Prologue

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Dans le silence feutré de ses appartements, le roi Celadrian II Valmoré demeurait assis à son bureau, la plume immobile entre ses doigts. La chandelle vacillante projetait sur les murs des ombres élancées qui semblaient se pencher au-dessus de lui, comme pour lui rappeler les paroles qu’il aurait préféré oublier.
Les échos de la journée revenaient sans cesse : les murmures étouffés des courtisans, le ton acide de certains seigneurs, et surtout ces mots qui l’avaient frappé plus durement qu’il ne l’aurait cru. « Un roi de peu d’ardeur… un souverain qui préfère la quiétude à la vigueur. » Il les avait laissés glisser sur lui, en apparence, comme il le faisait souvent. Mais à présent, seul face aux parchemins empilés, il sentait ces reproches peser avec une force inattendue.
Il savait son peuple las de certaines lenteurs, irrité par les compromis qu’il privilégiait. Il n’ignorait pas les regards impatients de ses conseillers, qui attendaient de lui des gestes plus éclatants, des décisions rapides, presque brutales. Pourtant, son naturel l’avait toujours porté vers la prudence, la douceur, la recherche d’équilibre. Gouverner par l’apaisement, et non par la peur. Était-ce donc une faiblesse ? Était-il trop indulgent pour être respecté ?

Son regard se perdit sur les cartes du royaume étalées devant lui. Les rivières y dessinaient leurs sinuosités tranquilles, comme pour lui rappeler qu’il existait une force dans la patience, une persévérance silencieuse que nul tumulte ne pouvait hâter. Mais derrière ce calme, il sentait monter une inquiétude : combien de temps pourrait-il demeurer fidèle à sa nature, alors même que ses propres sujets doutaient de lui ?
La flamme vacilla encore et Celadrian soupira. Entre le poids de la couronne et la fragilité des hommes, il comprenait qu’il devrait bientôt choisir : rester le roi de paix qu’il avait toujours voulu être… ou devenir celui que l’on exigeait de lui.
Ses yeux glissèrent des cartes vers un sceau brisé, une missive récemment arrivée des provinces du Sud. Le texte ne contenait guère de reproches, mais d’étonnantes louanges : on y célébrait les visites du prince héritier, Serian. Les mots employés respiraient l’enthousiasme : prestance, ardeur, générosité de jeunesse. Celadrian referma lentement la lettre, chaque terme semblant lui laisser une brûlure sous ses doigts.

Il n’ignorait pas la ferveur qui entourait son fils aîné. Partout où Serian paraissait, on vantait sa vigueur, son éloquence, sa manière d’incarner, par son seul éclat, les espérances de la couronne. Ce n’était pas nouveau, mais l’écho de cette admiration semblait grandir de saison en saison, au point que certains en venaient à comparer - en public, sans gêne - la jeunesse impétueuse du prince à la tranquillité jugée languissante de son père.
Celadrian se surprit à fermer les yeux, comme pour échapper à cette pensée, mais elle s’imposa de plus belle : et si le peuple avait, sans qu’il y consente, placé Serian en rival plutôt qu’en héritier ? Il sentit une amertume lui serrer la gorge. La jalousie n’était pas une compagne qu’il se reconnaissait volontiers ; il en avait toujours méprisé le poison. Pourtant, elle était là, tapie au fond de lui, nourrie de comparaisons qu’il n’avait pas sollicitées. Comment un père pouvait-il envier son fils ? La culpabilité s’ajouta à l’aigreur, et l’ensemble lui parut plus lourd que la couronne elle-même.
Car entre eux, il n’y avait jamais eu grande proximité. Serian avait grandi sous les regards de précepteurs ardents et de seigneurs empressés, trop prompts à modeler l’image d’un futur roi flamboyant. Leurs rares conversations restaient cordiales, mais teintées d’une distance froide, comme si un mur invisible s’était élevé entre leurs deux générations. Était-ce sa faute ? Peut-être. Sans doute.
Il soupira longuement, et songeait que le peuple, dans son entrain, avait dressé sans le vouloir deux figures l’une contre l’autre : le roi de patience, et le prince d’élan. Et ce jeu cruel de comparaisons menaçait de creuser encore davantage la fissure fragile entre un père et son fils.
La chandelle se consuma un peu plus, et Celadrian se demanda si ce n’était pas là le plus grand péril de son règne : non pas les querelles des barons, ni les frontières instables, mais ce lent divorce entre sa propre chair et lui-même.

Alors que ses pensées s’enlisaient dans cette mélancolie, un craquement léger troubla le silence. Celadrian releva la tête, croyant d’abord à un souffle de vent contre les volets. Mais, plus loin dans la pièce, la lueur de la chandelle révéla une forme qui n’était pas là quelques instants plus tôt. Une ombre se dressait, longue et déformée, s’arrachant peu à peu à l’obscurité comme une silhouette distincte. Elle semblait vibrer au rythme de la flamme, mais demeurait étrangement compacte, menaçante, comme si elle possédait une volonté propre. Le roi, le souffle suspendu, sentit l’air se glacer derrière lui : quelque chose venait d’entrer dans sa solitude.
Dans un sursaut, Celadrian pivota sur sa chaise. Ce qu’il aperçut lui fit battre le cœur à s’en rompre : un homme se tenait face à lui, parfaitement ressemblant à sa propre personne. Son propre visage, ses traits tirés par la fatigue, se tenaient là, figés dans une expression vide et pourtant affamée. Les yeux, sans éclat, le fixaient avec une intensité inhumaine. Il n’eut pas le temps d’émettre un cri, ni même d’interroger ce cauchemar éveillé : déjà, son double levait un bras armé d’une lame qui jaillit de l’ombre comme une extension naturelle de sa main. Le froid du métal entra dans sa chair avec une brutalité effroyable, et la douleur le submergea d’un vertige rouge.

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