36 | Marzanna
Mercredi 12 mai 2027
Marzanna posa une carte postale en guise de marque page dans son livre, La chorégraphie de l’horreur, avant de le fermer. Le soleil se mourait, dans un déluge de lumières, orange et rosé, et offrait au ciel un ballet digne des plus grandes peintures. Elle se leva de sa chaise longue, redressa les coussins et débarrassa les quelques brindilles de la surface. Elle ramassa sa tasse vide, d’où elle apercevait encore un fond de café où quelques pétales s’y baignaient. Son regard se dirigea brièvement vers le portillon qui donnait sur un chemin qui liait sa maison aux restes des habitations du coin. Elle se tourna dans la direction de la baie vitrée, jeta un œil par-dessus son épaule, par habitude, puis elle entra à l’intérieur.
Marzanna prit le temps de bien fermer toutes les entrées de la maison. Les cambriolages étaient courants là où elle vivait, et même si elle disposait d'un arsenal de sécurité, un tour ne faisait pas de mal. Satisfaite, elle se dirigea dans la cuisine. Le dîner comportait les restes d’une cocotte de bœuf, un verre d’eau ainsi que quelques petites meringues. Accoudée au bar, le nez dans une série de science-fiction, Marzanna mangeait en silence. Lorsqu’elle eut terminé, que la vaisselle était faite, elle décida d’aller se coucher, sans se douter qu’une ombre la suivait.
Les lumières s’éteignirent automatiquement. Seule, celle du couloir de l’étage, demeurait allumée. Marzanna ne vit guère la silhouette finement musclée d’un homme habillé de vêtements amples et noirs, cagoulé jusqu’aux yeux. Elle attrapa son pyjamas — un grand tee-shirt violet et un short bleu — puis se rendit dans la salle de bain afin de se déshabiller. Nue comme un ver, elle fila sous la douche, humant doucement. Le visiteur indésirable n’en perdait pas une miette. Il profita de la buée importante pour se mouvoir sans bruit dans la pièce. Il s’approcha de la cabine de douche observant la figure dansante à l’intérieur. Abruptement, celle-ci disparut, comme si elle n’avait jamais existé en premier lieu, et il cligna des yeux. L’homme se recula, avortant l'opération, mais, au moment de pénétrer dans le couloir où il s’était caché un peu plus tôt, le sol se déroba sous ses pieds.
Il garda la bouche fermée de peur d’éveiller les soupçons de sa cible. Il fit une courte chute libre qui le mena au sous-sol de la maison sur une pile de linge. Le cœur battant, il inspecta son environnement. Un tunnel en hauteur lui indiqua qu’il venait de là. Des couloirs plongés dans la pénombre l’informa de la longueur de la cave. À pas de loup, il contempla la pièce où il se trouvait: une machine à laver à côté d’un sèche-linge, un débarras entrouvert, quelques cartons et une chaise. L’homme choisit d’emprunter un couloir. À l’aide de la lumière de son téléphone, il parcourut le passage sans perdre de temps. Pour la seconde fois, le sol disparut. Il tomba en chute libre dans ce qu’il devinait être un puits. Son corps heurta lourdement le sol couvert de piques de bois. Ces derniers transpercèrent une cuisse, un bras et sa poitrine.
Un mécanisme s’enclencha. Une pierre tomba dans le puits. Elle écrasa le crâne de l’inconnu. Le sol trembla puis se retira dans les profondeurs, emportant le corps, et un autre, lisse, le remplaça.
Vendredi 14 mai 2027
Cible : Marzanna, 39 ans, célibataire, noté 10 étoiles sur Larécoltedepoireaux.
Dierick, homme d’une quarantaine d'années, brun, soucieux de son apparence, aimait dire qu’il était bon dans son boulot. Personne ne pouvait l’incriminer. Prudent, il élaborait minutieusement chacun de ses mensonges concernant ses brèves et longues absences qu’il faisait subir à ses proches. Il évitait les bourbiers, et si des pépins arrivaient, il faisait toujours mieux la fois suivante. Le milieu dans lequel il se trouvait était cruel, alors Dierick préférait que sa femme n’ait aucune connaissance de sa profession. Peu de civils savaient qui était leur conjoint ou conjointe. D’ordinaire, les tueurs à gage préféraient préserver l’innocence de leurs partenaires. De plus, une révélation pouvait mal tourner.
Dierick avait préparé le terrain. Il s’était rendu dans l’Yonne prétextant à sa compagne qu’il cherchait un coin parfait pour leurs prochaines vacances. Sa sœur, également dans le business, l’avait rejoint, suite à une demande spéciale de leur employeur. Leur cible vivait dans un patelin au milieu des champs et des prés.
Il était quasiment minuit lorsque la paire arriva à l’entrée d’un sentier. Ils s’étaient à une trentaine de minutes de marche et n’avaient quasiment rien emporté. Au bout de la route de terre se trouvait une belle maison datant du XVème siècle, récemment rénovée par une entreprise du coin. Ils empruntèrent le chemin longeant la demeure jusqu’à un passage où ils enjambèrent un portillon.
Le duo ne faisait qu’un avec la noirceur de la lune. Dans le silence, ils avançaient, évitant les parterres de fleurs et diverses plantes. Ils s’approchèrent d’une fenêtre, évaluèrent les risques, mais au moment de passer à l’acte, une lumière vive apparut. Elle provenait de la baie vitrée. Leur cible apparut, légèrement vêtue, avec un verre de cognac dans la main droite. Marzanna commença à se promener pied nu dans le jardin. Les deux tueurs saisirent l’occasion pour se faufiler à l’intérieur de la maison afin de tendre un piège efficace. Ils passèrent rapidement le salon qui donnait sur une cuisine ouverte, s'engouffrèrent dans un couloir et pénétrèrent dans une pièce.
Dierick ferma la porte. Il inspecta à la lueur de la lune l’intérieur de la salle. Il n’y avait rien, seulement une fenêtre qui donnait sur une partie de jardin. La main de sa sœur s’abattit sur son poignet. Elle le força à regarder ce qui se trouvait à l’extérieur. Son sang se glaça. Quelqu’un les regardait en souriant. Il tourna la tête une fois, et quand ses yeux se posèrent une seconde fois sur la fenêtre, il n’y avait plus rien. Était-ce une hallucination ? Probablement.
— Reste ici, chuchota-t-il à sa sœur, prenant les devants.
Il se faufila sans bruit en dehors de la pièce. Il longea le couloir, esquiva les encombrements dans le passage, le regard rivé sur la lumière éblouissante. Dierick s’arrêta abruptement. Il baissa les yeux. Il ne voyait rien. Pourtant, son pied droit s’était enfoncé. Soudain, le sol se déroba sous ses yeux. Il se mordit la langue pour ravaler son cri de surprise. Il tomba, et une douleur horrible l’envahit. Il leva la tête vers la fente au-dessus de lui, juste à temps pour voir le même visage souriant. Un mécanisme s’enclencha. Un couteau jaillit au niveau de sa gorge. Il s’enfonça une fois, se retira, et recommença jusqu’à ce que Dierick eut respiré une dernière fois.
Frédérique patientait. Son frère était parti depuis une dizaine de minutes. Le nez dans la fente laissée par la porte entrouverte, elle observait le couloir plongé dans l’obscurité. Il n’y avait plus de bruit dans la maison. Sauf que la cible n’avait pas rejoint l’étage, elle en était sûre. Elle supposait que Marzanna était encore dans le jardin. Frédérique n’entendit ce qui surgit dans son dos, ne sentit pas la main qui s’abattit sur sa bouche. Un coup dans ses genoux la força à genoux.
Quelqu’un se mit à rire. Une voix féminine. Chaleureuse. Frédérique devint livide. Le souvenir d’une soirée l’hiver dernier lui revint en mémoire. Une myriade d’hommes et de femmes. De l’alcool à flot. Un terrible accident. Brève apparition de l’assassin. Était-ce… ? Elle ne pût guère finir sa pensée ; son agresseuse lui injecta quelque chose dans le cou. Son monde devint noir.
Samedi 15 mai 2027
Un coup de téléphone dans les alentours de trois heures.
— Bonjour.
— Bonjour madame Poirot. Vos trois caisses sont prêtes à être récupérées.
— Excellent. Virement effectué, au plaisir, madame.
Vers neuf heures et demi, une fourgonnette vint se garer devant sa demeure. Marzanna accueillit deux hommes avec un sourire. Sans un mot, ils se dirigèrent ensemble vers l’accès extérieur de la cave où Marzanna avait entreposé ses caisses. Les deux individus vérifièrent le contenu minutieusement, à l’aide de photos et de documents, puis ils demandèrent à Marzanna de signer électroniquement afin de valider le transport.
Les caisses chargées dans le véhicule, les deux hommes la remercièrent pour son travail et s’en allèrent. De son côté, Marzanna envoya un message crypté.
Destinataire : Mielpoireaux
« Les Langues Mortes seront ravis du prochain paquet. »
— signé par Marzanna.
Pièce-joint : 3 photos.
En réponse, Mielpoireaux lui soumettait une nouvelle demande.
Marzanna n’avait qu’une hâte : recommencer.
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