Le goût de la colère.

9 minutes de lecture

Point de vue Lorenzo.

La nuit s’était abattue sur Redcliff, drapant les docks d’un voile d’encre percé seulement par quelques lampadaires fatigués. L’odeur de sel et de rouille flottait dans l’air, entremêlée aux relents d’huile et de poisson mort. Cachés dans l’ombre des conteneurs empilés, moi et mes hommes attendions, silencieux, scrutant l’entrepôt désigné par le Faucheur. Toute la journée, nous l’avions surveillé et avions compté les allées et venues ainsi que noté les changements de garde. Il y avait du monde, plus que prévu. Une sécurité renforcée, signe évident que nos adversaire se méfiait. Accroupi derrière une carcasse de camion, je fixais l’objectif à travers une paire de jumelles nocturnes. Des hommes patrouillaient devant l’entrée principale, bien armés quand d’autres étaient postés sur les toits, fusils en main. L’intérieur ? Un mystère. À mes côtés, un de mes lieutenants chuchota :

— On attend ton signal, patron.

Je hochais la tête puis porta une main à mon oreillette.

— C’est le moment. Fais le ménage.

Silence radio, avant qu'un simple clic de confirmation ne raisonne. Perché sur un silo de chargement à plus de cent mètres, mon tireur d’élite embusqué ajusta sa lunette. Il avait déjà ses cibles marquées. Il ralentit sa respiration, ajusta l’angle… Et tira. Une première silhouette s’effondra près de l’entrée, une balle nette entre les deux yeux. Avant que son coéquipier ne puisse réagir, un second tir l’envoya rejoindre son camarade au sol. Le chaos explosa aussitôt. Les gardes paniquèrent, cherchant d’où venait l’attaque. Deux autres s’écroulèrent, abattus proprement avant même de comprendre.

— Maintenant ! Ordonnais-je.

Mes hommes jaillirent de leur couvert, silencieux et rapides. Les balles sifflèrent dans l’air tandis qu’ils se dispersaient, profitant de la confusion. L’un d’eux lança une grenade aveuglante par une fenêtre brisée, illuminant l’intérieur d’une lumière blanche fulgurante. Les portes de l’entrepôt s’ouvrirent à la volée, des hommes armés surgissant pour riposter. Une rafale de tirs éclata dans la nuit. Pistolet en main, j'abattis un premier assaillant sans ralentir. Les balles crépitaient, ricochaient sur le métal, se perdaient dans l’obscurité. Mon équipe avançait méthodiquement, couvrant chaque angle, éliminant les cibles une à une mais je n’étais pas là pour une simple fusillade. J'avais un objectif bien précis en tête.

Elijah.

Je ne pouvais pas laisser l'un des miens entre les mains d'un ennemi. Pour sa sécurité mais également la mienne. Pour éviter qu'il ne balance des informations qui devaient restés confidentielles et pour ne pas qu'il devienne une de mes faiblesses. Mais concernant Carter... Il n'y avait pas que ça. Je le savais même si je ne voulais pas me l'avouer. Pas encore. Pas maintenant. Je progressais dans l’ombre, contournant le cœur du combat pour me diriger vers l’intérieur du bâtiment. Si le Faucheur avait dit vrai, il était là, quelque part… Et il était hors de question que je reparte sans lui.

L'intérieur de l'entrepôt était un enchevêtrement de couloirs métalliques, d'escaliers de service et de caisses empilées jusqu'au plafond. L’odeur de fuel et de poussière emplissait l’air, mêlée à celle plus âcre du sang. Les tirs résonnaient encore à l'extérieur mais je n’avais pas le temps de m’attarder sur le carnage. Mes hommes tenaient bon, avançant rapidement pour sécuriser les lieux pendant que je m’enfonçais plus profondément dans le bâtiment. J'avançais d’un pas rapide, mon arme levée, prêt à faire feu au moindre mouvement suspect. Derrière moi, Rocco me couvrait, son fusil d’assaut braqué sur l’ombre des couloirs.

— Carter doit être dans une pièce sécurisée, murmura ce dernier. Ces types n’ont pas mis autant de monde ici pour garder un entrepôt vide.

Je hochais la tête, n'ayant pas besoin qu'on me rappelle que nos adversaires n’allait pas nous rendre Elijah sans lutter. Un bruit métallique résonna brusquement à notre gauche. D’instinct, je tournais mon arme dans cette direction, mon doigt prêt à presser la détente. Un garde jaillit d’un renfoncement, son fusil déjà levé mais je fus plus rapide. Un coup de feu claqua et le garde s’écroula en arrière, son arme glissant au sol.

— Merde, grogna Rocco. Ils vont savoir qu’on approche.

— Ils savent déjà.

J'enjambais le corps et continuais d’avancer puis enfin, au bout du couloir principal, une porte blindée apparut. C’était la seule du bâtiment à avoir un verrou électronique. Nous échangions un regard complice.

— C’est là.

Mon second opina et s’approcha rapidement du panneau de contrôle.

— Je vais tenter de…

Mais un bruit derrière nous le fit taire. Un lourd clac, son bien distinctif. Le verrouillage d’un fusil à pompe. Je pivotais d’un bloc, le canon de mon arme pointé vers l’homme qui se tenait à l’autre bout du couloir. Un colosse au crâne rasé, le regard noir et une cicatrice barrant sa joue. L’air de quelqu’un qui n’était pas du tout impressionné par ma présence.

— J’te conseille de poser ça, lança t-il en hochant la tête vers mon arme.

— Si je fais ça, tu es mort dans la seconde, répliquais-je d’un ton glacé.

Le colosse eut un petit sourire mais il ne bougea pas.

— Tu veux récupérer ton pote, pas vrai ? Va falloir mériter ça.

Sans prévenir, il pressa la détente et je plongeais sur le côté au même instant. Le coup de feu tonna, arrachant un pan de mur là où je me tenais une seconde plus tôt. Rocco ouvrit le feu, forçant l’homme à reculer derrière une caisse.

— Il faut ouvrir cette porte, maintenant ! Aboyais-je.

Mon second s’agenouilla devant le panneau de contrôle, commençant à trafiquer les fils pendant que je me redressais, prêt à en découdre. Le colosse ressortit de sa cachette et tira à nouveau. Cette fois, je ripostais aussitôt, une balle sifflant près de l’oreille de l’assaillant. Un combat à mort venait de s’engager et pendant ce temps, de l’autre côté de la porte blindée, Elijah m'attendais. Après des secondes qui me parurent être une éternité, le verrou électronique grésilla une seconde avant d’émettre un bip sonore. Un déclic métallique se fit entendre puis la porte blindée s’entrouvrit lentement. Je ne perdis pas une seconde. D’un coup de pied, je l’ouvrit en grand pendant que Rocco terminait le chauve. Je pénétrais dans la pièce, mon arme levée, prêt à tirer mais il n’y avait plus d’ennemi à abattre.

Seulement Elijah.

Le corps de ce dernier gisait sur le sol, à moitié recroquevillé contre le mur. Ses poignets, encore entravés par des menottes métalliques, portaient des marques rouges profondes, preuve qu’il avait lutté. Son visage était tuméfié, une plaie ouverte au front suintait du sang séché et son arcade éclatée s’étalait en une tache sombre jusqu’à sa joue. Sa chemise, autrefois blanche, était déchirée et poisseuse de sang. Je remarquais immédiatement l’hématome violacé qui s’étendait sur son abdomen. Je m’accroupis rapidement à ses côtés et posa deux doigts sur sa gorge, cherchant un pouls.

— Il est vivant mais son cœur est faible, dis-je, la mâchoire crispée.

Rocco jeta un coup d’œil dans la pièce avant de revenir vers nous.

— Merde... Ils lui ont fait passer un sale quart d’heure.

Je baissais les yeux et sentis une rage froide m’envahir. Carter portait également des contusions sur ses côtes et des brûlures légères sur ses avant-bras, comme si on lui avait appliqué quelque chose de chauffé à blanc. Il n’y avait pas que des coups. On avait voulu le briser. Mon estomac se serra mais je refusais de laisser l’émotion prendre le dessus. Ce n’était pas le moment. Je me penchais sur lui et détacha les menottes d’un geste rapide, grâce aux clés que mon second avait trouvé sur le cadavre de celui qui nous avait attaqué quelques minutes plutôt.

— On le sort d’ici.

Rocco hocha la tête et s’approcha pour aider mais avant que nous ne bougions, un léger gémissement s’échappa des lèvres d’Elijah. Faible et presque inaudible. Je relevais la tête aussitôt, mon cœur battant plus fort. Il venait de bouger légèrement. Son corps tremblait sous l’effort et quand il entrouvrit difficilement les paupières, son regard vitreux croisa le mien. Un souffle, à peine murmuré, franchit ses lèvres fendues :

— Lorenzo…

Puis il sombra à nouveau dans l’inconscience. Je restais figé un instant, le regard rivé sur lui. Mon prénom, soufflé dans un souffle si faible, s’était infiltré en moi comme une décharge électrique. Un simple mot mais chargé d’une émotion que je ne parvenais pas à identifier. Pourquoi est-ce que mon cœur battait aussi fort ? Pourquoi cette douleur dans ma poitrine, cette rage glaciale qui me vrillais l’estomac ? Ce n’était pourtant pas la première fois que je voyais quelqu’un dans cet état. J'avais déjà vu des hommes battus, torturés, réduits à l’état de carcasses vides. J'en avais même laissé certains derrière moi, sans un regard. Mais là… Je n’arrivais pas à détourner les yeux. Les hématomes sur la peau d’Elijah me mettaient hors de moi. Les plaies ouvertes, les traces de brûlures sur ses bras…

Je ressentais une colère sourde, brutale, qui me brûlait les entrailles. Je voulais tuer. Déchiqueter ceux qui avaient fait ça, les traquer un par un et leur faire payer. Et pourtant… Je n’aurais pas dû ressentir tout ça. Elijah n’était qu’un type que j'avais croisé par hasard. Un inconnu que j'aurais pu ignorer, laisser se débrouiller seul. Pourquoi diable avais-je mis autant d’énergie à le retrouver ? Je n’étais pourtant pas du genre à m’attacher, je ne laissais jamais personne m'atteindre. Mais en le voyant lui, si vulnérable, si abîmé... Quelque chose en moi avait cédé. Je serrais les mâchoires et détourna légèrement la tête, comme si je pouvais fuir cette sensation. Mais ce fut inutile alors j'inspirais profondément, refoulant les émotions qui menaçaient de me déborder. Ce n’était clairement pas le moment.

— On bouge, dis-je finalement d’une voix plus dure que je ne l’aurais voulu.

Sans attendre, je passais un bras sous ses épaules et le souleva avec précaution. Son corps était léger, presque trop. Je sentais la chaleur de son sang poisseux contre ma chemise mais je m’en fichais. Tout ce que je souhaitais, c'était le sortir de ce trou à rat. Elijah avait perdu connaissance, sa tête reposait contre mon épaule et tandis que je le portait hors de cette prison de métal et de douleur, une pensée s’imposa à moi. Je devais le protéger... Coûte que coûte. Le corps d’Eli était un poids mort contre moi et pourtant, je le portait avec une aisance mécanique, presque automatique. Mes bras se resserrèrent légèrement autour de lui alors que j'avançais dans les couloirs sombres de l’entrepôt, Rocco sur les talons, armes levées et prêt à éliminer toute menace restante.

Mais il n’y avait plus rien.

Plus d’ennemis surgissant des ombres, plus de coups de feu. Juste le silence. Un silence qui n’avait rien de rassurant. Mes yeux se plissèrent, il y avait quelque chose qui clochait. Je le sentait jusque dans mes tripes. Tout avait été trop facile. L’accès à l’entrepôt, la neutralisation des gardes, l’ouverture de la porte blindée… Certes, il y avait eu quelques résistances mais rien d’aussi corsé que ce à quoi je m’attendais. Elijah était un otage précieux, un homme qui selon le Faucheur, avait été enlevé sur ordre d’une grosse tête. Un type avec assez d’influence pour engager un mercenaire de haut vol. Alors pourquoi avons-nous réussi à nous introduire ici aussi facilement ? Il y avait deux possibilités. Soit l’ennemi nous avais sous-estimés, soit… Il avait voulu que nous réussissions à le récupérer.

Un piège.

La prise de conscience fut instantanée et une alarme hurla dans mon esprit. Je m’arrêtais net, serrant un peu plus Elijah contre moi.

— Putain… Rocco se figea à son tour, percevant aussitôt le changement dans mon attitude.

— Un problème ?

— Tout ça, c’était trop facile.

Mon second fronça les sourcils, jetant un regard autour de nous, aux corps éparpillés dans le couloir.

— Tu trouves ? On a quand même dû se battre pour avancer.

— Pas assez.

Je tournais la tête vers la porte blindée que nous venions de quitter, une pensée désagréable me traversant l’esprit.

— Et si c’était ce qu’ils voulaient ?

Rocco blanchit légèrement.

— Merde. Tu crois qu’il est piégé ?

Je baissais les yeux vers Eli, toujours inconscient dans mes bras. Son visage tuméfié était crispé même dans l’inconscience, comme s’il était encore hanté par ce qu’il avait vécu. Ma prise sur lui se raffermit et j'avançais de nouveau.

— Je ne sais pas… Mais on va le savoir très vite.

Nous devions sortir d’ici et vite, avant que l’ennemi ne nous montre ce qu’il avait réellement prévu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Emma.Wilson ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0