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Nous sommes une centaine d’années après la mort de Hildegrid 1er. Sa descendance a été assurée par des fils bien portants qui ont donné des héritiers mâles à cette lignée de fiers guerriers.

Dans les premières années de son règne, et faute de princesse disponible, le roi Armand épousa Elvia, la fille d’un puissant seigneur. La reine était à l’opposé de son époux. Elle était orgueilleuse et méprisante. Le petit peuple n’était rien face à la pureté de son sang. Le couple royal donna naissance à deux garçons : Vladimir l’aîné, et Drystan. Les deux frères avaient sept ans d’écart, et des caractères bien différents. Le premier était fier et orgueilleux comme sa mère, tandis que le second était discret et respecté.

Après avoir fêté ses quinze ans de règne, le roi tomba gravement malade. Malheureusement, aucun remède ne le soulagea du mal qui le rongeait. Les médecins restèrent impuissants face à la maladie du sang. Nous savons aujourd’hui qu’Armand IV a été empoisonné. Avant de mourir, le roi Armand reçut, un par un, ses deux fils. Le tour du prince Drystan arriva à la tombée de la nuit. Curieusement, la cour s’affola quand le roi fit venir l’homme de parole, en présence de l’enfant de six ans. Il lui dicta ceci :

« Moi, Armand IV, roi du royaume d’Apolise, dicte pour l’avenir du royaume ces quelques mots en présence de mon fils Drystan, de l’homme de parole du royaume, Argius Melestre, et de mon fidèle conseiller Arcturus de Granval. Je déclare Drystan II, nouveau roi d’Apolise, et signe le testament des rois. Je ne respecte pas la hiérarchie de naissance. Le cœur de mon fils aîné est corrompu par la folie des hommes de puissance. Je ne peux laisser mon royaume entre ses mains. Ma décision ne peut être changée. Ainsi, moi, Armand IV, ai parlé.

Le roi est mort, vive le roi ! »

Dès qu’il posa sa plume, l’homme de confiance comprit que sa vie était en danger. Inquiet, il se précipita dans la salle des registres pour faire acter les dernières paroles du roi. Il savait que la reine ne devait en aucun cas croiser son chemin. Elle était capable de détruire ce testament et de le tuer par la même occasion. Il traversa le palais en usant et abusant des passages secrets. Quand il déposa enfin le précieux morceau de papier, le roi rendait son dernier souffle, un regard plein d’espoir posé sur ce fils qu’il aimait tendrement.

À la même époque, une riche famille d’Apolise se déchirait. Le seigneur Jarod était un des hommes d’affaires les plus puissants de la grande Cité. Il avait épousé son amour de jeunesse, la pieuse Antarès. Avant leur union, la jeune femme avait émis le souhait de dédier sa vie à l’église. Elle avait déjà prononcé ses vœux quand son chemin croisa celui de son premier amour, Jarod de Lonval. Les deux n’auraient jamais dû se revoir. Leurs pères respectifs étaient en conflit à cause d’une sombre affaire dont aucun des deux n’avait souvenir. Après de longs compromis et un contrat de mariage imposant, l’union eut lieu dans la plus stricte intimité.

Plusieurs années s’écoulèrent avant qu’une enfant vienne au monde. Ses parents ne lui avaient pas encore donné de prénom que, déjà, les prétendants se bousculaient à sa porte. Tous espéraient pouvoir unir cette famille à la leur. Dès les premières heures de la vie de cette fille, des dizaines et des dizaines de veufs ou de jeunes gradés dans l’armée Royale arrivèrent de toutes les régions du royaume.

Le seigneur Jarod prit son temps pour choisir celui qu’il pensait digne de s’occuper de sa lignée. Finalement, à la grande surprise de sa femme, le veuf Doughan attira ses faveurs. Ce dernier était âgé. Il sentait mauvais et n’avait respecté aucune de ses épouses. L’une d’elles avait mis fin à ses jours en se jetant du haut d’une tour du château royal. L’affaire avait fait grand bruit.

Antarès refusa de se soumettre à la volonté de son époux, et de celle de son futur gendre. Doughan souhaitait que le bébé soit placé dans le couvent le plus proche, pour préserver sa future femme du monde de la richesse et des tentations. Il la souhaitait pieuse et soumise. La séparation était impensable et inacceptable. La jeune mère décida de sauver son enfant. Si elles devaient être séparées, ce serait elle qui choisirait qui prendrait soin de son petit ange. Sur un morceau de papier, elle écrivit un message destiné à son frère :

« Arcturus,

Je ne me pardonnerai jamais toutes ces années de silence entre nous. Père nous a habilement éloignés, pensant briser le lien entre un frère et une sœur. Il pensait que jamais plus nous n’aurions confiance en l’un en l’autre. Et pourtant, aujourd’hui, je te confie ce que j’ai de plus précieux en ce monde. Je ne peux accepter le destin qu’on cherche à lui tracer. Je ne veux pas qu’elle vive dans la peur de ce monde que nous cherchons encore à comprendre. S’il te plaît, oublie les rancœurs du passé. Nous étions jeunes et malléables. Nous nous sommes laissés manipuler par l’orgueil et les peurs d’un homme avide de puissance. Pour toujours, nous devrons l’appeler père, mais je sais que tout comme moi, tu ne lui pardonneras jamais ce qu’il nous a fait.

Voici ta nièce. Prend soin de ma petite Axine. Apprends-lui à n’accepter que le juste, et à ne jamais laisser le plus démuni dans son malheur. Pour sa sécurité, ne lui avoue jamais qui est sa vraie famille. Promets-moi que le jour de ta mort, tu lui remettras le pendentif représentant l’emblème de notre clan, sans jamais lui révéler la vérité. N’oublie pas d’en faire une femme, une femme avec un cœur d’homme.

Ta sœur, Antarès »

La jeune mère ne revit jamais l’enfant.

La nourrice se pressa de porter le billet et le précieux colis. Le chemin, menant aux appartements du seigneur Arcturus de Granval, fut long et périlleux. Dès l’annonce de la mort du roi, l’armée avait envahi la Cité, rendant tout mouvement presque impossible. La nourrice arriva enfin. Elle expliqua la peur qui régnait dans la ville. Arcturus savait que le roi était mort. Il était présent au moment de son dernier souffle. Devant le lit de mort de son époux, la reine avait promis des changements dans la gouvernance du royaume. Les paroles s’étaient vite transformées en actes. Les compromis étaient impossibles. Les alliances n’avaient plus d’existence. Les amis du roi devenaient les ennemis du royaume. La terreur marquerait cette ère. Granval l’avait très bien compris.

Sa majesté Armand IV s’était confié à Arcturus, quelques jours avant de tomber malade. Le roi s’inquiétait pour le futur de son peuple. Il n’envisageait pas de mettre l’aîné de ses fils sur le trône. Vladimir était trop influencé par sa mère pour devenir un bon souverain. Il était conscient que les années de paix disparaîtraient aussitôt qu’il rendrait son dernier souffle. Son seul espoir se situait en Drystan. Arcturus eut une pensée émue pour ce jeune roi d’à peine six ans. Il avait la sensation de l’abandonner mais s’il était resté auprès du jeune roi, Granval aurait subi le même sort que son souverain, avec moins de délicatesse.

Quelques minutes après l’arrivée de la nourrice, une troupe de soldats frappa à son domicile. Arcturus se savait en danger. La reine ne l’aimait pas. Il était évident qu’il faisait partie des premiers seigneurs à devoir disparaître. Son avenir ne s’écrirait pas dans le noir et la froideur d’un cachot. Son futur lui appartenait. Dans la précipitation, il n’emporta avec lui que le bébé et la nourrice.Le temps de se morfondre dans les abysses du passé viendrait plus tard. Beaucoup oseraient dire qu’il fuyait ses responsabilités. Arcturus de Granval percevait les choses autrement. Il ne fuyait pas. Il dessinait les premiers contours de la résistance.

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