70. Les restos du Joli Coeur

7 minutes de lecture

Hugo

Je referme l’écran de mon ordinateur portable en voyant qu’il va être l’heure pour moi d’aller faire mon bénévolat aux Restos du Cœur. Comme ces derniers jours, je me suis occupé l’esprit avec les vidéos d’apprentissage de la langue des signes. J’ai vraiment l’impression de progresser avec cette méthode, surtout que je ne fais que ça, dès que je me retrouve chez moi. C’est fou comme ça me permet de m’évader de mon quotidien qui n’est vraiment pas gai en ce moment. Je crois en effet que je suis en pleine dépression, je n’arrive pas à remonter la pente depuis cette soirée où Oriane m’a dit qu’il fallait qu’on arrête. Oh, je pense que j’arrive à donner le change au boulot, mais sur scène, j’ai du mal à m’y mettre vraiment et Natalia râle. Enfin râlait. J'imagine que David a dû lui parler car elle s’est calmée sur les critiques et elle essaie plutôt de jouer à la confidente pendant les entraînements, ce que je n’ai pas envie de faire. Je reste avec ma tristesse en moi parce que de toute façon, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. C’est moi qui ai fait des avances à une femme mariée. C’est moi qui l’ai poussée en dehors du droit chemin. Qu’elle y soit revenue n’a rien de surprenant.

Ne voulant pas arriver trop tôt à l’entrepôt des Restos, je me décide à y aller à pied. Je marche beaucoup en ce moment. J’ai vu que ça avait deux effets positifs. Le premier, c’est que quand je déambule comme ça dans les rues, j’arrive à penser à autre chose. Le second, c’est que ça me fatigue physiquement et que ça m’aide à mieux dormir. Enfin, dormir est un bien grand mot. Je n’ai pas fait une nuit complète depuis que je ne peux plus partager le lit de mon amante. Je suis comme un enfant à qui on a retiré son doudou. Il va finir par savoir s’en passer, mais il faut un peu de temps.

Sur le chemin, j’appelle mes parents. Je ne suis pas allé les voir depuis la terrible annonce que m’a faite la jolie brune et ils s’inquiètent un peu, mais je préfère qu’ils ne me voient pas dans cet état. Ils me connaissent tellement bien que j’ai peu de chance d’éviter à avoir à leur parler de mes chagrins d’amour.

— Salut Maman. Vous allez bien ?

J’essaie de prendre un air enjoué, même si le cœur n’y est pas vraiment. Je ne veux absolument pas les inquiéter et leur faire comprendre que j’ai rechuté, comme après le décès de Valérie.

— Bonjour mon grand. C'est à toi qu'il faut poser la question, tu désertes la maison ! Tout va bien ?

— Oui, oui, ça va. J’ai eu un petit virus, je crois, mais ça va mieux, là. Si vous voulez, je passerai ce weekend. Vous avez fait quoi de beau ces derniers jours ?

— Un virus qui te fait aller bosser mais pas venir voir tes parents ?

— Ne t’inquiète pas, Maman. Tu… tu me connais trop bien, mais tu vois, ça va mieux, là. Je serai là samedi et, si vous voulez, je peux même rester dormir. Je n’ai pas de spectacle samedi soir.

— Est-ce que tu es sûr que tout va bien, Hugo ? Mon instinct de mère est aux abois, là. Faut-il que je donne des coups de poêle à quelqu'un ?

— Non, non, il n’y a plus personne à qui donner des coups. Tout va bien, je serai là samedi, d’accord ?

— D'accord… J'espère que tu seras plus convaincant samedi, parce que ça n'est pas le cas aujourd'hui. Et il y a toujours quelqu'un qui mérite un coup de poêle dans ce monde, et pourtant je ne suis pas violente.

— Bonne fin de journée, je te laisse, j’arrive aux Restos, là.

Je l’embrasse et raccroche et me demande si c’était une bonne idée de l’appeler si rapidement après cette nouvelle séparation pour moi. Mais bon, je dois me faire violence, me relancer dans ma vie et je pense que ça me fera du bien de passer les voir. Je sens bien qu’un gâteau au chocolat va m’attendre et rien que pour ça, ça vaut le coup d’y aller, non ?

Je salue Rebecca qui m’accueille avec son grand sourire habituel et essaie de faire bonne figure.

— Aujourd’hui, je vais me mettre aux stocks, si tu veux bien, lui dis-je en me dirigeant rapidement vers l’arrière du magasin.

— Un souci, Hugo ? OK pour que tu sois à l’arrière, mais… tu vas bien ? Tu as une petite mine.

— Ça pourrait aller mieux, mais j’ai pas trop envie de voir du monde, aujourd’hui. Et si je peux me rendre utile à tout ranger derrière, je préfère.

— Si tu as besoin de discuter, tu sais où me trouver. Ou je peux aussi venir à l’arrière, sourit-elle en me faisant un clin d’œil.

Je lui réponds par un sourire et me mets à l’ouvrage. Cela fait du bien de déplacer des cartons, de ranger et classer les produits. Ce n’est pas très intellectuel mais ça occupe bien quand même. Je ne vois pas le temps passer et suis surpris quand Rebecca revient me voir.

— Madame Martin est déçue de ne pas t’avoir vu faire ton petit tour dans le magasin pour la saluer…

— Eh bien, j’irai la voir la semaine prochaine, soupiré-je. Elle survivra. Tu as besoin de moi au magasin ?

— Non, je vais me débrouiller, mais je me demandais si tu étais toujours vivant, là-dedans. Ne pas te voir sortir d’ici n’est pas normal.

— Disons que je n’ai pas trop le moral en ce moment. Ça me fait du bien d’être dans mon coin.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Je suis sûre que tu as évité la vieille Martin parce qu’elle t’aurait tiré les vers du nez, rit-elle.

— Peut-être, oui.

Je lui souris car je vois qu’elle essaie de me dérider et continue.

— Disons que j’ai une petite peine de cœur, mais ça va mieux. Ça me fait vraiment plaisir d’être ici et ça ira de mieux en mieux.

— Eh bien… Elle est bien bête, celle qui te fait du mal. Tu ne devrais pas te mettre dans cet état pour une fille, surtout que je suis sûre que tu pourrais avoir qui tu veux dans ton lit.

— Oui, peut-être, mais tu sais, les sentiments, ça ne se commande pas. Je ne suis pas le genre de mec qui enchaîne les conquêtes, tu as dû le remarquer.

— Oui, j’ai vu ça, sourit-elle. Est-ce que ça te tente de m’accompagner à une soirée, ce soir ? En tout bien, tout honneur, évidemment. C’est un petit barbecue entre amis. On passe la soirée à papoter, à jouer au billard, aux fléchettes, à profiter de la piscine. Rien de dingue, mais ça me fait toujours du bien quand j’ai un coup de mou, moi. Et puis, je suis sûre que tu t’entendrais bien avec mon frangin.

— Je ne sais pas, Rébecca. Je crois que je risquerais de plomber l’ambiance et de gâcher votre soirée.

— Mais non ! Mon frère vient de divorcer, je peux t’assurer qu’il s’en chargera lui-même, pouffe Rebecca. Allez, viens ! Au pire, si ça ne te plaît pas, tu pars et puis c’est tout. Tu ne peux pas passer ton temps à te morfondre, Hugo.

J’hésite vraiment et entends ce qu’elle me dit. Je suis tenté d’accepter sa proposition, ne serait-ce que pour voir de nouvelles têtes et me changer les idées, mais est-ce que je suis prêt à ça ? Voir du monde ? Parler, discuter, me faire draguer, voire flirter ? Je ne crois pas. Est-ce que je suis le champion des mauvaises idées ? Oui, assurément.

— Ecoute, pourquoi pas… Tu me surveilleras et si je suis trop lourd ou trop chiant, tu me le diras.

En voyant son sourire, je me demande si elle ne commence pas déjà à se faire des idées sur un éventuel double sens de mes propos et si elle ne va pas considérer ça comme une porte ouverte pour tenter sa chance avec moi.

— Promis. Si tu commences à plomber l’ambiance, je te pousse dans la piscine !

— Tu n’oserais pas ! Tu ne sais pas ce dont je suis capable pour me venger si tu me fais ça !

— J’ai hâte de le découvrir, si ça te fait à nouveau sourire et que ça te change les idées, me provoque-t-elle en faisant danser ses sourcils, la moue taquine.

Je baisse les yeux vers elle et, une nouvelle fois, je me dis qu’elle est pas mal, comme femme. Je ne comprends pas qu’elle n’ait toujours pas de petit copain et me demande si je devrais essayer de me rapprocher d’elle pour me changer les idées, comme elle dit. Je suis sûr qu’elle ne refuserait pas si je lui proposais, mais est-ce vraiment sain d’envisager une relation comme ça avec elle ?

— Eh bien, je crois que le challenge est lancé, non ? Ton objectif, ce soir, ce sera de me faire sourire et me faire tomber dans l’eau. Et moi, de réussir à m’amuser un peu. Beau programme en perspective.

— Super, j’adore ce programme ! Je suis contente, j’ai réussi à te dérider !

En parlant, elle s’est rapprochée de moi et je suis surpris quand elle se permet de me déposer un petit bisou sur la joue, après avoir caressé rapidement ma barbe que j’entretiens un peu moins bien depuis ces derniers jours. Elle se retourne et part presque en courant vers le magasin. Je ne peux que la regarder s’éloigner et reste un instant immobile. Je ne sais pas ce qu’il va se passer ce soir, j’espère passer un bon moment, mais ce que je réalise tout à coup, c’est que déjà un petit miracle s’est produit. Non seulement, j’ai passé quelques minutes sans penser à Oriane, mais j’ai en plus envisagé quelque chose avec une autre femme. Bon, je n’ai aucun désir et aucune envie de conclure quoi que ce soit avec elle, mais quand même, c’est un bon signe, non ? Je vais mieux, n’est-ce pas ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0