Chapitre 2 - Terre-Neuve
La nuit tombée, Richard se rendait de nouveau au cimetière de Moulin-sur-Mer pour se recueillir une dernière fois avant son départ.
— Je ne sais pas dans quoi je m’embarque, Diane. J’espère juste que…
Il s’arrêta un instant, réfléchissant au choix de ses mots.
— … J’espère juste que ces types pourront me faciliter la vie, sans me faire tuer ou emprisonner… Je veux rendre ma vie meilleure. Je vous le dois bien, à toi et ta mère.
Le père de famille a toujours gardé en tête un principe fondamental après la perte de sa conjointe, et celle de sa fille depuis peu. Il voulait honorer leur mémoire en rendant sa vie plus joyeuse et plus épanouie, car c’était sûrement ce qu’elles auraient voulu.
— J’accomplirai de belles choses pour vous. En tout cas, je jure d’essayer. Je t’aime. Repose en paix, je reviendrai vite.
Richard décida de ne pas la déranger plus longtemps. Il retourna chez lui, à la fois inquiet et excité de savoir ce que lui réservait la journée de demain.
★★★
Une BMW noire s’arrêta devant la résidence de Richard, à l’aube. Ce dernier, bien préparé, se hâta à la sortie de son appartement avec sa valise. Il avait décidé de rester simple sur sa tenue : un tee-shirt blanc sous sa veste noire, un pantalon beige et ses baskets préférées. En complément, il s’était rasé la veille et avait réajusté ses longs cheveux bruns foncés, de quoi lui redonner un peu de fraîcheur.
James l’attendait à côté du véhicule, les mains dans les poches.
— J’espère que vous avez passé une bonne nuit, Richard. Vous m’avez l’air en forme !
— Plus ou moins, oui. Belle voiture.
— Merci ! Je vous en prie, installez-vous. Je vais mettre votre valise dans le coffre.
— Merci.
Richard prit place à l’arrière de la BMW et salua le chauffeur — un chauffeur privé, sans aucun doute. James s’installa à son tour, et une fois que tout était prêt, la voiture démarra.
— Vous avez bien les billets ? Demanda Richard, pour ouvrir un peu la discussion.
— Et comment ! C’est la dernière chose que j’oublierais en partant en voyage. Mais, rassurez-vous, nous n’en aurons pas besoin.
— … C’est-à-dire ?
★★★
Une demi-heure plus tard, sur la piste d’un aérodrome. Les deux hommes descendirent du véhicule.
— Un… un jet privé ? Bafouilla l’écrivain, visiblement surpris en voyant le splendide appareil affrété par James.
— Pas mal, hein ? Ça change de ces boîtes à conserve volantes où vous avez le même confort qu’un légume et des passagers qui semblent à peine civilisés.
— C’est vrai. Disons que je suis agréablement surpris ! Mais... Et les billets, ils servent à quoi ?
— Honnêtement ? Ce ne sont même pas de vrais billets, c'était juste pour rendre mon invitation plus convaincante, on va dire. Au fait, n'oubliez pas votre valise !
Richard et son hôte embarquèrent gaiement dans le jet privé. Richard découvrit un luxe qu’il n’aurait jamais pu s’offrir jusqu’ici. Des sièges agréables, un espace optimal, des écrans intégrés, un personnel chaleureux, et surtout, le calme. Quelque chose qui, dans les vols commerciaux, n’était pas évident à obtenir.
— Vous ne manquerez de rien, à bord de ce bolide, assura James. Vous pouvez vous divertir comme vous le souhaitez, nous avons 6 heures de vol jusqu’à Saint-Jean-de-Terre-Neuve.
— Très bien, je pense que j’ai de quoi casser l’ennui.
— Bien sûr. Et, si vous avez des questions concernant notre mission, je vous prie de bien vouloir les garder pour l’entretien que vous aurez avec le chef.
— Entendu.
Peu après l’embarquement, l’appareil décolla. Direction l’Amérique, le Nouveau Monde. Une expérience rafraîchissante pour Richard qui n’avait pas voyagé depuis un bon moment, et jamais ailleurs qu’en Europe.
★★★
Aéroport international de Saint-Jean-de-Terre-Neuve, île de Terre-Neuve, Canada. Aux alentours de 14h00, heure locale.
Peu avant l’atterrissage, Richard et James eurent enfilé des manteaux chauds, des gants et des bonnets afin d’être parés au climat de la région. Ici, à Terre-Neuve, la province la plus orientale du Canada et l’une des régions du pays bordées par l’Atlantique, le printemps n’était pas le même qu’à Moulin-sur-Mer.
Cette île, formant avec la région voisine la province de Terre-Neuve-et-Labrador, était un petit paradis à lui seul. Forêts boréales, fjords majestueux, baies profondes, les couleurs froides et les reliefs spectaculaires de la région offraient un cadre magnifique. Richard avait pu profiter d’une belle vue sur les côtes depuis sa fenêtre dans l’avion.
— Si on exclut les températures rigoureuses de la région, Terre-Neuve est un endroit très sympathique, admit James, qui commença à descendre les marches vers le tarmac.
Richard, derrière lui, leva les mains au visage et souffla dedans. La température locale n’avait rien à voir avec la douce chaleur des côtes françaises.
— J’ai hâte de voir d’autres paysages que celui de l’aéroport, dit-il sur un ton amuseur.
— Vous les verrez bientôt ! Un chauffeur nous attend sur le tarmac, normalement.
Effectivement, une voiture était stationnée non loin de l’avion. Il s’agissait cette fois d’un Hummer H3 de couleur noire. Le conducteur fumait une cigarette, un peu à l’écart, distrait par un groupe d’oiseaux qui survolait la piste.
— Hey, Nicholas ! How are you ? Lança James.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main. Richard en fit autant. Après une bonne minute de salutations et de blablas, tout le monde embarqua dans le SUV. Nicholas démarra et réchauffa la voiture avant de partir. Direction : Saint-Jean-de-Terre-Neuve, la capitale de la province, située à 6 kilomètres au nord-ouest de l’aéroport.
— Nous allons à St. John’s. Je préfère désigner la ville par son nom original, ça va plus vite, avoua James. Là-bas, vous rencontrerez le chef. Vous allez voir, c’est quelqu’un de fascinant, avec des ambitions très… spéciales.
— Eh bien, ça promet, répondit Richard, curieux de faire la connaissance du fameux chef.
Le français de Moulin-sur-Mer regarda les forêts et les lacs défiler sous ses yeux, à travers la vitre de sa portière. Les routes n’étaient pas aussi désertes qu’il s’y attendait. La capitale de Terre-Neuve comptait quand même près de 130 000 habitants, dont la grande majorité parlait anglais.
— Wouah… Cette ville ne manque pas de couleurs, observa Richard, saisi par le charme de St. John’s.
— Je ne vous le fais pas dire.
La capitale, en effet, n’avait pas vocation à ressembler à une cité de Seine-Saint-Denis mais plutôt à un petit paradis de briques, de bois et de couleurs. Des rangées de maisons victoriennes peintes dans des tons éclatants, des rues en pente bâties sur des collines abruptes, et une vue magnifique sur l’océan Atlantique.
Richard aurait bien voulu s’arrêter là et partir à l’exploration de cette joyeuse ville côtière, mais le Hummer H3 préféra prendre la direction d’une petite zone portuaire. Il se demandait s’ils n’allaient pas déjà embarquer sur un bateau, et prendre la mer vers Dieu-sait-où. Il se faisait déjà des films.
Ils longèrent les quais pendant un court moment avant de s’arrêter au niveau d’un hangar. Nicholas klaxonna trois fois de suite, et on leur ouvrit aussitôt. Le chauffeur remonta à bord de son véhicule et le fit entrer à l’intérieur. Un groupe d’hommes en tenues de mécaniciens s’empressa de refermer les portes.
— Nous y sommes, déclara James sur un ton enchanteur. Nous pouvons descendre.
— … C’est ici que vous travaillez ? Demanda Richard, étonné.
— Oui. Nous disposons de tout l’espace nécessaire, et c’est un endroit discret.
— Je vois…
La moitié du hangar était quasiment vide, mais l’autre avait été aménagée par un certain nombre d’installations technologiques. Plusieurs machines, des écrans, des boites, des pièces détachées et des dispositifs de sécurité étaient rassemblés autour d’une plateforme en métal sur laquelle reposait l’appareil. Une équipe d’hommes et de femmes travaillait dessus.
L’un d’entre eux, un homme assez âgé avec des cheveux courts gris argenté, des traits réguliers et un large sourire, vint à la rencontre de Richard et ses hôtes. Il portait un polo bleu et un pantalon blanc, ainsi qu’une casquette rouge qu’il retira à l’instant. Tout comme Nicholas et les autres membres de l’équipe, il s’exprima en anglais.
— Hello ! I guess you are Richard ? I’m glad that you came !
— Ah… Yes, it’s me ! Je veux dire, je suis Richard. Hello.
Richard avait été journaliste, et son métier l’avait souvent amené à échanger avec des touristes ou des personnalités britanniques. De ce fait, il était relativement à l’aise en anglais. Ce qui le dérangeait, c’était de savoir qu’il rencontrait quelqu’un prêt à enfreindre la loi pour mettre son projet à exécution. Un projet dont il n’avait encore aucune idée concrète.
— Mon nom est Jonas. Jonas Howard. Je suis le leader de ce groupe. Nous sommes Seaners.
— Seaners ? Répéta Richard, confus.
— C’est le nom de notre organisation. C’est un jeu de mot entre sea et sinners. Cela tient de ma passion pour la mer et mon côté à enfreindre les règles pour accomplir mes rêves.
— Ah, O.K ! Je comprends, maintenant. Euh… Vous concevez des sous-marins, c’est ça ?
— Oui ! Affirma Jonas en hochant la tête. Nous faisons en sorte que nos activités restent en dehors de toute implication extérieure. Car nos missions, voyez-vous, nous obligent à prendre des risques concernant les lois en vigueur.
— C’est ce qu’on m’a dit. James me l’a expliqué, quand on s’est rencontrés. Je… Je comprends vos motivations, et je sais que vos compétences sont à la hauteur de ces risques.
— Exactement. Merci pour votre lucidité ! Nous aimerions vous recruter pour notre première mission, un défi de haute importance.
— C’est quoi, au fait, ce défi ?
— C’est bien que vous posiez la question. Il est grand temps que vous soyez initié à ce fameux projet. Et puis, cette idée, en fait, c’était d’abord la vôtre. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes allés vers vous.
Richard repensa à son roman, Objectif Titanic, et à son lien avec la mission de Seaners.
— … Vous parlez de mon livre ?
— Je vois que vous êtes déjà au courant. Oui, aussi fou que cela puisse paraître, c’est le scénario de votre livre qui a inspiré mon plan.
— Attendez… Je suis très honoré, mais… qu’est ce que vous comptez faire exactement ?
— Une seconde…
Le chef de l’organisation sortit son portable et montra une photo à Richard.
— Je suppose que vous savez déjà quel est cet objet ?
— Oh !
Sur la photo en noir et blanc était visible une sculpture, posée sur le manteau richement orné d’une cheminée, devant un grand miroir. Cette statue en bronze, à l’effigie d’une fameuse déesse romaine, était tout aussi reconnaissable que la Joconde dans l’esprit du français.
— La Diane de Versailles !
— Exactement, confirma Jonas Howard. La photo a été prise dans le Titanic — avant le naufrage, évidemment.
— Bien sûr. J’ai déjà vu cette photo quelque part.
— J’en suis sûr. C’est précisément cet objet qui est au centre de l’intrigue de votre livre. Et qui est accessoirement au centre de mon plan.
Richard savait que cette statuette avait disparu avec le Titanic lors du naufrage, puis retrouvée en 1986 peu après la découverte de l’épave et perdue de nouveau. En 2024, une expédition avait finalement permis de la retrouver, mais n’était pas en mesure de pouvoir la récupérer immédiatement. Résultat : elle se trouvait encore au fond de l’océan, avec l'épave.
Richard commençait tout juste à deviner l’idée derrière la tête de ces gens.
— Vous… vous construisez un sous-marin, que vous allez utiliser…
— … Pour retrouver et récupérer la statue, compléta Jonas. Tout comme dans Opération Titanic. Sauf que nous allons le faire dans la vraie vie. Génial, non ?

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