L'art de sombrer avec élégance.
Le soleil se levait à peine sur Las Venturas et ma journée s'annonçait déjà catastrophique. La veille avait été longue et le manque de sommeil se faisait sentir. Le matin s’annonçait mal avant même que je ne mette un pied dans le casino. Mon réveil n’avait pas sonné, mon costume préféré était encore chez le teinturier et je n’avais pas eu le temps de boire mon café bien noir avant d'aller au boulot. Résultat : je me retrouvais avec une cravate mal nouée, des cernes visibles sous les yeux et j'étais d'une humeur massacrante.
En entrant dans le hall de l’Antre d’Or, j'ajustais distraitement ma cravate en traversant le hall animé et tentais de me composer un air assuré. J'allais réussir à passer cette journée sans accroc, du moins, j'essayais de m'en convaincre en saluant brièvement quelques employés. Je voulais me montrer irréprochable aux yeux de mon patron mais aujourd’hui, le destin semblait en avoir décidé autrement.
Malheureusement pour moi, ma bonne volonté ne fut pas suffisante. Je me dirigeais vers le bar du casino pour attraper un café et tenter d’émerger. Mais alors que j'entamais une discussion avec Rocco, mon coude heurta violemment le plateau d'un serveur qui passé par là. Comme au ralenti, je vis la boisson fumante s’élever dans les airs avant de s’écrase directement sur la chemise immaculée d’un client important du casino.
Le silence fut immédiat.
L’homme, un ponte du business local, leva lentement les yeux vers moi, sa chemise désormais tachée de brun.
— Putain... Jurais-je dans un souffle.
Pétrifié, je bafouillais des excuses tandis que Costa, assit non loin, arquait un sourcil amusé.
— Vraiment très professionnel, Carter, commenta t-il, dissimulant un sourire derrière sa propre tasse de café. Tu me sembles bien nerveux pour un début de journée.
Rougissant légèrement sous les regards moqueurs de certains employés, je tentais de me reprendre en m'excusant une nouvelle fois et en proposant immédiatement de faire nettoyer la chemise. Le client, visiblement irrité, accepta en lançant un regard appuyé à mon patron qui, au lieu de s’énerver, prit une gorgée de sa boisson et secoua légèrement la tête d’un air amusé. Pour ma part, j'allais devoir faire plus attention et ne plus me laisser distraire.
Quelques heures plus tard, Lorenzo m’invita à une réunion avec plusieurs associés du casino pour discuter des finances et des prochaines négociations avec un groupe rival. J'étais encore un peu tendu par ma maladresse matinale mais m’installais à la table de conférence, bien décidé à me rattraper. Je branchais donc ma tablette sur l’écran principal et commença à faire défiler les documents avec confiance… Jusqu’à ce que j'appuie sur la mauvaise touche.
À la place du rapport financier attendu, un site de vidéos de chatons endormis apparut en plein écran. Le silence qui s’ensuivit fut pesant et Rocco, qui jusque-là écoutait d’un air concentré, fut le premier à éclater de rire.
— Sérieusement Carter, un élevage de chatons ?
Je clignais des yeux, paniqué et me mis à cliquer frénétiquement pour fermer la vidéo mais une publicité sonore sur la meilleure nourriture pour chat s’activa à la place. Lorenzo, assit au bout de la table, observa la scène avec un calme déconcertant avant de lever, un sourcil arqué.
— J’ignorais que tu voulais diversifier nos investissements, Carter, lança-t-il avec un sourire en coin.
— C’est une erreur ! Grognais-je en fermant enfin la fenêtre d’un geste sec.
— J’espère bien, soupira t-il.
Malgré ma gêne ressentis, je parviens finalement à terminer la réunion de travail ou plutôt, le désastre technologique.
Puis le moment où tout aurait dû se calmer arriva enfin. Costa m'invita à une partie de poker privée, comme souvent, sans doute pour tester mon niveau et observer comment je réagissais sous pression. Nous nous installions autour d’une table privée, dans un salon feutré du casino, l’ambiance tamisée donnant un air presque solennel à la scène. Lorenzo mélangeait les cartes avec une précision calculée, tandis que Rocco regardait d’un air distrait en jouant avec un verre à moitié plein. Moi, je me sentais étrangement nerveux. En voulant tirer ma chaise pour m’asseoir, je tirais trop fort et faillis m’écraser au sol. Je me rattrapais de justesse au bord de la table, provoquant un léger sursaut chez les autres joueurs.
— C’est une technique pour déstabiliser l’adversaire ? Ironisa mon patron, un léger sourire aux lèvres.
— Je contrôle parfaitement la situation, répliquais-je en tentant de reprendre contenance.
Mais mes malheurs ne s’arrêtèrent pas là. Pendant la partie, je fis tomber mes jetons, fis une erreur de mise et à un moment, en voulant prendre un verre, renversais quelques gouttes de whisky sur la table. Rocco étouffa un rire.
— Tu es sûr que tu sais jouer ? Souffla Costa à mi-chemin entre l’amusement et l’exaspération.
— Je suis juste… Déconcentré, répliquais-je en serrant les dents, n'acceptant pas d'être ainsi humilier.
Je relevais les yeux vers Lorenzo et vit son sourire. Un sourire joueur, moqueur mais pas cruel. Il s’amusait clairement de la situation à mes dépends.
Ce ne fut plus surprenant de dire que cette partie de poker fut désastreuse et je me résignais. Ma journée était une succession de catastrophes et je n’avais plus qu’une hâte : rentrer et oublier ce moment. Alors que nous quittions le casino en direction du parking souterrain, mon patron ralentit pour marcher à côté de moi.
— Tu es toujours aussi distrait, Carter ?
Je soupirais longuement.
— Pas d’habitude, non.
— Tant mieux, répondit-il avec un regard pénétrant. Parce que si tu es aussi maladroit en affaires qu’au poker, tu risques de ne pas survivre longtemps ici.
— Vous comptez me le rappeler toute ma vie ? Demandais-je en levant les yeux au ciel, exaspéré.
Lorenzo haussa les épaules.
— On verra si tu fais pire demain.
Puis dans un geste inattendu, il posa une main sur mon épaule, un contact rapide mais suffisant pour me faire comprendre qu'il ne me méprisait pas pour autant. Ensuite, il s’éloigna en me laissant là, dans le silence pesant du parking. Quant à moi, je poussais à nouveau un long soupir.
Quelle journée de merde.
La porte de mon appartement se referma derrière moi dans un claquement sourd. Enfin seul. J’appuyai mon dos contre le bois froid, fermant les yeux quelques secondes pour faire taire le bourdonnement dans ma tête. La journée avait été un vrai carnage, j'avais enchainer une catastrophe après l’autre. Je poussai un soupir en retirant ma veste que je balançai sur le dossier d’une chaise. Mes épaules étaient raides, tendues d’avoir passé la journée à essayer de limiter les dégâts. À chaque fois que je croyais m’en sortir, quelque chose d’autre dérapait. Et Lorenzo… Putain. Lorenzo aurait dû me tuer sur place.
Je traînai les pieds jusqu’à la cuisine, ouvrant le placard pour attraper un verre. C’était quoi, son problème ? N’importe qui d’autre aurait explosé après autant de conneries accumulées. Je l’avais vu écarter sans un mot un verre de whisky que j’avais failli renverser sur ses dossiers. J’avais envoyé un message au mauvais contact, une erreur qui aurait pu coûter cher et il s’était contenté de hausser un sourcil. Même quand j’avais mal transmis une consigne, forçant Rocco à refaire tout le boulot derrière moi, il n’avait rien dit. Juste un sourire en coin. Un foutu sourire amusé.
Je jetai un regard sombre au reflet que me renvoyait la fenêtre. Pourquoi il ne m’a pas envoyé balader ? Je n’étais pas stupide. Travailler pour l’Antre d’or signifiait marcher sur une corde raide, une seule erreur pouvait être fatale. Mais là, c’était un enchaînement de fautes. Pourtant il s’était contenté de m’observer, les coudes appuyés sur son bureau, ce rictus intrigué sur les lèvres. Comme si… Comme si je l’amusais. Je bus une gorgée d’eau mais ça n’apaisa pas la brûlure au creux de mon estomac. Ce n’était pas normal.
Je l’avais vu démolir des types pour moins que ça mais moi, non. Il me laissait passer entre les mailles et ce qui me déstabilisait le plus c’est que ça ne ressemblait pas à de la clémence. C’était autre chose. Je passai une main sur ma nuque, tentant de chasser la sensation persistante de son regard sur moi. Il m’observe et je ne pouvais pas dire si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Peut-être qu’il attendait juste que je me brûle tout seul. Peut-être qu’il jouait avec moi avant de m’abattre.
Un frisson me traversa et ce n’était pas de la peur. Qu’est-ce que tu cherches vraiment, Costa ?
Je m’affalai sur le canapé, les bras lourds et les pensées en vrac. Chaque interaction avec lui semblait un jeu, un duel silencieux dont j’ignorais encore les règles. Mais ce sourire qu’il avait aujourd’hui… Il n’était pas moqueur. Pas vraiment, c’était plus sournois. Curieux. Comme s’il prenait un malin plaisir à me voir perdre pied.
Et moi, au lieu de m’éloigner, je me rapprochais.
Je fermai les yeux un instant mais l’image de lui restait imprimée sur mes rétines. Son sourire imperceptible, sa voix grave et mesurée. Ce fichu regard perçant, capable de dénuder mes pensées les plus troubles. Et cette tension, toujours là sous chaque mot et chaque silence.
Un rire sans joie m’échappa. Je suis en train de déconner. Je le savais mais c’était plus fort que moi. Il me testait et le pire, c’est que ça me perturbait autant que ça m’attirait. Je passai la main dans mes cheveux, tentant de reprendre mon souffle. Cette journée était un cauchemar et pourtant, c’était ça qui me hantait. Ce fichu sourire et l’impression qu’au lieu de me punir, il s’amusait de moi.
— T’es vraiment dans la merde, Eli… Murmurais-je pour moi-même avant de basculer la tête en arrière contre le dossier du canapé. J'étais épuisé, vider de toute énergie.
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Bonsoir ! Un peu de calme mais peut-être que cela ne présage rien de bon ;)
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