Chapitre 1 - Etrangers (2/3)

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Eyleïna Milnowitcz

Quelque part sur Plutonium

En ouvrant les yeux, la première chose qu’Eyleïna ressentit fut un violent mal de crâne qui la dévorait jusqu’au plus profond d’elle-même. Elle ferma les yeux en grimaçant avant de les rouvrir doucement. La douleur ne s’estompa pas mais l’accès nauséeux qui l’accompagnait avait disparu et, bien que le paysage lui apparaissait encore flou et virevoltant, elle s’autorisa un léger redressement stratégique qui lui valut un élan douloureux plus important encore. Elle gémit en posant une main sur sa tempe battante, observant la pièce autour d’elle.

La demeure dans laquelle elle se trouvait était minuscule et faite en grande partie de terre et de sable rouges. Les murs avaient été percés de toutes petites fenêtres fermées de rideaux afin de préserver le peu de fraîcheur des lieux. Malgré cela, Eyleïna gouttait. Elle pouvait sentir la sueur couler le long de son dos jusqu’au creux de ses reins, sans savoir s’il s’agissait de la chaleur du désert ou d’un effet secondaire au puissant anesthésiant dont elle avait fait office.

Sans lui laisser plus de temps, une main attrapa brusquement son poignet afin de la tirer debout.

— Asrae ! Tabie ! Asrae ! (1) 

Eyleïna secoua la tête. La jeune femme face à elle la tira à nouveau avec plus de force.

— Asrae ! Yajib 'an nughadir alan ! Atruk, hal tafhama? (2) 

Atruk… Partir… La puissance du narcotique embrumait encore ses pensées et l’empêchait de trouver un sens cohérent aux mots prononcés mais elle parvint tout de même à se hisser sur ses pieds, vacillante. Face à elle, la jeune femme eut un sourire conciliant et se retourna pour aboyer de nouveaux ordres tout autour.

Pour la première fois depuis son réveil, Eyleïna vit qu’elle n’était pas seule. Une dizaine de femmes étaient en réalité amassées dans la minuscule chambre, sur des lits de fortune, parfois posés à même le sol. Certaines paraissaient ne pas avoir quinze ans. Eyleïna vacilla, se retenant de justesse à une colonne de sable et de terre.

— Kayf alhal ? Hal yumkinuk almashi ? (3)

Elle fronça les sourcils. Eyleïna plissa les paupières. Foutue léthargie… Encore que ses derniers cours de plutonien lui apparurent très lointains désormais…

— La femme demande si tu peux marcher.

Eyleïna sursauta. Celle qui venait de parler était un peu plus âgée que les autres, le teint hâlé et des cheveux noirs et crépus encadrant un beau visage fin et allongé. Elle avait un fort accent mais parlait visiblement la langue de Terrae. Eyleïna hocha la tête en guise d’approbation.

— Yumkin la Terrae almashi. (4) 

— Eazim, lidha 'akhbarah 'an yusrie qlylaan. Ta'akhar alwaqti. Tabie ! (5) 

La jeune esclave hocha la tête tandis que d’un signe de main, l’autre ordonnait la mise en marche. Les jeunes filles s’ébranlèrent dans un silence oppressant, ne laissant bientôt plus dans la pièce qu’Eyleïna et son interprète. Cette dernière approcha avec un sourire conciliant.

— Tu es sûre que ça va aller ?

Elle avait véritablement conservé le fort accent de sa tribu mais Eyleïna ne put qu’admettre la perfection de sa langue. Eyleïna hocha la tête. L’autre passa une main sous son aisselle afin de la soutenir.

— Alors allons-y vite, ou ils nous laisseront mourir ici. Seules.

La perspective fit frissonner Eyleïna. Elle ne connaissait que peu de choses sur la contrée de Plutonium mais les paroles de la jeune esclave ne lui parurent pas dénuées de sens. Encore vaseuse, elle tenta un premier pas en avant. Une douleur sourde parcourut son corps tout entier. Ses nombreuses pertes de conscience récentes avaient sans doute tétanisé une grande partie de ses muscles et il lui faudrait plusieurs heures, voire plusieurs jours avant d’en récupérer l’usage complet. Temps dont elle ne disposait visiblement pas. Elle serra les dents. La traversée du désert promettait d’être difficile…


La troupe marcha ainsi, dans un silence rendu moite et pesant par la chaleur du désert, pendant presqu’une heure. Une heure longue et pénible, sous le soleil encore assommant malgré sa quasi-disparition derrière la ligne d’horizon. Au-delà des dunes de sable fin et doré des rives de la crique ne s’étendaient plus à perte de vue qu’un immense désert de roches et de poussière ocre. Pas un seul arbre. Pas un seul ruisseau. Pas un seul animal. Rien que du sable rouge. Et une chaleur insoutenable, qui semblait ne jamais vouloir faiblir sous le ciel rouge et vaporeux.

La quadragénaire menait le groupe, marchant à l’avant d’un bon pas, un sac passé en bandoulière par-dessus son épaule basané, jetant de temps à autre un regard en arrière afin de contrôler la petite troupe et héler au besoin les dernières retardataires. Si certaines paraissaient souffrir des conditions extrêmes du désert qu’elles côtoyaient pour la première fois, Eyleïna fut surprise de constater que la plupart d’entre elles semblaient au contraire être nées dans la contrée. Malgré la douleur lancinante qui continuait de la parcourir toute entière, la jeune femme se contentait d’avancer, passant de temps en temps une main dans ses longs cheveux auburn collés par le sel et la sueur.

Enfin, au détour d’une montagne, apparut une oasis. Un ilot de fraîcheur. Un vaste lac d’eau claire qu’entouraient plusieurs dizaines de palmiers sous lesquels s’affairaient déjà plusieurs caravanes de marchands. La quadragénaire pressa le pas en apostrophant le groupe. Elles franchirent les premiers arbres, épuisées, mais silencieuses. Le regard de la meneuse parcourut rapidement la foule.

— Asrae ! hurla-t-elle en appuyant ses propos d’un geste de la main. (6) 

Le petit groupe se remit en marche sans protester. Elle les conduisit jusqu’à un groupe majoritairement constitué d’hommes plutoniens à la peau recouverte de larges tatouages d’un noir de jais, leurs cheveux de la même couleur encadrant des visages à la peau burinée par le soleil du désert. La plupart froncèrent les sourcils en murmurant à l’approche de la quadragénaire mais aucun ne s’interposa.

La femme traversa la foule sans leur accorder le moindre regard, pressant le pas jusqu’à un magnifique étalon à la robe bai luisante, ses larges jambes visiblement habituées aux longues traversées. L’homme qui se trouvait devant était le seul à avoir la peau pâle et une armure. Il cessa d’aboyer des ordres à l’instant même où il aperçut son interlocutrice, la toisant de ses yeux étrécis et agacés. La tombée de la nuit était sans aucun doute le meilleur moment pour traverser le chaud désert plutonien et cette intervention allait le retarder, il le savait.

— Ariki ! Ariki ! (7) 

— Que veux-tu femme ? demanda-t-il d’une voix aigre. Ne vois-tu pas que je suis occupé ?

La quadragénaire s’inclina respectueusement jusqu’au sol.

— Je vous apporte la marchandise mon Seigneur, expliqua-t-elle sans se redresser, de la part du clan Raï.

L’homme fronça les sourcils. La quadragénaire pointa un doigt en direction du groupe de jeunes femmes derrière elle. L’homme lui adressa un bref hochement de tête et se pencha afin de chuchoter quelque chose à l’oreille du plutonien le plus proche. Ce dernier acquiesça et fouilla dans sa poche afin d’en sortir dix pièces de bronze qu’il tendit à la femme sans un mot. L’argent tinta un instant au creux de sa main sans qu’elle ne parvienne à en décrocher son regard ébahi.

— Merci Monseigneur ! Que les Grands Dieux vous garde !

— Si tu le dis, maintenant écarte-toi. Nous avons du chemin.

Les mains jointes, elle courba la tête en guise de remerciements. Perplexe, Eyleïna fronça les sourcils.

— Que se passe-t-il ? chuchota-t-elle à l’intention de sa camarade qui la soutenait toujours.

— La femme vient de nous offrir à l’ariki. Nous lui appartenons désormais.

Eyleïna sentit un long frisson lui parcourir l’échine.

***

(1) Dépêche-toi ! Allez ! Plus vite !

(2) Dépêche ! Il faut partir maintenant ! Partir, tu comprends ?

(3) Ça va ? Tu peux marcher ?

(4) La Terrae peut marcher.

(5) Parfait, alors dis-lui de se presser un peu. Il est tard. Allez !

(6) Plus vite ! hurla-t-elle en appuyant ses propos d’un geste de la main.

(7) Seigneur ! Seigneur !

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