XXII
Le cortège marchait à un rythme soutenu, dans un silence inquiétant, sourd à la panique intérieur de chacun. Le Capitaine ne se trouvait plus en tête de file, usé par les derniers événements, il s’assurait néanmoins de la sécurité de ses subordonnés en fin de convoi, entouré par les jeunes ayant insistés pour l’aider. Ces derniers s’inquiétaient de son comportant troublant depuis qu’il avait ramené leurs camarades au campement. Les journées, affreusement longues, sappaient le moral des soldats. Elles défilaient sans jamais leur permettre d’apercevoir une sortie, comme si la Brume Froide ne voulait pas les laisser s’en aller. Et d’une certaine manière, Frodon Marcos le comprenait.
En proie aux cauchemars, aux perpétuels cris silencieux de ses compagnons de voyage, entremêlés par la nostalgie et le désir de tout balancer au feu, il peinait. Son autorité en prenait un coup. Les jeunots le traitaient comme s’il commençait à perdre les pédales. Il entendait les anciens chuchoter à son passage. Frodon hésitait à les abandonner à leur sort. Il se mit une gifle mentale ; qu’il ne s’abaisse pas à leurs désillusions. Il devait se faire confiance.
Soudainement, tout le monde s’arrêta. Curieux de découvrir quel nouvel enfer venait d’apparaître, l’homme se fraya un chemin jusqu’à la tête du cortège.
Il reconnut la femme qu’il avait voulu capturer la dernière fois au précédent campement, la dénommée « Sänger », accompagnée de deux autres individus, deux hommes à forte carrure. L’un, coiffé d’un béret, offrait un sourire froid, distant, et ses yeux… Frodon vacilla presque. Quelle intensité. Ce regard renvoyait n’importe quel vétéran dans les méandres de la guerre. Avec difficulté, il porta son attention sur le deuxième homme, et fit de son mieux pour ne pas réagir face à des dents acérées encore tâchées de sang.
Leurs voix unanimes retentirent. Un écho funeste. Une résonnance harmonieuse. Le Capitaine Frodon Marcos demanda à ses troupes de se calmer. De ne surtout pas paniquer. Ces inconnus s’abreuvaient de leur peur, éprouvaient une satisfaction à les voir s’agiter frénétiquement et semblaient presque les inciter à fuir. Frodon se redressa, le visage fermé, et haussa un sourcil.
Sänger sourit. Un sourire sincère, serein, doux. Plus il l’observait, plus le décor autour s’étouffait dans une myriade de couleurs floues.
— Ici, vos lois aussi barbares soient-elles n’ont aucun pouvoir. Vous avez eu un premier avertissement. Nous ne pratiquons pas la chasse à la « sorcière », entonna Sänger, un pied en avant, dévoilant une dentition sanglante. Et si ce n’est pas assez compréhensif pour vous, nous pouvons toujours passer à la prochaine étape.
— Vous menacez le royaume en protégeant ces monstres, cracha Frodon, incapable de se resteindre davantage.
L’atmosphère devint glacée.
— Des monstres ? Ceux-ci sont pourtant là, en chacun, et même en vous, Frodon Marcos-Valioyah de Pentachipre.
Le capitaine blêmit. Comment connaissait-elle son nom complet ? Il jeta un regard à Louis et Luisa, le intimant silencieusement d’éloigner leurs camarades. Ses conseillers acquiescèrent discrètement.
— Nous pensions que vous seriez différent. Peut-être que votre esprit est trop ramolli par la propagande, alors nous vous laisserons une chance. Si vous survivez à notre épreuve, vous sortirez de la Brume Froide avec vos compagnons. Dans le cas contraire, vous resterez ici, continua l’homme au regard intense.
— Qu’en pensez-vous ? demanda l’autre au sourire dérangeant.
Frodon serra les dents avant de répondre :
— Très bien, je vais jouer à votre un petit jeu.

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