Partie Cinq

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 Je poursuivis la femme dans les champs. Sa course était rapide, mais en rien comparable à la mienne. Je l’envoyai au sol, lamentable et faible, et la couvris d’un regard impérial.

 « Dis-moi où se trouve la souris. »

 Elle demeura silencieuse, le regard défiant. Alors, je lui déliai la langue.

 « Je vais saigner ta progéniture.

 — Kina !

 — Kina ?

 — La mignarde du blé ! Elle est mussée dans l’chas d’la Reine qui pionce.

 — Oh, euh, très bien, dis-je, incertain d’avoir compris. Tu… tu es une bonne cliente. J’aime les bonnes clientes. Mamie voudrait que tu partes avec un objet, alors tiens. » Je lui remis le pouce de l’homme. « Où est-ce qu’elle pionce, exactement ? »

 Je quittai le hameau, guidé par mon odorat et les vagues renseignements de la paysanne. La tanière de Kina était un trou à peine visible au milieu du blé, obscur, proche de l’endroit où l’oiseau colossal m’avait trahi, son parfum flottait un peu partout, mais quelque chose de plus gros et de plus dangereux habitait ce sombre boyau ; une odeur de mort et de serpent, dont les ronflements me firent froid dans le dos.

 Une voix s’éleva.

 « Pourquoi tu me suis ? »

 Un sourire extatique me contracta la face.

 « Kina. »

 Je me retournai.

 « M’appelle pas comme ça ! gronda-t-elle. T’auras pas ma noix, alors dégage ! »

 Un alizé balaya sa longue chevelure rousse hirsute, qui masqua un instant son regard réprobateur.

 « Nous sommes semblables, avançai-je. Ignorantes de ce vaste monde. Je souhaite rentrer chez moi et jouer avec mes amies et ma maman. Elle est un peu excentrique, mais drôle et toujours souriante. Je l’aime énormément. C’est une maman en or ! Donc, nous pourrions être amies toutes les deux, puisque nous sommes pareilles. Je n’ai croisé que des créatures malfaisantes, j’ai mal aux pieds à force de marcher et je m’ennuie. C’est terrible ! »

 Elle haussa un sourcil, méfiante.

 « Pareilles ? J’crois pas, non !

 — Bien sûr que si ! Nous sommes toutes les deux des araignées. » J’enfouis mon nez dans ses cheveux. « Ton odeur est celle du serpent et de l’araignée. Quel merveilleux parfum que voilà. » Elle bondit hors de ma portée, déroutée, le poil hérissé, les lèvres retroussées. « Je ne suis pas méchante ! » repris-je, irrité.

 Je soupirai. Mon corps se déforma, ondula, puis se dilata et finit par revêtir les traits bienveillants d’une petite femme rondelette. Mes doigts boudinés réajustèrent ma tenue et réorganisèrent ma longue chevelure noire.

 Je me délectai de son air sidéré et pris une pose théâtrale.

 « Dans les lointaines contrées où le Jour brûle la terre d’or, on me connaît sous le nom de l’énigmatique Sans-Visage. Ici, dans les plaines dorées, je suis Raya Kaya, l’inhumain, le pourfendeur des géants carnassiers, le créateur du ballet des ombres et divin héraut du Cataclysme, porteur du désespoir des hommes !

 » Kina, combien de vies as-tu arraché ?

 — Je sais pas… »

 Mon ventre gargouilla.

 « Ça a tout gâché, me lamentai-je.

 — T’auras pas ma noix ! » se braqua-t-elle.

 Je soupirai.

 « J’ai faim, dis-je. Allons au village. Des brigands font du mal à la femme qui porte ton odeur d’humaine. Nous nous y remplirons la panse. »

 Naïve, elle s’y précipita.

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