06
Des sifflements, des explosions et des cris étaient tout ce que l’on pouvait entendre cette nuit-là dans la Cité d’Apolise. Drystan marchait entre les cadavres, les restes de bâtiments et les vivants effrayés par des combats violents et inattendus. Sous ses yeux se dévoilait la réalité, et non celle des livres ou des belles phrases de la cour. Il se sentit mal à l’aise, lorsque son regard croisa celui d’une petite fille à l’apparence sale et incertaine alors que le doux parfum de la propreté se dégageait de lui. Son pas s’accéléra, puis s’arrêta net lorsqu’un groupe de personnes se précipita dans sa direction.
Tout autour de lui, l’affolement provoqua des bousculades. Les gens fuyaient un ennemi encore invisible. Il observa cet afflux d’âmes paniquées à l’idée d’être blessées ou de mourir. Apeuré, Drystan se cacha dans les restes d’une maison. Il se crut à l’abri d’une situation hors de contrôle. Des hommes armés apparurent. Ils tiraient sur un ennemi encore invisible. L’un d’eux hurla des mots que Drystan n’arriva pas à comprendre. Des hommes se montrèrent. Le roi les reconnut facilement. Les soldats de l’armée royale ripostaient à l’attaque de ceux que Drystan n’avait toujours pas identifiés.
Un homme pénétra dans les ruines où le roi se cachait. Drystan sentit la terreur s’emparer de ses entrailles. L’inconnu le vit et dirigea son arme sur lui. Sa majesté chercha un moyen de fuir. Tout autour de lui, aucune issue ne se présentait. Les hauts murs de la maison le gardèrent piégé dans ce qui se transformait en une impasse. À la simple vue de ses beaux habits, l’homme plaça son index sur la gâchette de son fusil. Quelque chose s’imposa entre eux. Sans réfléchir, Drystan sauta sur son agresseur. Une explosion les projeta contre le dernier mur encore intact. Par miracle, ils ne furent pas blessés. Tout en s’asseyant, l’homme éclata de rire, tandis que Drystan essayait de comprendre la scène qu’il venait de vivre.
– Nom de Dieu ! s’exclama l’homme. Ça va mon garçon ?
– On dirait.
– T’as de sacrés réflexes. Ne reste pas là enraciné ! Lève-toi !
L’homme appliqua son conseil à lui-même. Péniblement, il releva sa carcasse et se dirigea au point d’impact. Un trou profond laissait entrevoir la cave sombre et peu rassurante de l’ancien logis. Tout autour, les pierres menaçaient de les emporter dans cet enfer.
– Bordel de merde ! Une grenade de …
Il réfléchit un instant tout en se grattant la tête fermement. Drystan soupçonna la présence de poux dans l’épaisse tignasse poivre et sel de cet homme.
– De toute façon, le nom exact, on s’en fout. Ça ne l’a pas empêchée de faire un gros trou dans le sol. Et dire qu’à l’heure qu’il est, si t’avais pas bondi comme un beau diable, on serait peut-être en train de danser tout nu au Paradis avec de splendides petites nymphes.
Il éclata de rire et se présenta.
– Wyatt ! Et comme tu l’as sûrement remarqué, c’est moi qui dirige le bataillon de la résistance.
Il ajouta à voix basse :
– Enfin, ce bataillon…, je suis qu’un sous-chef. Et toi, comment tu t’nommes ?
Drystan hésita un instant à donner sa véritable identité, de peur d’être reconnu ou de ne pas l’être. S’il avouait être le roi, il passerait pour un fou et il n’en était pas question.
– Dépêche-toi un peu, l’armée royale reprend du poil de la bête. À moins que tu ne sois avec cette vermine, s’inquiéta-t-il soudainement.
– Grégoire ! prononça-t-il dans un souffle. Et non, je ne suis pas du côté de sa majesté, de la folle, rectifia-t-il.
– Eh bien Grégoire, je ne sais pas ce que tu as prévu de faire, mais je te propose de devenir résistant. C’est un métier plein d’avenir par les temps qui courent.
Drystan ne put rien ajouter. La situation devenait critique. Un des hommes de Wyatt vint couvrir la retraite de son chef de section. Il dévisagea le jeune homme qui ne lui inspirait nullement confiance. Wyatt le calma en lui apprenant qu’il lui avait sauvé la vie. Les deux hommes n’attendirent pas la décision de Drystan. Ils le laissèrent leur emboîter le pas. Seul face à son destin, sa majesté n’avait jamais eu à prendre une décision aussi importante. Au palais, tout était codifié. La tradition ne permettait aucun écart. Il hésita, fit un premier pas puis se ravisa. Rien ne lui assurait qu’il pouvait accorder sa confiance à cet inconnu. Soudain, une balle manqua de le toucher. Le moment était venu de choisir entre mourir ou s’engager.
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