Chapitre 01.4

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Eric se rembrunit.

La douleur fulgurante lui rappela à nouveau sa blessure dans l’abdomen.

Il fit de gros efforts pour ne pas montrer sa faiblesse physique.

Jameson avait l’esprit trop occupé par son désir de le convaincre pour le remarquer.

— Parmi la centaine d'espèces débarquées sur la Terre, il y en a au moins une dizaine qui a sûrement souhaité la disparition de l’Humanité. Une autre dizaine aurait certainement réussi à l’asservir si le CENKT n’avait pas été présent. Ce n’est qu’une estimation.

Il écarta les bras, comme s’il s’agissait d’un constat évident, ou d’un signal...

— Comment pourrait-on espérer que des êtres ayant voyagé à travers l’espace, ayant bénéficié d’une technologie avancée dans leur univers, puissent se satisfaire d’un monde aussi archaïque que le nôtre ? Les gens qui vous financent, vous, les protecteurs de ceux qui seront peut-être nos ennemis de demain, sont-ils si naïfs ? J’en doute fort. Ils ont bien d’autres intentions dont ils ne vous ont pas fait part.

— Vous aimeriez savoir qui ils sont.

— Me le diriez-vous ?

— Non.

— Je m’en doutais.

Eric se garda d’ajouter quoi que ce soit. Un « non » clair suffisait.

Jameson essayait seulement de le provoquer, de le pousser à la faute, ou dans ses retranchements. Pour ça, il y était déjà.

Il prit mentalement de la distance.

Déconnecter son esprit de son environnement était un exercice basique pour une Sentinelle.

Tandis qu’une partie de son cerveau se contentait d’observer, d’écouter, l’autre continuait à échafauder différents plans qui lui permettraient d’échapper à Jameson et à ses hommes.

S’il devait en finir, il fallait que ce soit définitif, et pour cela, il ne leur faciliterait pas la tâche.

Ensuite, face à sa nouvelle situation, il s’adapterait comme il l’avait toujours fait.

Il avait déjà repéré neuf agents autour de la place.

S’il avait d’abord pensé que Jameson aimait s’écouter parler, développer ses théories d’un autre temps, d’un autre monde, il comprenait maintenant qu’il avait surtout essayé d’endormir ses sens le temps que ses hommes prennent leurs positions autour de la place.

— Savez-vous comment on différencie certains extraterrestres des êtres humains ?

Bien sûr qu’il le savait. C’était même une petite histoire drôle que son père lui racontait lorsqu’il était petit.

Un des rares moments heureux dont il se souvenait.

À l’époque, il ne l’avait pas comprise. Peut-être parce que l’intention de son père n’était finalement pas de le faire rire…

Prenant son silence pour de l’ignorance, Jameson répondit à sa propre question :

— Ils SOURIENT.

Il avait bien insisté sur ce mot.

Évidemment, les extraterrestres étaient du genre faire ça parce qu’ils avaient sûrement entendu dire ou lu quelque part que le sourire, comme le rire, était le propre de l’homme.

Ce qui n’était pas tout à fait exact.

Eric n’avait jamais vraiment compris pourquoi il ne fallait pas sourire sur les photos d’identité, parce que justement il n’y avait pas deux sourires identiques.

— Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi toutes ces espèces extraterrestres viennent s’échouer sur la Terre ? lui demanda Jameson. Pourquoi elles ont fui leur propre monde ? Vos protégés vous l’ont-ils dit ? Je ne pense pas. Ils savent trop bien ce qui peut arriver aux messagers… ou aux Cassandre.

Il essayait de le déstabiliser.

Eric se retint de montrer toute forme de réaction.

Ces questions, il les avait posées à Amias, Droa, Batas et aux autres. Mais aucun n’avait voulu lui expliquer pourquoi et comment ils avaient fui leur planète.

Tout ce qu’il avait pu savoir, c’était que le Terre était un mythe pour eux, et qu’aucun n’avait espéré, avant le début de leur voyage, la trouver. Encore moins pouvoir y vivre.

Avec le temps, leur déception avait été aussi grande que leur surprise initiale.

Quelque part, cela prouvait que Jameson avait tort.

Comment pouvait-on souhaiter, ou même imaginer, conquérir un monde dont on pensait qu’il était seulement un mythe ? Et plus encore, une planète que l’on finissait par détester au point d’être prêt à tout pour la quitter ?

— Qu’en pensez-vous Eric ?

— De quoi ?

— Je vous laisse une chance de vous en sortir vivant, une chance de vous expliquer.

Jameson se montrait tout à la fois franc et d’une politesse extrême.

Eric se contenta de baisser la tête.

Il prit conscience du silence autour d’eux.

Il n’avait pas eu à la regarder pour savoir que la place était déserte maintenant.

Les hommes du CENKT les avaient-ils évacués pour éviter des dommages collatéraux ? Ou s’étaient-ils retirés d’eux même en voyant ces individus dans leurs uniformes noirs et caparaçonnés, prêts au combat ?

— Vous n’avez pas peur de la mort, Eric ?

— Et vous ?

— J’ai peur de tout ce qui pourrait me tuer, que cela vienne ou non de notre planète. Je ne suis pas arrivé à mon âge et à la tête du CENKT sans une bonne part de paranoïa justifiée. Et pourtant, comme tout être vivant de cette planète, et probablement de cet univers, ma fin est programmée. J’espère seulement qu’elle soit comme je le souhaite.

Eric se garda bien de demander quelle mort il souhaitait.

Jameson changea soudain de sujet.

— Sais-tu que ton dossier est classé IPD : TV. Individu Particulièrement Dangereux : Tirer à Vue, sans sommation en cas de résistance.

Parce que le CENKT avait un dossier sur lui ? songea Eric. Du bluff ! En plus si cela avait été le cas, il serait déjà mort.

Peut-être l’avait-il été ? Pas assez longtemps en tous les cas.

— Comme pour tes parents…

Finalement, peut-être pas.

— Tes parents, poursuivit Jameson, ont choisi leur camp en toute conscience. Contrairement à toi. Tu n’as jamais eu le choix. C’est plutôt rare d’être Sentinelle, et fils de Sentinelle, de deux Sentinelles, qui plus est. Je pense même que, de toute l’histoire des Sentinelles, tu es le seul. Arrête-moi si je me trompe…

Il s’en garda bien.

Si ses parents avaient été des gardiens, il l’aurait su. À la limite, qu’ils appartiennent au CENKT ne l’aurait pas surpris.

— Vous devez être à peine vingt par génération. Vingt enfants nés avec des qualités physiques et mentales exceptionnelles. Mais tous ne deviennent pas des Sentinelles. Certains ne sont pas jugés assez bons pour cela et sont relégués à des fonctions « administratives » au sein de votre confrérie. D’autres abandonnent, ou meurent, durant leur entraînement. Tout au plus, au final, il n’en reste que dix, capables d’assumer une tâche comme la tienne. Bref, sans compter les gratte-papiers, et en éliminant les individus qui ont passé le cap des quatre-vingts ans, et les plus jeunes, il doit y avoir, au plus, trente Sentinelles disséminés dans le monde.

Eric l’ignorait lui-même. Ce n’était pas le genre d’information qui se communiquait au sein de la « Confrérie », comme l’appelait Jameson.

Il ne connaissait que trois gardiens. Deux avec lesquels il avait fait ses classes, et son instructeur, qui était aussi son tuteur et auquel il se référait en cas de problème.

Normalement. Parce qu’il ne l’avait pas fait depuis la tragédie, ni depuis son arrivée dans ce...

La voix de Jameson le ramena brutalement à la réalité.

Il pérorait :

— Non, c'est vrai… J’oubliais… Il faut en retirer neuf, traqués, inculpés, jugés et condamnés par les autorités chinoises. Ils ont été fusillés ce matin. On peut dire que les Chinois sont plus efficaces que les Russes qui n’ont réussi à en capturer que cinq. Ils ont dû les abattre pour les avoir. Tout le mérite nous revient.

Il avança la chaise et se pencha par-dessus la table plus près de son interlocuteur, comme s’il voulait lui avouer quelque chose que nul autre ne devait entendre.

Ou lui cacher ce qui se passait derrière lui.

— Officieusement, bien sûr, chuchota-t-il avant d’élever à nouveau la voix. Officiellement, les Sentinelles sont le problème des autorités locales qui opèrent dans ces états. Vous êtes la quatrième que nous avons réussi à débusquer. Cela ne signifie pas que notre traque se soit arrêtée avec vous.

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