit expliquer la vraie vie, monsieur le démon, alors arrête de parler comme si la vie était facile.

Puis, sans crier gare, Berle s’énerva en se redressant sur ses genoux et en foudroyant du regard le Héros.

- Moi j’avais un rêve ! Quand j’étais dans mon village, je voulais me marier comme toutes les grandes filles, trouver le prince charmant, mais il a fallu qu’on se fasse piller et tuer par des chevaliers de je ne sais quel royaume. J’ai réussi à m’enfuir mais le monde dehors, c’est… affreux ! Si je peux vivre ici, au prix de mon corps, en toute sécurité en échange de quelques blessures, alors…

Elle n’eut pas la force de finir sa phrase, et cela se ressentit sur son corps qui s’écroula sous son poids, la tête au bord du lit, ses mains en-dessous de celui-ci. Le Héros l’entendait sangloter, mais ne réagit pas. Il n’était pas son frère à comprendre les autres, à trouver les bons mots pour consoler les personnes en détresse – surtout des femmes. Lui était pragmatique : il y a un problème, alors il doit le résoudre pour que le problème n’existe plus.

Toutes ces histoires d’émotion ou que sais-je, ce n’était pas pour lui.

Berle releva la tête et commença à dire :

- Peut-être qu’un jour mon prince viendra et qu’il m’emmènera loin de ce misérable lieu…

- Même les princes sont d’immondes merdes, gamine, lui dit le Héros, et je pense qu’il ne s’abaisse pas à venir dans des lieux aussi miteux, alors rêve pas trop.

Soudain, tous les deux entendirent du vacarme provenant de la salle centrale. Son frère ne l’avait pas appelé, alors il devait s’agir de la Famille qui avait enfin daigné montrer le bout de son nez.

Astéron enfila son pantalon et se présenta auprès des membres de cette famille mafieuse, très ravi que ça soit eux qui arrivent et non les gobelins – même si cela aurait été préférable que les gobelins soit les premiers arrivaient…

- Elle ne m’aurait donc pas menti, cette petite peste de Cralim ? s’émerveilla un homme jouvelu en costume trois pièces, je n’aurai jamais cru croiser une légende vivante de votre trempe dans un tel endroit.

- Je vous retourne le compliment, monsieur Galador Loliesse.

Galador Loliesse, chef de la famille mafieuse des Loliesse, un homme bouffi, bon vivant, dont le visage respire la joie et la bonne humeur – si on ne comptait pas ses multiples globes oculaires qui parsemaient sa face. Il est connu de tous comme étant un homme proche des enfants, dans le bon sens du terme, et n’aimant pas faire de vague. Bien sûr, étant chef de l’une des familles les plus puissantes de la ville, il se doit d’être dur et de montrer l’exemple auprès de ses hommes, bien que cela le répugne de se salir les mains.

Il était difficile à croire qu’un homme qu’on savait avoir la vie de famille la plus lambda qui soit, femme et enfant aimants, pouvait être à la tête du top 3 des organisations les plus dangereuses – au sein du groupe des familles mafieuses. Et comme les membres de sa famille de sang, il traitait ses hommes comme ses fils, c’est pour ça qu’il leur offrait parfois des filles à troncher pour atténuer leurs testostérone – chacun ses mœurs !

- Vous savez, monsieur Loliesse, vous auriez pu me contacter à mon bureau, lui dit Astéron, au lieu que nous nous rencontrions dans une maison close. Ce n’est pas le genre d’endroit où on conclut un contrat.

- Comment savez-vous que je suis là pour un contrat avec vous ? Et qui vous dit que cela se conclura dans la soirée lui demanda monsieur Loliesse un sourire en coin.

- On ne me voit jamais pour faire causette, et jamais on repart sans un contrat conclu, quel qu’il soit.

- Vous parlez comme la figure du diable dans l’ancien temps, lui fit remarquer Galador.

- C’est trop d’honneur, mais ça ne ferait sûrement pas plaisir à mon petit-frère que vous me dites cela, rit Astéron, allez, allons nous poser dans un endroit beaucoup plus tranquille que dans ce lieu où les lumières nous aveuglent autant que les paires de fesses.

Astéron enroula son bras autour des épaules et l’emmena dans une salle un peu moins bruyante pour pouvoir entamer ses fameuses fausses négociations. Pendant ce temps, les hommes du père Loliesse pourraient en profiter pour jouer avec toutes les poupées présentes face à eux.

Dans la chambre de Berle, le Héros avait collé son oreille contre le mur pour entendre l’arrivée d’un quelconque intrus, mais il n’y avait personne qui avait l’air d’aller dans la direction de la chambre. Il décolla son oreille mais rapprocha sa chaise du battant de la porte au cas où ce visiteur inopportun viendrait une nouvelle fois s’en prendre à Berle. Le Héros espérait qu’Astéron règle cette histoire avec son client qu’il puisse s’occuper des potentiels gobelins qui pourraient surgir à n’importe quel moment – ne pas être en repérage le stressait.

- D… dis-moi, c’est quoi ton nom, au juste ?

- J’en ai pas, dit le garçon concentré sur le moindre grincement.

- Ah… Tu es ce genre de personnes…

- Ouais je suis ce genre de personne.

Comme à son habitude, lorsqu’il devenait sérieux, il redevenait peu loquace. Mais Berle, curieuse de l’être humain maudit qu’elle avait en face d’elle voulut poursuivre la discussion bien qu’il soit du genre taciturne.

- On est un peu pareil… Des parias qui ont été rejetés par leurs familles respectives…

- Non. Ma maman m’aimait.

- Alors pourquoi elle ne t’a pas donné de prénom ? Quelle mère voudrait t’effacer de la mémoire des gens ?

- Ma génitrice et mon géniteur, lui répondit-il du tac au tac sans pour autant quitter les battants de la porte, ma mère, elle, elle n’a jamais osé m’en donner un parce qu’elle s’en est jamais senti légitime.

Berle souleva la tête. Le peu qu’elle en avait appris sur le garçon le rendait beaucoup plus… sympathique, malgré l’effroyable aura qu’elle ressentait émaner de lui. Elle renifla la morve qui s’échappait de ses narines et s’essuya ses yeux avec le revers de sa manche avant de se soulever et de s’assoir, dos contre le mur, les genoux contre elle, enroulés par ses deux bras, se les attachant avec le bout des doigts et posa tête au-dessus de ses genoux. Elle voulait bien discuter avec lui, mais elle se mettait dans sa position défensive. Au cas où – au cas où quoi ? Aucune idée.

- Elle t’aimait beaucoup ta maman ? lui demanda Berle.

- Comme aucune autre personne avant, lui répondit-il d’une voix monotone les yeux peu à peu dans le vague, à part ma sœur. D’ailleurs, elles aussi était comme toi, dit-il avec un petit rire.

- Comment ça ? s’étonna la demoiselle.

- Elles aussi rêvaient de se marier. Bon, ma mère est rentrée dans les ordres de l’Église donc c’était plus d’actualité…

- « Elles rêvaient »…

- Tu devines bien ce qui est arrivé…

Elle hocha lentement la tête, connaissant bien l’histoire commune à la grande majorité des personnes de ce monde.

- Le jour où tu te marieras, je serai… ravi d’y assister…

Berle ouvrit la bouche d’étonnement puis eut un petit rire avant de lui sourire et d’accepter qu’il assiste un son futur très lointain mariage. Et alors qu’ils se laissaient aller à cette courtoise discussion, la porte s’ouvrit dans un grand fracas repoussant le Héros contre le mur, il se rattrapa de justesse pour ne pas tomber au sol.

Un grand homme blond ayant la trentaine, vêtue d’un costume trois pièces, d’une montre remodélisée valant très chère il y a de cela cinq mille ans, de mocassins rayés et salis par le sol crasseux de Vicenti et de ses souterrains, dont la chose chez lui qui était le plus soignée était ses cheveux – d’un blond étincelant, ils étaient parfaitement peignés, aucune pointe farouche et aucune trace de calvitie, débarqua en trompe dans la pièce. Il se jeta sur Berle et lui saisit les bras fermement.

- Alors comment on se retrouve ? lui dit l’homme tout excité, à ce qu’on dit, tu voulais plus me voir ?

Berle se débattait de toutes ses forces pour s’extirper de son étreinte mais l’homme était bien trop imposant pour qu’elle puisse lui échapper.

- Toujours aussi farouche à ce que je vois, hein ? Mais il est temps que je t’apprenne qui est ton maître.

- Laisse-moi, Monsieur Clen…

Il allait lever la main sur elle lorsque le Héros lui attrapa le poignet pour stopper sa gifle. Ce Monsieur Clen se tourna vers lui et fut pris de frayeur en voyant le visage sans éclat du garçon, ses yeux brillant d’un rouge sanglant le foudroyaient et cette force inhumaine commençait déjà à lui broyer les os.

- Mais t’es qui toi putain ? Berle ! T’as pactisé avec un démon juste pour me fuir ou c’est ton nouveau client ?

Cette fois-ci, ce fut lui qui n’arrivait pas à se défaire de l’étreinte du Héros, il se débattait comme un beau diable, mais ce n’était pas assez pour se retirer de l’emprise du Héros qui lui écrasait les tendons du bout de ses doigts en le toisant avec dédain.

- Ça te fait plaisir de te prendre à plus faible que toi ?

L’homme blond, au bord des larmes, avait si mal qu’il n’arrivait qu’à lui répondre qu’avec des grognements.

- C’est à cause des gens comme vous qu’on peut pas vivre en paix, peu importe où on va, que ça soit avec les Féériques ou les derniers humains sur cette Terre.

- Mais… qu’est-ce que t’es putain ?

- Celui qui équilibre l’injustice là où il passe.

Soudain, alors qu’il allait faire éclater sa main en une gerbe de sang, un groupe de gobelins survint en brisant la fenêtre de la chambre, ils poussèrent des cris et saccager tout dans la chambre. Saisissant l’occasion que le Héros soit distrait, Clen repoussa le garçon en lui mettant un coup de pied dans le bide, se défit de la poigne du Héros et en profita pour fuir de la chambre de Berle. Et dans le même temps, les gobelins viennent récupérer ce qu’ils sont venus chercher. Le Héros encore sous le choc du coup que lui a asséné ce Clen, ne peut que voir, impuissant, l’enlèvement de celle dont il avait la charge. Il se remit bien vite du coup de Clen et tenta de rattraper les gobelins mais en regardant à l’extérieur, ils avaient déjà disparu dans les ténèbres du quartier souterrain. Il imaginait bien qu’ils avaient grimpé pour rejoindre le toît pour rejoindre la route principale au lieu de sauter bêtement dans le vide. Malheureusement pour lui ce jour-là, il avait oublié d’emporter avec lui, Ymir.

Alors il courut vers l’entrée du bar de striptease mais en arrivant dans la salle principale, il vit que les gobelins avaient investi les lieux et s’en prenaient à toutes les filles, agrippant leurs cheveux, leurs bras ou leurs jambes pour les obliger à les suivre. Ces affreuses créatures n’hésitaient pas les passer à tabac avec les hommes qui tentaient de les défendre. Le Héros prit l’arme des hommes tués par les gobelins et commença à les mitrailler dans tous les sens. Dans un premier temps, il réussit à les tuer facilement, mais une fois que les créatures remarquèrent sa présence, elles esquivaient tous ses coups, et, avec beaucoup d’arrogance, les gobelins décidèrent de s’en prendre au Héros. Se laissant aller à la colère, le Héros poussa un cri qui leur fit vriller les tympans et qui leur donna la frousse de leurs vies. Tous se précipitèrent vers la sortie, et pendant qu’ils s’y dirigeaient le Héros les exécutait lâchement dans le dos en quête de leur extermination, puis s’arrêta. S’il voulait retrouver Berle, il fallait qu’il les pourchasse, et à attendre les cris à l’extérieur, il n’était pas le seul à avoir eu l’idée.

Astéron sortit de la pièce où il négociait avec le chef des Loliesse et vont voir son frère :

- Qu’est-ce qui s’est passé ? l’interrogea Astéron, notre pièce était un peu trop insonorisée pour que je me rende compte qu’on subissait une attaque.

- Je croyais que tu avais mis des pièges contre ces monstres.

- J’en ai mis… Mais de toute évidence, j’ai sous-estimé les gobelins, s’en désola Astéron, peut-être qu’ils sont des monstres, mais leur intelligence dépasse celle du simple monstre, ils ont dû les désactiver.

- Je vais à leur poursuite, ils ont réussi à kidnapper Berle.

- Sans déconner… Vas-y je te rejoins et t’as le feu vert pour te transformer si besoin, mais rappelle-toi qu’on ne doit pas tuer les Loliesse et que tu dois ramener Berle, en un seul morceau.

Le Héros hocha la tête, fonça vers la sortie en sautant les cadavres sur son chemin. Mais avant de reprendre sa course, il arracha une barre de pole dance et l’envoya dans le crâne de l’homme qui « s’amusait » à tripoter le corps de Silipia. Elle poussa un cri terrifiant en voyant que son client était devenu un cadavre, mais le Héros n’avait pas le temps de lui expliquer ses raisons.

Je croyais qu’elle ne travaillait pas comme les autres femmes…, pensa le Héros.

Il est vrai qu’elle n’était pas censée travailler comme gagneuse comme les autres femmes, mais même en tant que serveuse, comme elle avait été désignée, ces hommes sans scrupules et sans dignité ne pouvaient s’empêcher de les harceler sexuellement. C’est pour cela qu’elle s’était retrouvée dans les bras de ce gros balourd, au visage ventripotent, aux dents jaunis par la cigarette et au tout-nouveau trou au milieu de la face.

Continuant sa course à la recherche de Berle, le Héros suivait les hommes des Loliesse à la trace, puisque ne savant pas où pourrait bien se cacher les gobelins. À cette période, il était moins simple de rejoindre les souterrains ou inversement, la surface, que ces derniers temps. Le trou menant aux souterrains étaient clos par quatre portes métalliques se superposant, bloquant tout accès à la surface - cela avait été mis en place pour empêcher les mutants qui s’y trouvaient de rejoindre la surface. Mais après d’âpres négociations avec le « maire » de la ville et le docteur Gear-O, ils décidèrent de laisser ouvert l’accès aux souterrains – c’était surtout qu’ils avaient découvert quelque chose de très intéressant qui serait très utile pour l’augmentation des capacités humaines, mais qui sera fortement utile, plus tard, pour la quête du Héros. En somme, ils avaient encore une chance de trouver les gobelins.

Néanmoins, sans que le Héros le remarque, Clen l’avait aperçu et ne voulait pas être gêné un bout du groupe des hommes de Loliesse se sépara du groupe et mitrailla le Héros. Pris de court, le Héros sauta à travers la fenêtre d’un logement délabré et calciné, la cendre de ce lieu le fit éternuer, l’empêchant de se cacher convenablement face à ses assaillants et qui le mit dans une bien fâcheuse posture ; caché derrière le muret de cette ancienne maison, le Héros était encerclé par ces gangsters tous habillés d’un costume trois pièces et « quipés d’arme à feu créées par l’imprimante 3D du professeur Gear-O. Le Héros se leva les mains en l’air, bien qu’il soit le héros de la légende, il n’était pas encore aussi vif de corps et d’esprit que lorsqu’il ferait face à Albedo-Wata, alors ne lui tenait pas rigueur pour ce qu’il va suivre.

Guettant de gauche à droite, il tenta de se jeter sur le côté, mais les hommes de la Famille le mitraillait de leurs armes, le trouant de part en part. Le Héros pensait pouvoir les encaisser, se cacher, se régénérer et retourner combattre ses hommes, mais malheureusement pour lui, comme à Satrouville, il se prit une balle dans le crâne et tout son corps s’éteignit.

[Black-out.]

A son réveil, une heure plus tard – ce qui était une période beaucoup plus courte que lorsque Astéron lui mit une balle dans la tête –, il se releva, le corps troué de partout, trous d’où giclaient son sang. Il régénéra ses plaies et sortit de l’appartement abandonné où il s’était engouffré pour échapper à ses agresseurs sans succès – il sent en marchant que ces salopards en avaient profité pour le tabasser pendant qu’il était « éteint ». Une fois qu’il fut sorti de cet appartement délabré et vide de vies depuis fort longtemps, il tendit l’oreille pour savoir où se trouvaient les poursuivants, il aurait cru qu’après s’être effondré faussement mort, il serait déjà retourné dans la maison-close avec Berle, mais de ce qui lui disait les sons qu’il percevait en contrebas, ce n’était toujours pas le cas. Alors il se mit à courir jusqu’à la frontière du deuxième sous-sol et la gigantesque porte métallique qui séparait la pauvreté du début de l’indigence complète.

Il arriva à la surface de la porte métallique de dix mètres de diamètre et vit à sa surface des tas de cadavres, les hommes de la Famille qui avaient été dépecés vivants, les membres arrachés et les cadavres souillés : un véritable massacre s’était déroulé pendant son somme. A sa droite, il surprend des petits rires et des petits cliquetis, ces timides bruits qu’il percevait venait d’un des trous qui longeaient la parois, l’une des cavités créés par les Hommes, résidant dans ces souterrains miteux, – rappelant, au passage, les conditions de vie misérable des habitants des Basfonds de Sylvania – pour y vivre. Le Héros s’engouffra dans l’une de ces cavités d’où provenait ces rires qui devenaient de plus en plus bruyants plus il s’en rapprochait. Et là, lorsqu’il atteint une grande pièce éclairée à la lumière d’un grand feu, il découvrit un spectacle des plus immondes qui lui ait été donné de voir : les gobelins avaient non seulement massacré et torturé les membres de la Famille, dont Clen qui se noyait dans son propre sang, et les habitants de cette cavité, toutefois le plus terrible ne fut ces amoncellements de cadavres masculins, mais le pire fut le traitement des femmes… User et abuser par les gobelins, elles étaient molestées et violées par ces ignobles créatures avant qu’ils leur fassent subir les mêmes mutilations que leurs contreparties masculines, le Héros s’avançait dans ce dédale d’horreur jusqu’à trouver Berle, souillée de la même manière que ces autres femmes, mais pire encore, ils lui avaient pris ses membres : elle n’avait plus d’avant-bras, ni de cuisses, elles se vidaient de son sang de ses bras et de ses jambes, elle avait le visage tumefié et de ses yeux vides s’écoulaient des rires de larmes.

Le Héros était impuissant devant cet horrible spectacle qui lui donnait envie de vomir, il avait encore une fois échoué, encore une fois, il n’avait pas réussi à protéger une innocente personne. Pourquoi ne pouvait-il accomplir ce que son titre lui ordonnait ? Pourquoi devait-il vivre sans cesse dans le regret et dans l’impuissance ?

Et le dernier clou qui vint pénétrait son âme fut les paroles de Berle qui n’avait de cesse de répéter : « Je ne peux plus me marier… Je ne peux plus me marier… ».

Quelque chose vrilla en lui. Quelque chose qui actionna un engrenage qui n’avait lieu de démarrer qu’en présence du Némésis. Cette haine volcanique qui reposait en lui, ce puit incandescent de colère qui ne s’était jamais tari, comme un volcan se réveillant après un sommeil ayant duré une éternité de trop jaillit dans la plus grande des violence. A l’instar d’un volcan, son sang se mit à s’écouler le long de son front et de la vapeur s’échappait de ses pores.

- YMIR, VIENS A MOI ! ICI ET MAINTENANT !

Sans le faire plus patienter, l’arme diabolique vint à lui à vitesse fulgurante et atterrit dans sa main avec la même violence qu’il a reproduire dans quelques minutes face aux créatures qui avaient pris le rêve de la jeune fille qu’il se devait de protéger. Ses iris virèrent en un rouge sang brillant et la sclère de ses yeux prirent une horrible teinte jaunâtre, celle qui n’avait aucun lien avec le héros de la légende, et pourtant la force qui commençait à déferler dans son corps ne pouvait être que celle de ces hommes et femmes, de tout horizon et de toute race qui n’avait de cesse, à travers lui, de réclamer justice mais surtout, vengeance !

Dans un premier temps, il gela les membres coupés de Berle et l’endormit en lui mettant un coup dans la nuque, avant de rendre la monnaie de leur pièce à ces créatures dénués d’empathie et de raison.

- Pardonne-moi…

Le sol s’éclata sous la pression de l’énergie qui ressortait de son corps, ses veines que ça soit dans ses jambes, dans ses bras et sur son front gonflaient à presque s’exploser, ses plaies se rouvraient et ses dents s’aiguisaient. Le Héros allait rendre sa sentence dans les plus brefs délais, et il n’y aurait pas Asétron pour l’arrêter !

Les gobelins remarquèrent l’énergie maléfique qui s’échappait de la grotte où s’était rendu le Héros, là où ils avaient laissé l’un de leurs joujous. Pour la première fois, tous à l’unisson, ils ressentirent de la peur, alors que leur principale force était le nombre, et en nombre, surtout avec la présence de gobelins généraux, de nombreux gobelins fantassins et magiciens, ils n’avaient aucune raison de craindre quiconque se dresseraient sur leurs routes ! Et pourtant…

De ce tunnel sombre et sans lumière, là où ils avaient laissé reposer leur en-cas à peine entamé, ils virent deux petites lucioles rouges grossirent et grossirent jusqu’à, qu’à la lumière du feu centrale de la pièce rocheuse, apparaisse l’épée démoniaque dénommée le Bras Droit du Titan Ymirs, et son porteur, le non moins célèbre Démon-Sans-Visage-Et-Sans-Éclat, celui dont l’âme était ternie par la rage et la haine. Bien que ces bêtes ne sachent pas lire les affiches de recherche ou ne causaient pas l’humain et l’Oli’Ane pour être au courant de ce démon, la simple présence de cette maudite créature enragée, guidée par sa soif de sang, leur fit comprendre comme le super-prédateur de la chaîne alimentaire n’était plus eux, mais bien cet enfant humain.

Bien sûr, des incroyants ne crurent pas ce que leur instinct leur indiquait et s’engouffrèrent dans cette crevasse pour tuer cette créature ayant eu l’audace de les menacer avec son aura et à leur entrée, les deux lucioles disparurent en un clignement d’œil.

Quelques secondes plus tard, des gerbes de sang, des explosions de viscères et de bras couper s’expulsèrent de ce trou, teintant son entrée et son sol du sang des pauvres âmes qui ont eu la mauvaise idée de s’y plonger et de la glace provenant d’Ymir. Un gobelin au bras arraché tenta de s’échapper de ce lieu de mort et de cet être puant la rancune et la colère. Il haletait, poussait des cris effrayés, il ne ressentait même pas la douleur de l’amputation de son bras, ce qu’il avait vu à l’intérieur de cette brèche, ce n'était pas simplement le corps d’une gamine blessée et un enfant qui a échoué à la secourir…

Non.

Ce trou n’était rien d’autre que la porte des enfers et la bête qui s’apprêtait à en sortir n’avait rien à voir avec le commun des mortels. Ce gobelin suppliait l’aide de ses congénères dans leur langage propre à eux, les yeux suppliant, la bouche dégoulinante d’hémoglobine… Mais à peine avait-il passé un mètre après l’entrée de la crevasse qu’une voix rauque et imposante en sortit et hurla :

- VIENS PAR ICI !

Ymir sortit à toute vitesse de la fente sanguinolente et se planta dans le dos du Féérique, et celui-ci disparut à la vue de ses congénères, comme effacé de l’espace, toutefois, son cri retentit à l’intérieur de la crevasse puis il s’éteignit.

La seconde d’après, les deux lucioles rouges réapparurent et ils se mirent à grossir. Les gobelins, témoins de ce carnage, étaient complètement stupéfiés par ce qu’il venait d’assister. Pendant plusieurs secondes, les gobelins ne réagirent pas, ce qu’il venait de voir les surprirent au point que durant ces quelques secondes, ils étaient tous en stase.

Puis à l’unisson, tous hurlèrent de fureur face à cette créature qui a eu l’audace de s’en prendre aux leurs. Et pourtant, malgré leur rage, aucun d’eux n’osait pénétrait dans cette fente. Mais qu’ils n’aient guère crainte, ce qu’il y a dans ce tunnel était déjà en train de venir à eux. Il n’y avait qu’à constater l’avancée de la glace qu’émettait l’épée diabolique Ymir sur les parois et le froid de leur mort destinée qui se rapprochait.

Comme aucun de ces vaillants gaillards n’osaient s’attaquer au monstre dans le trou, celui qu’on surnommait le Démon-Sans-Visage ne perdit pas plus temps et lança à leur encontre Ymir qui embrocha trois gobelins à la suite avant de se planter contre le mur d’en face, et contrairement la première fois, ce n’est pas l’épée qui disparut, mais c’est un homme qui apparut. Et je dis bien un homme, et non un Homme.

L’enfant de treize ans avait disparu pour laisser place à cette adulte massive au dos voûté, aux gros acérés et aux muscles visibles, il n’avait pas encore atteint sa taille adulte, mais en aucun cas, ce qu’ils avaient perçu les gobelins du coin de l’œil durant qu’ils perpétraient leurs sévices ne ressemblaient à cela. Cette transformation physique n’était dû qu’à une seule chose : la malédiction.

Néanmoins, il n’est pas encore l’heure pour parler de la nature de celle-ci.

La seule chose que je puisse vous dire c’est que c’est bien la première fois depuis sa seconde rencontre avec le Némésis que le Héros arborait de tels yeux : un iris divisé en plusieurs cercles concentriques et la pupille en son centre qui commençait à se fendillait et à éclater ses iris.

La colère que ressentait le Héros vis-à-vis de ces créatures malfaisantes n’était rien face à la fureur qu’il avait contre le héros de la légende à ce moment précis, mais surtout, contre lui-même.

- Héros de la légende ! Tu me le paieras cher ! Si je suis dans cette situation, si cette colère coule en moi, c’est de ta faute ! Mais comme je peux pas pour l’instant t’égorger, toi et le Némésis, je vais me défouler sur ces énergumènes ! Alors toi et Ymir, offrez-moi toute la puissance qui m’est due de droit !

Et à ses paroles, ses muscles gonflèrent et ses canines grossirent.

Encore une fois, dans ce moment précis, le Héros disparut pour n’être qu’être la personnification de la rage des plus démunis, la colère des désespérés, l’avatar de la fureur des parias ! Il était l’incarnation sous des traits humains de leur vengeance.

- C’est ça… approchez misérables cloportes car ma vengeance va s’abattre sur vous.

Comme un corps unique, tous se jetèrent sur le Héros avec toute leur vigueur et leur force, cette armada de gobelins déferlait comme un seul homme sur celui qui prétendait pouvoir les humilier avec sa simple volonté.

Le Héros retira Ymir des cadavres que l’arme venait d’embrocher et fonça, comme ils le voulaient, à leur rencontre. Et comme une tornade fait d’un homme et d’une lame, les trancha et découpa, les expulsant dans les airs. Il se stoppa et rechercha le plus fort d’entre eux, dès qu’il le vit dans les airs, il s’élança vers lui à la seule force des jambes acquises grâce à son corps transformé, bouche ouverte et dents de sortis et lui arracha la tête avant de le découper de haut en bas et de le poignarder à une vitesse qui faisait passer son arme pour un éclair à l’œil nue. Ensuite réattérit avec lui au sol, et se retourna vers ses autres adversaires, la tête du général gobelin entre les dents qu’il becquetait comme s’il ne s’agissait que d’un simple sablé.

Et cette fois-ci, les gobelins crurent. Ils crurent leur instinct qui leur indiquait que cette Homme n’avait rien à voir avec les autres Hommes auxquels ils s’étaient confrontés, ni leur intelligence de groupe, ni leur intelligence individuelle, ni leur force, ni leur stratégie, ni leurs armes, ni leurs magies… ne viendraient à bout de ce cauchemar sur pattes. Ils avaient en face d’eux celui qui n’aurait aucune pitié face à ceux qui n’ont aucune. Sans le savoir ces créatures venaient de pénétrer dans son domaine, dans son domaine, il était roi, et ceux qui avaient la prétention de pouvoir pénétrer dans celui allaient apprendre qu’il avait droit de vie ou de mort sur eux.

Certains gobelins pensaient halluciner et tomber soit raide mort, soit la bave aux lèvres tellement l’angoisse était grande. Les autres qui n’auraient pas la chance de décéder de mort subite ou dans leur sommeil ne pouvaient espérer qu’une mort rapide. Des gobelins lâchèrent les armes et se prosternèrent devant le Héros en espérant que leur reddition calmerait la fureur du Héros.

L’un des gobelins, un magicien, tenta le dialogue avec le Héros, il parlait un Franca très peu développé et avec énormément de lacunes.

- Prie… s’il vous plaire… laissez vie sauve à nous…

- Désolé pour vous mais cela reviendrait à pécher que t’accepter que vous vous agenouilliez devant moi… et comme je suis un grand pécheur…

Le gobelin releva la tête les yeux plein d’espoir.

- … je ne peux pas ajouter plus de pécher que j’en ai sur le dos, je vais juste me contenter de continuer à accomplir le plus grand qui est sur mon dos : ne pas pardonner.

Et le Héros reprit son massacre en riant comme un dératé, il tuait tous ceux qui avaient abandonné sans aucune vergogne, puis poursuivit le magicien qui tenta de s’échapper.

- T’as appris ses mots pendant que tu violais et torturais ces innocents, hein ? lui demanda-t-il avec un ton rieur, alors qu’est-ce que ça fait que voir nos supplications ne pas être accédé ? C’est amusant, n’est-ce pas ? On rigole ou pas, là ?

Il lui trancha les jambes et trancha sa colonne vertébrale avant de reprendre son massacre contre les autres meurtriers et assassins.

Les victimes, encore en vie, des horreurs faites par les gobelins, assistés, horrifiés, à cette scène sans pouvoir dire un seul mot, sans savoir s’il pouvait se réjouir que ce semblant d’Homme armé d’une épée d’une taille démentiel, aux dents acérés, là faisant plus correspondre à une scie équipée de dents de requins qu’à une arme chevalière, et d’un pistolet à balles de plomb, puisse répandre sa colère contre leurs tortionnaires. Il avait plus l’air d’un monstre que ceux qui venaient de les torturer, avec ses rires fous et ses larmes de sang…

Que ça soit dans la grotte ou à l’extérieur où il put faire montre de sa toute puissance aux yeux des habitants des souterrains, sa faim insatiable de vengeance était intarissable, au points qu’il perça la porte géante menant au deuxième niveau des sous-sols. Il était furieux, il était enragé, il était celui qui l’horrifiait, il était celui qui se promettait de faire payer au centuple les assassins qui ont pris la vie de ses voisins, de ses camarades, des Sœurs de l’église, de sa mère… Aucun ne réchapperait à sa vengeance destinée !

Il ne lui fallut que dix minutes avant de se lasser et de geler les derniers survivants de sa fureur, il les brisa d’un coup d’épée circulaire puis se dirigea au fond de la grotte où se trouvait le corps encore chaud de Berle. Il vérifia que celle-ci était encore en vie, la prit dans ses bras et s’enfuit à toute vitesse vers la maison close en grimpant sur les parois juste à l’aide de ses jambes.

Une fois à son lieu de départ, il ouvrit la double porte du bar et à la vue de tous, il ramena le corps démembré, mais encore en vie de Berle. Toutes les filles crièrent de frayeur en voyant le Héros, ne reconnaissant pas le timide enfant de treize ans qui fuyait du regard dès que celui-ci voyait une poitrine rencontrait ses yeux.

En entendant le grand fracas, Astéron sortit de la salle où il discutait avec le Don de la Famille Loliesse et vit son frère avec le corps mutilé de Berle entre ses bras et tous les hommes de la Famille qui pointaient leur arme sur lui.

- Baissez vos armes, ordonna Astéron.

Il s’approcha de son frère et le fixa avant de pester.

- Tu t’es encore transformé…

- C’est pas moi qui lui ai fait ça, dit le Héros en regardant toujours droit devant lui, j’ai juste échoué… encore une fois… Je n’ai pas pu la protéger, et je n’ai pas empêcher la mort de Clen.

Astéron soupira.

- Qu’est-ce que tu veux faire à présent ?

- L’emmener à l’hôpital.

- Et c’est toi qui vas payer pour ses soins ? lui dit-il en le fixant du regard.

Le Héros ne pouvait rien dire. Il n’avait aucun argent, et il n’allait pas contraindre par la force les médecins de soigner quelqu’un sans être payé.

- Je t’en supplie, mon frère, fais quelque chose… Je suis un raté ! pleura-t-il.

- Ça va, ça va… Pas besoin de pleurer…, râla le marchand d’armes, je vais la soigner et même lui payer ses prothèses.

- Ça ne sera pas suffisant… Je te l’ai dit que j’ai échoué…

- J’avais compris, lui répondit Astéron, oh, la vieille ! hurla Astéron.

- Pas besoin de crier, dit Cralim, et je constate que ton monstre de compagnie a échoué à protéger l’une de mes gagneuses. Je le remercie d’avoir protégé mes autres filles, mais je n’ai pas demandé une chasse de monstres…

- Combien pour la fille ?

- Celle qu’il a entre les bras ?

- Quelle autre ?

- T’imagines bien que je vais te faire payer un sacré pognon en plus des dédommagemen…

- Donne ton prix…

- Tu es sûr ?

- DONNE TON PRIX ! s’énerva-t-il.

Cralim sursauta de peur devant la colère d’Astéron. C’était bien la première fois qu’elle le voyait aussi courroucé.

- Le double du prix de ma demande + soixante-dix pour cent de celle-ci en guise de dédommagement. Mais bon, ce n’est pas vraiment une somme à laquelle tu puisses accéder en si peu de temps alors je veux bien que tu me payes en plusieurs avec des intérêts en plus…

Astéron sortit son holophone, activa son application de paiement en ligne et lui envoya une certaine somme. Cralim reçut la notification et resta statique devant celle-ci, ne laissant tomber que la cigarette qu’elle avait dans la bouche.

- C’est… c’est…

- Le double de ce que tu m’as demandé. Une avance sur mes futures soirées et pour le jour où je viendrais dépuceler l’autre gamin. Allez, mon chien de garde, on se rend à l’hôpital.

Toutes les personnes présentes dans la pièce n’en crurent pas leurs oreilles, mais cet homme d’affaire qu’était Glagski Verlione-Loliesse était bouche bée : comment un homme qu’on pensait être un simple crasseux des quartiers extérieurs de la surface pouvait lâcher une telle somme.

- Merci…, pleura le Héros.

- Tais-toi… ça m’énerve de devoir user de cet argent, n’en rajoute pas plus.

- Astéron ! lui cria le Don et Cralim.

- Ah oui ! Monsieur Loliesse, nous pouvons reprendre notre conversation plus tard, elle n’est plus du tout urgente puisque Clen est mort. Vous connaissez mes coordonnées. Un appel et c’est réglé.

- Mais qui… qui es-tu ? demanda Cralim, tu te pavanes dans ce genre d’endroits comme ce trou à rat et tu me dis que tu peux me lâcher cent deux mille crédits ?! s’égosilla-t-elle, tu es quoi ? Un de ces putains de nobles d’en haut ? Un religieux ? Le fils de Gear-O ?

Astéron eut un petit rire, se baissa à la taille de Cralim et eut un petit rire en coin.

- Oh je suis bien pire que tout ça ma chère Cralim : je suis la source de la crainte des Féériques par le monde des Hommes.

Il lui fit un bisou sur la joue, ensuite il se releva et indiqua au Héros qu’il était temps qu’ils s’en aillent.

- Si cet argent n’est pas suffisant, j’accepterai aussi de payer en nature et te ramoner la tuyauterie, ou je sais plus comment on dit en français, rit Astéron.

Et alors que le Héros passa le bas de la porte, Astéron fut arrêté par Silipia.

- Est-ce qu’il… il…

- Ne t’inquiète pas pour lui, le rassura Astéron, et je l’indique aussi aux autres filles : ne vous inquiétez pas, il redeviendra l’enfant timide et apeuré devant une paire de nibards qu’il était. Et d’ailleurs puisque je suis encore là, Cralim retire cette gosse de tes gagneuses, j’ai pas envie de voir une gamine de son âge faire le tapin ou aguicher des vieux sous mes yeux. Moi je m’en fous, mais ça dégoûte le Héros.

Et cette fois-ci, ils s’en allèrent pour de bon.

Durant toute la convalescence de Berle, le Héros resta auprès d’elle. Il ne savait pas quoi faire, comment procéder, alors il lui apprit à lire, à compter, lui lisait des livres qu’il prenait expressément de la Bibliothèque Universelle ou sur l’holo-tablette qu’il lui avait acheté avec ses économies. On ne pouvait savoir s’il faisait cela par pur repentance et en quête d’excuses ou à cause de sa gentillesse, mais j’imagine que ça doit être les deux. Il a toujours été comme ça même plus jeune… Et un jour, Astéron vint et lui expliqua qu’elle avait le choix entre obtenir des membres humains de bonnes factures, mais qu’à cause de son groupe sanguin très particulier, ça allait prendre plusieurs mois, voire années et qu’elle devrait vivre en fauteuil roulant durant tout ce temps, soit elle pourrait acquérir des implants dernier cri – c’est le moins qu’il puisse faire vu l’échec de son frère durant cette mission – en guise de nouveau membre.

Berle regarda longuement le garçon puis se tourna vers Astéron.

- Est-ce qu’avec ses implants, je pourrais me défendre ? lui demanda-t-elle.

Astéron révéla son bras bionique, le pointa sur Berle et le transforma en un fusil d’assaut.

- Bien évidemment.

- Alors… Je veux ces implants.

- Tu devras prendre des anti-douleurs à vie en cas de rejet des nanorobots, tu en es conscient ?

- Ai-je le choix ?

- On a toujours le choix. Tu peux toujours compter sur nous pour s’occuper de toi alors…

- Est-ce que tu crois que c’est ça que j’ai envie d’avoir comme vie ? lui hurla Berle, je suis un déchet qui ne peut plus se marier et en plus, tu veux que je sois dépendante de vous ? Donne-moi ces implants !

- Très bien, je vais en informer le médecin.

Quand Astéron sortir, Berle éclata en sanglot. Elle voulut serrer ses jambes avec ses bras, puis la douleur fantôme lui rappela l’inexistence de ceux-ci dès lors qu’elle fit le mouvement, et pleura encore plus fort. Le Héros était totalement impuissant face à son désarroi, il ne pouvait que la regarder se lamenter sur elle-même. Puis lui vient une idée, il vint vers elle et la prit dans ses bras.

- Quoi qu’il arrive, Berle, je serai là pour toi. Je te promets qu’à mes dix-huit ans, je me marierai avec toi. Si c’est ton plus grand rêve, je te l’accorderai. Je sais que je suis pas le plus beau, voire même tout le contraire, des garçons, que peut-être à tes yeux je suis un monstre et la source de ton malheur, mais je te promets ? si tu acceptes ? d’être tes mains et tes jambes en toute circonstance. Je paierai pour mon échec.

Berle renifla juste devant les paroles du Héros et posa son menton sur le haut de son crâne. Sans le savoir, elle l’avait posé sur l’une de ses plaies, mais le Héros ne dit rien, il supporterait toutes les douleurs qu’elle lui ferait subir en guise de remontrance ou de vengeance.

Depuis ce malheureux jour, le Héros se démenait pour répondre aux exigences de Berle, même celles qui relevaient du caprice.

Cependant, sans le remarquer, petit-à-petit, les rôles s’inversèrent. Berle se mit à prendre plus soin du Héros que l’inverse, ce n’était pas parce qu’il avait oublié sa promesse ou que sa culpabilité avait disparu. Non, loin de là, mais c’est la malédiction qui prit le dessus en augmentant la douleur de ses plaies et en lui dérobant sa voix. Il devenait de plus en plus inhumain aux yeux des autres, perdant la capacité à se faire comprendre et le poussant à se réfugier dans la solitude, et son obsession pour sa vengeance. Berle, qui n’avait aucune rancune contre le jeune garçon, se mit en mission de l’empêcher de sombrer dans cette obsession qui l’attirait dans d’obscures ténèbres en étant cette lumière qui les ferait fuir, mais malheureusement, malgré l’attirail qu’elle avait au pied ou aux mains, elle ne pouvait l’accompagner dans ses recherches ou ses missions car il avait la faculté de s’attirer des ennuis bien trop grand par rapport à sa personne, et que de toute manière, il s’était juré de prendre soin de Berle jusqu’à la fin de sa vie alors il n’y avait aucune raison pour qu’il la mette en danger inutilement. Berle faisait tout pour l’éloigner de cet enfer qui allait l’engloutir bien qu’il en soit conscient, mais la seule chose qu’elle pouvait faire c’était ralentir son inéluctable descente vers la finalité de cette quête inutile…

- Monsieur, le héros de la légende, lui dit Berle, tu veux encore une limonade ? C’est la maison qui offre !

- Depuis quand ? intervint Astéron qui descendait les marches pour venir au bar, qu’il paye comme tout le monde !

Ce radin avait l’ouïe très fine lorsque cela concernait l’argent qui était dans sa caisse.

- Déjà bonjour monsieur le patron, et tu prendras ça sur ma paye, lui rétorqua-t-elle, après tout, il revient d’un long périple d’un an au moins, il a bien le droit à un petit cadeau. Et sinon, mon ami, cette fille dont tu m’as parlé, elle te plaît ?

Le Héros sursauta et détourna ses yeux de ceux de Berle. Astéron, intéressé, stoppa ce qu’il s’apprêtait à faire pour tendre l’oreille sur ce que son frère allait déclarer – oubliant que son frère n’avait pas son outil pour parler.

Le Héros voulait mentir, mais avoua a demi-geste que c’était effectivement le cas, mais il n’y avait rien de concret.

- Sérieux ? cria Astéron, t’as disparu pendant un an pour même pas fourré le biscuit dans le lait ? Est-ce que tu peux vraiment te prétendre mon frère ?

Le Héros grommela, mais Berle lui attrapa les joues avec sa main et rapprocha son visage du sien.

- Tu sais ce que cela signifie si tu aimes une autre fille ?

Il secoua la tête en signe de négation.

- Que notre promesse n’aura peut-être plus lieu d’être puisque tu te marieras à cette fille.

Le Héros sauta de sa chaise et expliqua à toute vitesse avec de grands gestes hâtifs, rappelant certains médiums lors de pratiques de spiristisme ou d’exorcisme – ou de charlatanisme – que cela n’affecterait pas sa promesse, il aurait juste à les marier toutes les deux.

- Est-ce que cela ne va pas contre le dogme de ta foi ?

Il n’en savait rien.

- T’es bien ambitieux de vouloir avoir plusieurs femmes, rit Astéron, je ne te savais pas aussi gourmand !

Le Héros se défendit rapidement expliquant que cela n’avait rien à voir.

- Arrête de stresser, le rattraper Berle, je vais pas empêcher ton bonheur à cause de notre promesse.

Le Héros l’arrêta tout de suite, il ne ternirait pas sa parole puisqu’il a juré de prendre soin d’elle.

- Comme tu veux, s’avoua vaincu Berle, c’est à toi de faire comme tu le sens, mais sache que les femmes n’aiment pas les indécis.

- Exact, plussoya Astéron.

- N’interviens pas quand je parle de ça après il va croire que je suis comme toi et se méfier.

- Mais non…, gloussa le barman.

Le Héros se demandait s’ils avaient raison. Peut-être devrait-il y retourner pour parler franc jeu avec la Fée avant que trop de temps ne s’écoule…

Cela étant dit, il se demandait bien ce qu’elle devait faire en ce moment. Sûrement encore des puérils bêtises avec ses amis en cueillant des fleurs, tout en se préparant à la phase finale de la compétition. Toutes ses prières allaient vers elle pour qu’elle puisse devenir la reine de Sylvania et obtenir ses ailes. Il espérait juste que sn abruti de petit-ami ne lui prenait pas le chou – ce qui lui rappela d’ailleurs qu’elle avait un amoureux et que peut-être qu’il n’y avait aucun avenir dans sa relation, il n’était pas du genre à voler les bienaimées d’autrui… mais d’autres oui.

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