Au bord de l’incendie.

9 minutes de lecture

L'Antre d'Or baignait déjà dans une effervescence familière lorsque j'y remis les pieds. Des murmures, des éclats de voix, des rires étouffés et pourtant, tout me semblait plus pesant aujourd'hui. Chaque pas résonnait trop fort dans mes oreilles, chaque mouvement me semblait plus laborieux, comme si mon propre corps refusait de coopérer.

Je n'avais aucune envie d'être là.

J'avais traîné avant de venir, prenant un détour absurde pour retarder l'inévitable mais je ne pouvais pas fuir éternellement. Alors j'étais là, planté au milieu de la salle, les doigts crispés dans mes poches, le cœur battant trop vite. Et surtout, j'avais peur. Pas de l'illégalité qui imprégnait chaque recoin de ce lieu, non, c'était autre chose. Une peur plus sournoise, plus intime.

Je redoutais de le croiser.

Lorenzo Costa.

Son nom me brûlait la gorge comme un poison que je n'arrivais pas à recracher. Je ne savais pas comment me comporter, comment réagir après ce qui s'était passé. Ce baiser sauvage, brut et incontrôlable m'avait laissé dans un état de confusion totale. Je ne pouvais pas l'oublier. Son goût hantait encore mes lèvres, son toucher marquait toujours ma peau et pourtant, je savais que ce n'était qu'une erreur. Une erreur dont je devais m'éloigner.

J'aperçus mon patron au fond de la pièce, occupé à parler affaires avec quelques clients importants. Parfait. Une excuse pour m'occuper l'esprit, pour m'éloigner de lui. J'ajustai ma veste et me dirigeai vers la porte qui menait aux escaliers réservés aux employés, d'un pas que je voulus assuré même si mes entrailles étaient un champ de bataille. Mais je n'avais fait que quelques pas lorsqu'une ombre se glissa sur ma droite. Une présence trop familière, trop oppressante. Mon cœur rata un battement.

— Tu comptes m'éviter, Elijah ?

Sa voix basse et lente trahissait son côté trop sûr de lui. Elle était une caresse dangereuse qui me figea sur place. Je me forçai à respirer mais chaque inspiration semblait insuffisante. Ne pas céder. Ne pas flancher. Je relevai légèrement le menton avant de me tourner vers lui. Lorenzo se tenait là, appuyé négligemment contre une colonne mais je n'étais pas dupe. Son regard noir était fixé sur moi, perçant et brûlant d'une intensité que je n'arrivais plus à affronter.

— Je ne vous évites pas, répliquai-je trop vite.

Un sourire sans joie effleura ses lèvres, il n'était pas dupe non plus. Je pense qu'il commençais à comprendre comment je fonctionnais, comment je réagissais.

— C'est marrant parce que c'est exactement l'impression que tu donnes, murmura-t-il en se redressant. Tu ne venais même pas me saluer, comme à ton habitude.

Je reculai inconsciemment d'un pas. Mauvaise idée. Il avança aussitôt, réduisant la distance entre nous en un battement de cœur. Chaque fibre de mon être criait de fuir, de mettre de l'espace entre nous mais mes jambes restaient ancrées au sol. Prisonnier de ce regard qui me traquait, me pourchassait même dans mes pensées et dans mes cauchemars les plus profonds.

— Sans vouloir vous vexez, j'ai du travail à faire Monsieur, lâchai-je en tentant de retrouver mon sang-froid.

— Oh, c'est donc ça... Le boulot ? Sa voix s'était faite plus douce mais son regard était tout sauf tendre. Il glissa lentement sa main sur mon poignet, son toucher brûlant à travers le tissu de ma chemise. Arrête de jouer, Elijah.

Mon estomac se contracta, je détestais cette sensation, cette façon qu'il avait de me faire perdre pied, de brouiller les lignes entre ce que je voulais et ce que je devais faire. Je n'étais plus certain d'être en contrôle et ça me terrifiait.

— Je ne joue pas, murmurai-je en baissant les yeux pour échapper à son emprise.

Il se pencha légèrement, sa voix n'étant plus qu'un souffle contre mon oreille.

— Alors pourquoi tu trembles ?

Je crispai les mâchoires, incapable de répondre. Il avait raison. Mon corps tout entier réagissait à sa proximité malgré tous mes efforts pour me convaincre du contraire. C'était toxique, destructeur et pourtant… Irrésistible. Je finis par me dégager d'un geste brusque, l'air me manquant soudainement.

— Je n'ai pas le temps pour vos jeux, Monsieur Costa. Sacha Berkov ne va pas disparaître tout seul.

C'était la seule carte que je pouvais jouer : le rappel de la menace qui planait sur nous. Il eut un léger rire sans joie.

— Lorenzo. Appel moi Lorenzo et cesse de me vouvoyez. Et puis, Sacha peut bien attendre cinq minutes. Toi, par contre…

Son regard glissa sur moi lentement, comme s'il prenait son temps pour savourer chaque once de tension qui me parcourait. J'avais l'impression d'étouffer.

— Lâche-moi, soufflai-je finalement, presque suppliant.

Il s'exécuta mais pas sans me lancer un dernier regard chargé de quelque chose d'indéfinissable. Une promesse silencieuse, une menace ou peut-être bien les deux.

— Comme tu veux Eli mais ne crois pas que ça change quoi que ce soit.

Puis il s'éloigna enfin, me laissant seul avec le poids de ce que je venais de fuir. Mon cœur battait encore à tout rompre, mes mains tremblaient légèrement. Je n'étais pas sûr de pouvoir continuer ainsi sans me brûler définitivement les ailes mais ce qui me terrifiait le plus, c'était l'envie grandissante qu'il franchisse à nouveau cette ligne. Je devais être cinglé, il n'y avait pas d'autres explications possible.

Quelques heures plus tard, quand je fus sûr que Costa était assez occupé à régler une livraison avec Rocco, je profitai de l'instant pour me faufiler discrètement vers son bureau. Chaque pas que je faisais me semblait plus lourd, chaque seconde plus risquée. La veille, mon supérieur avait été clair, il m'avais mis la pression : il fallait avancer, obtenir des preuves et vite. Je n'avais plus beaucoup de temps, je n'avais plus le choix, il fallait que j'en arrive à une telle extrémité.

Je savais que les prochaines heures seraient cruciales. L’adrénaline pulsait dans mes veines tandis que la poignée céda sous ma main et je m'engouffrai à l'intérieur, refermant la porte derrière moi sans un bruit. Chaque son dans le silence amplifié semblait un cri, chaque ombre une menace. Le bureau de mon patron était aussi impeccable qu'on pouvait l'imaginer. Aucun papier ne traînait au hasard, tout semblait à sa place, méthodiquement ordonné. Comme lui. Je connaissais chaque recoin de cette pièce pour l'avoir examiner, chaque meuble, chaque emplacement de tous les objets présents mais aujourd'hui, quelque chose était différent.

Une tension palpable pesait dans l'air comme ci les murs eux-mêmes guettaient le moindre de mes mouvements. Pourtant, je ne m'arrêtais pas en si bon chemin et sortis rapidement les deux micros miniatures dissimulés dans la doublure de ma veste puis je m'agenouilla sous le bureau massif, les mains légèrement tremblantes alors que je fixais l'un des dispositifs. Les pensées se bousculaient dans ma tête : et si quelqu’un me surprenait ? Et si Lorenzo les découvrait ? Cette double vie devenait un poids insupportable mais je devais me ressaisir, je ne pouvais pas laisser l'angoisse et l'appréhension me consumer.

Lâchant un long soupir pour reprendre contenance, je plaçais un premier micro sous le rebord du bureau, dans un des coins, là où personne ne penserait à chercher. Le second, plus discret, fut poser au dos d'une étagère près de la fenêtre. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine tandis que je m'assurais que tout était bien en place et pas voyant mais mon regard s'attarda quelques instants sur le fauteuil en cuir où il m'avait embrassé la veille. Une chaleur désagréable me monta au visage. Ce que je faisais était dangereux. Si Costa découvrait ces micros, je ne ressortirais probablement pas de l'Antre d'Or en un seul morceau mais il fallait que je sache. Que je trouve quelque chose pour les arrêter. Pour l'arrêter lui. Pour détruire tout ce qu'il avait construit.

Je pris une profonde inspiration et décidais de ne pas en rester là. Tant que j'y étais, tant que j'avais un peu de temps avant qu'il ne revienne, je pris la décision de fouiner un peu. Avec un peu de chance, je pourrais trouver quelques petites informations intéressantes. Je m'approchais de nouveau du bureau à pas feutrés et feuilletais brièvement les quelques dossiers épars, m'efforçant de trouver des choses incriminantes. Comptes offshore, listes de transactions, tout ce qui pourrait établir un lien entre Lorenzo et son empire criminel. Chaque seconde semblait durer une éternité et seul les bruits des battements de mon cœur raisonnaient à mes tempes.

Ne trouvant rien de bien intéressant, je m'accroupis finalement pour examiner le tiroir du bas. Je trouvais un carnet noir, fermé par un élastique et haussa un sourcil. S'il s'agissait là de quelque chose d'important, je n'y aurais pas eu accès aussi facilement, n'est-ce pas ? Pourtant, la curiosité me pousser à l'ouvrir pour y jeter un œil. Hors, un bruit de pas dans le couloir me glaça le sang. Je m’immobilisais quelques secondes, les muscles tendus avant de tout remettre en ordre avec précipitation. Il fallait que j'efface toutes traces de mon passage. La lumière sous la porte s'éteignit soudainement, signe que l’électricité automatique du bureau venait d’être désactivée mais le feu qui brûlait en moi lui, ne s'éteignait pas.

J'eus à peine le temps de me replacer devant le bureau, lissant ma chemise qu'un cliquetis raisonna. La poignée de la porte tourna doucement et Lorenzo entra, ses yeux anthracites se posant immédiatement sur moi. Je remarquais le mouvement imperceptible de ses sourcils avant qu'il ne reprenne une expression neutre.

— Eh bien Carter, je ne savais pas que mon bureau était un lieu public.

Mon cœur loupa un battement tandis que je cherchais rapidement une excuse potable à lui fournir quant à ma présence dans son sanctuaire.

— Je venais seulement chercher les documents pour le projet de développement, balbutiais-je maladroitement.

Costa referma doucement la porte derrière lui, verrouillant la serrure. Je n'étais pas certain que ce soit un bon signe pour moi, il devait assurément se douter de quelque chose mais je priais intérieurement pour que ça ne soit pas le cas. Puis il avançait lentement, sa démarche féline et prédatrice.

— Le projet de développement, hein ? Répondit-il, sa voix douce mais tranchante. Et tu as décidé de le faire dans mon bureau, sans mon aval ?

— Je voulais éviter de déranger, tentais-je en gardant un air neutre malgré l’évidence du piège qui se refermait sur moi.

Mon patron approcha et je me retrouvais vite bloquer entre le bureau et son corps massif, à peine à quelques centimètres du mien.

— Tu sais Eli, je suis un homme patient. Mais la patience a ses limites et toi, tu es en train de tester les miennes.

Je cherchais désespérément une échappatoire mais Lorenzo n’était pas dupe. Il se pencha légèrement, son visage dangereusement proche du mien si bien que je sentis son souffle venir chatouiller mon cou.

— Alors, dis-moi… Qui es-tu vraiment ?

J'ouvris la bouche pour répondre mais Costa ne me laissa pas le temps de dire quoi que ce soit. Ses mains se posèrent brusquement sur le bureau, encadrant mon corps et me bloquant ainsi toute fuite éventuelle. J'étais à présent prisonnier de nos positions et mon regard était ancré dans le sien, qui tentait de comprendre ce que j'étais entrain de faire réellement.

— Tu crois que je ne vois pas clair dans ton jeu ? Continua t-il, sa voix se durcissant. Depuis le début, tu es un mystère. Je t’ai laissé entrer mais toi, tu me donnes quoi en retour ?

Je pris une profonde inspiration.

— J’ai fait tout ce que tu m'as demandé, rétorquais-je, la voix légèrement tremblante mais déterminée.

Lorenzo rit froidement, secouant la tête en réponse, visiblement peu convaincu.

— Oh tu es doué, Carter. Très doué. Mais dans mon monde, on ne joue pas avec le feu sans se brûler.

Le silence s’étira, se faisant pesant jusqu’à ce que mon patron ne me saisisse brusquement par le col de ma chemise.

— Si tu me trahis, Eli… Tu n’auras plus nulle part où fuir.

Le souffle coupé, je ne baissais pas pour autant les yeux. Pour la première fois, je sentais que Lorenzo voyait à travers son masque et malgré la peur, une partie de moi admirait cette intensité.

— Je ne te trahirais pas, murmurais-je, la voix étrangement sincère.

Le maitre des lieux me fixa longuement comme s’il cherchait une vérité cachée dans mes yeux. Puis d’un geste brusque, il relâcha son emprise et fit demi-tour.

— Pour ton bien, j’espère que c’est vrai, dit-il en sortant.

Je restais seul dans ce bureau où chaque décision semblait me rapprocher de la fin d’un jeu dangereux, tout tremblant. A peu de chose prêt, j'aurai été pris la main dans le sac et je ne préférais pas imaginer ce qui serait advenu de moi. Passant lourdement une main dans mes cheveux, je tentais de reprendre mon calme avant de sortir à mon tour. Je souhaitais mettre le plus de distance possible entre moi et cet endroit infernal.

►♥◄►♥◄►♥◄►♥◄►♥◄►♥◄


Bonsoir à tous ! Voici enfin la suite, n'hésitez pas à me donner votre avis !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Emma.Wilson ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0