H/H - Un câlin trop loin

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Je suis allongé sur le lit, le souffle court. Je me détend. La séance vient de s'achever, ma seconde. Je suis heureux. J'ai mieux profité que le première. J'étais plus ouvert, plus réceptif. Je me suis davantage laissé aller. Lorsque les doigts de mon bourreau sont venus jouer à la base de mon cou, j'y ai découvert une sensibilité exacerbée, un réel inconfort, une sensation énervante qui ne demandait qu'à s'arrêter, à laquelle j'avais du mal à résister. Seule la menace de finir attaché m'a fait me tenir tranquille.

Je ne suis pas encore prêt à me livrer. J'ai besoin de temps, de preuves, de me sentir à l'aise. Les moqueries sur mon rire aigu ne m'ont pas atteint. Des années après, je comprends que j'aurais dû me sentir moqué et rabaissé, que cela aurait dû participé à mon humiliation. Étais-je encore trop inexpérimenté ? insuffisamment détendu ? Ou peut-être la remarque ne provenait-elle pas de la bonne personne... Ce n'est en effet pas mon chatouilleur qui l'avait proférée, mais son compagnon, un étranger, un témoin auditif. Pourtant être chatouillé·e au milieu d'une foule qui s'en fiche et continue sa vie doit susciter un belle humiliation... La sensation que ce qui nous arrive est d'une banalité sans nom, que les dominant·e·s pourraient disposer de leur·s soumis·e·s selon leur gré et en public. Comme l'esclavage à ses grandes heures. Les chatouilles seraient une activité comparable au football ou aux dominos... un jeu de société. S'il avait été spectateur, peut-être cela eût-il été différent. Un spectateur-acteur, de cette espèce qui se fait rare, des gens qui vont au spectacle et interagissent avec lui. Ils commentent vos réactions, s'en moquent, vous tapotent avec condescendance, encouragent le·s bourreau·x à vous pousser dans vos retranchements voire... ne résistent pas à tester insidieusement votre sensibilité ! Les remarques verbales, j'aurais accepté, je pense. Entendre une certaine complicité entre les deux hommes aussi ; peut-être cela m'aurait-il ravi. Mais les gestes déplacés... Le contrat est ce qu'il est et il est important de le respecter. Comme en droit, chaque avenant doit être accepté par les deux partis. Il y a toujours une certaine intimité à préserver. Et même si le but est de se dépasser, d'explorer toujours plus loin dans ce que l'on peut supporter, c'est un chemin qui se construit en étroite collaboration. Il faut de la patience, accepter les arrêts de chantiers, les retours en arrière pour inspection... C'est une route sinueuse à flan de montagne, un parcours semé d'embûches, d'obstacles qu'il faut dynamiter, d'éboulements qu'il faut éviter.

Je suis donc étendu sur le lit, dans la chambre de mes hôtes, bras et jambes écartées, encore offert. Ranulfe vient de finir de me chatouiller. C'était une bonne séance. J'ai rigolé plus facilement que la dernière fois. Peut-être la prochaine fois le laisserai-je m'attacher, pour voir ce que ça fait... L'euphorie fait encore son effet

Parce que c'est son habitude, il me propose un câlin. Rien de provoquant, juste un chaste câlin. Moi, je n'en ai pas besoin. Je suis venu me faire chatouiller, je n'attends pas qu'on s'excuse après, ni qu'on me cajole. Soit les bornes ont été dépassées et ça ne servirait à rien, soit elles ont été observées et donc je n'en vois pas l'utilité. Mais si lui, ça lui fait du bien... pourquoi dirais-je non ? En fait, je ne suis plus très sûr qu'il me l'ai demandé. Il l'a peut-être juste annoncé. Bref, j'ai agi comme si j'étais encore attaché et n'ai pas partager ce geste, que je n'étais venu cherché. Je ne savais d'ailleurs pas trop quoi faire avec ce gros nounours allongé sur moi. Comment placer, mes bras et mes mains ? Et puis avait-il besoin de ça ? Ne lui aurais-je pas envoyé un mauvais signal ? Parce que, je n'étais clairement pas intéressé pour aller plus loin. Nous sommes restés quelques minutes ainsi, moi à attendre que ce moment de plus en plus gênant passât et lui... je ne lui ai jamais demandé quoi que ce soit. Ce geste anodin a brisé le fil ténu de la confiance. Cette fois, c'était un élan de tendresse, la suivante, ç'aurait été quoi ? Peut-être juste un nouvel acte de gentillesse. J'ai préféré rompre tout lien, faire le mort car c'était bien ce qu'était devenu notre relation. Un cadavre renié, abandonné aux charognards.

Le contrat est ce qu'il est et il est important de le respecter. Comme en droit, chaque avenant doit être accepté par les deux partis. Il y a toujours une certaine intimité à préserver. Et moi, je n'apprécie pas qu'on entre dans ma bulle sans y avoir été invité·e. Ô c'eût été si facile de ne pas être lâche : un bref SMS et puis terminé. L'ignorance a cela de particulier qu'elle peut faire plus mal. Ignorer, c'est peut-être lâche, mais c'est aussi signifier à l'autre qu'iel n'est plus rien, qu'iel n'existe plus. Envoie-t-on un SMS a quelqu'un qui n'existe pas ? Je n'ai rien senti, je n'ai jamais rigolé, je n'étais pas là et de toute façon, le tickling[1], ça n'existe pas !

Nous n'étions pas potes, que des voisins de patelins s'étant rencontrés au hasard de la toile, qui avaient décidé de vivre une partie de leur knismolagnie ensemble. Sans doute plusieurs éléments se sont-ils amalgamés : le fait qu'il ait voulu faire une séance dès la première soirée. Pourtant, ce devait être juste ne occasion de discuter de ce que nous attendions. Je ne m'étais pas forcément senti à l'aise chez eux – avec des « inconnu·e·s » mieux vaut privilégier les terrains neutres – c'était crasseux et, eux-mêmes, faisaient sales. Plus grave, je ne sentais pas le désir d'être chatouillé... C'est important ! Tout se passe dans le regard et l'attitude ; en ce qui me concerne, il n'y avait rien qui me commandait de me soumettre avec masochisme... ni rien qui m'ordonnait de me montrer sadique. L'indifférence. Pourtant, je voulais vivre cette expérience, connaître l'impuissance, être mis en transe, en faire une jouissance !

Le contrat est ce qu'il est et il est important de le respecter. Comme en droit, chaque avenant doit être accepté par les deux partis. J'ai accepté l'inacceptable et, derrière, je n'ai pas assumé. De ne pas avoir refusé, de ne pas m'être rebiffé, de m'être comporté en soumis alors que le jeu était fini... d'avoir eu peur de décevoir, aussi.

[1] La communauté utilise davantage cet anglicisme comme les terme ticklee/tickler et leurs diminutifs lee/ler que des terme francophones. Outre le hogtie (voire le « hogtied »), on peut lire/entendre spread eagle (attaché·e en X) sans doute tiré de productions spécialisées nord-américaines.

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