Rencontre sous tension.

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J'ouvris les yeux avec difficulté, la lumière filtrant par les stores me brûlait les paupières et mon crâne résonnait encore des heures passées autour de la table de poker. Je m'extirpai du lit en grognant, la bouche sèche et le cœur lourd. C'était mon jour de repos aujourd'hui et j'en avais profiter pour faire une petite grasse matinée. Par automatisme, j'attrapai mon téléphone qui était posé sur la table de nuit et remarquai que j'avais un message. Encore à moitié endormi, je plissai les yeux et l'ouvrit avant d'être stupéfié par l'expéditeur.

Costa. Il m'avais contacté. C'était la première fois que cela arriver.

De Costa : Je passe te chercher à 14h. Sois prêt.

Un frisson glacial me parcourut l'échine. Aujourd'hui je n'étais pas censé travailler alors pourquoi Lorenzo voulait-il me voir ? Est-ce qu'il savait ? Est-ce qu'il avait compris pour qui je travaillais réellement ? Mon esprit s'emballa tandis que je tentai de me rappeler chaque détail de la veille. Avais-je laissé un indice ? Quelqu'un aurait-il parlé ? Mon estomac se noua, une boule de peur grossissant à chaque scénario que j'imaginais. Et si mon patron jouait simplement avec moi ? Ou pire, s'il m'emmenait quelque part pour en finir discrètement ?

Je me levai d'un bond, l'adrénaline balayant les restes de fatigue. Je tentai de rassembler mes pensées et pourtant rien d'étrange ne me venait à l'esprit. Je n'avais pas l'impression d'avoir dérapé et pourtant, ce message... Ce ton direct, comme si je n'avais pas le choix.

N'ayant pas vraiment le temps de tergiverser, je partis prendre une douche rapide, espérant chasser la tension qui me crispait les épaules. En vain. Chaque goutte d'eau froide sur ma peau me ramenait à la réalité : Costa ne convoquait jamais quelqu'un sans raison.

À 14h tapantes, un coup de klaxon m'arracha à mes pensées. Je descendis en vitesse, le cœur battant trop fort. Lorenzo était là, adossé à sa voiture, cigarette au bout des lèvres. Il laissa tomber le mégot, l'écrasa du bout de sa chaussure et m'observa en silence tandis que je m'approchais. Une question germa aussitôt dans mon esprit : comment connaissait-il mon adresse ? Il ne me semblait pourtant pas lui avoir donner. Je savais qu'il avait énormément de contact mais tout de même... Je pense qu'il avait dû faire des recherches sur moi avant de m'engager.

— Monte, lança-t-il sans préambule.

Je m'exécutai, tentant de masquer ma nervosité sous un masque neutre. La portière claqua et mon patron démarra sans un mot. Le silence dans l'habitacle était étouffant, les rues défilaient à vive allure mais je ne reconnaissais pas le chemin. Ce n'était ni celui du casino, ni l'un de ses lieux habituels. Un goût amer me monta dans la gorge.

— Je pensais avoir ma journée, tentai-je, ma voix plus calme que je ne l'étais réellement.

— Changement de programme, répondit Lorenzo, les yeux fixés sur la route.

Ses doigts tapotaient doucement le volant, une nervosité contenue, presque imperceptible mais bel et bien là. Ça n'avait rien d'une simple balade.

— C'est... Pour quoi, au fait ? Demandai-je finalement, incapable de supporter l'incertitude plus longtemps.

Un sourire en coin effleura ses lèvres.

— Toujours aussi curieux, hein ?

Je déglutis difficilement.

— Disons que j'aime savoir où je mets les pieds.

— T'as raison, c'est plus sûr.

Il marqua une pause puis ajouta :

— Je voulais te remercier.

— Me remercier ? Répétai-je, méfiant.

— Pour hier avec Chiara. Elle t'aime bien et ce n'est pas donné à tout le monde.

Un rire bref et sans joie m'échappa, tout ça pour ça ? Non. Ce n'était qu'un prétexte, j'en étais convaincu. Costa ne prenait jamais le temps pour de simples politesses, je l'avais bien trop longtemps étudié pour le savoir.

— C'était rien, vraiment.

Un silence lourd retomba tant dis que la voiture s'engagea dans une ruelle discrète. Lorenzo coupa le moteur devant un bar au néon fatigué et clignotant. "Il Vecchio". L'endroit était calme, trop calme à mon goût.

— Viens. Tu as bien mérité un verre.

Chaque alarme intérieure hurlait que je devais refuser mais je n'avais pas le choix. Pas avec lui. À l'intérieur, l'ambiance feutrée du bar semblait presque irréelle. Banquettes en cuir usé, odeur boisée, quelques habitués silencieux, rien à voir avec ce que dégageait l'Antre d'Or. Lorenzo s'installa au fond, dans une alcôve isolée. Je pris place en face de lui, essayant de ne rien laisser paraître.

— Qu'est-ce que tu prends ? Demanda-t-il en levant la main vers le serveur.

— Un gin tonic.

Il commanda deux verres, son regard me scrutant dans la pénombre. Son calme apparent ne me trompait pas, il testait quelque chose ou quelqu'un. Et ce quelqu'un, c'était moi.

— Alors, tu es du genre patient finalement, lança-t-il soudainement.

— Je m'adapte.

— Oui, c'est important l'adaptation.

Sa voix était posée mais chaque mot semblait pesé et calibré, comme une mise en garde déguisée.

— Ça fait longtemps que je bosses de ce côté, tu sais. C'est un monde à part, il faut être prêt à tout. Tu crois que tu es réellement prêt, toi ?

Je relevai les yeux vers lui. Voilà, on y était. Son ton s'était fait plus bas, plus dangereux. Je pris une gorgée de mon verre pour masquer la sécheresse de ma gorge.

— Si je l'étais pas, je ne serais pas là, n'est-ce pas ?

Un sourire vague étira ses lèvres mais son regard, lui, resta froid.

— Bonne réponse.

Il se pencha légèrement en avant, comme pour réduire la distance entre nous.

— Mais fais attention, Elijah. Dans ce boulot, la loyauté est la base de tout. Alors si tu me caches quelque chose... Je finirai par le savoir.

Mon cœur battait à tout rompre mais je ne cillai pas.

— Je l'ai bien compris.

Un silence tendu s'installa mais cette fois, c'est moi qui le brisa.

— Pourquoi me dire tout cela ?

— Parce que j'aime savoir sur qui je peux compter. Et toi... Tu es encore un mystère que je dois résoudre.

Il porta son verre à ses lèvres sans me quitter des yeux, chaque fibre de mon être me criant de rester sur mes gardes. Ce n'était pas fini. Pas encore.

Le silence entre nous s’alourdit. Le verre de Costa était vide mais il ne semblait pas pressé de le remplir à nouveau. Ses yeux fixaient les miens avec une intensité presque inappropriée, comme s'il attendait une réaction ou peut-être un faux pas. Je n'arrivais pas à savoir si je devais lui offrir une réponse sincère ou continuer à jouer le jeu.

— Alors Elijah, dit-il finalement, sa voix douce mais les mots lourds de sens, tu crois qu'on est dans la même équipe, toi et moi ?

Je sentis une chaleur sourde monter en moi, comme si une réponse devait surgir de mes tripes mais je la réprimai. Je n'étais pas encore prêt à jouer cartes sur table. Il y avait top de risques.

— Bien sûr, répondis-je, ma voix plus calme que ce que je ressentais. Chacun fait son boulot, non ?

Il se pencha encore un peu plus en avant, les coudes sur la table et son regard se fit plus perçant.

— Hm... C'est ce que je me disais. Mais, vois-tu, il y a des détails qui me semblent flous dans ce que tu dis. Des petites choses qui ne collent pas...

Mon cœur rata un battement, ce n'était pas un hasard. Il savait. Ou du moins, il avait un doute. Peut-être un renseignement ou une intuition mais il était trop proche du but.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondis-je, forçant mon ton à rester neutre même si je sentais mes mains devenir moites.

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres mais il ne répondit pas tout de suite. Il prit une longue gorgée de son verre à présent rempli, comme pour savourer ma réaction.

— Tu es un peu nerveux, non ? Fit-il en posant ce dernier avec une lenteur calculée.

Je redressai la tête, inspirant profondément. J’étais allé trop loin pour me dégonfler maintenant.

— Ce n’est rien, répondis-je. Juste... Une question de priorités.

Lorenzo resta silencieux, ses yeux toujours fixés sur moi. Il savait que je cachais quelque chose et ça ne faisait qu'ajouter à la tension.

— Dîtes-moi, par simple curiosité, avez-vous déjà eu à trahir quelqu'un ? Lui demandai-je finalement en voulant inverser la pression.

Son regard se durcit légèrement puis il sourit de nouveau mais cette fois, ce n'était plus un sourire amusé.

— Non je n'ai jamais eu besoin de trahir, dit-il d'un ton presque philosophe. Mais dans ce genre de métier, les choses se compliquent parfois, on a tous nos petits secrets. N'est-ce pas toi qui me l'a dit il y a peu ?

Il se redressa dans son siège et jeta un dernier coup d’œil autour de lui, s'assurant que personne ne nous écoutait.

— Peut-être qu'un jour toi aussi, tu verras à quel point le secret est un fardeau lourd à porter. Mais ne t'inquiète pas Elijah, je suis patient.

Je déglutis difficilement, mes pensées tournant en rond. Chaque mot qu'il prononçait semblait me faire tourner en bourrique. Où voulait-il en venir exactement ?

— Ça je n'en doute pas, répondis-je malgré moi, plus hésitant.

Costa me lança un dernier regard mais cette fois, il n'y avait plus de menace palpable. Il sembla lire mon inquiétude et contre toute attente, il laissa échapper un léger sourire.

— Tu es vraiment nerveux toi, dit-il avec un éclat de rire, presque comme s'il venait de se rendre compte de l'effet qu'il avait eu sur moi.

Je fis une grimace, essayant de masquer l'angoisse qui me dévorait.

— Non je vous assure, c’est... C'est juste une question de contexte, répondis-je en haussant les épaules.

Mon patron se détendait visiblement, croisant les bras sur son torse, son attitude plus décontractée qu'auparavant.

— Ok, tu n'as pas tort, admit-il. On va laisser de côté les sujets lourds alors.

Il se tourna vers moi, son regard s'adoucissant un peu plus. Il prit un autre verre et le leva vers moi, un sourire sincère cette fois.

— Allez, oublions tout ça. On est là pour passer un bon moment, non ?

Je levai à mon tour mon verre et trinquai avec lui, bien que l'incertitude ne disparaisse pas tout à fait. Mais au moins, l'atmosphère avait changé. La tension se dissipait lentement, comme si elle se dissolvait dans le gin tonic que je tenais entre les mains.

— Vous avez raison, répondis-je. On mérite bien une pause.

Le temps semblait s'étirer, l'air plus léger à mesure que nous parlions de tout et de rien. Lorenzo se montra presque amical, m'interrogeant sur des sujets simples, presque banals. Des films qu’on aimait, des endroits à visiter, des choses dont on parle rarement avec des collègues ou des partenaires dans ce genre de travail. Il me parla même de Chiara comme d’un petit bout de femme curieuse et pleine de vie, ce qui me surprit un peu. Il semblait sincèrement attaché à elle, bien plus que je ne l'aurais imaginé.

— Alors, raconte-moi Elijah. Tu as des projets pour tes jours de repos ? Demanda-t-il après une pause, son ton décontracté.

Je souris un peu, appréciant la question. Un changement de sujet bienvenu.

— Pas vraiment, répondis-je en haussant les épaules. Une balade, peut-être. De toute façon, je me repose surtout en restant tranquille.

— Tranquille ? Ça doit être un truc de luxe ça. Moi, je suis toujours en mouvement.

Il rit doucement comme si l'idée d'être constamment occupé était quelque chose qui le définissait. Je me détendis encore un peu. Finalement, peut-être que ce n’était pas une si mauvaise idée d’avoir pris ce verre avec lui.

La discussion se poursuivit dans une atmosphère plus détendue, entre quelques éclats de rire et des anecdotes simples. Le reste du temps, nous restâmes là à discuter sans grande prétention, comme deux types qui se retrouvent après une longue journée à chercher un peu de réconfort dans des mots légers.

Le moment était agréable, presque amical. Costa dans toute sa complexité, devenait plus humain et moins intimidant. Il semblait avoir mit de côté qui il était en permanence pour montrer ce qu'il cachait au fond de lui. Mais seulement, n'était-ce pas qu'une simple façade pour endormir ma méfiance ?

L'après-midi se déroula tranquillement et bientôt, je vis mon patron jeter un coup d'œil à sa montre.

— C’est l’heure, dit-il en se levant. Je vais te ramener chez toi.

J’hochai la tête, me sentant à la fois soulagé et un peu déçu, comme si quelque chose d'inachevé flottait dans l’air mais je n’étais pas sûr de vouloir l'analyser davantage. Le moment avait été agréable, certes mais cette tension et cette incertitude restaient accrochées à moi comme une ombre.

Nous quittâmes le bar et montâmes dans la voiture de Costa. Le trajet vers chez moi se fit dans un silence relativement confortable, la radio en fond, une douce mélodie qui contrastait avec le tumulte qui m’habitait encore. Je jetais des regards furtifs vers le conducteur, son profil marqué par l'éclat de la lumière des réverbères et je me demandais si ce moment de tranquillité était réellement sincère. Est-ce que c’était vraiment juste une sortie entre deux adultes qui se détendaient ou est-ce que chaque sourire, chaque éclat de rire cachait quelque chose d’autre ? Je n'avais pas de réponse.

Lorenzo tourna la clé dans le contact et la voiture s’éteignit dans un ronronnement doux. Il se tourna alors vers moi, son regard plus sérieux maintenant.

— Voilà, c'est chez toi, me dit-il sans rien ajouter de plus.

J'avais déjà ouvert la porte mais je m'arrêtais un instant lorsqu'il reprit la parole.

— Tu sais, on peut faire semblant que c’était juste un verre entre deux collègues mais c’est jamais aussi simple que ça, n’est-ce pas ?

Je serrai les poings mais cette fois sans crainte, juste une prise de conscience un peu douloureuse.

— Oui, vous avez raison, soufflai-je.

Je sortis de la voiture et fermai la porte derrière moi mais avant que je ne puisse tourner les talons, Costa lança sans me regarder :

— Fais attention à toi, Elijah.

J’hésitai, je n’étais pas sûr de ce qu’il voulait dire par là. C’était un avertissement ou bien simplement une phrase lancée sans trop de signification, un adieu à la fois vague et plein de sous-entendus ? Je ne répondis rien, me contentant d’un simple geste de la main avant de disparaître dans l’entrée de l’immeuble.

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