La proie invisible.

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Point de vue Lorenzo.

J'étais de retour au casino mais l'agitation habituelle me paraissais distante, comme un bruit sourd en arrière-plan. Mon épaule me lançait à peine sous la pression du bandage frais ; le médecin de la famille était passé en toute discrétion pour s'assurer que la blessure n'avait rien de grave. Une simple éraflure. Mais ce n'était pas la douleur physique qui m'obsédait.

C'était Elijah.

Disparu. Enlevé. Et j'ignorais par qui.

Je faisais les cent pas dans mon bureau, une cigarette entre les doigts que j'oubliais de fumer. J'avais retourné la situation dans tous les sens et un nom revenait sans cesse : Sacha Berkov. Depuis la partie de poker clandestine où il avait perdu gros, ses mouvements avaient changé. Plus discrets, plus calculés. Trop d'hommes de Berkov avaient été repérés près du casino ces derniers jours, traînant dans l'ombre, scrutant chaque détail. Comme s'ils attendaient le bon moment pour frapper.

Et ils l'avaient fait. J'en étais persuadé.

Un goût amer me monta dans la gorge. Je n'aurais jamais dû permettre à Elijah de s'approcher autant de cet univers mais je l'avais fait et pire encore, je l'avais laissé franchir des limites que je n'autorisais à personne d'autre. Il y avait quelque chose chez lui, un mélange de défiance et de loyauté, qui m'attirais plus que de raison. Plus que je ne l'aurais admis. Une relation malsaine, destructrice peut-être mais terriblement enivrante. Et maintenant, je risquais de le perdre.

Mes doigts crispés écrasèrent la cigarette dans le cendrier. Je ne pouvais pas rester là à attendre. Pas quand Sacha Berkov détenait probablement Carter. Et s'il lui faisait du mal ? S'il avait déjà franchi l'irréparable ? Cette pensée serra mon estomac d'une rage glaciale. J'attrapais mon téléphone et composa un numéro, celui de Marco qui avait toute ma confiance.

— Trouve-moi tout ce que tu peux sur les derniers déplacements de Sacha. Et vite. Ma voix était tranchante comme une lame de rasoir.

Tant que je n'aurais pas récupéré Elijah, personne ne serait en sécurité.

Alors que je suis plongé dans mes pensées, la porte s'ouvrit brusquement. Rocco entra, l'air grave, un dossier à la main. Il était le premier que j'avais prévenu après l'accident et aussi efficace qu'il était, il s'était immédiatement mit au travail avant même que je n'ai à lui demandé.

— On a vérifié les caméras de surveillance de la ville, annonça-t-il sans préambule. Le SUV a disparu de la circulation. Pas de trace après la sortie du quartier. Il posa le dossier sur mon bureau. Ces types savaient ce qu'ils faisaient, ils étaient préparés.

Je serrais les mâchoires, les yeux rivés sur les documents.

— Ils nous suivaient déjà, lâchais-je, la voix plus sombre. Ils ont attendu le bon moment. Ils savaient où trouver Carter. Je relevais les yeux vers Rocco. Berkov. Ça ne peut être que lui.

Je serrais les poings, la rage grondant en moi. Ils devaient forcément nous suivre depuis un moment puisqu'ils s'étaient mis à nous suivre dès notre sortie du parking du restaurant. Comment avais-je pu ne pas les remarquer avant ? J'avais manqué d'attention et le résultat était là, implaccable. L'un de mes hommes s'était fait enlevé et je n'étais pas certain de l'état dans lequel j'allais le retrouver... Si je parvenais à lui remettre la main dessus. Et puis, autre chose me perturbé. S'ils l'avaient enlevés lui, il y avait certainement une raison. Cherchaient-ils à avoir un moyen de pression sur moi ? Si c'était le cas alors ils nous surveillaient depuis plus longtemps que je ne le pensais. Assez pour avoir remarqué notre rapprochement subtil. Sinon, voulaient-ils faire cracher à Elijah des informations cruciales qu'il avait sur moi et l'organisation ?

Mon bras droit lui, hocha la tête avant de déclarer :

— Si c'est le cas, il ne le gardera pas en vie très longtemps. On fait quoi, patron ?

J'inspirais profondément, chassant l'inquiétude au profit d'une détermination froide.

— On le retrouve et on les fait payer.

Tout comme Rocco, je connaissais la réputation de ce russe. Sacha Berkov était un homme dont le nom résonnait comme une promesse de violence et de chaos. Membre d'une des familles criminelles russes les plus puissantes, il a bâti sa réputation sur des méthodes brutales et une absence totale de remords. D'une froideur glaçante, il était connu pour sa capacité à manipuler et à anéantir ceux qui se dressent sur son chemin. Son ascension dans le milieu du crime a été marquée par des exécutions impitoyables et des règlements de comptes aussi sanglants qu'efficaces.

Ce n'est pas seulement un homme d'affaires dans le crime organisé, il est aussi un bourreau. Ceux qui croisent sa route ne survivent généralement pas longtemps et quand ils le font, ils portent souvent des cicatrices indélébiles, tant physiques que psychologiques. Il n'hésite pas à utiliser la torture, les menaces ou la violence extrême pour obtenir ce qu'il veut, que ce soit des informations, des faveurs ou des témoignages silencieux. Ce n'est pas un homme qui se cache dans l'ombre mais qui fait de sa présence une forme de terreur palpable.

Il préfère laisser ses ennemis trembler avant même qu'il n'agisse, sachant que sa simple réputation suffit à faire naître la peur. Même les plus hauts dignitaires de son pays n'osent pas le contrarier. Les légendes qui courent à son sujet sont nombreuses mais toutes s'accordent sur un point : si vous êtes dans son viseur, vous êtes déjà aussi bon que mort. Dans mon monde, Sacha Berkov est un nom qui attire l'attention et non pas pour des raisons positives. Il est le genre d'homme qui provoque un sentiment de dégoût et de respect simultané, une figure de pouvoir aussi crainte que détestée.

Rocco s'assit finalement face à moi, ouvrant le dossier.

— On a identifié deux véhicules appartenant aux hommes de Berkov, repérés près du casino ces dernières quarante-huit heures. Je peux faire suivre les plaques mais si ce sont eux, ils sont déjà planqués.

— S'ils ont effacé leurs traces aussi vite, c'est qu'ils avaient prévu leur coup, grondais-je. Ils nous surveillaient avant même la partie de poker. On a été trop lents.

J'abattais violemment mes poings sur le bureau, la frustration s'emparant de moi. J'avais manqué de vigilance, ce qui ne m'étais jamais arrivé avant qu'Elijah n'apparaisse dans ma vie. Etait-ce lui qui m'avais autant aveuglé ? Une chose était sûr, j'allais devoir me reprendre.

— Tu penses qu'ils voulaient Carter depuis le début ? Me demanda t-il en haussant un sourcil.

Je hochais la tête, les mâchoires crispées.

— Peut-être pas lui en particulier mais ils voulaient nous toucher et Elijah s'est retrouvé au mauvais endroit. Je marquais une pause, mes doigts glissant nerveusement sur la surface du bureau. On ne peut pas attendre qu'ils fassent le premier geste. Chaque minute compte.

— Je peux envoyer des gars fouiller les planques connues de Berkov, proposa Rocco. Mais si on se plante, il va flairer qu'on est sur lui.

— Nous n'avons pas vraiment le choix, rétorquais-je sèchement. Je veux des équipes aux abords de chaque entrepôt, chaque hangar qu'il possède. Et dis-leur de se préparer : si on trouve quelque chose, on agit immédiatement.

Rocco se leva, prêt à exécuter mes ordres mais il se stoppa soudainement dans son élan.

— Et si on ne trouve rien ?

Un éclair de colère zébra mon regard.

— Alors je m'occuperai moi-même de faire sortir Berkov de son trou.

Des heures s'étaient écoulés et je tapotais nerveusement mes doigts contre le cuir de l'accoudoir, le regard fixé sur l'entrepôt délabré qui se dressait de l'autre côté de la rue. Les heures s'étaient égrenées sans le moindre indice. Rien. Ni mouvement suspect, ni rumeur sur Elijah et ce silence m'irritais au plus haut point.

— Toujours rien ? Ma voix claqua dans l'habitacle, tendue et acerbe.

L'homme assis sur le siège passager secoua la tête.

— Non, patron. On a passé les caméras de surveillance au peigne fin. Pas de trace de Carter ni d'un quelconque mouvement inhabituel autour des entrepôts.

Je réprimais un juron, mon estomac se nouant à mesure que l'angoisse s'insinuait en moi. Quelque chose clochait, mon instinct me le hurlait et chaque minute sans nouvelle resserrait un peu plus l'étau sur mes nerfs.

— Continuez les rondes, je veux un rapport toutes les heures. Et que quelqu'un interroge les gars de l'Antre d'or. Si Elijah a parlé à quelqu'un avant de disparaître, je veux le savoir.

L'ordre fut exécuté sans discussion mais cela ne calma en rien la tempête qui grondait en moi. J'allumais une cigarette, plus pour m'occuper les mains que par besoin. La fumée me brûlait la gorge. Je n'avais jamais aimé me sentir impuissant, cela me rendait fou. Je fermais les yeux un instant, pesant le pour et le contre. Fouiller dans l'ombre n'avait rien donné alors il était temps de forcer les choses et il n'y avait qu'un homme capable de répondre à mes questions.

Sacha Berkov.

Je sortis mon téléphone, dénichant le numéro que j'avais juré de ne jamais appeler directement. Mes doigts glissèrent sur l'écran puis la tonalité résonna à mon oreille. Une fois. Deux fois, avant qu'une voix froide et mesurée ne s'élève.

— Costa. Je me demandais combien de temps il te faudrait. Me salua t-il brièvement.

— Berkov. On doit parler. Face à face. Lui répondis-je d'une voix calme et posée malgré l'urgence de la situation.

Un silence tendu s'installa, comme si l'homme à l'autre bout de la ligne savourait mon audace ou bien... Ma défaite.

— Intéressant. Et qu'est-ce qui te pousse à vouloir me voir soudainement ?

— Ne joue pas à ça avec moi, tu sais très bien pourquoi. Je veux le voir de mes propres yeux.

Un ricanement léger, presque amusé, franchit la barrière du téléphone.

— Soit. Demain soir. Je t'enverrai le lieu.

La ligne coupa net et je restais un instant silencieux, le portable serré entre mes doigts, un frisson glacé me parcourant. Sacha Berkov ne concédait jamais une rencontre sans raison et cela ne présageait rien de bon.

Le lendemain soir, l'adresse me parvint sans fioriture : un ancien club désaffecté à la périphérie de la ville. Je m'y rendis en avance, accompagné de deux de mes hommes de confiance. L'obscurité étouffait les alentours et l'odeur de rouille et de moisissure imprégnait l'air. À l'intérieur, une lumière blafarde éclairait une table où Sacha Berkov m'attendait déjà, installé comme s'il était chez lui.

— Pile à l'heure, je devrais m'en sentir honoré. La voix de Berkov était aussi glaciale que son sourire.

Je ne répondis pas, m'approchant d'un pas mesuré avant de m'asseoir en face à lui, mon regard d'acier planté dans celui de mon interlocuteur.

— Où est-il ? Lançais-je sans détour.

Le russe haussa légèrement les sourcils, feignant l'innocence, ce qui eut le don de m'exaspérer.

— De qui parles-tu exactement ? Je gère beaucoup de choses, difficile de suivre.

— Ne me fais pas perdre mon temps, Berkov. Si tu l'as, dis-le. Sinon, dis-le aussi, qu'on en finisse.

Un silence pesant s'installa. Sacha inclina la tête, un éclat amusé dans les yeux.

— Tu es nerveux, Costa, ce n'est pourtant pas ton genre habituellement. Ce gamin a donc tant d'importance pour toi ?

Je ne cillais pas. Hors de question de lui offrir sur un plateau d'argent, la satisfaction qu'il attendait.

— Je veux une réponse. Maintenant.

Mon interlocuteur se pencha légèrement, son sourire s'effaçant lentement.

— Et si je te dis que je ne l'ai pas ? Que je ne sais pas où il est ?

Mon regard s'assombrit aussitôt ses mots prononcés, une tension électrique irradiant de tout mon corps.

— Si tu me mens, je te le ferai payer.

Un rire bref et sec résonna désagréablement à mes oreilles. Je ne supportais pas ce type, il m'exécrais au plus haut point, d'autant plus maintenant.

— Tu crois m'impressionner ? Je n'ai rien à perdre, Lorenzo. Rien. Et surtout pas face à toi. Si j'avais ton précieux gars, tu penses que je te le dirais ?

Mes doigts se crispèrent imperceptiblement sur le rebord de la table. Je sentais que le russe ne lâcherait rien facilement. Il me fallait une autre approche mais une chose était claire : ce face-à-face n'avait fait qu'attiser ma colère et renforcer mes doutes.

Cependant, ses paroles me firent tout de même tiquer. Et si Berkov ne mentait pas ? Et si quelqu'un d'autre tirait les ficelles dans l'ombre ? Une autre faction peut-être ou un rival silencieux. L'idée me hantait car si ce n'était pas Sacha, alors la situation était encore plus grave.

— Si j'apprends que tu es impliqué, je détruirai tout ce que tu as. Ma voix était basse, tranchante.

Berkov se renversa contre le dossier de sa chaise, impassible à mes menaces mais je n'en attendais pas moins de lui.

— Bonne chasse, Costa.

Alors que je me levais pour partir, mon téléphone vibra dans ma poche. Un message anonyme. Une adresse différente de celle de Berkov, accompagnée deux mots :

"Trop tard."

Mon cœur manqua un battement et je montrais l'écran à l'un de mes hommes d'un geste sec.

— Localise cette adresse. Tout de suite.

Une ombre passa dans mon regard. Si ce message disait vrai, je jouais une course contre la montre et je détestais perdre. Mais ce qui m'inquiétais davantage, c'était la signature implicite derrière ces deux mots : quelqu'un savait que je cherchais Elijah. Et ce quelqu'un avait décidé de frapper là où ça ferait le plus mal.

Pendant un instant, je restais figé, mon esprit carburant à toute vitesse. Berkov m'avais peut-être mené sur une fausse piste pour masquer un joueur plus dangereux ou pire encore, quelqu'un d'insoupçonné avait décidé de s'attaquer directement à moi, en utilisant Carter comme levier. Et cette pensée me rendais furieux. S'il était blessé, il n'y aurait plus d'endroit sûr pour se cacher de ma vengeance.

Je serrais les dents en remontant dans la voiture. Si ce message était un piège, j'y plongerais tête la première parce que l'idée qu'Elijah puisse être entre les mains de quelqu'un de plus dangereux que Berkov m'étais insupportable. Et celui ou celle qui avait osé le toucher allait le regretter amèrement.

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