08
Malgré quelques heures de sommeil, Axine se sentait épuisée. À bout de force mais consciente de ses nouvelles responsabilités, elle se rendit sur la place centrale du camp. Olan discutait avec le père Raphaël des préparatifs de la cérémonie d’enterrement d’Arcturus. Axine essaya de les éviter. Elle avait horreur d’assister à ce genre d’échange, que ce soit pour l’un de ses meilleurs hommes ou pour son oncle. Le père Raphaël l’aperçut. En présence de la jeune femme, les serments sur l’existence de Dieu étaient le sujet préféré du prêtre. Il savait qu’elle avait perdu la foi après avoir frôlé la mort dans une embuscade, au cœur même d’une église. Il espérait, un jour, la revoir assister à l’une de ses messes. Des cris provenant de l’entrée du camp interrompirent leur échange. Aucun ordre ne fut prononcé pour que chaque combattant prenne une arme et une position stratégique pendant que les familles couraient s’abriter.
Une seconde de tension. Une deuxième incertitude, puis une voix masculine et familière chantonna :
– Qui est le plus beau de tout le royaume ?
– Wyatt, soupira Axine. Espèce de vieux pirate, où étais-tu ?
Armé jusqu’aux dents, le gros barbu apparut enfin. Il était suivi de près par tous les membres de son unité. Tous étaient rentrés sains et saufs.
– Dans les bras d’une Amazone très coquine, s'amusa-t-il.
La joie fit place à la tristesse. L’annonce de la mort d’Arcturus marqua les visages et brisa les sourires. La seule consolation fut dans l’absence de prisonniers à libérer. Il y avait juste des âmes à réconforter. Axine observa chaque visage. Ils étaient une famille réunie autour d’une même cause. Les années n’avaient pas entaché le but de toute cette misère.
Malgré les pertes et les disparitions inexpliquées de plusieurs des leurs, l’espoir d’un monde meilleur grandissait dans les cœurs. Dans cette foule de visages familiers, un nouveau s’était glissé dans leur fourmilière. La jeune femme s’approcha de cet homme, l’attrapa par le bras, puis sortit son couteau avant de le plaquer contre la gorge de l’étranger. Axine le fit tomber à terre. Son regard était devenu sombre et menaçant.
L’inquiétude, sur les visages de ses compagnons, poussa Wyatt à se tourner vers le sujet de leur attention. Comme tous les autres, il n’osa pas bouger. Il était certain qu’Axine ferait le bon choix. Le tout était de ne pas la contrarier. Très souvent, elle agissait pour protéger les siens avant de réfléchir aux possibles conséquences. Cette fois-ci, Wyatt ne resta pas aussi immobile qu’un rocher. Il s’approcha avec la plus grande des prudences.
– Qui es-tu ? demanda Axine à l’être affolé qu’elle tenait entre ses doigts.
– Laisse-le. Il m’a sauvé la vie, alors qu’une grenade allait nous éparpiller en mille petits bouts de viande, s’interposa Wyatt.
– Son nom ? interrogea-t-elle
– Grégoire. Je t’en prie Axine…
Drystan ne cachait pas sa peur. Jamais, il n’aurait imaginé qu’un jour il connaîtrait la froideur d’une lame sur son cou bouillant de frayeur. Il laissa son nouveau protecteur négocier à sa place. Il n’avait aucune carte en main et cette femme était déterminée. Il prolongea son regard vers Wyatt plutôt que sur elle. Il s’imaginait qu’elle était une sorte de sorcière capable de lire dans les pensées. Cette idée était ridicule. Pourtant, elle l’aida à ne pas perdre pied en plongeant dans les profondeurs de l’âme de cette guerrière.
– Tu as de beaux habits, sales, mais beaux. Où les as-tu volés ? lui demanda Axine.
– Ils sont à moi, dit-il d’une voix tremblante fuyant toujours son regard.
– À toi ? Et qui te les a donnés ? »
Que dire ? Drystan réfléchit à l’organisation de la vie des domestiques. Il avait volé ses vêtements dans une grande pièce située à côté des cuisines. À l’intérieur, chaque tenue était rangée avec soin, sur de grandes étagères en bois. La sienne était bleue avec un liseré couleur or. Les boutons étaient petits et dans une matière commune. Le pantalon n’avait que trois boutons vers les chevilles et les chaussures amortissaient le bruit de chaque pas. Il n’avait aucune idée à quel genre de serviteur il avait volé le rang. Au final, peut-être que ce détail n’avait pas d’importance. Cette jeune femme ne connaissait probablement pas les codes du château.
– Le responsable des valets du château, balança-t-il sans croire un seul instant à son mensonge.
Que pouvait-il répondre de mieux ?
– Un simple valet ? s'étonna Axine.
– Oui ! Je me suis enfui, répondit-il plus confiant.
– La vie au château est trop belle pour monsieur, ironisa une voix dans la foule.
Axine appuya un peu plus fort la lame contre le cou de Drystan
– La reine devait souvent te montrer son affection, n’est-ce pas ?
Drystan sentit que sa réponse marquerait son destin. Il réfléchit à ce que les valets pouvaient bien raconter dans le dos de sa mère. L'imagination de ces serviteurs était beaucoup plus grande que la sienne. Selon certains, la reine possédait des crocs capables de cracher du venin. Son rire était celui d’une dinde. Sa démarche avait la lourdeur d’un éléphant. Sa patience disparaissait plus vite qu’une souris. Une corne de rhinocéros lui servait de nez. Soudain, Drystan se rappela d’une réflexion de l’un d’eux.
– Si cela était le cas, je ne serais pas ici.
– Vraiment ? Pour quelle raison ?
– Parce que les mantes religieuses dévorent leur partenaire après une relation sexuelle.
Une seconde, deux secondes, trois. Un sourire se dessina enfin sur le visage de la jeune femme. Elle retira son couteau et se mit à rire, entraînant avec elle les personnes présentes. Seul Wyatt était mal à l’aise. Axine se présenta à Drystan tout en s’avançant vers leur ami commun.
– Apprends l’art de la guerre à notre nouveau compagnon. Et donne-lui des vêtements moins enviables.
Avant de lui murmurer :
– Tu connais la sentence, si le ver est dans la pomme. Ne t’attache pas trop.
Perçu comme un ennemi, la mort serait inévitable. Par contre, si Drystan était démasqué, il devenait une monnaie d’échange pour la résistance. Il en était plus que conscient, mais en sauvant Wyatt, le roi avait acquis la confiance de certains du groupe. La carte du hasard fut celle choisie par l’esprit d’Axine. Les années d’errance avec Arcturus lui avaient appris que la trahison et la fourberie existaient dans chaque être se prétendant bon et juste. Ce jour-là, elle décida de croire que rien de mauvais ne viendrait de cet inconnu, à tort ou à raison.
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