Déliquescence, cinquième partie

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Les talons contre la falaise, le bout des pieds dans le vide, Iris longe la corniche.
Plaquée contre la roche, érodée par l’effondrement de la cendre, la jeune femme progresse le long du périlleux chemin qui mène à son objectif. Encore maintenant, la silhouette de l’arbre mort est floue, la densité de cendre est tellement importante que l’on ne peut voir qu’à dix mètres distinctement.

Son palpitant au plus haut, Iris serre le poing pour supporter la pression, tandis que ses pieds l’amènent enfin à l’autre bout du précipice.
Une fois sur le replat du versant de la montagne, elle pousse un profond soupir et s’enfonce dans le maelström gris. Au bout de quelques mètres, les branches de l’arbre se découpent avec précision.
Il est encore plus nu qu’avant. Il évoque maintenant un gigantesque épouvantail, prêt à s’abîmer dans le précipice. Seules ses racines retorses et fermement accrochées au sol - si sec qu’il a le teint du charbon – l’empêchent de sombrer. Et s’il tombe...
… ce sera avec la tombe qu’il surplombe.

L’écharpe orangée qui bat au vent, attachée à triple nœud au sommet d’un bois tombal sombre, claque si fort qu’elle fait des échos dans la vallée. Iris se rapproche d’un pas lent et méthodique, contemplant le dernier vestige concret de l’existence de son père.

Enfin, si elle s’oublie.

La jeune Marquée s’agenouille devant la tombe, regardant la plaque qui a été enfoncée dans le sol.

Les gravures, remplies de cendre au point d’en devenir peu lisibles, laissent encore voir quelques mots :

« Ci-gît Marcheur, mentor malgré lui, père regretté. »

Les mots d’Amel, écrits avant même la naissance d’Iris, ont anticipé la détresse de la jeune femme. Chaque fois qu’elle les lit, son cœur se serre.

Il a été enterré ici, parce qu’il avait peur de la ville, et notamment de Ragwell. Il ne voulait pas y venir, il s’y est rendu parce que Marion s’y trouvait, et c’est elle qui l’a enterré, seule.

Iris pense à l’épreuve que ça a dû être pour sa mère. Elle aurait un jour aimé lui dire qu’elle compatissait, mais comme de nombreuses choses qu’elle souhaitait dire, les mots restaient coincés au seuil de ses lèvres.

Alors c’est ici qu’elle venait les dire :

« Tu avais peur de t’attacher, parce que tu avais peur de souffrir, ou de faire souffrir les autres ? »

Sa mère décrivait Marcheur comme un homme chaleureux de loin, et froid au contact. Il était à la fois présent quoi qu’il arrive et toujours prêt à partir. Tout ce qui pouvait le retenir était proscrit, tout ce qu’il avait, il le portait sur lui. Lorsqu’il a été contracté pour protéger le Roi Xilwell, le dernier du Royaume, ce dernier avait prévu de lui offrir titre de noblesse, et domaine dans la Haute-ville.

« C’est pour ça que tu as préféré mourir, tu n’aurais pas pu rester enfermé entre quatre murs. »

L’esquisse d’un sourire aux lèvres, Iris s’amuse de l’ironie de sa phrase. Parce qu’elle, elle n’avait jamais connu la liberté et l’errance qui caractérisaient la vie de son père.
Elle ? Les faubourgs de Ragwell, étaient le seul paysage que son regard avait effleuré, car dès la maturité de ses yeux, l’horizon était déjà derrière un voile de cendre.

« Moi, j’ai grandi derrière ces quatre murs. »

L’air est froid. Froid comme les nuits d’hiver, où Iris, du haut de ses sept ans, refusait de s’emmitoufler dans des couvertures qui l’étouffaient encore plus que les murs de sa chambre, à jamais close.

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