Un pas vers l'abîme.
Une douleur sourde me vrillais le crâne. Mon corps entier semblait pris dans un étau, chaque muscle criant sous le moindre mouvement. J'ouvris les yeux avec difficulté, luttant contre le voile de l’inconscience qui pesait encore sur moi. La lumière tamisée me piquais les rétines, m’obligeant à cligner des yeux plusieurs fois avant de distinguer mon environnement. J'étais allongé dans un lit immense, sous des draps propres qui sentaient une légère fragrance boisée. Lentement, je tournais la tête, détaillant la pièce autour de moi. Un plafond haut, des murs peints dans des tons sobres, sans fioritures. Et surtout, une immense bibliothèque qui occupait presque toute une paroi, remplie d’ouvrages méticuleusement rangés. Ce n’était clairement pas une planque miteuse ni une cellule insalubre. Où est-ce que j'étais ?
Je tentais de bouger mais une vive douleur explosa dans mes côtes, m'arrachant un gémissement étouffé. Je grimaçais, sentant une brûlure sous ses dernières, des hématomes sur mes poignets et une raideur terrible dans le dos. Puis des souvenirs flous me revinrent soudainement en tête. L’entrepôt. La douleur. Les questions. Et puis… Une voix bien particulière que je reconnaitrais n'importe où.
— Lorenzo…
Comme en réponse à cette pensée, un bruit attira mon attention. La poignée de la porte tourna doucement et la haute silhouette de mon patron apparut dans l’encadrement. Il la referma derrière lui avant de s’approcher du lit, son regard sombre fixé sur moi. Un silence s’installa pendant que je le détaillais un instant. Il n’avait pas changé depuis la dernière fois que je l’avait vu mais il y avait quelque chose dans sa posture… Une tension. Une ombre fugace dans ses yeux. C’est lui qui avait fait ça, n’est-ce pas ? Qui m’avait sorti de cet enfer. J'humectais mes lèvres sèches et parvins à articuler d’une voix rauque :
— Où… Où est-ce qu’on est ?
Le mafieux me regarda quelques secondes avant de répondre :
— Chez moi.
Je fronçais légèrement les sourcils, surpris par cette réponse. Je ne pensais pas qu'un jour, je mettrais les pieds chez lui.
— T’es vachement riche pour un type qui passe son temps à foutre le bordel, soufflais-je en jetant un regard vers la bibliothèque.
Un rictus amusé passa sur le visage de Lorenzo, fugace.
— J’ai des standards.
Un léger soupir franchit mes lèvres tandis que je fermais les yeux une seconde, me sentant vide. Terriblement vide.
— Comment je suis arrivé ici ?
— Je t’ai sorti de cet entrepôt. Toi et ton sale état.
Je rouvris les paupières et croisa son regard.
— Alors tu as pris des risques pour moi, hein…
Lorenzo ne répondit pas immédiatement, son expression s’étant durcie.
— Disons que je ne pouvais pas te laisser crever là-bas.
Je haussais un sourcil, un sourire faible mais moqueur effleurant mes lèvres.
— Touchant.
— Ferme la et repose toi, grogna t-il.
Malgré son ton sec, je captais quelque chose d’étrange dans son regard. Une lueur indéfinissable comme s’il n’était pas aussi indifférent qu’il voulait le faire croire. Je détournais finalement mon regard de la bibliothèque pour le poser sur la grande baie vitrée qui s’étendait du sol au plafond. De là où j'étais allongé, je distinguais parfaitement les lumières de la ville, scintillant comme un océan d’étoiles artificielles. Les immeubles s’élevaient dans la nuit, majestueux et les rues en contrebas grouillaient encore d’activité malgré l’heure tardive. Je restais silencieux un instant, absorbé par cette vue.
— T’as une putain de belle vue, soufflais-je finalement.
Costa, qui s’était approché du lit, haussa légèrement un sourcil.
— Ouais. J’imagine.
— Tu l’imagines seulement ?
— Je ne suis pas du genre à contempler la ville en rêvassant, répondit Lorenzo en croisant les bras.
J'esquissais un sourire fatigué.
— Ouais… Ça, j’aurais pu m’en douter.
Mon regard retourna vers la vitre. Je ne m'étais jamais retrouvé dans un endroit aussi luxueux. L’élégance sobre de la chambre, la bibliothèque parfaitement rangée, la vue imprenable sur la ville… Tout contrastait avec le chaos de ces derniers jours et pourtant, malgré ce décor apaisant, mon corps me rappelait la violence que j'avais subie. Je laissais échapper un léger soupir avant de poser mes yeux sur mon patron.
— Alors… Qu’est-ce qui se passe maintenant ?
Ce dernier soutint mon regard, son expression indéchiffrable.
— Maintenant, tu récupères.
— Et après ?
— On verra.
Je plissais légèrement les yeux en sentant bien que Lorenzo savait déjà ce qu’il comptait faire mais il ne le disait pas.
— J’imagine que tu veux des réponses, murmurais-je.
Lui s’adossa au mur, son regard toujours rivé dans le mien.
— Ouais. Mais pas ce soir.
J'aurais pu insister mais je me sentais vidé. Et puis, Costa avait raison sur un point : Je n’irais nulle part dans cet état. Je fermais brièvement les yeux puis laissa échapper un faible rire.
— Tu es plus sympa que je ne l’aurais cru.
— Ça dépend des jours.
Un silence s’installa alors que Lorenzo me scrutait toujours mais il ne semblait pas sur le point de partir. Comme s’il voulait s’assurer que j'allais vraiment bien avant de me laisser seul et étrangement, je trouvais ça rassurant. Je laissais mon regard errer sur la silhouette de Lorenzo, appuyé contre le mur, les bras croisés. Il paraissait détendu mais je n’étai pas dupe. Ce type était toujours sur ses gardes, même dans son propre territoire. J'humectais mes lèvres sèches avant de briser le silence :
— Tu as l’air inquiet.
— C’est parce que je le suis, répondit-il sans détour.
J'haussais un sourcil, surpris de sa réponse.
— Pour moi ?
Costa ne répondit pas immédiatement. Il détourna brièvement les yeux vers la baie vitrée avant de les reposer sur moi, son regard sombre indéchiffrable.
— Je n’aime pas les situations trop faciles.
— C’est censé vouloir dire quoi ?
— Que ton enlèvement, notre intervention… Tout ça s’est déroulé trop simplement.
Je me redressais légèrement, grimaçant sous la douleur qui me vrillait les côtes.
— Simplement ? Tu as vu dans quel état je suis ?
— Je ne parle pas de ça.
Lorenzo décroisa les bras et s’approcha du lit.
— Ils auraient pu mieux te cacher, mieux te protéger. Mais c’était comme s’ils voulaient qu’on te retrouve.
Je sentis un frisson glacé me remonter le long de l’échine. Je n’avais pas encore eu le temps de réfléchir à tout ça. À pourquoi j'avais été enlevé et surtout, pourquoi on m’avait laissé m’en sortir.
— Tu penses qu’ils ont fait exprès de me laisser partir ?
— Je pense qu’on nous a tendu un piège. Mais j’ignore encore lequel.
Je déglutis, n’aimant pas du tout ce que j'entendais. Je passais une main sur mon visage meurtri et soupira.
— Putain… J’aurais préféré que tu sois juste un bon samaritain et que ça s’arrête là.
Mon patron esquissa un sourire amusé mais sans joie.
— Désolé de te décevoir.
Je fermais les yeux une seconde, essayant d’organiser mes pensées. J'avais mal, j'étais épuisé mais une chose était certaine : Mon calvaire n’était pas terminé.
— Bon dans ce cas, c’est quoi la suite ? Demandais-je en rouvrant les yeux.
— La suite, c’est toi qui la choisis, déclara Costa.
Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir.
— Moi ?
— Ouais. Soit tu fais comme si tout ça ne t’avait jamais concerné et tu continues de travailler l'air de rien. Soit tu cherches à comprendre pourquoi on t’a enlevé et pourquoi on t’a rendu.
Je sentis un poids s’installer dans mon ventre, sachant déjà ce que j'allais choisir parce que je n’étais pas du genre à fuir. Parce que je voulais des réponses. Le silence s’étira dans la chambre, seulement rompu par le léger bourdonnement de la ville derrière la vitre. Je fixais le plafond, les mâchoires serrées. Mon souffle était calme en apparence mais j'étais certain que Lorenzo voyait la tension dans mes épaules ainsi que la rage contenue derrière ma fatigue.
— Je veux comprendre, finis-je par dire d'une voix plus grave, plus assurée. Je veux savoir qui m'a enlevé.
Mon patron hocha lentement la tête, sans surprise.
— Alors tu restes.
— Je reste.
Un accord silencieux passa entre nous, invisible mais solide. Je tournais légèrement la tête vers lui, mes traits tirés par la douleur.
— Mais je ne veux pas juste comprendre, Lorenzo. Je veux les faire payer. Tous.
Un éclair traversa le regard de ce dernier, une lueur que je ne savais pas encore nommer mais qui me noua brièvement la gorge. Je le vit acquiescer une seconde fois, plus lentement, comme s’il validait quelque chose qu’il avait déjà envisagé.
— Dans ce cas, il faudra que tu sois prêt parce qu’ils ne vont pas te laisser tranquille.
— Ils m’ont déjà tout pris, répondis-je. Ce qui reste, je ne leur donnerai pas.
Il y eut un silence lourd et chargé.
— Tu as changé, souffla Lorenzo. Tu n'étais pas comme ça au début.
Je laissais échapper un rire sans joie.
— On m’a brisé les côtes, privé de sommeil, menacé de mort et battu jusqu’à ce que je perde la notion du temps. Tu penses que je vais rester ce type gentil que tu as rencontré au début ?
Costa s’approcha lentement, s’asseyant au bord du lit. Sa main ne me toucha pas mais elle resta proche, posée à plat sur le drap.
— Je pense que tu vaux plus que ce qu’ils ont voulu te faire croire. Et je sais ce que ça fait d’avoir une cible dans le dos.
Je le fixais, surpris par cette sincérité.
— Toi aussi, tu as été pris pour cible ?
— Je le suis encore. Tous les jours. Mais la différence, c’est que moi j’ai appris à vivre avec.
— Alors apprends moi, murmurais-je, le souffle court. Apprends moi à survivre. À devenir comme toi.
Lorenzo soutint mon regard sans répondre, me jaugeant longtemps. Et au lieu d’un refus, il finit par dire :
— Très bien mais tu dois comprendre une chose, Eli. Une fois que tu es de mon côté, tu ne peux plus revenir en arrière.
— Je n’ai plus rien à perdre.
Mon patron me regarda encore un instant, puis se leva.
— Repose-toi. Tu vas en avoir besoin. Il tourna les talons, se dirigeant vers la porte mais avant de sortir, il ajouta presque à mi-voix :
— Et ferme les rideaux si tu n’arrives pas à dormir. Cette vue, elle rend dingue quand on a trop de questions. La porte se referma doucement derrière lui, me laissant seul dans la pénombre face à la ville qui brillait, indifférente à ma douleur.

Annotations
Versions