49 | Meurtre à Lutèce

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Quelqu’un entra à l’intérieur du foyer commun. Une femme qui ne connaissait pas les bienfaits de la douche, semblait-il. Elle se posa au bar, à quelques mètres et s’adressa sans attendre à Jeanne sur un ton fatigué :

— Une choppe de bière et un tarot, s’il vous plaît.

J’esquissai un sourire, toutefois je gardai le regard plongé dans mon verre. Si quelqu’un souhaitait louer mes services, il fallait user de la carte du tarot pour le spécifier. La tavernière accepta l’ordre sans un mot, remplissant l’une de ces larges boissons qui faisaient la renommée de l’Auberge de la Défense.

— Et le tarot ?

Où j’allais, le travail ne manquait pas. Père avait raison à ce sujet-là. Mon nom se propageait déjà à travers Lutèce comme une traînée de poudre. Les gens le murmuraient avec crainte et respect parce que, contrairement aux rumeurs frauduleuses qui circulaient à mon sujet, je ne m’en prenais pas aux innocents. Dans le sud est, où la seigneurie de Cannes débutait à peine, on me surnommait la Mer Silencieuse. Et ce surnom venait en partie à cause de Mère ; elle disait qu’elle m’avait récupéré lors d’une journée à la plage, que la mer m’avait déposé sur le sable. Père appuyait ses dires à chaque fois que je tentais de chercher la vérité.

Dans le sud ouest, on m’avait donné un autre sobriquet, un peu mystérieux : la Mort Muette. Cela était arrivé suite à une demande réalisée dans un hameau du littoral. Un homme, le cœur en miette, seul avec un nouveau-né, s’était présenté à moi avec la volonté de rendre justice à sa défunte épouse. Or, ce n’était pas elle qui était morte, mais plutôt sa jumelle. Malgré cette information, j’avais accompli mon devoir. En posant mes quartiers d’hiver dans le nord ouest, sur le Mont des Michelloises, j’avais décidé de publier un livre sous un nom de plume qui, plus tard sans que je ne sache comment, était devenu une partie de ma réputation.

La voix de Jeanne interrompit ma réflexion :

— C’est trois bourses.

— On m’a dit…

— Tout dépend de ta classe sociale, ma poulette.

L’inconnue n’en était pas une. Son nom tournait en boucle à Lutèce depuis son arrivée la semaine dernière. Elle appartenait à un mouvement qui souhaitait briser la paix instaurée par les deux clans gouvernants de la Corse. Certains l’appelaient Louise la Téméraire. Elle avait un frère et celui-ci, était Louis le Fou. Je ne savais pas qui était le pire entre ces deux là.

— Vraiment ? (Elle soupira) Voici.

— Merci, ma poulette, dit Jeanne avant d’ajouter plus bas. Si tu as besoin d’un peu de temps dans les bras d’Asmodée, n’hésite pas.

— Trois de plus, annonça une voix masculine.

Je me tournais légèrement vers le nouveau venu. Louis le mégalo était finalement ici. Celui-ci était vraiment le portrait craché de son oncle, une précédente cible que j’avais eu le plaisir d’éliminer durant mon passage à Autussiodurum. Son avarice m’irritait. La fratrie nouvellement réunie commença à parler fort. Je fis un signe discret à Jeanne.

— Où peut-on rencontrer le tueur ? questionna Louis après avoir commandé un picon de bière.

Supposait-il que je fus un homme ? Je subodorais qu’il n’était guère d’une grande intelligence, contrairement à son oncle. Voilà donc la différence entre ces deux hommes.

Les autres clients désertaient peu à peu les tables et la scène. Mes camarades aimaient se prendre au jeu du théâtre. Cela leur permettait d’améliorer leurs compétences sans avoir à faire quoique ce soit. Jeanne demeurait au bar ; elle nettoyait machinalement un verre, le regard rivé sur les deux voyageurs, et elle répondait à leurs questions sans donner la moindre information utile. Je me délectais de leur frustration. Aucun des deux ne savaient ce qu’il se passait réellement. Ils espéraient m’employer pour un sale boulot. Ils n’avaient sans doute jamais entendu parler de mes règles d’or. De plus, ils n’avaient pas connaissance que quelqu’un m’avait déjà soumis une demande.

Le plan se déroulait à merveille. Jeanne me regarda brièvement. Je lui indiquai de partir de la pièce.

— Tiens, bizarre… souffla la femme, balayant son environnement d’un regard curieux.

— Quoi donc ? s’enquit son frère.

— Je croyais que nous étions bien plus.

— Ces bouseux sont sûrement partis se coucher.

Ni l’un ni l’autre n’y voyaient un problème. Un rire sans son s’échappa de ma gorge. Je me levai alors. Ma main se posa sur le manche de mon épée. Toutefois, je décidai de me servir d’abord d’une dague. Louis se retourna dans ma direction, dégainant un long katana japonais. Il me cracha au visage quelques insultes en corse. Sa sœur exigea qui était le commanditaire de cette attaque.

À ce stade, ils devraient savoir qui j’étais, mais hélas je ne pouvais pas compter sur leur intelligence. Louise sortit une arme à feu, l’une des reliques retrouvées un siècle après la Chute, arborant un sourire plein d’arrogance. Comme si ça me faisait peur. Une balle fusa. J’esquivai en me baissant, envoyai un coup de genoux dans la partie intime de mon adversaire et balayai son katana d’un revers de dague. L’arme se logea de l’autre côté de la salle sous une table. Louise la Téméraire me tira une nouvelle fois dessus. Encore une fois, elle ne me toucha pas.

La fratrie ne combattait pas ensemble. Je sautai sur la sœur lorsqu’elle n’eut plus de projectiles à me lancer et coupai d’un geste précis son poignet droit. J’appréciais l’horreur peindre ses pupilles. Et encore plus son cri. Une lueur étonnée commençait tout juste à la traverser. Se doutait-elle de l’identité de la personne qui m’avait engagé ? Néanmoins, jamais elle n’aurait le temps d’éprouver la moindre émotion ; mon épée transperça son cœur. J’abandonnai l’arme sur son cadavre lorsque je sentis son frère se ruer sur moi.

— Tu… Vai à fà ti inculà, assassin de merde !

Va te faire enculer’ en corse. Original.

Louis le Fou voulut me donner un coup de poing mais il était aussi rapide qu’un escargot. J’attrapai son coude, le retournait derrière son dos et l’obligeait à se mettre à genoux. J’enfonçai la dague dans son dos évitant soigneusement un organe vital. Je la retirai quelques secondes plus tard et m’éloignai de lui. Dans ce genre de situation, il ne fallait pas trop s’impatienter. Le commanditaire de cet assassinat m’avait expressément demandé de lui laisser l’opportunité de parler à cet homme avant son exécution.

Ainsi, Jeanne revint, accompagnée d’une adolescente qui provenait des terres nord du Corse. Celle-ci arborait un seul œil, à jamais borgne pour le crime d’avoir refusé l’avance d’un homme tel que la vermine à mes pieds. Ma cliente m’avait fourni les grandes lignes de son malheur. Je réservais un sort cruel à ce genre de personnages.

Ma victime semblait se décomposer à la vue de celle qu’il avait violenté avant de la laisser pour morte. Cette dernière lui sourit puis se retira en compagnie de Jeanne.

— Non… Attendez ! se mit à supplier Louis.

J’abaissai ma capuche, et il croisa mon regard. Il devint aussi hâve qu’un cadavre. Ses supplications augmentèrent d’une intensité nouvelle. Je lui attachai les mains avec une chaîne. Demeurant sourde à ses paroles, je le traînai loin de la salle en direction de la Salle aux Corbeaux, là où Lutèce condamnait ceux qui le méritaient.

Dehors, je le déposai sur le cul de mon vélobois et je pédalai trois rues plus loin. À l’entrée de l’Arène Rouge, on vint me porter assistance avec le nouveau acteur de la pièce de théâtre intitulée Le chant des Corbeaux mangeurs de chair. L’homme, Louis qui n’était plus si mégalo que ça, se débattait comme un sauvage ayant réalisé dans quel enfer il s’apprêtait à entrer. Des employés le préparèrent rapidement à la potence.

Dépouillé de ce qu’il possédait autrefois, aspergé d’une substance que les corbeaux raffolaient, il se trouvait désormais solidement attaché à un poteau.

La cage se referma. Une porte s’ouvrit. Le bruit de battements d’ailes me parvint. Puis, les hurlements commencèrent. Tonitruants. Quand le silence revint, que la mort se prononça, je délaissai ma position pour retourner à l’Auberge de la Défense.

Après tout, Jeanne m’avait proposé une nuit dans ses bras.

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