73. La fin des sacrifices ?

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Oriane

Mes samedis ont toujours été plus ou moins réglés à la minute près. Robin étant chez les parents de Louis, je profite du début de matinée pour aller au marché, puis prépare le déjeuner pour accueillir Monsieur et Madame Rosenthal, père et mère. Le petit homme de ma vie rentre à la maison, Louis aussi pour le déjeuner, nous mangeons dans une ambiance… guindée.

Quand nous avons commencé ce petit manège, Robin avait à peine un an. Louis et moi ne sortions plus à deux, il en avait marre, alors il a proposé à ses parents d’accueillir notre fils pour la nuit du vendredi, nous permettant d’aller au cinéma en couple, au restaurant, de voir des amis. Le samedi matin, nous faisions une petite grasse matinée, profitions d’un réveil câlin, avant de recevoir ses parents. Au début, ça me plaisait. Moi qui n’ai jamais connu les repas de famille, l’ambiance chaleureuse et la bienveillance parentale. Bon, j’ai vite déchanté avec mes beaux-parents, j’en conviens.

Et c’est encore pire ce midi. Oui, parce que ses parents sont les confidents préférés de Louis. Il n’y a bien qu’avec eux qu’il ne tente pas de maintenir les apparences. Il aurait pu discuter de nos problèmes de couple avec Vianney ou Etienne, dont il est proche, mais non, il a fallu qu’il pleurniche dans les jupons de sa mère. Ô joie. Elle qui ne m’appréciait déjà pas vraiment… Je suis passée sur liste noire.

Aussi, quand ils quittent enfin la maison en milieu d’après-midi, je soupire de soulagement et me dépêche de ranger la cuisine, aidée par Robin qui a hâte de pouvoir aller se défouler dans la cour.

Mon soulagement est bref, puisque Louis revient dans la maison, se pose sur un tabouret et ouvre son ordinateur. Évidemment, j’ai encore cuisiné pour ses parents, je range et lui fait… comme d’habitude. Bref, je m’en fiche, pendant ce temps là, il ne me reluque pas comme s’il voulait me dévorer, ne me fait pas son air de chien battu parce qu’il est en manque de sexe, et ne minaude pas comme une adolescente romantique et énamourée.

Oui, je suis horrible, je sais… et je déteste ça. Mais je n’y peux rien, chacune de ses tentatives me met profondément mal à l’aise.

— Rachel est rentrée de son déplacement pro, elle m’a proposé d’aller boire un verre cet après-midi, ça te dérange si je sors deux petites heures ?

— Ah non, cet après-midi, ce n’est pas possible, je dois passer au boulot, j’ai donné un rendez-vous à une cliente. Tu iras la voir demain, ta copine.

Chassez le naturel, il revient au galop. Un samedi après-midi au boulot ? Pas comme s’il y était ce matin, au motif que Robin était chez ses parents.

— On est samedi, Louis… Je croyais que tu évitais le boulot l’après-midi ?

— Eh bien, là, je n’ai pas pu faire autrement, répond-il agacé. C’est la première fois que ça m’arrive depuis des semaines, ce n’est pas si grave que ça ! Ta copine peut attendre demain, non ?

Oh oui, Rachel pourrait attendre demain. Moi, en revanche, j’étouffe ici.

— Très bien. Alors tu n’auras qu’à bosser les samedis après-midis, maintenant, mais il te faudra rester à la maison le matin, tu auras un repas à préparer pour tes parents. Bobonne en a sa claque d’être à ta disposition, cinglé-je en lui lançant le torchon avec lequel j’essuyais la vaisselle. Tu vois, ça recommence déjà. Toi et toujours toi. Tes parents, ton boulot, tes envies. Ça a commencé comme ça aussi, une fois de temps en temps, avant que ce soit toutes les semaines.

Il relève les yeux de son ordinateur et comprend immédiatement qu’il a merdé. Il se lève et s’approche de moi avec un air de chien battu qui me ferait rire s’il n’était pas aussi désolant.

— Ne t’emporte pas, Chérie, dit-il d’une voix doucereuse qui me hérisse le poil… Je… je vais m’arranger et trouver une solution. Je suis désolé, je pensais vraiment que tu avais dit que tu serais là, cet après-midi, sinon je n’aurais jamais pris ce rendez-vous… Je... je vais les appeler pour reporter le rendez-vous à la semaine prochaine. Laisse-moi une dizaine de minutes et ça devrait être bon. Tu pourras aller voir Rachel et rester le temps que tu veux. Tu as raison, il ne faut pas que je reprenne de mauvaises habitudes. Je suis vraiment désolé.

J’acquiesce et lui tourne le dos pour ranger les plats. Je sais qu’il faut que je fasse des efforts, mais parfois, ça sort tout seul. Là, pour le coup, après plusieurs heures à supporter ses vieux, mon niveau de tolérance était largement atteint.

— A quelle heure est prévu ton rendez-vous ? soupiré-je.

— Je t’ai dit que j’allais l’annuler, me répond-il doucement. Et… pour me faire pardonner, ce soir, je te propose un petit repas aux chandelles. Je vais commander à manger au traiteur et on pourra passer la soirée à deux, en amoureux, comme avant, une fois que Robin sera couché. Ça te dit ?

Merde, il va retourner la situation à son avantage, là. D’ici à ce qu’il ouvre une bouteille de vin et me fasse boire pour me détendre…

— Si tu veux, soufflé-je. Dépêche-toi de passer ton coup de fil, je suis déjà en retard.

Oui, réponse un peu froide… Je m’en veux un peu alors que je monte me changer, mais… fait suer, il repart déjà dans ses travers et ça m’agace. J’ai l’impression que je vais devoir jouer la vilaine épouse toute ma vie, que ses efforts n’ont rien de naturel ou qu’il ne comprend pas pourquoi il les fait.

Je repasse une tête dans la cuisine une fois prête pour m’assurer que tout est OK pour lui puis file embrasser Robin avant de foncer dans les ruelles d’Honfleur, les nerfs en pelote. Chaque jour me semble être une montagne à gravir, à la maison, je suis totalement paumée et je déteste ça. Robin va mieux, il est plus souriant, plus épanoui aussi et je le surprends parfois à nous observer, son père et moi. Mais j’ai du mal à m’y faire, comme si plus rien n’était naturel entre Louis et moi.

Quand j’arrive sur le port, je ronchonne face à la masse de touristes qui grouillent dans la rue et me faufile comme je peux jusqu’à la terrasse du café où Rachel m’attend, non sans jeter un coup d’œil à l’immeuble où vit Hugo. J’y peux rien, je n’ai pas le contrôle sur mes yeux ou mes pensées, encore moins en ce moment.

— Salut, désolée pour le retard, soupiré-je en me laissant tomber sur la chaise vide. Louis commence déjà à faire des siennes.

— Salut, tu as ta tête des mauvais jours, toi, dis donc. Pour Louis, ce n’est pas étonnant, si ? Tu as cédé et tu couches à nouveau avec lui ? Parce que s’il a ce qu’il veut, il risque de ne plus faire d’efforts, le connaissant.

— Je ne me suis jamais forcée à coucher si je n’en avais pas envie, et autant te dire que sa moue de chien battu ne me fait pas envie du tout, marmonné-je. Je crois que j’ai encore beaucoup trop de rancœurs pour le laisser me toucher…

— Purée, tu es forte, quand même ! Tout ce temps et tu résistes ! Tu n’es pas trop frustrée ? Moi, je ne pourrais pas résister aussi longtemps, je crois. Il a fait quoi aujourd’hui, pour que tu sois énervée comme ça ?

— Il a bossé ce matin, et il comptait y retourner cet aprem. Encore… Je me tape ses parents qui tirent la tronche parce que j’ai osé remettre en question le comportement de leur fils, je leur fais à manger alors que Monsieur débarque et met les pieds sous la table, et il comptait encore retourner bosser ! C’est insupportable, Rach, je… j’en viens à être méchante avec lui et je déteste ça. Ce qui me frustre, c’est qu’il ne pense qu’à lui, qu’il privilégie sa vie quand moi je…

Wow, j’ai la voix qui déraille et la gorge qui se noue. Magnifique, je vais me mettre à pleurer comme une gosse et je déteste ça. C’est pourtant la triste réalité de ma vie, ces derniers temps. Je suis malheureuse, je crois.

— Moi, j’ai sacrifié un truc qui me tenait à cœur et me rendait heureuse pour tenter de sauver notre couple, soufflé-je.

— Tu aurais mieux fait de ne pas le sacrifier, au final. Parce que là, tu perds sur tous les plans. Franchement, à ta place, je me demande si tu ne devrais pas reprendre ta relation avec Hugo. Ou avec un autre, finalement. Tu sais, tu aurais un amant, ça t’aiderait peut-être à avoir plus de patience pour sauver ton couple. Tu ne serais plus frustrée sexuellement, quand ton mari t’énerve trop, tu penses à ton amant ou tu vas le retrouver. Tu devrais sérieusement y réfléchir, ma Puce. Attends, je vais retrouver l’article qui en parlait, ajoute-t-elle en faisant défiler des pages sur son téléphone. Oui, voilà, c’est ça. Bon, je ne garantis pas la source, mais tu vois, cette page recense tous les avantages d’avoir un amant. Ça aide à reprendre confiance en soi, ça permet une sexualité épanouie, ça met du piquant, et tu vois, la liste des inconvénients n’est pas si longue que ça. Je vais te l’envoyer, tu pourras le relire quand tu auras le temps.

Elle continue à regarder son téléphone puis sourit avant de me jeter un regard triomphal.

— Tada ! C’est confirmé, il faut que tu renoues avec Hugo. Même Cosmopolitan le dit : les barbus sont les meilleurs amants !

Je pouffe en lui prenant son téléphone des mains pour lire l’article. Oui, bon, il s’agit d’une préférence, en vérité, mais pour avoir testé, j’avoue que la barbe fait son petit effet. Et… on en parle, des lunettes ? Bon, Hugo les enlève pendant le sexe, mais ça lui donne un petit plus non négligeable.

— Ryan Gosling est quand même hors catégorie, ris-je en lui montrant la photo de l’article. Je crois que je vendrais père et mère pour une nuit avec lui, surtout s’il chante comme dans La La Land.

Rachel me regarde, un sourcil levé, avant d’éclater de rire, et je la rejoins volontiers.

— Bon OK, je n’ai ni père, ni mère. Mes beaux-parents, ça passe ?

— Attends, je l’appelle tout de suite pour qu’il te file un rencard. Tu vas voir, il parait qu’il est top au lit. En attendant qu’il me confirme, il te reste Hugo, non ?

Je soupire et m’adosse à ma chaise. Si ça ne tenait qu’à moi, évidemment qu’Hugo reviendrait dans la partie. Je pourrais courir sonner à la porte de son immeuble en le suppliant de m’ouvrir, si je m’écoutais.

Attendez, je suis vraiment en train d’envisager d’avoir un amant ? Bon sang, Rachel est folle !

— Sauf qu’avec Hugo, il y a plus que juste du sexe, Rach. Je… on s’est attachés l’un à l’autre. Je n’arrive pas à croire que tu m’encourages à aller voir ailleurs, ris-je.

— Moi, tu sais, je suis pragmatique. Je vois que tu n’es pas heureuse et je cherche des solutions. J’espère que ça ne m’arrivera jamais mais je reste ouverte. Et puis, je te fais essayer d’abord, comme ça, si ça marche, je sais à quoi m’en tenir. Et si ça ne marche pas, c’est toi qui essuies les carreaux cassés !

— Ben voyons !

Voilà, il me fallait Rachel pour retrouver un peu d’air et le sourire. Il n’y a qu’elle pour m’écouter sans me juger, pour me dérider et pour me sortir de mes pensées moroses. Honnêtement, il m’arrive de me dire que c’est plus moi qui ai besoin d’elle que l’inverse. Rach s’épanouit dans tout ce qu’elle fait et vit, elle trouve toujours le positif à tout. Je ne dirais pas qu’elle est toujours de bons conseils, parce que je doute qu’elle apprécierait que je suggère à son mari d’aller voir ailleurs pour mieux la supporter, mais au moins, elle est là. Toujours. Quant à moi, je me tiens prête pour quand elle aura besoin, je lui dois des centaines d’heures d’écoute attentive, même si elle a amputé son quota avec son mariage de princesse.

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