III

4 minutes de lecture

Peut-être qu’elle n’avait pas réellement réfléchi en condamnant définitivement son œil. Dans le cas contraire où Myahlaki n’aurait pas eu un tel geste, ça n’aurait rien changé. Tout ce qu’elle voyait dorénavant n’était que ballet de lumières et de couleurs, un flou total qui lui donnait mal au crâne quand elle persistait à comprendre son nouvel environnement. Elle marchait avec attention, s’aidait d’un long bâton que le Chasseur dans une bonté étonnante lui avait passé. Il n’avait aucune parole réconfortante à lui donner, seulement « Meilleurs vœux, voyageuse ». Pourtant, ces mots aussi simplistes que froids réchauffaient son cœur. Les habitants de la capitale, de son quartier ou même de l’académie, n’éprouvaient quasiment aucune chaleur à son égard. Myahlaki était aux yeux de tous qu’un fardeau, une orpheline inutile qui « dérangeait » les ateliers de tissage.

Malgré son geste d’anéantir tout espoir, aussi mince fut-il, l’adolescente trouvait du réconfort. La Brume Froide, très mystérieuse, lui avait offert un don. Comme d’autres avant elle, Myahlaki s’était libérée de ses chaînes.

Un fort parfum floral accompagnait ses pas tantôt confiants tantôt hésitants. Les oiseaux battaient des ailes. Des mammifères chassaient. L’air continuait de rester glacial. Myahlaki ne savait guère où elle se rendait ou si même une issue se présenterait un jour. Elle croisa sans même se rendre compte Monsieur Moustache lui adressa une salutation de courtoisie :

— Belle journée brumeuse, apprentie.

Confusion. L’adolescente poursuivit son chemin en réfléchissant à ces mots sans vraiment apporter une quelconque réponse. Quelque temps plus tard, au cœur du Mont Satori, elle rencontra un garçon de son âge, à qui la langue avait été coupé. Il gémissait, sanglotait, regrettait. Il sonnait comme une personne compétitive qui ne reculait devant rien, qui ne se posait pas plus de questions avant d’entamer une action et qui, plus tard, dans une situation impossible s’en mordait les doigts. Comme ici. Elle se demanda brièvement comment elle savait qu’il lui manquait quelque chose, cependant, elle chassa d’un geste cette pensée.

Ensemble, ils ne restèrent pas longtemps. Quand Monsieur Moustache apparut une nuit dans le champ de vision du garçon, celui-ci détala aussitôt qu’il eut entendu ce que l’étrange personnage avait à lui dire. Il lui avait offert une explication confuse : il avait récupéré un souhait qu’il avait jadis accordé. Myahlaki avait alors continué seule dans l’immensité de la Brume Froide.

Son errance finit par aboutir à l’entrée d’un village. Quelqu’un la fit asseoir à une table dans une taverne, où on lui servit un mets fort délicieux et de l’hydromel pour la requinquer. Les villageois dansaient, chantaient et riaient. La joie que Myahlaki respirait contrastait avec la froideur de l’extérieur, néanmoins elle percevait une nuance qu’elle n’avait pas souligné auparavant. Plus tard, quand le feu n’était plus qu’un tas de cendre, une villageoise l’emmena se reposer dans une chambre à l’étage. Elle demeura dans ce hameau les jours suivants retardant l’inévitable départ découvrant au travers d’interactions muettes une autre vision de la vie.

Des cheminées s’élevaient un doux parfum. Le pain chaud. Le fromage fondant. Une viande exquise. La senteur des bois. L’odeur floral. Il n’y avait aucun enfant, seulement une poignée de gens qui vivaient en harmonie, recevant avec joie les visites des gardiens. Myahlaki regretta pendant un instant d’être aveugle, de ne pouvoir guère profiter de la beauté du village. Elle ne pût s’empêcher de se demander comment cela se serait passer si elle n’avait pas condamné son œil. Aurait-elle pu bénéficier de l’aide de ces braves gens ? Certainement pas, lui souffla sa voix intérieure, l’air moqueuse.

Le jour de son départ, au petit matin d’une journée plutôt lumineuse, la doyenne du village lui remit un présent qu’elle devait apporter impérativement à un certain « Fain i rir ». Une couronne qui passait de main en main pour l’embellir davantage avant d’être donnée à la Dame de la Brume.

— Gare au danger qui rôde en ces lieux, lui souffla la voix rauque d’un homme sur sa droite.

La présence de ce dernier s’évanouit.

Le temps s’écoula lentement. L’euphorie du hameau n’était plus qu’un doux souvenir auquel l’adolescente ne pouvait pas se raccrocher. Des larmes coulèrent en silence. Myahlaki ne fit aucun geste pour les essuyer. La journée passa sans douceur, dans le froid et la faim, l’obscurité et la solitude. Elle tendait l’oreille mais n’entendait rien. Elle trébuchait parfois mais se relevait toujours. Quoique que fut sa nouvelle besogne, elle se montra déterminée.

À la nuit tombée, le danger surgit. Myahlaki se maudit de n’avoir pas été sur ses gardes. L’avertissement sonnait dorénavant comme une cruelle moquerie. Des lascars des quartiers les plus sales de la capitale empiétèrent sur son chemin demandant sa totale soumission. Un barbon donnait les ordres d’une voix frêle et fatiguée. Deux nigauds se permettaient des commentaires dégradants. Le reste la menaçait de violence si elle ne coopérait pas. Ces bandits souhaitaient s’emparer de la couronne qui, selon le doyen du groupe, leur faciliterait le passage vers la sortie de la Brume Froide. Myahlaki refusa net. Le chaos s’en suivit alors.

Quelqu’un s’approcha pour la frapper mais elle para avec son bâton. Elle fléchit les genoux retrouvant une position qu’elle connaissait bien. Ce n’était pas son premier combat. Un nez se cassa : son propriétaire n’avait pas été assez vif pour éviter son arme. À cet instant précis, elle retrouva, temporairement, la vue, ce qui la déstabilisa. Les arbres s’animèrent brusquement, leurs longues branches dansèrent entre les corps, s’allongèrent et percèrent la chair sans gêne. Le barbon se mit à crier, à baragouiner, à l’injurier. Les survivants tentèrent de fuir. En vain. Des crânes se fracassèrent. Des cous se rompirent. Myahlaki blanchit, incapable de soutenir le sang qui giclait hors des cadavres, abreuvant le sol de la forêt.

L’adolescente détourna le regard. Le sort, quoique horrifiant à contempler, ne la concernait pas. Elle connaissait ce genre de personnages. Des hommes indécents, sans moral, qui n’avaient aucune honte à voler l’innocence d’enfants.

« Va mon enfant, nous te protégerons. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire AresPhóbos ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0