Enquête 1: Chapitre 1

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William Hasley, quarante ans passés, plus connu dans son service sous le nom de Haz, était en train de pester intérieurement contre la montagne de paperasse qu'il se devait de remplir à la fin de chaque affaire, de la récupération d'un chat dans un arbre, au meurtre.

Une fois cela terminé, il poussa un soupir de contentement mêlé d'épuisement en s'étirant sur son siège.

Il ramassa son éternel imperméable- délavé par les années et d'une couleur non identifiée- de sa chaise de bureau, l'enfila, saisit son paquet de cigarettes de l'une de ses poches et sortit du commissariat où il travaillait depuis vingt ans.

Il alluma sa cigarette, fuma un bon coup et l'écrasa sous son pied avant de prendre la direction de son chez lui.

Appartement d'Hasley ≈ 21h

Son appartement était comme lui, passé de mode mais encore assez fonctionnel pour qu'il n'en éprouve pas le besoin de changer.

Chaque fois qu'il en franchissait le seuil, il se rappelait avec cynisme le jour où il avait signé son premier bail pour un an.

Je ne resterai pas longtemps, ce ne sera que temporaire, le temps que je prenne mes marques, avait-il pensé.

Vingt ans après, il était encore là.

Hasley posa ses clefs sur le meuble d'entrée et accrocha son imperméable au porte-manteau d'un geste vague, la tête ailleurs. Le vêtement tomba au sol et le détective le regarda avec consternation.

Au moins, il ne tombera pas plus bas, se dit-il.

D'un pas traînant, il se dirigea vers le frigo et prit une bière blonde, celle des mauvais jours et Dieu seul sait à quel point il y avait beaucoup de mauvais jours.

Puis, il se laissa lourdement tomber sur la partie du canapé la moins encombrée de son petit salon, le reste de l'espace étant occupé par divers dossiers et objets.

Il sirota sa bière, les yeux rivés sur le ciel gris visible derrière les carreaux sales. D'un geste du talon, il enleva ses chaussures et posa ses pieds sur la table basse.

Le mâle dans toute sa splendeur. Il ne manquait plus que la télé allumée pour parfaire le tableau.

De la main gauche, il chercha la télécommande dans le monticule d'objets à côté de lui.

Un paquet de feuilles s'étala au sol, et Hasley grinça des dents quand il aperçut entre deux dossiers d'enquêtes des factures non- payées.

Encore de la paperasse, toujours de la paperasse.

Après cinq minutes de recherches infructueuses, dans un éclair de lucidité, le détective passa la main derrière son dos et en extirpa la télécommande.

Jamais où on l'attendait celle là...

Pas grand-chose ce soir là à la télé, mais assez pour que Hasley s'endorme sans s'en rendre compte.

Appartement d'Hasley ≈ 4h30

Il se réveilla en entendant une sonnerie stridente et infernale. Quel pouvait bien être la chose qui l'empêchait de dormir ? Un vague coup d'œil au alentours, lui permit de se rendre compte que c'était son téléphone portable (stupide gadget des temps modernes) qui l'avait sorti de son sommeil.

Il attrapa le téléphone sur sa table basse, un vieux modèle à clapet et décrocha.

« -Détective William Hasley.

-Monsieur Hasley, c'est Erb. On a un meurtre sur les bras, au quartier Söhren.

-Où se situe le quartier Söhren déjà ? demanda t-il d'une voix pâteuse, à moitié réveillé.

-À côté de la Première Banque de Sang.

-Si loin ? Je suppose que je n'ai pas le choix. J'arrive. »

Sur ce, il raccrocha. Tel un vieux chat famélique, il s'étira sur son canapé là où il s'était endormi.

« -Pff, c'est plus de mon âge tout ça. Je devrais plutôt dormir dans mon lit que sur le canapé. Mais, reprit-il après un moment de réflexion, ça reviendrait à déplacer la télévision dans ma chambre. Tant pis. Je continuerai à dormir sur le canapé. »

Après une douche rapide, Hasley enfila un des pulls qui traînaient sur son lit.

Encore endormi, il s'y reprit à deux fois avant de réussir à lacer ses chaussures puis il récupéra son ciré resté à même le sol.

En sortant de chez lui, il choisit de prendre les escaliers plutôt que l'ascenseur; les dévalant à petites foulée pour se réveiller (le sport c'est bon pour la santé).

Dans un ronronnement sourd, le démarrage de sa voiture -une Simca Chrysler de 1976- acheva de sortir son esprit du brouillard.

Il jeta un coup d'œil furtif au rétroviseurs, laissa passer deux camionnettes et s'engagea sur la rout

Quartier Söhren ≈ 5h15

C'était encore une de ces nuits sans étoiles et sans lune qui donnaient l'impression de vivre sous un plafond oppressant. Les immeubles de chaque côté de la route, formaient comme deux barrières, grises et uniformes, prêtes à se refermer sur la chaussée, et à happer le détective avec.

De ces blocs de béton, Hasley ne voyait pas la fin. Ils étaient chacun percés d'une cinquantaine de fenêtres, réparties sur six étages. Malgré l'heure tardive (ou matinale tout dépend du point de vue), la majorité de ces ouvertures laissaient passer une lumière blafarde, indiquant que leurs occupants ne dormaient pas encore.

Des éclats de voix, des rires, parvenaient au détective au travers de l'habitacle. Cette partie de la ville, qui abritait une classe populaire, était en effervescence surtout après le coucher du soleil.

Hasley sentait sans la voir, la foule de piétons frôlant dangereusement son véhicule, déboulant de toutes parts. Les rues totalement dépourvues de lampadaires, l'obligeaient à conduire presque à l'aveuglette. Quant il se décida à allumer ses phares, les passants éblouis, poussèrent cris et jurons. Sans y prêter attention, le conducteur de la Simca, continua son chemin.

En moins de quinze minutes, il était au quartier Söhren.

Il gara sa voiture tant bien que mal. Puis une fois dehors, il plissa des yeux pour trouver Erb.

« - Par ici, l'avertit la voix juvénile de ce dernier.

- Pour l'amour du ciel Erb, c'est trop demandé une lampe de poche ici ? Je vous rappelle que je ne suis pas comme vous, ni nyctalope ni rien du tout d'ailleurs. »

Dans l'obscurité le détective entendit son adjoint fouiller frénétiquement ses poches à la recherche d'une quelconque source de lumière. Il finit par lui tendre son portable muni d'une application lampe torche.

Hasley dirigea le faisceau lumineux au sol et s'approcha d'une masse inerte. Erb se lança:

« -Alors, fit-il en feuillant un petit calepin rempli de notes, notre victime s'appelle Sir Arthur Holmes, âge encore indéterminé. Cause du meurtre : hypovolémie.

-Il s'est fait vider de son sang ?

-Il a deux petits trous sur le côté.

-Des suspects ?

-Non aucun.

-Qui l'a découvert ?

-C'est la...heu...dame là bas, bafouilla Erb.

-Je vais aller lui parler, le rassura le détective devant sa mine embarrassée. »

Allons bon, soupira Haz, une prostituée, on faisait mieux comme premier contact et ce pauvre Erb qui rougissait de la racine des cheveux, jusque sous son borsalino...

« -Madame ? demanda t-il à la jeune femme blonde.

-Vous êtes en train de me brûler la rétine, baissez donc votre téléphone.

Hasley s'excusa et baissa la luminosité, juste assez pour distinguer les traits pâles de son interlocutrice.

« -Appelez moi Diamand, lui susurra t-elle.

-Bien, Diamand. C'est vous qui avez découvert la victime n'est-ce pas ?

-Oui.

-Puis-je savoir ce que vous faisiez dans les parages ?

-Mon travail. À cette heure-ci, c'est pas les pigeons qui manquent ou les clients généreux en pourboires, surtout à côté de la Première Banque de Sang.

-Connaissiez-vous la victime ?

-Assez pour savoir que c'était un mauvais client et qu'il trempait dans des affaires louches.

-Mais encore ?

-Il y a des rumeurs qui couraient sur lui. On disait qu'il tenait un réseau de prostitution.

-Ce ne serait pas le premier.

-Oui, mais un réseau vraiment très particulier. Le genre de réseau dont on préfère ignorer l'existence. Un réseau de luxe : auquel seul les plus influents de notre espèce ont accès. Il avait beaucoup de demandes d'ailleurs, mais la marchandise était dure à trouver.

-Hum, fit Haz en réprimant un bâillement. »

Il lui posa encore quelques questions et abrégea rapidement l'entretient, pressé de retourner dormir.

« -N'hésitez pas à venir me voir un de ces jours, monsieur le détective, fit Diamand en se faisant aguicheuse.

-C'est ça, à la revoyure, grommela Haz. »

Boulevard Malory, commissariat 6h30

« -Des humaines ?

-Quoi d'autre, Erb. Elle a qualifié la marchandise de rare et de luxueuse. »

Hasley contemplait son café instantané de premier prix d'un œil morne. Tout cela était moche. Un réseau de prostitution d'humaines, impliquait des enlèvements. Parce qu'aucune humaine sensée, aussi tapineuse soit elle, n'irai de son plein gré exercer ici. Pas à Ancalimë, la capitale des races surnaturelles et encore moins dans le quartier de Söhren.

Il traîna des pieds jusqu'à la cafétéria, espérant sans trop y croire, trouver quelque chose à se mettre sous la dent.

La cafétéria du commissariat, plongée dans la pénombre s'éclaircissait peu à peu avec les lumières de l'aube. Les nuages avaient pris une drôle de teinte saumon grisâtre. Il devait être pas loin de 7 heures et Hasley qui n'avait pas dîné la veille commençait à se demander s'il n'allait pas se commander un petit déjeuner, quoi qu'il doutait sérieusement qu'il y ait ici quelque chose de comestible pour quelqu'un de son espèce.

De retour dans l'open-space où se trouvait son bureau après un vague coup d'œil à la cafétéria, Haz, ruminant encore les problèmes que lui avait causés le déplacement du corps jusqu'à la morgue et le temps perdu, observa Erb penché sur son calepin qui finissait de recopier les informations sur la victime données par la "dame".

« -Il faudra recontacter cette femme, fit Hasley en écho avec les pensées du jeune policier.

-Hein ? Ah oui, la ... C'est vrai qu'elle fait partie des suspects...

-Y a de ça, mais c'est aussi parce qu'elle lâche des infos un peu trop vite. Elle vient de nous dévoiler l'existence d'un réseau d'ampleur, aux employées probablement victimes d'un trafic d'enlèvement. Le milieu de la prostitution est normalement très hostile au forces de l'ordre, et les divulgations de ce genre ne sont pas monnaie courante. Si vous voulez mon avis, elle en a trop dit parce qu'elle en sait encore plus..., Haz s'interrompit le temps de finir sa tasse de café. Vous pourriez descendre aux archives et demander à Dahlia tout ce qu'elle a sur Arthur Holmes ? Et tant qu'on y est sur les prostituées du quartier Söhren. Je veux qu'on retrouve la trace de cette Diamand, ainsi que sa réelle identité, fit-il en enfilant son imper. Je serai de retour dans moins de vingt minutes. »

Boulevard Malory 7h

Hasley déambulait dans les rues, une espèce de pain brioché à demi mangé dans une main, et un journal dans l'autre.

Il avait repris le chemin du commissariat, et par souci d'optimisation du temps, avait commencé à classer les données sur l'enquête en cours dans sa tête.

Cette histoire de prostitution l'avait détourné de la victime. Outre les activités illicites dans lesquelles celle ci baignait, il y avait un fait notoire, qui faisait de cette affaire, quelque chose à part.

Le mode opératoire : Arthur Holmes était un vampire. Par conséquent, l'acte de le vider de son sang n'avait aucune valeur nutritive ou agréable pour le meurtrier, qui était forcément un vampire lui aussi.

C'était plutôt un geste lourd de symboles, qui avait du être désagréable à réaliser et qui mettait en relief un grand désir de vengeance. L'hypothèse la plus plausible était un réglage de comptes entre réseaux. Ou un client qui devait avoir d'excellentes raisons d'en vouloir à Holmes.

Arg, tout cela menait à un seul chemin. Il fallait mener l'enquête au cœur même des réseaux les plus sordides de la cité.

Ce n'était pas qu'Hasley soit lâche, loin de là. Mais aller dans les cryptes souterraines, s'immerger dans les bas fonds...

Humains ou pas, tous les policiers croisaient les doigts pour ne pas avoir à y faire une descente dans le cadre d'une affaire.

Dans la plupart des cas comme ça, ils soudoyaient un indic'. Et l'autre majorité du temps, ils fermaient les yeux et le dossier disparaissait mystérieusement, parmi les boîtes des affaires classées.

Hasley réfléchissait encore à la solution de l'indic' quand il se rendit compte qu'il avait dépassé le commissariat. Retournant sur ses pas, il entra et se rendit à son bureau où, comme escompté, Erb avait laissé une fine pile de dossiers, avec un post-it annoté " affaire Holmes ".

Ni une ni deux, le détective entama la lecture.

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