VIII
La journée se crevait plus vite qu’Itt ne l’aurait cru. Son sac pesait sur ses épaules et commençait à le ralentir. À regret, il n’irait guère dormir dans les cuisses d’un charmant drûk. Du moins, pas cette nuit. Cependant, il continua de marcher le long des routes sinueuses, ses yeux cherchant un endroit où s’arrêter pour la nuit. Itt s’immobilisa. De la musique résonnait. Faible. Presque étouffée. Un sourire féroce s’étira sur ses lèvres. La senteur d’un individu qui se baignait dans la noirceur humaine l’atteignit. Il vibrait alors d’une énergie nouvelle. En l’espace d’une dizaine de minutes, il rattrapa un drôle de cortège.
Des hommes simplement vêtus d’un pantalon moulant tiraient à bout de bras le fiacre qui contenait un individu de forte corpulence. Ce dernier se gavait et buvait comme si sa vie en dépendait. Les yeux de ce personnage fixait avec désir non dissimulé ses subordonnés. Itt plissa les yeux. Il connaissait ce genre de personnes. Des salauds avec des poches pleines qui se permettaient de commettre les pires horreurs à leurs paires, et en particulier à des enfants. C’était un piètre personnage, un noble de forte influence, qui, de part ce que Itt pouvait en conclure, saccageait la réputation de son clan par le biais de bêtises que nul n’osait relever. Son regard se tourna vers des femmes, à jamais mutilées dans le silence, toutes habillées d’une tenue traditionnelle qu’Itt ne reconnaissait pas. Un peu plus proche de lui, des paysans bien trop minces pour endurer une telle montée, s’occupaient de garder des denrées alimentaires. Des adolescents, aussi bien des mâles que des femelles, étaient accrochés comme des chiens de traîneaux.
Itt se décida à agir. Les affaires déposées dans un coin, il appela la brume à s’épaissir afin de ne pas gâcher l’élément de surprise. L’air devint glacial. Itt jaillit parmi les musiciens, qui marchaient en tête du cortège, et dégaina un sabre. Les instruments se turent d’un seul coup. Ses adversaires pâlirent rien qu’en voyant sa terrible apparence. Ils abandonnèrent alors le reste de leurs congénères sur place et s’enfoncèrent dans les bois environnants. Itt ne s’inquiéta pas de leurs actions ; le Chasseur s’occuperait d’eux. Itt fusa dans la brume dans la direction des jeunes hommes. Il ne les tua pas. Cependant il s’assura qu’ils ne tentent rien. Leurs âmes entravées par des chaînes invisibles pleuraient les traumatismes perpétuées par la perversité qu’était le noble.
Celui-ci le vit. Il rougit de colère. Itt se tourna vers les femelles, croisant le regard d’une des plus jeunes. Une membre de son espèce ? Il lui intima de partir d’un signe de tête. Ce qu’elle fit entraînant à sa suite le reste du cortège.
— Petit humain dodu, un petit gourmand sans vertu, petit imprudent velu…
Itt éclata de rire après avoir prononcé ses paroles. Il se lécha les babines. Autant il n’aimait guère le laid personnage avachi dans le fiacre, autant il adorait l’énergie qui émettait de lui. La brume se concentra autour d’eux.
— T’es qui, toi ? Espèce de sale—
La voix du noble se coupa net. Il ferma la bouche, perplexe, et la rouvrit. Pas un son. Itt sourit tout en s’approchant de sa proie. Il grimpa à l’intérieur du véhicule. Ses mains agrippèrent celles de l’homme. S’installant à califourchon, Itt ne manqua guère la lueur de désir dans les yeux de sa victime. Il se pencha et chuchota quatre mots à son oreilles :
— Je suis ton pire cauchemar.
Qui avait dit que la mort n’avait pas de visage ?

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