Cicely (4ème partie)
« Tu… Tu ne dis rien ? »
J’étais traversé par des sentiments tumultueux et contradictoires… Mais honnêtement, aurais-je vraiment pu croire qu’une jeune femme aussi charmante et consciente de ses charmes qu’Audrey allait pratiquer une abstinence dont elle était par ailleurs peu coutumière ? Pourquoi aurait-elle dû me rester « fidèle », d’ailleurs, puisque nous ne formions pas un vrai couple ?
Le fait que ce « dérapage » ait eu lieu avec un homme tel que Scopratore me rassurait un peu : celui-ci ne quitterait certainement pas sa femme gravement malade pour l’une de ses étudiantes, ne serait-ce que parce qu’un tel scandale aurait ruiné sa réputation de professeur respecté de tous. De plus, mon amie déclara vouloir mettre fin à cette aventure… Elle éviterait même les TD et les cours du professeur à la rentrée, pour couper court à tout nouvel épisode.
« Et toi, avec Giulia, tu comptes faire quoi ? »
Il me fallut quelques secondes pour revenir de l’aventure florentine d’Audrey.
« Comment ça ?...
- Tu comptes la revoir ? »
Cette éventualité ne m’était même pas venue à l’esprit.
« C’est une histoire terminée… à peine une histoire en fait… Disons que l’occasion a fait le larron… Mais il n’y a pas de raison que je la revoie.
- Mais maintenant que tu es en Italie, ça ne te ferais pas envie ?... »
Audrey voulait-elle ainsi nous mettre à égalité ?...
« Il doit être possible de changer ton billet… Passer par Vérone ne constitue pas un tel détour… » continua-t-elle comme pensant tout haut.
Renseignements pris, il s’avéra que c’était effectivement possible et je me rangeai à la suggestion d’Audrey. Mon nouveau titre de transport à la main en sortant de la gare, j’envisageai alors seulement les conséquences de cette modification.
« Mettons que j’arrive à contacter Giulia et qu’elle accepte de me rencontrer à Vérone… du coup, je vais rater ma correspondance pour Turin…
- Aucune date n’est indiquée sur ton billet. L’employé t’a expliqué qu’il était valable pendant une semaine pour tout trajet vers ta destination.
- Je pourrais même rester une semaine chez Giulia, alors ?
- Ce que tu as à y faire ne devrait pas prendre autant de temps… Tu te surestimes un peu… » me rétorqua Audrey avec un clin d’œil.
Revenir un jour plus tard me faisait manquer une journée de cours, mais ce n’était pas un gros problème… En revanche, rien n’indiquait que Giulia me ferait bon accueil et qu’elle accepterait de m’héberger… De plus, je n’avais pas son numéro et le seul moyen de l’obtenir était de le demander à ma sœur. Autant dire que cette seule étape risquait de réduire mon escapade à néant…
Encouragé par Audrey, j’appelai malgré tout chez moi :
« Salut Ginny… Ça va ?... Ecoute, j’avais pensé faire un petit détour par Vérone… alors, si tu as toujours l’adresse de Giulia, je pourrais peut-être passer la voir… et lui donner le bonjour de ta part…»
Après quelques secondes d’un silence grésillant, et en lieu et place de la volée de bois vert à laquelle je m’attendais, Virginie se contenta de répondre : « Attend une minute… ». Et quelques instants plus tard : « Tu as de quoi noter ?... C’est le 36 43…
- Attends !… » criai-je en faisant signe à Audrey de me passer un papier et un crayon. «Je te revaudrai ça !... » remerciai-je chaudement ma sœur.
- C’est ça, bonne bourre, idiot !... Quand je pense qu’avec ta tronche de cake et ton petit corps d’avorton, tu te tapes des bombes comme Audrey et Giulia pendant que je passe les fêtes de fin d’année toute seule à Oullins, je me dis qu’il y en a qui ont vraiment une chance de cocu… C’est bizarre, d’ailleurs, parce que visiblement, c’est plutôt ta copine qui va bientôt l’être, cocue…
- Heu, moi aussi je t’aime, sœurette… Merci encore et Bonne Année ! » coupai-je rapidement…
Il restait cependant une étape et non des moindres : appeler Giulia !... Or ce coup de fil avait toutes les chances de se dérouler ainsi :
« Salut, Giulia ! Tu te souviens de moi ?... Je suis le frère de ta charmante corres’… Mais si !... Le mec qui t’a pelotée sur le canapé familial en profitant de la pochtronnerie de sa sœur !… Ça fait six mois que je ne t’ai pas donné de nouvelles, mais comme je passais par hasard à Vérone, je me suis dit que…
- Vaffanculo, stronzo di merda, non chiamare più questo numero !!!... » [clic ! tuut, tuut, tuut…]
Je décidai donc qu’il était préférable de ne pas l’informer de mon arrivée …
« L’effet de surprise sera ma meilleure arme ! » déclarai-je à Audrey.
Devant sa moue dubitative, j’insistai :
« Ce truc a marché en 39 pour l’invasion de la Pologne, alors pourquoi pas pour moi ?...
- Oui, enfin, tu es quand même plus « guerre de position » que « Blitzkrieg »…
- Ca veut dire quoi, ça ?...
- Rien… Il ne te reste plus qu’à espérer que Giulia soit complètement idiote…
- Hé bien, au moins, tu es encourageante… »
Nous nous quittâmes Audrey et moi tout à fait heureux l’un de l’autre ; la séparation géographique n’avait pas eu raison de notre relation. Le trajet en train se déroula sans problème, mais je n’avais toujours prévu aucun plan une fois arrivé à Vérone. C’était peut-être aussi bien de laisser agir le hasard. J’obtins l’adresse de Giulia par les renseignements téléphoniques et je m’y rendis…

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