Chapitre 1 - James

7 minutes de lecture

Mai 2025. Moulin-sur-Mer, Pas-de-Calais (62).

Les cloches de l’église retentirent dans les environs paisibles de la petite ville côtière. Une nuée de mouettes s’envola au-dessus de la vieille mairie. Les rues étaient calmes, peu animées à l’heure de midi. Le cimetière désert, ou presque. Une âme solitaire se tenait là, devant une tombe garnie de fleurs encore fraîches.

Richard ne comprenait pas. Normalement, c’était sa fille qui aurait dû être là, devant sa tombe à lui. Ce n’était pas à un parent de pleurer la mort de son enfant. Mais qu’y pouvait-il, après tout ? De tels drames arrivaient tous les jours. Hélas, aujourd’hui, c’est lui qui était touché.

Diane avait 20 ans lorsqu’un chauffard l’a percutée violemment, alors qu’elle traversait un passage piéton près de son travail, à Arras. Tuée sur le coup. Le conducteur du véhicule avait pris la fuite, avant d’être retrouvé et arrêté peu après. La jeune femme était vendeuse dans une boutique de chaussures, où elle était appréciée de tous ses collègues et amis.

Son père ne pouvait plus que perpétuer sa mémoire, lui qui avait perdu sa femme des années plus tôt, et maintenant, leur enfant. Que deviendrait-il, tout seul, sans entourage, sans soutien, sans personne pour l’aimer et l’accompagner dans la vie ?

— Rien du tout… Je ne suis plus rien du tout, sans toi, sans ta mère. Je suis désolé.

Il sortit un collier de la poche de son pantalon. Une réplique minuscule de la Diane de Versailles, une sculpture exposée au Louvre, qui était elle-même l’imitation d’une statuette antique du IVe siècle avant J.-C, représentation de Diane, la déesse romaine de la chasse. Richard l’avait reçu d’un ami, travaillant au musée du Titanic à Belfast, un lieu qui le fascinait autant que Chambord pour les amateurs de châteaux.

Il glissa le collier sous les fleurs, en guise de cadeau ultime pour sa défunte fille.

— Tiens, c’est pour toi. Elle veillera sur toi, j’en suis sûr.

L’écrivain de 41 ans se leva, essuyant ses larmes et ses peines malgré la douleur. Il devait partir, un rendez-vous aussi important que mystérieux l’attendait.

- Je dois y aller, ma puce. Désolé de te laisser comme ça. Je… je repasserai ce soir, promis.

La tête baissée et le moral en miettes, il sortit du cimetière, jetant un dernier regard à la tombe avant de quitter les lieux.

★★★

Musée Naval de Moulin-sur-Mer. Aux alentours de 13h00.

— Richard ? Enchanté. James. Merci d’être venu.

— … Enchanté, je suppose, répondit l’intéressé sur un ton bref.

— Merci d’avoir répondu à mon invitation. Je sais que vous vous posez sûrement plein de questions, mais rassurez-vous, vous êtes parfaitement libre d’accepter ou de refuser l’offre que je vais vous faire.

— Très bien… Hum, eh bien, ça me va. Vous êtes qui, exactement ?

À première vue, James paraissait élégant et professionnel, avec son costume gris clair impeccable, sa chemise rouge foncé et ses cheveux courts coiffés avec soin. Un sourire léger, une mâchoire bien tracée et de grosses lunettes. Il convia Richard à le suivre dans la galerie consacrée aux premiers submersibles de l’Histoire, des appareils qui ont marqué l’exploration des fonds marins.

— Voyez vous, si je vous ai invité à cet endroit exact, ce n’est pas pour rien. En effet, je fais partie d’une organisation spécialisée dans le développement d’appareils sous-marins sophistiqués. Très sophistiqués. Même si, pour le moment, nous n’en avons conçu qu’un seul.

— C’est vrai ? Quel est le nom de cette organisation ?

— Je ne peux pas vous donner cette information à ce stade de la discussion. En fait, c’est le patron qui devrait vous le dire. Moi, je ne suis qu’un intermédiaire entre lui et nos potentielles futures recrues. Je ne peux pas non plus vous révéler combien nous sommes à l’heure actuelle. Nous sommes hautement qualifiés, en tout cas.

— Ah bon ? S’étonna Richard. Je… je serais curieux d’en savoir plus.

— Avant de vous révéler exactement la raison de notre rencontre, je tiens à vous prévenir d’une chose importante à notre sujet : nos activités, bien que professionnelles, vont à l’encontre de certaines règles en vigueur sur le droit maritime. Néanmoins, elles n’ont aucun impact sur l’écologie ou la faune maritime. Et puis, nous n’opérons que dans les eaux internationales.

L’interlocuteur de James eut presque cru à une blague. La manière dont il avait dit ça, sans crainte, sans gêne, était surprenante.

— Ah, ça, je n’en doute pas une seule seconde ! Haha… Attendez… Vous n’êtes pas sérieux ?

— Parfaitement, rétorqua James. Cela peut paraître fou, hors de raison, mais nous avons des principes et des objectifs bien définis qui nécessitent, pour le meilleur ou pour le pire, l’usage de moyens, disons, non-conventionnels. Mais, si vous acceptez notre offre, je vous promets une récompense qui vous fera vite oublier cet aspect de nos missions.

James sortit de sa poche une liasse de billets bleus. Les yeux de son hôte pétillèrent à la vue de l’argent.

— Pas mal, hein ? On ne manque pas d’argent, si vous voulez savoir. Mais surtout, si vous nous aidez à accomplir la mission, on sera tous immensément riches d’ici les prochaines semaines. Eh non, je ne vous vends pas du rêve, mais une opportunité en or de lier passion et argent.

— Qu’est ce que… vous voulez dire par-là ? Que savez-vous de moi, d’abord ?

— Oh, nous savons pas mal de choses, pour être honnête. Quitte à devoir cibler des personnes intéressantes pour des opérations aussi importantes — et dangereuses, entre nous, nous essayons de nous renseigner le plus possible sur leurs profils. Nous savons, naturellement, que vous avez été journaliste dans le milieu maritime il y a plusieurs années, et que vous avez écrit plusieurs livres autour de la construction navale et de la navigation en haute-mer. Je me trompe ?

— … C’est exact, confirma l’auteur. Écrire, raconter, sûrement ce que je fais de mieux.

— Nous réalisons à quel point il est frustrant pour vous d’être autant mis à l’écart par les maisons d’édition. Vos œuvres fictives ne sont vraiment pas mal, j’ai lu personnellement une bonne partie d’entre elles et je les ai trouvées passionnantes.

— Merci. Oui, c’est vrai que c’est compliqué, depuis un certain temps…

— L’un de vos livres, en particulier, a attisé ma curiosité — et celle de mes acolytes.

James glissa une main dans la veste de son costume et en sortit cette fois un livre format poche, intitulé Opération Titanic. Richard s’en souvenait bien. Il avait écrit et publié ce roman en 2019, il y a six ans de cela. Un récit de science-fiction qui témoignait de sa fascination pour le célèbre navire et ses secrets.

— J’ai adoré ce livre, Richard. En toute honnêteté. Vous avez une belle plume, mais surtout une grande imagination.

— C’est très sympa de votre part. Oui, c’est peut-être la meilleure fiction que j’aie jamais écrite. Je n’en sais rien, je n’ai pas reçu énormément de retours, et le livre ne s’est vendu qu’à une cinquantaine d’exemplaires, çà et là dans la région. Ce n’est pas mal, mais ça ne répond malheureusement pas à mes attentes.

— Je comprends parfaitement. C’est un métier qui demande beaucoup de patience et de chance.

— D’ailleurs, reprit Richard, je ne vis pas essentiellement de l’écriture. Parallèlement à ma carrière d’écrivain, je travaille dans une pizzeria du coin. J’ai un bon poste, de quoi payer mon loyer, et mes besoins quotidiens.

— L’important est que vous soyez dans une situation stable, je suppose. Mais là, je vous donne la chance de vous faire une petite fortune à nos côtés. Une chance en or, celle qui pourra changer votre vie.

— Eh bien, venez-en au fait. Qu’est ce que vous me proposez, exactement ?

— Une place au sein de notre équipage.

— Comment ? “Équipage” ? Qu’est ce que vous entendez par-là ?

Le visage de James sembla s’illuminer tandis qu’il s’apprêtait à révéler quelque chose d’insolite. L’intrigant gentleman agita le livre devant son auteur, montrant la couverture du doigt comme pour indiquer quelque chose.

— L’épave. L’épave du célèbre Titanic. N’avez-vous jamais rêvé, espéré la voir de vos propres yeux une fois dans votre vie ?

C’est maintenant le visage de Richard qui s’illuminait.

— Laissez-moi vous dire une chose, continua James. Grâce à nous, et grâce à notre invitation en or, ce jour arrive sûrement très bientôt. J’aimerais pouvoir vous en dire plus. Si vous voulez un indice…

— Dites-moi ! S’exclama Richard. À moins que vous ne vous payiez ma tête. Et j’espère pour vous que non !

— Je n’aurais pas mis autant d’effort dans mon discours et dans mon apparence si c’était pour vous mentir. Je suis parfaitement sérieux.

— J’ai envie de vous croire. Qu’en est-il de cet indice ?

— Vous n’allez pas me croire, mais je vous assure être entièrement honnête sur ce coup-là. Vous voyez, ce livre dont nous parlions, et que vous avez écrit ? Nous allons faire exactement ce que vous décrivez dedans.

Richard écarquilla des yeux. Qu’est ce qu’il fallait comprendre ?

— … Comment ça ?

— En bref, cher ami : vous allez voir le vrai Titanic. Eh oui. C’est fou, non ?

Richard laissa échapper un rire nerveux, s’imaginant que tout cela n’était qu’un canular d’une grande originalité.

— Bien sûr ! Allez… Où est la caméra ?

— Une caméra ? Rassurez-vous, nous ne sommes pas filmés, ni écoutés. Ceci est purement confidentiel. En revanche, j’ai ici deux billets d’avions pour l’Amérique du Nord, où je vous invite à me suivre pour rencontrer notre équipe. Alors, je vous ai convaincu ?

L’intéressé hésita un moment avant de formuler sa réponse, haussant les épaules. Il n’avait pas l’impression de risquer grand chose maintenant, si ce n’était sa propre vie ou sa liberté. Dans tous les cas, il préférait vivre une vraie aventure avec de l’argent à la clé, au lieu de regarder les journées passer en inventant ses propres histoires ou en faisant des pizzas. Face à cette évidence, il accepta l’offre mystérieuse et serra la main de James.

— Je savais que vous étiez la bonne personne, conclut ce dernier.

— Je vous fais confiance. J’espère ne pas le regretter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Brian_Blake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0