44 | Écho de l'Ancien Bastion [1]

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D’ordinaire, l’unité de surveillance comptait une trentaine de personnes. Quatre tours — est, ouest, nord, sud — protégeaient la forteresse visible à la surface sur l’un des plateaux de la chaîne de montagnes. La base Tournesol s’étendait dans les profondeurs, et des tunnels creusés au cours du temps rejoignaient des points importants.

Un transfert massif de niveaux — différentes catégories de personnes — était en cours. D’habitude, cela durait deux ou trois jours, et le personnel à la base ne diminuait pas drastiquement. Or, cette fois-ci, les choses changeaient. Cela faisait plus d’une semaine, et il restait quasiment personne pour maintenir une bonne surveillance de la forteresse. Toutefois, tous comptaient sur le système informatique pour les aider dans leur tâche. La plupart des laboratoires étaient scellés. Quelques bureaux étaient fermés. Ils s’organisaient pour patrouiller dans les longs couloirs, vérifier le bon fonctionnement des plans électriques et s’occuper des diverses corvées.

Certains pensaient que c’était de la folie de lire les 76 tomes des Rouages, des livres qui faisaient plus de 1000 pages, et qui aujourd’hui n’avaient plus de réelle importance compte tenu de l’évolution du monde. Caspian ne croyait pas en la supériorité technologique ; les anciens mécanismes maintenaient les vestiges d’époques lointaines en bon état. Elle rêvait de pouvoir tous les étudier un jour, toutefois son statut l’empêchait de pouvoir faire ce qu’elle voulait.

Coincée à un poste de surveillance depuis Mathusalem, Caspian avait envie de changer d’air. Confortablement installée dans un fauteuil, elle dessinait dans un carnet sans vraiment savoir ce qu’elle faisait réellement. Parfois elle jetait un regard vers les écrans suspendus au mur qui montraient les alentours extérieurs de la forteresse. Il n’y avait rien à signaler. Elle posa un fil comme marque-page sur son cahier, ferma celui-ci et le rangea dans un sac à dos. Un coup d’œil vers le cadran numérique lui indiqua que la journée allait être longue.

— Bizarre, pensa-t-elle à haute voix.

Elle se redressa, s’étira les bras pendant quelques minutes avant de décider à se lever. Elle ferma ses yeux se concentrant sur la boule d’énergie au sein d’elle afin de l’étendre sur un rayon de plusieurs kilomètres autour de la base. Elle sentit la présence de ses sept autres camarades. Caspian cligna ; une aura inconnue capta son attention.

— Rapide, en mouvement constant… Merde. Encore cinq minutes avant que ça pénètre le bouclier.

S’installant à sa place de nouveau, elle pianota sur l’ordinateur afin de régler correctement les caméras et enclencha le protocole d’urgence. Son esprit s’en alla ailleurs un temps.

— Putain, on n’a vraiment pas besoin de ça, marmonna t-elle, suivant le mouvement de sa cible avec précision.

*

Niveau 41. Surnom : La pinte épicée. 23 ans. Edolas raya un mot sur sa liste à l’aide d’un feutre vert. Liste qui n’en finissait jamais ; il préférait largement la présence du reste de son équipe habituelle, au lieu de se taper toutes les tâches d’entretien et de maintenance de la zone Est. Il passa une main sur le front. Il était en nage. Il tourna la tête vers un cadran numérique incrusté dans un mur. 7 h 15. Il poussa un long soupir. Ce transfert, bien trop lent à son goût, commençait à lui taper sur le système. Ils étaient en sous-effectif pour un tel boulot. Il vérifia son travail pendant quelques minutes, rangea ses outils et se redressa. Il se dirigea vers sa prochaine station. Edolas constata que les lumières avaient besoin d’être changées ; elles clignaient toutes les trois minutes.

— La pinte épicée ! tonna une voix au loin, le forçant à s’arrêter.

Edolas se tourna. Il esquiva un sourire.

— Oh putain, un hybride ! Ça fait Mathusalem que je n’ai pas entendu quelqu’un !

— Grave, je vois pas le bout là. Quand sont-ils de retour ? fit l’autre en arrivant à sa hauteur.

— Aucune idée, meuf. T’as l’air morte-là.

— J’ai pas fermé l’œil de la nuit. Enfin, je ne me plains pas. Caspian se tape toute la surveillance côté sud. Comment fait-elle pour ne pas canner ?

— Aucune idée, Lisa.

Niveau 41. Surnom : Lisons-la-Rouille. 24 ans. Jeune femme de taille moyenne, cheveux courts blonds rayonnant comme le soleil d’Apollon, yeux bleus.

— Tu sais jamais rien, mais je t’en veux pas. Bon, sinon, je voulais te causer à propos d’un truc, dit Lisa en sortant un boîtier de son sac à dos.

— Vas-y, dis moi.

— Je suis allée à la surface pour patrouiller. Je ne sais pas si je psychote… Tout avait l’air normal jusqu’à ce que j’arrive aux portes principales. Elles se sont scellées d’elles-mêmes. Ce qui veut dire que quelque chose ou quelqu’un a essayé de forcer leur ouverture.

— C’est peut-être un bug, comme pour l’accident 71.

— Non, non. L’accident 71, on ne sait pas tout dessus. Les sup’ n’ont rien voulu dire quand j’ai demandé la dernière fois, donc il y a forcément une couille dans la version officielle. Je me disais que tu pourrais jeter un œil au système de verrouillage des portes.

— Ça peut être une bonne idée, réfléchit Edolas à haute voix. Juste, on notifie tout le monde avant d’y aller.

— Ouais, pas de problème. Vaut mieux. Putain de transfert à la noix.

Lisa attrapa son téléphone rangé dans l’une des poches de sa veste. Elle envoya une courte phrase dans la messagerie cryptée qu’ils partageaient avec le reste de l’équipe. Edolas se contenta d’informer ses camarades de ses récentes vérifications avant de se diriger vers l’un des escaliers.

— Reçu, marmonna Lisa avant de s’arrêter au milieu des marches.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Caspian nous demande d’être prudent. Un avion inconnu survole la zone.

— Merde, pesta Edolas.

— Dépêchons-nous.

Hélas, pas d’ascenseur, alors ils devaient se coltiner la dizaine d’étages à monter.

Un code devait être rentré afin de déverrouiller la porte menant à la surface. Cela faisait par le biais d’un rouage ancien que tout enfant apprenait assez tôt dans le cadre d’une évacuation d’urgence. L’entrée débouchait sur une pièce circulaire, et celle-ci était le centre même de la forteresse. Chacun des accès conduisait à une aile spécifique, tous surveillés à l’intérieur et à l’extérieur par des caméras de dernières générations.

— C’est par où ? questionna Edolas.

— T’es jamais monté à la surface ? dit Lisa, surprise.

— Jamais. On est toujours passé par un accès différent.

— Ah ouais. C’est la porte juste devant nous, les quatres autres mènent au reste de la forteresse.

— C’est pas un peu juste comme sécurité ?

— C’est la question que j’ai demandé à la Cheffe quand je suis venue pour la première fois. Elle m’a ri au nez et a refusé de m’expliquer le pourquoi du comment.

— Chelou, commenta Edolas, se frottant le front.

— Derrière la porte, nous devrons arpenter un long couloir où toute présence étrangère peut déclencher le système de sécurité. Au bout de celui-ci, nous nous retrouverons face à un carrefour et.. Bon, là, j’ai besoin de Caspian pour expliquer son fonctionnement. Bref, quelques droites et gauches sont nécessaires pour arriver aux fameuses portes, expliqua très rapidement Lisa.

— D’accord…

Edolas consulta son téléphone. Caspian continuait de donner des nouvelles ; elle enclenchait des mesures de sécurité pour contrer, sinon retarder, l’arrivée de l’ennemi à la base, comme par exemple l’armement des tourelles et des bastions dissimulés un peu partout autour de la forteresse sur la chaîne de montagnes.

— T’entends ? questionna Lisa au bout de quelques minutes de marche.

— Quoi ?

— J’entends des voix.

Edolas grimaça. Il échangea un regard inquiet avec Lisa. Son estomac se noua d’incertitude. Il envoya une demande particulière dans la messagerie privée, celle de regarder les caméras à la surface, notamment celles de l’entrée. Il doutait que cela soit quelqu’un qu’ils connaissaient. Si c’était un membre du clan, celui-ci aurait prévenu de l’une des trois manières que tout le monde connaissait. Au détour d’un couloir, Lisa crût voir une tête inconnue passée d’un couloir à un autre. Ils se plantèrent dans celui par lequel ils étaient venus. Ils se regardèrent longuement avant de tendre l’oreille. Des sons étrangers leur parvenaient. Petit à petit, ils se rapprochaient. Edolas et Lisa se figèrent en entendant une langue peu commune à leur pays, signe que leurs visiteurs n’étaient pas des amis.

Par chance, ou plutôt grâce à leur éducation diversifiée, ils la comprenaient sans le moindre effort. Edolas décida d’enregistrer la conversation et de la diffuser sur la messagerie privée. Lisa porta une main à sa ceinture où elle y avait dissimulé un poignard.

Un homme d’une trentaine d’années discutait avec deux de ses subordonnés. Cet individu sonnait arrogant, respirait la cruauté et commandait l’attention :

— C’est ici que nous trouverons l’artefact. Il est, comme vous le savez, essentiel à notre prochaine action. Nous avons peu de temps avant que ces dorschip* nous repèrent. Il faut être rapide et concis.

— Que faisons-nous s’il reste des gens ?

— Les tuer évidemment, Beaucul. Tu te chargeras du système de cette base.

— Boss, c’est probablement pas-

— Beaucul, ferme ta gueule. Si tu ne réussis pas, je te refourgue au Maniaque et ton cul servira de fourreau cadavérique. C’est clair ?

— Oui boss !

— Active-toi alors.

Edolas entendit des pas s’éloigner.

— Bon, maintenant que ce con est parti, parlons de ce que nous allons faire. Mauvaisefoi, tu t’occuperas de l’autre gamine et tu lui feras cracher le morceau sur le Diamant boisé. Quand t’as la réponse, tu sais ce qu’il faut faire.

— Oui boss.

— Envoie des subordonnés piller chacune des pièces de cette base.

— Cela va prendre du temps.

— Relax, ma belle. Ces dorschip* ne pourront rien faire lorsqu’on aura actionné le plan Magnificence.

— Très bien, boss. Et vous ?

— Je vais chercher la salle aux trésors, évidemment.

Le silence revint pendant quelques secondes. Un cri retentit abruptement. Le chef de l’ennemi ravala une insulte et s’éloigna dans sa direction, vite suivie par sa subordonnée. Edolas, coupant l’enregistrement, échangea un regard avec sa camarade. Ils décidèrent sans un mot de revenir sur leurs pas. Ils marchèrent à pas feutrés en direction du souterrain faisant attention à ce que personne n’arrive dans leur dos. Ils verrouillèrent les accès sur leur passage afin de mettre des bâtons dans les roues de leurs envahisseurs.

Un message arriva : « Réunion. »

*

La tasse, encore pleine, n’avait pas bougé depuis trois jours. Le café froid dégoûtait Boras. Il ordonna sèchement à sa collègue d’aller se rafraîchir pendant qu’il prenait place à son poste. Cela ne prendrait que deux heures, le temps qu’elle prenne une douche, qu’elle fasse une sieste et qu’elle avale un morceau. Il s’assura qu’elle quitte bien la salle de surveillance avant de jeter l’ignoble boisson dans l’évier d’une pièce adjacente. Il se servit un bon thé noir avant de retourner à sa place. Un coup d’œil vers le bureau de sa partenaire de boulot lui indiqua qu’elle avait été très occupée ces dernières heures. En sous-effectif, Boras ainsi que sa collègue s’occupaient de la surveillance de la base Tournesol, comme celle-ci fonctionnait à peine dû à une opération d’une grande envergure.

Boras sirota son thé en silence. Il consulta ses mails pendant une dizaine de minutes. Rien d’urgent. Il se servit d’un nouveau thé par la suite. Il répondit calmement à ses courriels. Il nota rien d’anormal sur son écran de contrôle. Il bailla ; et s’il dormait un peu ? Avant qu’il décide d’obtempérer sur sa pensée, sa collègue revint à son bureau. Nouvelle tenue, douchée, avec deux plateaux repas. Elle en posa un à côté de lui. Boras la remercia avec un sourire.

— Tu aurais pu faire une sieste, dit-il au bout de quelques minutes.

— Pas le temps, mon cher. On a un problème.

— Lequel ?

— Tournesol ne répond plus.

— …Merde.

— Oui.

— Sur une échelle de 1 à 10 ?

— 110.

— … Putain.

— Oui.

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