Chapitre 01.2

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L’androïde réorienta le parasol. Le soleil avait de la force. Avril ressemblait plus à juillet qu’à un mois de printemps. Les terres manquaient déjà d’eau. Les feux étaient interdits.

Les feux…

Ils n’avaient pas eu le temps de fuir, ni même d’implorer la pitié de leurs assaillants.

Et lui, il avait été si stupide en se laissant entraîner en dehors du camp par un touriste qui lui avait semblé trop curieux avec son appareil photo. Il l’avait coursé sur deux bons kilomètres, dans le maquis.

Il aurait pourtant dû se rendre compte que l’homme courait trop vite pour un touriste, ou même un journaliste, et surtout qu’il était beaucoup trop endurant.

Il n’y avait pensé qu’au moment où il avait reçu ce coup sur la tête.

Cela ne l’avait pas assommé pour autant. Juste sonné. Il avait joué des poings contre son assaillant jusqu’à ce qu’il soit rejoint par deux autres types entraînés au combat rapproché.

Il n’avait eu aucune chance face à ces trois hommes.

Après l'avoir bien tabassé et lui avoir attaché les poignets, ils l’avaient ramené en le traînant au bout d’une corde, derrière leur voiture, jusqu’au Refuge.

Même comateux, il avait entendu les hurlements et les coups de feu.

Après cela, ses agresseurs l’avaient encore traîné jusqu’à la cabane où il avait vécu avec sa compagne.

Ils l’avaient menotté à la rambarde de l’escalier.

À travers ses yeux mi-clos, il avait pu voir…

Il ferma les yeux.

Ils avaient brûlé les corps, toute la nuit, dans une sorte de four qu’ils avaient apporté avec eux afin qu’aucune trace ne subsiste après leur passage.

Tout avait été minutieusement préparé…

Mais lui, ils n’avaient jamais eu l’intention de le mettre sur le bûcher.

À ce moment-là, il l’aurait pourtant accepté sans résister.

À l'aube, il avait repris connaissance.

Ils l’avaient cru trop KO pour vérifier ses liens.

Sans trop savoir comment, il était pourtant parvenu à se libérer et à s’échapper de ce qui fut, quelques heures plus tôt, un havre de paix.

Tant bien que mal, dans l’obscurité, il avait rejoint l’un des bunkers souterrains qu’il avait aménagés en cas d’attaque de ce genre…

Cet abri avait construit pour abriter au moins dix personnes pendant deux semaines au moins. Il en connaissait au moins sept autres identiques dans la région.

Il avait vécu un long mois à passer d’une cachette à une autre.

Il avait pu soigner ses blessures et il avait vécu sur les provisions qu’il avait engrangées dans ces refuges.

Il avait pris soin de ne pas rester plus de trois jours au même endroit, car il savait que les tueurs étaient toujours à ses trousses.

Il lui était arrivé d’apercevoir des promeneurs, seuls ou en groupe, des photographes amateurs, des cyclistes en bord de route, ou des auto-stoppeurs.

Il savait très bien que ceux-ci n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être.

Le hasard l’avait mis en présence de l’un de ses trois agresseurs.

Il avait alors fait ce qu’il avait jugé nécessaire pour obtenir les réponses qu’il cherchait. Il s’était offert le luxe d’une infime vengeance en laissant un message très clair à ses agresseurs.

Il avait ainsi découvert la responsabilité du CENKT dans ce qui était arrivé à ses protégés et à lui.

Le CENKT, cet organisme mythique dont aucune Sentinelle ne pouvait ignorer l’existence. Le cauchemar suprême des gardiens depuis des siècles…

Il avait entendu dire que les agents du CENKT capturaient les hors normes, les déviants, les chimères, les extraterrestres et les créatures les plus étranges, pour les parquer dans des réserves, les étudier et faire des expériences sur eux.

En bref, les utiliser comme des lapins ou des rats de laboratoire.

Mais ce que ces tueurs avaient fait dépassait son entendement. Même après des jours, des semaines, il ne parvenait pas à oublier.

Et eux ne l’avaient pas oublié non plus.

Aujourd’hui, ils ne semblaient plus prêts à le laisser en vie. Ils avaient déjà commis cette erreur, et un des leurs l’avait payé de sa vie après avoir été torturé et mutilé.

— Je sers un verre à votre ami ?

Dans le même temps, une présence en mouvement sur la place attira l’attention d’Eric.

Un coup d’œil lui suffit pour comprendre.

Il aperçut un athlète à la peau sombre. Il mesurait quasiment deux mètres.

Ses traits relativement fins indiquaient qu’il devait être un natif de la New Africa, cet état créé par Lincoln en 1862, le quarante-neuvième, sur la pointe de la Côte Est, à cheval sur la frontière américano-canadienne.

L’homme traversait tranquillement la place en direction du café.

Il ressemblait, presque, à un touriste profitant du beau temps matinal. Rien ne montrait qu’il venait pour lui.

En même temps, il était le seul assis sur la terrasse du bistrot, et l’homme n’était pas du genre à venir juste se prélasser au soleil.

Les curseurs analytiques de la serveuse avaient effectué différents calculs et évalué nombre de possibilités. Elle ne se trompait pas en disant qu’il venait pour lui.

Bien sûr, elle ignorait que d’une certaine manière il avait provoqué cette rencontre.

Le CENKT était sur ses traces depuis plusieurs semaines…

Après s’être remis sur pieds, plus ou moins, il s’était senti prêt à contre-attaquer.

Il avait voulu connaître l’homme qui avait donné l’ordre d’abattre ses protégés.

L’homme qui venait vers lui ne revêtait pas l’uniforme d’une quelconque organisation paramilitaire. Hormis sa prestance et son assurance, rien n’indiquait qu’il appartenait au CENKT.

Vêtu d’un simple tee-shirt marron foncé, d’un pantalon en toile noire, portant ce qui était probablement un gilet pare-balles par-dessus son épaule, montrant ainsi de manière évidente qu’il ne portait aucune arme, l’homme avait quand même l’air dangereux.

Ce n’était pas qu’un air, il le savait. Eric se doutait qu’il pourrait être capable de tuer un homme de sa taille avec un pot de yaourt si on lui en donnait l’ordre.

Aucun cheveu, aucune barbe, qui aurait pu trahir son âge, mais celui-ci se devinait, à quelques années près, sur son visage aux traits marqués par la fatigue.

Il devait avoir une bonne quarantaine d’années.

On ne devient pas directeur du CENKT immédiatement en sortant d’une école, ou d’une formation militaire, quelles qu’elles soient.

Sa démarche était souple et altière.

Eric l’imaginait bien courir sa cinquantaine de kilomètres, au moins, chaque jour que Dieu faisait. Surtout s'il possédait quelques implants physiques. Ce que semblaient indiquer les prunelles aux reflets argentés de ses yeux.

— Pas d’autre verre, ça ira, répondit Eric à la serveuse lorsque l’homme fut assez près d’eux. Monsieur est en service.

La serveuse opta pour un sourire.

L’ironie faisait pourtant faire partie de sa programmation. Mais il y avait autre chose dans la voix du consommateur de vodka qu’elle ne parvenait pas à analyser. Quelque chose d’irrémédiablement brisé…

En tous les cas, si le ton n’échappa guère au nouveau venu, celui-ci ne tiqua pas.

Eric ne décela aucune tension dans son regard sombre, ou sur les traits de son visage.

Il remarqua seulement les cicatrices sur ses joues. Des marques profondes et régulières comme s'il avait, assez récemment, reçu un coup de griffes.

Au moins, l'une de ses victimes avait-elle tenté de se défendre…

La serveuse s’était éclipsée silencieusement.

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